Librairie de L. Hachette et Cie (p. 212-215).

LXXX

AIMER NOTRE-SEIGNEUR PAR-DESSUS TOUT.



Comme Notre-Seigneur marchait suivi d’une grande foule de peuple, il se retourna vers eux et leur dit :

« Si celui qui vient à moi ne hait pas son père et sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple… »

Valentine. Oh ! Grand’mère ! Ça c’est très mal ; je trouve que c’est un très mauvais conseil !

Grand’mère. Oui, si tu le suis à la lettre ; mais c’est encore au figuré, comme lorsque Notre-Seigneur a dit de s’arracher l’œil si l’œil fait pécher, de se couper la main et le pied s’ils sont une occasion de mal faire. Notre-Seigneur veut dire que pour être son disciple, son ami, il faut tellement craindre le mal, que lors même qu’il viendrait du père, de la mère, etc., il faut le haïr et le fuir, sans avoir égard aux mauvais conseils ou aux supplications qui nous viendraient de ceux que nous devons le plus aimer et respecter.

Louis. Comment cela ? Comment peut-il venir des mauvais conseils des pères, des mères, femmes, enfants, frères et sœurs ?

Grand’mère. Voici comment : Dans les premiers siècles qui ont suivi Notre-Seigneur…

Armand. Qu’est-ce que c’est, siècle ?

Grand’mère. Siècle veut dire cent ans. Dans ces premiers siècles, les Empereurs, romains martyrisaient les chrétiens.

Armand. Qu’est-ce que c’est, martyrisaient ?

Henriette. Comme tu es ennuyeux ! Tu ne fais qu’interrompre !

Armand. Mais puisque je ne comprends pas.

Henriette. Attends que Grand’mère ait fini son histoire.

Armand. Mais quand j’attends, j’oublie.

Grand’mère. Chère petite Henriette, tu oublies toi d’être indulgente et bonne pour ton petit frère ; tu oublies d’être patiente et charitable.

Henriette. C’est vrai, Grand’mère ; Mais c’est que c’est si ennuyeux, si impatientant !

Grand’mère. Les autres ne disent rien, et pourtant cela ne les amuse pas plus que toi. Pense donc que je ne vous raconte pas une histoire comme les mémoires d’un âne ou comme les deux nigauds, mais une histoire sérieuse, instructive, que je désire vous faire bien connaître. Je suis donc bien aise de vous expliquer ce que je ne vous fais pas bien comprendre du premier coup. Et je réponds à Armand :

Martyriser veut dire faire beaucoup souffrir ; et les Empereurs romains ordonnaient qu’on défendît aux chrétiens de croire à la divinité de Notre-Seigneur, qu’on les obligeât à adorer les idoles, c’est-à-dire le démon ; et qu’on les torturât, c’est-à-dire qu’on leur fît souffrir les tourments les plus affreux pour les faire renoncer à Notre-Seigneur. Ces admirables chrétiens aimaient mieux mourir dans les tourments que renoncer à leur bon Sauveur qui était mort pour eux ; et ils étaient ce qu’on appelle des martyrs de la foi.

Et pour répondre à Louis, j’ajouterai que les pauvres martyrs avaient à endurer les supplications de leurs parents et de leurs amis les plus chers, qui, étant païens, voulaient les faire renoncer à Jésus-Christ pour les sauver des cruels tourments dont on les menaçait ; et c’est ainsi que leurs parents voulaient leur faire commettre le mal, et que les martyrs devaient haïr leurs conseils et y résister ; et maintenant encore, on peut et on doit pratiquer cette règle de l’Évangile, toujours en mettant l’obéissance aux ordres de Dieu au-dessus des affections de famille les plus légitimes et les plus tendres. Il faut aimer Notre-Seigneur par-dessus toute chose.

Notre-Seigneur dit encore :

« Celui qui ne porte pas sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. »

Jeanne. On ne peut pas porter une croix, ni suivre Jésus qui n’est pas avec nous ; alors qu’est-ce que cela veut dire ?

Grand’mère. Cela veut dire, comme le dit Notre-Seigneur : « Que celui qui ne cherche pas à surmonter ses mauvais penchants, celui qui ne supporte pas avec résignation et avec courage les peines et les souffrances que je lui envoie, celui qui ne s’impose pas des privations, celui qui ne sacrifie pas son plaisir à son devoir, celui qui ne me suit pas, c’est-à-dire qui ne fait pas comme moi, qui n’imite pas ma douceur, ma patience, ma charité, mon détachement des biens de ce monde, celui-là n’est pas mon disciple, ni mon ami, et ne peut gagner le bonheur éternel. »