Études sur l’Italie, suite
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II.


À M. Alphonse Pépin.




Le jour des Moccoli, lorsque Rome la sainte
Laisse errer la folie en sa bruyante enceinte,
Ceux de Castel-Gandolphe et ceux de Tivoli,
Portant au pied la boucle en argent mal poli ;
Les filles de Nettune, au corset d’écarlate,
Ornant de médaillons leur sein où l’or éclate,
Et dans un réseau vert enfermant leurs cheveux ;
Et celles de Lorette, où l’on fait tant de vœux ;
Celles de Frascati, dont les beaux yeux, sans voile,
Brillent sous le Panno comme une double étoile ;
Hommes, femmes, enfans, s’avancent d’un pas lent
Vers la nocturne fête et le Corso brûlant.



Alors le ciel s’embrase, et la flamme agrandie
S’étend le long des toits comme un vaste incendie,
Et les Moccoletti courent de mains en mains,
Brillant et s’éteignant ; tel, au bord des chemins,
On voit le vert-luisant, dans la nuit qu’il éclaire.
Paraître ou se cacher au mois caniculaire.

Au milieu du tumulte et des joyeux propos,
Quelques femmes d’Albane, assises en repos,
Semblent, par leur maintien et leur antique tête,
Des déesses de marbre assistant à la fête.
Cependant le temps fuit, la lumière pâlit.
Et la jeune éminente, en regagnant son lit,
Voit à regret mourir le dernier feu. La foule,
Sur la place du peuple, en murmurant s’écoule ;
Les voix sont déjà loin, l’écho n’a plus de sons,
Et les balcons muets ont fini leurs chansons.
Par la lune éclairés, quelques dominos sombres
Dans le Corso désert glissent comme des ombres ;
Mais le saltarello, près du Tibre, a cessé ;
Le jour des Moccoli, tel qu’un rêve, a passé,
Et l’on n’aperçoit plus dans une teinte grise
Que les murs dentelés du palais de Venise,
Et Rome se repose, et la paix des tombeaux
Succède au bruit des chars, à l’éclat des flambeaux.



Et puis le lendemain, sortant de leurs cellules,
Et les bruns Franciscains et les blancs Camaldules
S’emparent de la ville, et leurs yeux pénitens
Disent qu’il faut enfin commencer le saint temps ;
Ils marchent en silence, et la pierre des dalles
Retentit longuement sous leurs larges sandales.
Qui foulent dans ces lieux, la veille profanés,
Et des flambeaux éteints et des bouquets fanés.



Ainsi l’âme s’endort quand sa fête est finie ;
Et soucis et chagrins, à la face jaunie,
Reviennent la fouler dans les sentiers humains,
Comme les pieds pesans de ces moines romains !


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