Études sur l’Italie, suite/11
Pellico, Manzoni, N…, nobles âmes,
Qui brûlez tout le jour des plus divines flammes,
Ah ! grands Italiens, tendez-moi donc la main,
Car en votre pays j’ai fait tant de chemin,
Qu’arrivé sans haleine au bout de la carrière,
Je suis comme l’aveugle assis sur une pierre ;
Toi surtout, Pellico, le plus jeune des trois,
Qui te courbas pourtant sous la plus lourde croix ;
Je lisais hier soir dans ton livre sincère
Le temps qui précéda ton atroce misère,
Comment à Saluzio, dans ton jeune printems,
Tu fus chéri jadis par tes bons vieux parens,
Et venu dans Milan de ta ville natale
Tu visitais le soir la porte Orientale
Avec Monti, de Brème et le comte Porro,
Encore insouciant du carcere duro,
Comme l’agneau qui joue et va par la prairie
Sans prévoir le couteau qui lui prendra sa vie ;
Puis ton triste voyage aux pays allemands.
Où tu trouvas pourtant, Silvio, des cœurs aimans.
Hélas ! j’eus, comme toi, ma porte Orientale
Avant d’être frappé de la verge fatale.
Un riant avenir alors m’était promis,
Et je me promenais avec mes chers amis,
Avec Léon, chez qui de la terre étrangère
Deux fois je vins trouver l’âme et les soins d’un frère,
Comme au tomber du jour le fidèle ramier
De tous les points du ciel revient au colombier.
Quand quelque chose encor me ravit et m’enivre,
Je l’apporte à Léon ; je lui porte ton livre ;
Si par hasard sans lui je me plais quelque part,
J’en suis fâché ; je crois que je vole sa part.
Depuis quatre ans, vois-tu, son influence arrête
La mort qui tout le jour vole autour de ma tête,
Et mieux que tous les soins du grave médecin,
L’empêche d’approcher et d’entrer dans mon sein.
Quand je suis loin de lui, je retombe en démence,
Hélas ! et ne suis plus qu’une pierre qui pense,
Et je ne dirais pas, vois-tu, ce que j’écris ;
Car, avec mes amis, ou je chante ou je ris ;
Silvio, tu te connais en amitié divine,
Est-ce bien elle, dis, qui vit dans ma poitrine ?
Âme des anciens jours, illustre Italien,
Tu m’as dit tes amis, moi je te dis le mien !