Études forestières – La Forêt de Fontainebleau

Études forestières – La Forêt de Fontainebleau
Revue des Deux Mondes2e période, tome 45 (p. 142-170).
ETUDES FORESTIERES

LA FORET DE FONTAINEBLEAU

Après la configuration du sol, ce qui caractérise le mieux la physionomie d’une contrée (features) comme disent les Anglais), ce sont les forêts. Qu’elles s’étendent dans les plaines, en déroulant le long des fleuves un océan de feuillage, ou qu’elles parent d’une éternelle verdure les flancs abrupts des montagnes, le paysage qu’elles animent prend un caractère particulier. Ces massifs d’arbres qui se succèdent à perte de vue sont plus qu’un simple ornement, ils sont pour le savant comme pour l’économiste un inépuisable champ d’études.

Nulle part on n’étudie mieux les lois qui régissent la nutrition des plantes. Les essences forestières, qui végètent pendant de longues années abandonnées à elles-mêmes, sont en effet particulièrement exposées à l’action incessante des phénomènes météorologiques. Plus directement soumises à l’influence du climat, elles ne peuvent jamais prospérer que dans la zone botanique qui leur a été assignée. La région du sapin n’est pas celle du chêne, et le hêtre végète là où le châtaignier ne pourrait supporter les rigueurs de l’hiver. Les conditions indispensables pour qu’un végétal puisse vivre et se perpétuer quelque part, c’est d’abord que les températures extrêmes ne dépassent jamais certaines limites au-delà desquelles il périt infailliblement, ensuite qu’entre la floraison et la maturité du fruit la somme de chaleur nécessaire à la, fructification complète se soit produite. Que la première de ces conditions soit remplie, et la végétation de la plante est possible ; mais la seconde peut ne pas l’être, et alors la reproduction ne pourra se faire spontanément par la graine ; on ne l’obtiendra que par des moyens artificiels, — boutures ou plantations. C’est ce qui arrive pour quelques arbres d’ornement de nos jardins, qui ne portent des fruits que dans les années exceptionnelles. On voit ce que la géographie botanique peut gagner à l’étude bien comprise des arbres forestiers.

C’est à un autre point de vue que l’économiste envisage les forêts. Sans s’occuper des essences qui les composent et des conditions particulières qu’elles réclament, son attention se porté tout entière sur les produits qu’on en retire et les besoins qu’elles peuvent satisfaire. Par les rapports qu’elles ont avec les autres branches de l’agriculture, par les travaux qu’elles exigent, par les industries qu’elles alimentent, les forêts exercent sur la prospérité d’une contrée, comme sur les mœurs des habitans, une action dont il est facile d’apprécier l’importance. Tandis que dans les Alpes elles disparaissent peu à peu, détruites par la dent impitoyable des troupeaux, dans les Vosges et le Jura elles sont au contraire considérées par tous comme une source de richesses, et donnent naissance à une foule d’industries fort productives ; tandis que dans les Landes et sur les dunes de Gascogne elles sont le seul moyen de mettre le soi en rapport, en Normandie elles font souvent obstacle aux progrès agricoles, quand elles usurpent une place qui conviendrait mieux aux céréales ou aux herbages.

C’est en se plaçant à ce double point de vue de l’histoire naturelle et de l’économie politique que l’on voudrait ici donner une idée de là forêt de Fontainebleau, une des plus célèbres que nous ayons en France. La beauté de ses massifs, l’imposante physionomie de son paysage, la diversité d’aspects qu’elle présenté, eh font comme un dès types les plus complets d’une monographie forestière et les plus intéressans à étudier.


I

Autrefois réunie à celle de Sénart, la forêt de Fontainebleau couvrait sur la rive gauche de là Seine une immense étendue, et s’avançait jusqu’à Charenton, à la porte de Paris ; mais, les parties cultivables ayant été peu à peu défrichées, elle n’offre plus aujourd’hui qu’une contenance de 17,000 hectares environ. C’est encore un des massifs les plus considérables que nous possédions. Entourant de toutes parts la ville de Fontainebleau, sauf du côté de la Seine où vient déboucher une large vallée, elle présente à peu près la forme d’un cercle incomplet dont la ville serait le centre, et dont le rayon moyen est à peu près de 12 kilomètres. Elle s’appelait jadis Forêt de Bierre nom que portait également le pays voisin, qui était un canton du Gâtinais. Il vient, dit-on, de Bierra, guerrier danois surnommé Côte de Fer) qui en 845 campa dans les environs avec son armée et y commit d’affreux ravages. Ce n’est que vers le milieu du XIe siècle qu’on voit apparaître le nom de Fontainebleau, dû à une fort belle source qui existe encore dans le parc anglais du château, mais qui a été bien amoindrie à la suite de travaux exécutés sous le premier empire[1].

Dans l’étude d’une forêt, comme dans celle d’une contrée quelconque, la première chose à examiner, c’est la nature du sol. De là dépendent en effet la configuration et la fertilité des terrains, la présence ou l’absence des cours d’eau, les différens systèmes de culture à appliquer, et jusqu’à, un certain point les habitudes des populations. Le sol sur lequel repose la forêt de Fontainebleau appartient aux terrains tertiaires parisiens, et doit sa formation au même cataclysme qui fit émerger ceux-ci du sein des mers.

En remontant le cours sans fin des âges géologiques, à une époque éloignée de nous d’un nombre incalculable de siècles, les eaux recouvraient tout ce que nous appelons aujourd’hui le bassin de Paris, qui correspond à peu près à l’ancienne Neustrie. Les terrains servant de fond à cette mer étaient les terrains crétacés, qui eux-mêmes s’appuyaient sur la formation jurassique, émergée sur d’autres points par des révolutions antérieures, mais qui formait ici une dépression occupée par les eaux. Celles-ci, tantôt lacustres, tantôt marines, déposèrent sous forme de couches parallèles les diverses substances terreuses que les fleuves d’alors entraînaient avec eux et qu’ils déversaient dans l’Océan. Ces couches, dont la nature varie suivant l’époque de la formation, sont au nombre de neuf principales, superposées les unes aux autres ; ce. sont, à partir des plus anciennes : l’argile plastique, les sables inférieurs, le calcaire grossier, les sables moyens, le calcaire lacustre inférieur, les marnes gypsifères, les sables supérieurs, le calcaire lacustre supérieur, enfin les argiles et meulières supérieures. Déposées en dernier lieu, celles-ci précèdent les terrains diluviens qui appartiennent à une formation subséquente.

À la suite d’un mouvement intérieur de l’écorce terrestre, la mer parisienne paraît avoir été chassée violemment de son lit dans la, direction du sud-est au nord-ouest, et par son déplacement subit a mis à jour les terrains qu’elle recouvrait et qu’elle avait contribué à former. La disposition de ces diverses assises présente une constance remarquable ; affleurant à tour de rôle dans l’ordre de leur formation, on les voit, en s’avançant vers le sud-sud-est, s’enfoncer et disparaître amincies, sous celles qui les recouvrent, tandis que vers le-nord-nord-ouest elles viennent finir en biseau très aigu sur celles qui leur sont inférieures et qui les débordent pour se terminer à leur tour de la même manière. Elles se succèdent à peu près comme les tuiles d’un toit dans l’ordre qui résulte de leur superposition relative[2]. Ce mouvement de translation de la mer parisienne donna en même temps naissance à de violens courans qui, partout où ils ne trouvaient pas un sol suffisamment résistant, l’entamèrent profondément. Tantôt emportant les couches tout entières, tantôt y creusant seulement d’énormes sillons, ces courans laissèrent comme traces de leur passage des collines plus ou moins élevées, toutes parallèles entre elles. Nulle part on ne comprend mieux cette formation que dans la forêt de Fontainebleau.

Le relief du sol présente trois aspects principaux : des plateaux, des plaines réunies aux premiers par des pentes assez rapides disposées en forme de cirque, des collines de sable et de rochers, longues, étroites, disposées parallèlement les unes aux autres et laissant entre elles des vallées horizontales ouvertes aux deux bouts. Les plateaux, dont l’élévation au-dessus des plaines varie entre 40 et 60 mètres, appartiennent aux étages supérieurs de la formation parisienne, qui n’ont pas été emportés dans la débâcle dont je viens de parler, et qui ont pu présenter une résistance suffisante à l’action des eaux. Sur quelques-uns, l’étage du calcaire lacustre supérieur subsiste tout entier, tandis que sur d’autres tout cet étage a disparu et a laissé à découvert de grands bancs de roches de grès, connus dans le pays sous le nom de plattières, qui forment le revêtement supérieur de l’étage des sables. Partout où ces bancs de grès eux-mêmes ont cédé à la pression des eaux, la masse des sables a été profondément déchirée. Sans cohésion, incapable de résister à des agens de dégradation aussi puissans, elle a été entraînée vers la mer et répandue dans les plaines. Les blocs de grès qu’elle renfermait ont été roulés et amoncelés par les courans en collines allongées. Sur les points où l’effondrement s’est opéré, ces blocs sont restés à la place qu’ils occupaient, et se montrent aujourd’hui, mis à jour, sur les pentes disposées en hémicycle qui unissent les plaines aux plateaux. Cette forme semi-circulaire est en effet bien celle que devait prendre le terrain cédant tout à coup à la violente pression d’une mer chassée de son lit. Le calcaire lacustre inférieur, sur lequel repose l’étage des sables, ayant présenté plus de résistance que celui-ci, n’a pas été entamé, et il forme, avec les terres transportées des parties élevées, le sol des plaines basses. Les marnes calcaires, les argiles et les sables y sont mélangés dans des proportions variables. Sur quelques points aussi, dans le voisinage de la Seine, apparaissent des terrains de transport de formation plus récente.

Rien de plus facile donc que de se faire une idée de la configuration géologique de la forêt de Fontainebleau, au premier abord si irrégulière et si compliquée, et pas n’est besoin d’être géologue pour se figurer une couche de 60 à 80 mètres d’épaisseur de sable siliceux et de blocs de grès mélangés, comprise entre deux couches de calcaire marneux et argileux. Tel était l’état des terrains où s’étend aujourd’hui la forêt lorsqu’ils étaient recouverts par la mer parisienne. Celle-ci, violemment chassée vers le nord-ouest, effondrant sur plusieurs points la couche protectrice, entraînant dans son mouvement les sables et les blocs, les amoncelant en lignes parallèles, et arrêtant son action destructive à la couche inférieure, laissa après son départ le relief que nous voyons aujourd’hui.

Une pareille formation explique le fait, assez étrange au premier coup d’œil, de l’absence presque absolue d’eau dans toute la forêt. Tous ceux qui ont parcouru, je ne dirai pas les pays de montagnes, mais seulement des contrées un peu accidentées, s’attendent à trouver un ruisseau à chaque dépression de terrain. Il n’en est rien. Les plaines succèdent aux plateaux, sans que les pentes laissent filtrer la moindre source, et du fond de ces vallées ouvertes, serrées entre deux collines de roches entassées, ne s’échappe le murmure d’aucun cours d’eau. Parfois seulement se montrent çà et là quelques mares isolées, dues à l’accumulation des pluies dans le creux des rochers, mares qui le plus souvent s’évaporent aux premiers soleils. Les ruisseaux, comme les sources qui leur donnent naissance, sont produits par la pluie, qui pénètre dans le sol jusqu’à ce qu’elle vienne à rencontrer une couche imperméable qui la ramène à la surface. Dans cette forêt, l’eau passe à travers les masses sablonneuses comme à travers un filtre, et arrive sans obstacle jusqu’à la couche des glaises vertes, la première qui, dans les terrains parisiens, puisse la retenir ; mais cette couche n’affleure pas dans l’intérieur de la forêt, et ne se montre que dans, la vallée occupée par la ville de Fontainebleau. C’est à cette circonstance que celle-ci doit les belles eaux qui y jaillissent de tous côtés.

C’est de sa constitution géologique que la forêt de Fontainebleau tire cette physionomie tout à fait particulière qui ne permet pas de la confondre avec aucune autre. Bien des forêts renferment des massifs plus grandioses, des futaies plus étendues, des paysages plus accidentés, mais aucune n’a un caractère aussi prononcé et ne laisse dans l’esprit une impression aussi profonde. Celles de Compiègne, de Villers-Cotterets, de Lyons, etc., qui appartiennent au même bassin, sont plus belles peut-être à certains égards, mais elles ne lui ressemblent pas même de loin, car, reposant sur des étages différens de la formation parisienne, elles ont une tout autre configuration. La forêt d’Ermenonville s’en rapproche davantage, car elle est assise comme elle sur les sables, mais on n’y rencontre ni ces masses de rochers disposés en forme de cirques, ni ces longues collines sablonneuses semées de roches arrondies entassées les unes sur les autres. Ces espèces de parapets naturels, tous parallèles entre eux et souvent coupés par des vallées perpendiculaires à la direction générale, disparaissent aux environs de Rambouillet.

La nature géologique des terrains que nous venons de décrire a donné lieu à une industrie assez importante, et qui vaut la peine qu’on s’y arrête : c’est l’exploitation du grès. Disposée soit en bancs horizontaux et continus, soit amoncelée en blocs, de diverses grosseurs, cette roche fournit une pierre d’excellente qualité, qui de tout temps a été très recherchée pour le pavage des rues comme pour la construction des maisons. Aussi ces exploitations sont-elles plus anciennes que la ville elle-même, car la première pierre du palais, qui fut construit bien avant la ville, inaugura l’ouverture de la première carrière dans les gorges d’Apremont. Tant qu’on n’eut à faire face qu’aux besoins locaux, les exploitations ne prirent pas une grande extension ; mais quand on commença de paver Paris et les routes qui y. aboutissent, on se mit à l’œuvre de tous côtés, et des carrières s’ouvrirent sur tous les points. Cette industrie s’exerçait d’abord sans contrôle, chacun s’établissant à son gré et n’obéissant qu’à son caprice ; mais les dommages causés à la forêt furent bientôt tels qu’on fut obligé de réglementer les concessions pour empêcher la ruine des peuplemens. Ce n’est pas toutefois, sans protester que les carriers se plient aux restrictions qu’on leur impose. En 1848 notamment, ils s’insurgèrent et se portèrent jusqu’à menacer de mort les agens qui avaient cherché à les contenir.

Chaque maître carrier travaille pour son compte. Après avoir obtenu de l’administration l’autorisation toute gratuite d’ouvrir une carrière, il s’assure du concours d’un ou deux ouvriers qui sont payés à la journée. Comme il ne faut pour être maître que posséder l’outillage nécessaire, masses, marteaux tranchans, marteaux à piquer, coins, pinces, etc. (outillage dont le prix est de 150 fr. environ), il arrive souvent que des ouvriers, associant leurs épargnes, travaillent en commun sur le pied de l’égalité. Avant d’entamer la roche, ils commencent par creuser une tranchée, qu’ils appellent forme, devant le banc de grès à attaquer, de façon à le mettre à nu sur une largeur d’une dizaine de mètres, et sur toute sa hauteur. Cela fait, ils ouvrent un chemin qui, partant du fond de la forme, aboutit a la route la plus voisine, et qui doit servir au transport des pierres. Ils se mettent alors à découper la roche en blocs plus ou moins volumineux, en y creusant avec un outil spécial des trous cylindriques dans lesquels ils enfoncent à grands coups de masse des coins de fer que chaque choc fait avancer à peine de quelques millimètres. Quand la pierre est de bonne qualité, elle se fend d’elle-même en ligne droite, et le morceau se détache naturellement du banc principal ; mais parfois aussi, quand elle est trop dure ou peu homogène, il faut employer la poudre pour la faire sauter. Les morceaux ainsi obtenus sont découpés à leur tour, dépouillés de leurs aspérités, et débités, toujours par le même procédé, en pavés réguliers de différentes dimensions. Quant aux écoles résultant de la taille, elles sont rejetées en arrière, et forment parfois des amas considérables qui frappent désagréablement les regards et gâtent le paysage ; mais, sous l’influence des a gens atmosphériques, ces débris de roches finissent le plus souvent par se déliter, tomber en poussière, et former un sol sur lequel la végétation ne tarde pas à reprendre son empire. Au bout de peu de temps, les carrières abandonnées se couvrent de bruyères, puis d’arbrisseaux, en attendant que les arbres eux-mêmes trouvent une nourriture suffisante pour s’y installer et pour faire disparaître sous l’étreinte de leurs racines les dernières traces de ces exploitations.

Une fois débités, les pavés sont achetés sur place au maître carrier par des marchands qui les expédient dans les villes voisines, mais surtout à Paris, où il s’en fait une prodigieuse consommation depuis l’annexion de la banlieue. Il y a quelques années cependant que les pavés de la Belgique font sur le marché de la capitale une concurrence assez sérieuse à ceux de Fontainebleau pour en avoir fait tomber le prix de 250 francs le mille à 180 francs[3]. C’est donc de Paris que dépend le plus ou moins d’activité des carrières de Fontainebleau, de même que le nombre des ouvriers qui y travaillent. Quand le macadamisage a pendant quelque temps ralenti la demande, la plupart de ceux-ci ont abandonné leurs chantiers et se sont faits terrassiers ; plus tard ils ont repris leur ancien métier, et aujourd’hui on n’en évalue pas le nombre à moins de 400. Ce chiffre toutefois est très variable, car beaucoup d’entre eux, maçons par état, ne se font carriers qu’accidentellement, quand la mauvaise saison les empêche de se livrer à leurs occupations habituelles.

Le bénéfice que fait un maître carrier peut être évalué à 7 fr. par jour. C’est un beau denier, qui serait plus élevé encore, si toutes les pierres étaient de bonne qualité ; mais il arrive souvent qu’après avoir ouvert une carrière et fait des avarices considérables, il faut pourtant l’abandonner, parce que la roche est trop dure ou peu homogène. Quant aux ouvriers, leur salaire se monte à ou 5 francs par jour. Malheureusement il y a une morte-saison, et dès que le thermomètre est tombé au-dessous de zéro, il faut abandonner le travail, car la pierre ne se fend plus régulièrement. Malgré ce chômage, dont la durée moyenne est d’environ deux mois par année, et qui produit une réduction d’un sixième sur le chiffré indiqué plus haut, on voit que les journées des carriers atteignent encore un taux exceptionnel, puisque celles des terrassiers ne s’élèvent pas à plus de 2 francs 75 centimes. La raison de cette différence est dans l’insalubrité du métier qu’exercent les premiers ; ils se font payer-les chances qu’ils ont d’être emportés par ce qu’ils appellent eux-mêmes la maladie des carriers. Cette maladie, qui leur permet rarement d’atteindre l’âge de quarante ans, n’est autre chose qu’une phthisie pulmonaire provoquée non-seulement par la poussière qu’ils respirent, mais encore par les fatigues auxquelles ils sont exposés et les efforts musculaires qu’ils sont obligés de faire. Quittant en été leur domicile à quatre heures du matin, ils n’y rentrent le soir qu’à huit heures, après s’être reposés seulement pendant les deux heures les plus chaudes du jour. À les voir en plein soleil frapper à coups redoublés de leurs masses de fer, qui ne pèsent pas moins de 20 kilogrammes, les coins qu’ils enfoncent dans la roche réfractaire, s’exposer en sueur à tous les vents perfides qui souillent à travers les arbres, on conçoit qu’ils ne puissent résister longtemps à ce dur métier. Moins meurtrière que la poussière d’acier, celle du grès n’en occasionne pas moins dans les poumons une irritation dangereuse : de plus elle dessèche le gosier, et c’est là peut-être son effet le plus funeste, car elle provoque ainsi l’ouvrier à boire d’une manière immodérée. Il est à croire cependant qu’avec des précautions suffisantes, des soins hygiéniques convenables et des habitudes de tempérance rigoureuses, les carriers pourraient se soustraire au danger dont ils sont menacés, et prolonger leur vie bien au-delà du terme fatal ; mais il semble que ce soit là trop exiger d’eux, car si quelques-uns s’imaginent de bonne foi que l’usage des spiritueux doit les préserver de cette terrible maladie, le plus grand nombre au contraire n’embrassent leur métier que pour satisfaire leur goût pour l’ivrognerie. Ceux-là savent ce qui les attend, et, célibataires pour la plupart, ils redoutent peu la mort, n’ayant rien qui les attache à la vie. Les maîtres sont en général plus sobres ; aussi trouve-t-on parmi eux quelques vieillards, ce qui est rare chez les ouvriers. Ce n’est pas sans un serrement de cœur qu’on voit ces jeunes gens, aujourd’hui forts et bien portans, procéder avec autant d’insouciance et de sang-froid à leur long suicide. Où trouver le remède à cette situation ? A coup sûr, ce n’est pas dans la réglementation. On ne peut guère l’attendre que de la moralisation de ces malheureux, auxquels le sentiment des devoirs personnels fait encore trop souvent défaut. L’emploi des machines, s’il était possible, serait cependant un remède radical, car celles-ci, affranchissant l’homme de la partie la plus pénible de sa tâche, chasseraient des carrières un grand nombre d’ouvriers, et les forceraient à demander leurs moyens de subsistance à des occupations moins meurtrières.

Indépendamment de ses pierres, la forêt de Fontainebleau a pendant fort longtemps fourni une assez grande quantité de sable pour la fabrication des glaces et des porcelaines[4]. On en expédiait jusqu’en Belgique et en Angleterre ; mais depuis quelques années ces carrières ont été abandonnées, le sable des environs de Nemours, à 4 ou 5 kilomètres au sud de la forêt, étant de meilleure qualité et d’Une extraction plus facile.


II

On ignore, à proprement parler, la date précise de la fondation du château de Fontainebleau. On sait seulement que la forêt fut réunie au domaine de la couronne vers le XIe siècle, et il est probable que la construction en fut commencée dès cette époque. D’abord simple rendez-vous de chasse, le château se transforma, s’agrandit et s’embellit jusqu’à devenir une résidence que les rois de France habitèrent régulièrement, pendant une partie de l’année, avec toute leur cour. L’histoire raconte qu’en 1264, Louis IX, étant à courre le cerf dans ses chers déserts, y fut attaqué par une bande de brigands, et que, tout en se défendant, il sonna de la trompe pour appeler ses gens, qui vinrent le délivrer. Une chapelle fut construite à cette occasion, et la montagne qui avait été le théâtre de l’événement reçut le nom de Butte Sainte Louis. Dépourvue de routes et entrecoupée de rochers, la forêt fut pendant longtemps un. repaire de malfaiteurs, et les noms de Cave aux brigands, Caverne des voleurs, que portent encore aujourd’hui certains cantons, donnent une triste idée de la sécurité dont les promeneurs devaient y jouir. L’ermitage de la Madeleine, qu’on avait bâti en 1617, pour y établir un ordre de chevalerie destiné à poursuivre les duellistes, fut enlevé par une troupe de brigands qui, malgré tous les efforts de la maréchaussée, parvint à s’y maintenir jusqu’en 1677. L’ermitage de Franchard eut le même sort. Habité d’abord par un cénobite du nom de Guillaume, puis concédé par Philippe-Auguste à des religieux de l’abbaye de Saint-Euverte, il fut plusieurs fois envahi par des bandits qui en massacrèrent les religieux. Il fut détruit en 1712 par ordre de Louis XIV, a afin qu’il lie soit plus, dit l’ordonnance, ni un asile de débauche ni une retraite de voleurs. » On en voit encore les ruines auprès de la Roche qui pleure, excavation dans laquelle tombe goutte à goutte l’eau provenant des infiltrations supérieures. ; Quoique, suivant Guillaume, évêque de Tournai, cette ; eau ne soit ni bonne à boire, ni belle à voir, on ne lui en attribuait pas moins des vertus curatives.

Au nord de la forêt, sur la route de Melun, se trouve la Table du Roi. C’est une table en ; pierre sur laquelle tous les ans, au 1BP mai, les officiers des eaux, et forêts ; venaient recevoir les redevances dues ; au roi pour certains usages exercés dans la forêt. L’abbesse du Lys apportait un jambon et deux bouteilles de vin, et chaque nouveau marié de la paroisse Saint-Ambroise de Melun déposait un gâteau et 5 deniers. Henri IV commença le système de Toutes qui sillonnent aujourd’hui la forêt ; il ouvrit notamment la route ronde qui décrit une espèce de circonférence dont, la ville de Fontainebleau est le centre et dont le rayon moyen est d’environ 5 kilomètres. Il fit aussi élever aux principaux rendez-vous de chasse des croix, dont quelques-unes ont subsisté jusqu’à nos jours. Louis XV compléta le système commencé. Ouvertes plutôt pour faciliter les chasses que pour assurer la vidange des bois, ces routes percent en ligne droite les massifs, escaladent les collines malgré la raideur des pentes, sans jamais dévier, et se coupent à des carrefours d’où la vue s’étend dans toutes les directions. Cette disposition permet aux veneurs de rallier la chasse quand ils se sont égarés. On retrouve ici quelques-unes de ces légendes qui rappellent la fameuse chasse de saint Hubert ou celle du roi Arthur. De vieux bûcherons vous diront à l’oreille, si votre figure leur inspire assez de confiance, que souvent pendant la nuit ils sont réveillés dans leurs cabanes par les hurlemens d’une meute furieuse et les sons retentissans des trompes. Ils voient alors à travers les arbres, au milieu des flambeaux, s’enfoncer dans les profondeurs des massifs la chasse du grand-veneur, lancée à la poursuite d’un cerf imaginaire qu’elle ne peut atteindre. Ce pauvre grand-veneur, coupable sans doute de quelque méfait envers saint Hubert, est, paraît-il, condamné à errer ainsi dans la forêt jusqu’au jugement dernier. Ces vieilles légendes, qui sont la poésie du peuple, n’ont plus guère de prise sur les générations nouvelles, dont le respect pour le surnaturel commence à s’affaiblir beaucoup. Quoi qu’en puissent penser ceux qui s’obstinent à regretter le passé, il n’y a pas à se plaindre de ce changement, car la raison et par conséquent la dignité humaine gagnent tout le terrain que perd la superstition.

Pour avoir de tout temps été consacrée à la chasse, la forêt de Fontainebleau n’en a pas moins toujours été soumise à des exploitations annuelles. Ces exploitations, à vrai dire, laissaient autrefois beaucoup à désirer et donnaient lieu à bien des abus, ainsi que le constate en 1664 M. Barillon d’Amoncourt, conseiller du roi en ses conseils, député par sa majesté pour la réformation générale des eaux et forêts au département de l’Ile-de-France, de Brie et de Perche. « Il est d’autant plus nécessaire, dit-il dans son procès-verbal, de pourvoir au rétablissement de cette forêt par un bon règlement de coupes, qu’on la pourrait dire réduite au point de sa dernière ruine. » Pour donner une idée de ce triste état, il suffira de dire que sur près de 17,000 hectares il n’y en avait alors que 6,740 de boisés, dont 5,000 environ en vieille futaie et arbres épars, et 1,740 en taillis de vingt-cinq ans et au-dessus ; le reste était couvert de bruyères et de rochers stériles. Les prescriptions du réformateur Barillon d’Amoncourt n’ayant pas été rigoureusement suivies, un nouveau règlement fut présenté eh 1716 par le grand-maître de La Faluère, qui constata en même temps la nécessité de repeupler les vides et de remplacer les futaies dépérissantes. Ce n’était pas une petite affaire, puisque s’agissait de plus de la moitié de la Contenance totale ; on se mit cependant à l’œuvre, et l’on fit des plantations de chêne sur une très grande étendue ; plus tard, on introduisit le pin sylvestre et le pin maritime, qui prospèrent mieux que le chêne sur les sols secs, et l’on finit peu à peu par repeupler la forêt tout entière, moins les roches absolument improductives. Une des plus grandes difficultés qu’on eût à vaincre, c’est l’action, particulièrement désastreuse ici, des gelées printanières, qui s’exerce sur les jeunes bois dans une zone comprise entre 1 mètre et 2 mètres 50 cent, au-dessus du sol. Ces gelées, très fréquentés, font noircir et tomber les jeunes pousses ; mais, dès qu’ils ont pu élever leur cime au-dessus de la zone fatale, les arbres sont à l’abri de toute nouvelle atteinte.

Les essences qu’on rencontre aujourd’hui sont le chêne, le hêtre, le charme, le bouleau, le pin sylvestre, le pin maritime et un grand nombre d’essences secondaires, telles que l’érable, le tilleul, l’alizier, le merisier, etc. Parmi les arbustes et arbrisseaux, il faut mentionner le genévrier, dont le bois odorant sert à fabriquer une foule de menus objets de bimbeloterie, la bourdaine, qu’ on emploie à faire de la poudre à canon, les genêts aux fleurs jaunes, et surtout les bruyères, qui affectionnent les terrains sablonneux, poussent dans les interstices des rochers, et couvrent parfois des étendues considérables. Toutes ces essences sont mélangées dans des proportions variables ; en général elles végètent bien quand le sol reste toujours couvert, mais elles s’étiolent de bonne heure quand il est plus ou moins exposé aux rayons du soleil. Lorsqu’ils sont mélangés avec des hêtres en proportion suffisante, les chênes peuvent arriver jusqu’à l’âge de cinq ou six cents ans encore en pleine vigueur et atteindre des dimensions telles que, pour mon compte, je n’en ai pas vu de plus beaux ; quand ils se trouvent à l’état pur au contraire, ils se mettent à dépérir et meurent en cime dès l’âge de quarante ou cinquante ans, comme des hommes vieux avant l’heure, fatigués du monde, qui n’aspirent qu’à le quitter. Il en a été ainsi de la plupart des plantations de chênes dont je viens de parler, et qui ne purent jamais être conduites jusqu’à l’état de futaie. On les coupa dès qu’on vit la végétation languir dans l’espoir que cette opération leur rendrait la vigueur perdue, et que les rejets obtenus réussiraient mieux que les arbres primitifs. Il en fut ainsi pendant les premières années ; mais bientôt, le dépérissement atteignant ces rejets eux-mêmes, il fallut les couper à leur tour. On dut recommencer la même opération à des intervalles de plus en plus rapprochés, et l’on fut conduit, par la force des choses, à exploiter en taillis, à l’âge de vingt-cinq ans, des parties qui étaient dans l’origine destinées à devenir des futaies pleines. Le mal ne se borna pas là ; car le sol, périodiquement découvert par ces coupes, se stérilisa peu à peu, devint de moins en moins propre à la végétation du chêne ; des vides se formèrent de plus en plus grands à chaque révolution, et la forêt fut sur le point d’être ramenée à l’état d’où on l’avait tirée au prix de grands sacrifices. C’est alors qu’on eut l’idée d’y introduire du pin et d’en repeupler tous les vides et clairières. Des semis de cette essence furent faits sur la plus grande échelle par MM. de Larminat et de Bois-d’Hyver, inspecteurs de la forêt sous le roi Louis-Philippe. Grâce à eux, elle fut préservée de la ruine qui la menaçait, et aujourd’hui plus de 4,000 hectares de pins, âgés de quinze à trente ans, sont disséminés sur tous les points, tantôt mélangés avec des bois feuillus, tantôt formant des massifs homogènes qui couvrent de vastes superficies.

Le pin est en effet l’essence qui convient le mieux aux terrains dénudés qu’il s’agit de remettre en état. Aucune n’est moins exigeante ; aucune ne pousse avec plus de vigueur ses rameaux toujours verts là où toute autre succomberait par excès de sécheresse ou défaut de nourriture. Elle a la précieuse faculté d’amender le sol, et, par la décomposition de ses aiguilles, de lui restituer des élémens de fertilité qui permettront plus tard la culture d’essences plus précieuses. Avant qu’on ne songeât à s’en servir pour repeupler les vides, le pin existait déjà dans la forêt, et l’on en attribue l’introduction à Lemonnier, médecin de la reine, qui sema au pied du mail Henri IV des graines qu’il avait rapportées de Riga en 1784. M. de Bois-d’Hyver ne s’est pas borné à semer des pins sylvestres, il a greffé sur un grand nombre de ceux-ci des pins laricios, qui ont parfaitement repris et qui donnent déjà aujourd’hui des graines en abondance. Les pins maritimes n’ont pas répondu à ce qu’on attendait d’eux. Végétant bien sur les bords de la mer, dont ils aiment les sables humectés par les vagues, ils ne prospèrent pas dans les forêts de l’intérieur. Pendant quelques années, il est vrai, ils poussent rapidement, et prennent même de l’avance sur leurs congénères ; mais vers quarante ans, pris de la nostalgie des rivages, ils commencent à dépérir ; leurs feuilles se mettent à jaunir ; des légions d’insectes se logent dans leur écnrce et ne tardent pas à les achever. Les massifs s’éclaircissent d’année en année jusqu’à ce qu’il ne reste plus que quelques individus isolés qui dominent le rocher comme des palmiers au milieu du désert. On aurait tort d’en attendre la mort naturelle, et il vaudrait mieux en finir une fois pour toutes, les couper sans regret, et les remplacer par des pins sylvestres qui prospèrent jusqu’à cent ans et au-delà.

Dans son ensemble, la forêt présente donc les aspects les plus variés et des peuplemens d’une bigarrure exceptionnelle. Sur 1,000 hectares environ, répartis dans les cantons de La Tillaie, du Gros-Fouteau, du Bas-Bréau, des Grands-Feuillards et des Monts-de-Fays, se rencontrent de vieilles futaies de chênes, de hêtres et à& charmes : ce sont les restes des anciens massifs laissés sur pied. Un grand nombre de ces arbres ont cinq ou six siècles et peut-être plus encore ; quoique parfois morts en cime et creusés dans l’intérieur, ils n’en poussent pas moins chaque année de nouveaux bourgeons qui suffisent à entretenir ce qui leur reste de vie. Autour de ces vétérans se pressent de nouvelles générations. Quelques-unes de ces grandes futaies, spécialement réservées pour les promeneurs, ont tout à fait l’aspect d’une forêt vierge où la végétation est livrée à elle-même. Les vieux chênes ont les formes les plus variées et parfois les plus bizarres. Quand ils ont été isolés dans leur jeunesse, ils ont développé dans toutes les directions des branches latérales qui sont elles-mêmes devenues de véritables arbres ; ils sont peu élevés, mais leur cime étalée projette au loin son ombre. Ceux qui ont crû en massif serré au contraire sont droits et élancés, et leurs troncs, unis et sans branches jusqu’à une hauteur de 25 ou 30 mètres, ressemblent de loin à des colonnes gigantesques qui supportent un faîte de verdure.

Après ces futaies viennent 2,000 hectares environ de perchis de quarante à quatre-vingts ans de chêne pur, provenant des plantations faites à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci. Disséminés dans toute la forêt, ils offrent en général une végétation languissante. 13,000 hectares, c’est-à-dire la masse principale, sont couverts de massifs de pins et de taillis de chênes, charmes et bouleaux, âgés de un à quarante ans, tantôt purs, tantôt mélangés dans diverses proportions. Ils sont souvent entrecoupés de vides, couverts seulement de bruyères et de genévriers épars. Enfin viennent les rochers, qui se montrent tantôt sous forme de plattières, c’est-à-dire de bancs horizontaux dépourvus de toute végétation, tantôt sous l’aspect de blocs de grès entassés les uns sur les autres en longues collines parallèles. Des interstices de ces barricades naturelles s’échappent des bouleaux à l’écorce argentée, des genévriers au feuillage sombre, ou des pins maritimes à la cime écrasée. Qui ne s’est promené dans les gorges d’Apremont, où pour la première fois, dit-on, Louis XIV daigna jeter les yeux sur la pauvre La Vallière ? Qui n’a visité les gorges de Franchard, qui rappellent à un si haut degré les paysages bibliques ? Quand le soleil vient dorer les sables et illuminer la roche aride de ses chauds rayons, ne se croirait-on pas dans une de ces solitudes de la Palestine qui ont vu s’accomplir de si étranges mystères ?

Tous les peuplemens forestiers de Fontainebleau sont enchevêtrés les uns dans les autres avec une telle irrégularité, qu’à chaque pas le paysage prend une physionomie différente. Si vous longez par exemple les hauteurs de la Solle, vous avez à votre droite la vieille futaie du Gros-Fouteau, si grandiose à côté des maigres taillis du Mont-Ussy, à votre gauche se déroule un vaste amphithéâtre de roches grisâtres au milieu desquelles s’élèvent des hêtres branchus et de noirs genévriers ; une plaine immense s’étend à vos pieds, déroulant sous vos yeux, aussi loin que la vue peut porter, une mer de verdure. C’est en automne surtout qu’il faut parcourir cette forêt, quand déjà de pâles brouillards ont panaché le feuillage de mille couleurs, quand la rosée de la nuit a mouillé le sable altéré des chemins, quand la bruyère en fleur répand dans l’air son parfum pénétrant. Ce n’est pas cependant un sentiment de plaisir qu’on éprouve alors, c’est plutôt celui d’une certaine tristesse, car, malgré la variété de ses aspects, la forêt de Fontainebleau a une physionomie monotone ; mais cette monotonie a un tel charme qu’on ne peut s’en arracher, cette tristesse a une telle douceur qu’on peut la comparer au souvenir lointain des personnes qu’on a aimées.

Ce sentiment de tristesse que nous fait éprouver l’aspect de la forêt, il faut l’attribuer, en partie du moins, à l’absence de cours d’eau, dont on a expliqué plus haut les causes géologiques. Le murmure d’aucun ruisseau ne se fait entendre dans le silence des solitudes, et vers le milieu du jour, quand déjà le lapin a regagné son terrier et le chevreuil son fourré, il semble que toute vie se soit éteinte sous ces voûtes inanimées. Le chant d’aucun oiseau ne retentit dans le feuillage muet des grands arbres, aucun insecte ne fait entendre son bourdonnement monotone, aucun papillon ne vient d’une aile indécise se poser sur le calice des fleurs absentes. Tout se tait, tout est calme, rien que la fourmi travaillant sans relâche à son palais de sable, ou la vipère endormie, roulée sur elle-même, dans l’ornière du chemin. Solitaire sans être sauvage, cette forêt n’a rien d’abrupt ni de heurté ; on n’y trouve pas l’exubérance d’une nature vierge, mais la douce harmonie des ruines sur lesquelles les siècles ont passé. Quelques-uns s’en plaignent, et bien à tort peut-être. N’a-t-on pas projeté sous le premier empire, pour lui donner un peu plus d’animation, d’y creuser un canal et de joindre le Loing à la Seine par une rivière artificielle qui devait traverser la forêt d’un bout à l’autre ? Un pareil embellissement lui eût enlevé tout son caractère. Grâce à Dieu, on à reculé devant cette profanation, et il faut espérer qu’on ne reprendra plus ce projet abandonné.


III

Spécialement affectée aux plaisirs de nos souverains, dont la chasse a toujours été une des passions favorites, la forêt de Fontainebleau a de tout temps été peuplée d’une grande quantité de gibier. Cerfs, daims, chevreuils, faisans, perdrix et lapins y abondent. Le manque d’eau en éloigne le sanglier ; quant au loup et au renard, on leur fait une guerre si acharnée qu’on en a extirpé jusqu’au dernier. Au premier abord, cette abondance de gibier ne paraît présenter aucun inconvénient, et, loin de s’en plaindre, le promeneur qui s’aventure le matin dans les profondeurs des massifs aime à surprendre de temps à autre un cerf entouré de trois ou quatre biches, broutant dans les clairières, et à le voir à son approche s’enfoncer dans le taillis, suivi de ses compagnes ; il ne lui déplaît pas de faire lever sous ses pas le lapin, que lui cachait une touffe de bruyère, et d’en suivre la course en zigzag jusqu’au terrier voisin. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près, et qu’au lieu de s’en tenir au côté pittoresque on va au fond des choses, on ne tarde pas à se convaincre du mal que fait à la forêt cette multitude d’animaux qui vivent à ses dépens. Essayons d’en donner une idée. Au dire des gardes les plus habiles, elle ne renfermait, il y a quelques années, pas moins de deux mille cerfs et biches de tout âge. Ces deux mille animaux sont obligés d’y chercher leur nourriture, et comme ils n’y trouvent que fort peu d’herbe, c’est au bois qu’ils s’en prennent, et ils ne s’en font pas faute[5]. Ils ravagent périodiquement les plantations qu’on n’a pas pris le soin d’entreillager, et broutent les rejets de taillis au fur et à mesure qu’ils repoussent. On a calculé que, par le fait seul de ces abroutissemens et du retard qui en résulte dans la végétation, la production ligneuse annuelle se trouve diminuée de six mille stères, qui, à 10 fr. l’un, représenteraient une somme de 60,000 fr. Encore ce chiffre ne comprend-t-il pas les frais de repeuplement qu’il faudrait faire pour maintenir les massifs à l’état complet ; car, sous ces atteintes répétées, les souches s’épuisent rapidement, et dépérissent en laissant des vides au bout de quelques révolutions. Ce n’est pas seulement aux bois feuillus que s’attaquent les cerfs ; ils sont également très nuisibles aux pins, dont ils arrachent, pour aiguiser leurs dents, l’écorce en longues lanières, ou qu’ils blessent en frottant leur tête pour faire tomber leurs bois. Sur des massifs de plus de cent hectares, il arrive parfois de ne pas rencontrer un seul pin qui ne soit plus ou moins endommagé.

Voilà pour le gros gibier ; mais pour le lapin c’est bien autre chose encore, car celui-ci, non content de brouter les jeunes pousses, attaque tous les arbres, quelles que soient leurs dimensions, en rongé l’écorce au collet de la racine, et leur fait une incision annulaire qui en occasionne souvent la mort. Dans ces dernières années, les lapins avaient commis de tels dégâts, que la destruction absolue en a été ordonnée dans toutes les forêts de la liste civile. De tout temps du reste, les dégâts de ces animaux ont fait le désespoir des forestiers. En 1664, le réformateur général Barillon d’Amoncourt avait pris une décision semblable non-seulement pour la forêt de Fontainebleau, mais pour les forêts particulières voisines sur lesquelles s’étendait également sa juridiction. « Et parce que les lapins sont préjudiciables aux forêts, dit-il dans son rapport, et nuisibles au public, il sera ordonné, s’il plaît à sa majesté, de remettre en vigueur les anciennes ordonnances, d’interdire au dehors l’établissement de nouvelles garennes et de détruire celles qui existent dans la forêt. »

Un personnel nombreux, composé d’un grand-veneur, d’un premier veneur, d’officiers de divers grades, de piqueurs et de valets de chiens, est affecté spécialement au service de la vénerie impériale, qui comprend les chasses à tir et les chasses à courre. Les premières se font dans des parcs spéciaux appelés tirés ; les chasses à courre seules ont lieu en forêt. La vénerie impériale n’est pas soumise aux prescriptions des lois sur la chasse destinées à prévenir la destruction du gibier. Un tel abus en effet n’est pas à craindre dans les domaines de la liste civile, où l’on veille avec le plus grand soin à la conservation des animaux de chasse ; mais, puisque le but de la loi est ainsi atteint sans que la loi même soit appliquée, on peut se demander s’il est réellement indispensable, pour avoir du gibier, d’imposer à la jouissance de la propriété privée les restrictions que l’on connaît. Qu’on veuille bien le remarquer, le droit commun, c’est la liberté pour le propriétaire de faire chez lui ce que bon lui semble, tant qu’il ne lèse pas autrui. L’exception, c’est la loi sur la chasse, qui subordonne ce droit à certaines conditions et le limite à certaines époques. L’exception est-elle suffisamment motivée ? Voilà ce qu’il est peut-être utile d’examiner en quelques lignes, puisqu’il est question de remanier la loi de 1844. Ce n’est pas, après tout, s’écarter du sujet : c’est montrer un des côtés économiques des questions que soulève l’entretien d’une forêt appropriée à la chasse, comme celle de Fontainebleau.

Quel peut être l’objet d’une loi sur la chasse ? C’est, on vient de le dire, la protection du gibier ; mais pourquoi cette protection ? En quoi le gibier mérite-t-il d’attirer sur lui l’attention du législateur et de mettre en mouvement la force publique ? On ne peut voir à une semblable exception que deux motifs, quelque peu plausibles, car la question fiscale du permis de chasse est trop insignifiante pour entrer en ligne de compte[6]. Ces deux motifs sont l’agrément des chasseurs et l’approvisionnement de, nos marchés en gibier. Quant au premier, on avouera que c’est de la part du gouvernement prendre un bien grand souci pour un bien petit résultat, surtout si l’on songe à ce que l’exécution de cette loi provoque d’arrêtés et de circulaires pour, ouvrir ou fermer la chasse, pour la permettre ou la défendre en temps de neige, pour distinguer les animaux nuisibles de ceux qui ne le sont pas. C’est tout un monde de gendarmes, de maires et de gardes champêtres qu’elle met en mouvement. Que l’on réfléchisse encore aux haines qu’accumule cette loi, aux amendes qu’elle fait encourir, aux crimes dont elle est l’occasion ; qu’on remarque aussi combien elle est vexatoire dans ses mesures contre le colportage, en défendant même la vente du gibier provenant des propriétés closes, et l’on sera bien en droit de se demander si le plaisir de deux cent mille ou trois cent mille individus est en réalité une question, d’ordre public d’une si grande importance. Y a-t-il là en effet quelque chose qui mérite d’être encouragé ? Si la chasse a pour beaucoup de personnes, je dirai presque pour tout le monde, un si grand attrait, ce n’est pas, comme on l’a prétendu, à cause de l’imprévu qu’elle présente, et de l’occasion, trop rare, hélas ! qu’elle nous donne d’exercer notre volonté et notre activité : c’est tout simplement parce qu’elle réveille en nous l’instinct de la vie sauvage et aventureuse qu’ont menée nos pères. Il se produit dans ce cas en nous quelque chose d’analogue aux phénomènes de réversion en histoire naturelle, où l’on voit pendant de longues générations les individus issus d’une souche commune tendre toujours à reprendre les caractères principaux de leurs ancêtres. Est-il bien utile d’entretenir chez nous des habitudes de violence qui rappellent l’enfance de l’humanité ?

Un intérêt plus sérieux s’attacherait, à en croire quelques personnes, au maintien de la législation actuelle sur la chasse : c’est, nous l’avons dit, l’intérêt de l’alimentation publique. Assurément le gibier sert, dans une certaine mesure, à l’alimentation, moins cependant qu’on ne le croit, car si l’on pouvait compter ce qu’il nous mange de blé, d’avoine, de trèfle, de pommes de terre ou de bois, peut-être serait-on étonné du résultat ; mais, en admettant même qu’il ne coûte pas plus cher qu’il ne vaut, ce qui est pure concession, on se demande en quoi ce genre d’alimentation est plus digne de la protection de la loi que tout autre. L’élève du bétail par exemple n’a pas besoin de l’intervention du gouvernement pour faire face aux exigences de la consommation, et il en sera de même de la production du gibier le jour où celui-ci se vendra assez cher pour que certains individus trouvent un intérêt à s’y livrer.

La suppression de la loi ne détruirait pas d’ailleurs le plaisir de la chasse, car les propriétaires resteraient toujours maîtres d’agir dans leurs domaines comme ils l’entendraient et de faire poursuivre comme voleurs ceux qui viendraient y chasser sans leur autorisation[7]. L’état et les communes continueraient à louer leurs forêts aux conditions qu’il leur plairait d’imposer, de manière à les garantir contre les dégâts des animaux. Quant aux particuliers, ils ne seraient plus dans cette singulière position de pouvoir, à une certaine époque de l’année, détruire jusqu’à la dernière tête le gibier que contiennent leurs bois, et de ne pouvoir à tout autre moment y tuer même un chevreuil, s’ils en ont envie.

Un autre fait qui prouve l’inutilité des lois sur la chasse, c’est qu’elles ne nous ont pas délivrés des braconniers, qui tuent vingt fois plus de gibier que les vrais chasseurs. Dans la forêt de Fontainebleau, comme dans toutes celles de la liste civile, le braconnage est un délit très commun en même temps que très productif. Les gardes ont beau être sur pied nuit et jour, ils ne peuvent l’empêcher. Ceux qui en font leur métier commencent par étudier avec soin les mœurs et les habitudes du gibier. Couchés, immobiles, le long des routes ou au milieu des fourrés, ils restent pendant des journées entières à observer les passages les plus fréquentés. Une fois ceux-ci reconnus, ils tendent leurs lacets, qui sont des fils de laiton formant un nœud coulant. Ils les fixent à un jeune arbre dont ils inclinent la cime vers la terre, et qu’ils assujettissent dans cette position comme un arc tendu. Un cerf ou un chevreuil vient-il à passer, il se prend dans le nœud coulant ; l’arbre aussitôt, se détendant comme un ressort, se redresse, enlevant avec lui le pauvre animal suspendu, qui périt étranglé sans pouvoir se débarrasser de cette étreinte. Tous les trois ou quatre jours, les braconniers viennent visiter leurs lacets et emporter le gibier qui s’y trouve pris. Les gardes les connaissent bien, mais le difficile est de les prendre sur le fait. Il en est d’autres qui ne braconnent que par occasion, et qui se bornent, quand ils savent les gardes occupés ailleurs, à venir tirer un faisan ou un chevreuil. Il s’en est même trouvé qui chassaient en voiture. Circulant dans toute la forêt comme de simples promeneurs, ils n’inspiraient aucune défiance ; mais dès qu’ils apercevaient une pièce quelconque, ils l’abattaient à un coup de fusil, la cachaient dans leur voiture et continuaient tranquillement leur promenade. Quant aux propriétaires riverains, ils considèrent comme de bonne, guerre de semer sur leur terrain du sarrasin pour y attirer les faisans, qui en sont très friands, ou de faire battre les cantons voisins pour en chasser le gibier qu’ils attendent sur les limites. Il faut aux gardes plus que de l’habileté pour déjouer toutes ces ruses, il leur faut un grand courage, et plus d’un déjà est tombé victime de son devoir. On a créé pour les aider un corps spécial de gendarmes à cheval qui n’ont d’autre fonction que la police et la surveillance de la forêt, et qui les accompagnent dans leurs patrouilles nocturnes.

Les gardes ont l’ordre de détruire tous les animaux nuisibles qu’ils rencontrent, et l’on considère comme tels tous ceux qui vivent aux dépens du gibier, en mangent les petits ou dévorent les œufs. Les renards, fouines, belettes, putois, taupes, mulots, etc., sont poursuivis par eux avec acharnement, et une prime leur est allouée pour chaque tête d’ennemi qu’ils apportent. Pour s’en emparer, ils tracent des sentiers d’assommoir, c’est-à-dire de petits sentiers de 30 centimètres de large, qui traversent les massifs dans toutes les directions. De distance en distance sont placées de petites caisses en bois masquées par des broussailles, et dont le couvercle, soulevé par une baguette posée sur une espèce de bascule, est chargé d’une pierre. Le matin, quand les animaux se mettent en campagne pour chercher leur nourriture, ils suivent de préférence ces sentiers plutôt que de passer à travers l’herbe humide de rosée. Arrivés à ces caisses, ils mettent par leur poids la baguette en mouvement et font tomber le couvercle, qui les écrase. On prend aussi par ce moyen une quantité considérable de lapins, car les gardes, ayant le droit d’en consommer un certain nombre pour leur compte, et tenus d’en, livrer également aux agens, cherchent autant que possible à ménager leur peine, leur poudre et leur plomb. Cependant le procédé le plus en usage pour le lapin est l’emploi du furet. Il suffit de l’introduire dans un terrier pour que les habitans éperdus s’enfuient de tous côtés, et si l’on a pris la précaution de placer des filets à l’ouverture, on s’en empare facilement. Quand on veut au contraire procéder à la destruction des lapins dans un canton, on suit une autre marche ; on ferme les terriers pendant la nuit, alors qu’ils sont dehors, et on fait des battues enceinte par enceinte.


IV

Quel est, dans la condition particulière où elle se trouve, le traitement applicable à la forêt de Fontainebleau ? Comment concilier les exigences cynégétiques auxquelles elle répond avec les considérations économiques et culturales qui règlent l’exploitation des forêts ? Sous ce rapport, le doute n’est pas possible. Le régime de la futaie, avec une révolution de cent vingt ou cent cinquante ans, peut seul lui convenir. J’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion d’exposer les raisons qui font à un propriétaire impérissable comme l’état une obligation d’adopter de longues révolutions, comme étant celles qui donnent les produits à la fois les plus considérables et les plus précieux. Toutes choses égales, d’ailleurs, une forêt exploitée une seule fois à l’âge de cent vingt ans fournit plus de matière et une matière plus utile que si, pendant le même laps de temps, on l’avait exploitée quatre fois à l’âge de trente ans. Il en résulte qu’un propriétaire qui peut attendre a tout intérêt à préférer la première exploitation. C’est le cas de la forêt de Fontainebleau, qui, appartenant à l’état, a été cédée en usufruit à la couronne, qui n’est guère moins immuable que lui. À cette première considération s’en joint une autre, qui fait de l’adoption du régime de la futaie une question d’être ou de ne pas être pour cette forêt ; c’est la nature du sol. Un terrain aussi peu consistant, qui contient 98 pour 100 de sable pur et laisse l’eau s’infiltrer jusque dans les couches inférieures ou s’évaporer aux premiers rayons du soleil, demande, pour ne pas se stériliser complètement, à être constamment couvert. L’eau est l’agent indispensable de toute végétation, et dans un sol naturellement sec le traitement appliqué doit avoir pour effet d’y conserver une certaine fraîcheur. La futaie seule remplit ces conditions, puisque les arbres, constamment maintenus en massif, protègent le sol contre l’irradiation solaire, et lui restituent, par la décomposition annuelle de leurs feuilles, les élémens minéralogiques qu’ils y ont puisés. Avec le taillis au contraire, le sol, découvert tous les vingt-cinq ou trente ans, se dessèche peu à peu, perd ses élémens fertilisans, et finit par devenir impropre à toute végétation. Nulle part les résultats produits par ces différens modes de traitement ne sont plus frappans que dans la forêt de Fontainebleau. À côté de massifs magnifiques, peuplés d’arbres plusieurs fois séculaires, d’une végétation luxuriante, on rencontre souvent des parties presque vides, couvertes de bruyères, entrecoupées çà et là de cépées de chênes rabougris ou de bouleaux isolés que des exploitations successives de taillis ont amenées à cet état. On serait tenté tout d’abord, en voyant ce sable ridé par le vent, de croire que le sol est incapable d’entretenir une végétation plus active, et l’on s’étonne même qu’il ait pu produire les maigres végétaux qui le couvrent ; mais, en y regardant de plus près et en le comparant à celui de la futaie voisine, on s’aperçoit bientôt que, minéralogiquement parlant, il n’y a pas de différence entre eux, et les analyses qui ont été faites ont donné en effet, dans la futaie comme dans le taillis, une proportion de 98 pour 100 de sable contre 2 pour 100 d’argile. On peut donc conclure de là que la vigueur de l’une et le mauvais état de l’autre ne doivent être attribués qu’à la différence des traitemens, et non à une autre cause. Cette conclusion d’ailleurs est confirmée par des descriptions de la forêt que contiennent d’anciens rapports, et qui constatent que des parties aujourd’hui absolument désertes étaient autrefois couvertes de magnifiques futaies.

S’il fallait d’autres motifs encore pour faire adopter ce traitement, on en trouverait dans la destination même de cette forêt. Le gibier, s’attaquant surtout aux jeunes bois, fait d’autant plus de mal que ceux-ci sont plus étendus ; si par exemple les dégâts se font sentir jusqu’à l’âge de dix ans dans une forêt exploitée à la révolution de trente ans, ils porteront sur le tiers de la contenance, tandis qu’ils ne porteront que sur le quinzième, si la révolution est de cent cinquante ans. Enfin, au point de vue pittoresque, la futaie, avec ses grands arbres qui se balancent au vent, a une bien autre majesté que les taillis, dont la hauteur ne dépasse pas 10 mètres, à peine de quoi ombrager les routes, Dans une forêt si fréquemment visitée, cette considération a une telle importance que, pour ne pas la dépouiller de sa plus grande beauté, on a dû, sur la demande même des habitans, s’abstenir de faire aucune coupe dans quelques-uns des cantons couverts de vieux massifs, afin de les conserver comme un but habituel de promenades.

On a vu plus haut comment, malgré tant de raisons péremptoires, on avait été conduit à en exploiter en taillis la plus grande partie. Aujourd’hui que les fâcheux effets de ce régime ont été constatés, on en revient à une application plus saine des règles de la sylviculture, car les opérations qu’on y fait ont pour objet de la ramener tout entière, ou à peu près, à l’état de futaie pleine. Pour opérer cette transformation, il a fallu en effectuer l’aménagement, c’est-à-dire fixer à l’avance la nature et l’importance des coupes à asseoir pendant toute la période transitoire, de telle manière qu’à l’expiration de celle-ci toute l’étendue présente une série de bois d’âges uniformément gradués depuis un jusqu’à cent vingt ans. Je n’insisterai pas sur les détails techniques que comporte une opération aussi compliquée, et je me bornerai à faire remarquer qu’un pareil résultat ne peut être obtenu qu’à deux conditions : une réduction dans l’importance des coupes faites précédemment et l’exécution, sur une grande échelle, de travaux de repeuplement. La réduction des coupes est une conséquence nécessaire du changement de régime. Pour passer du taillis à la futaie, c’est-à-dire d’une forêt exploitée normalement à l’âge de vingt-cinq ans à une forêt qui le sera à cent vingt, il est évident que pendant les premières années il faut s’imposer une privation. Plus tard on retrouvera son compte, et au-delà, car lorsque la forêt aura atteint son âge normal, le cent-vingtième portant sur des bois âgés de cent vingt ans représentera un revenu plus considérable que le vingt-cinquième ne portant que sur des bois de vingt-cinq ans ; mais pour le moment il s’agit de reconstituer un capital, ce qui ne peut se faire sans une économie sur le revenu. Il n’est pas douteux qu’une fois en futaie pleine, elle ne puisse produire 100,000 mètres cubes, dont 1/3 au moins sera propre à l’industrie, et qui vaudront 1,500,000 francs et au-delà.

Ce n’est pas une petite question que de déterminer à l’avance dans une forêt l’importance des coupes à faire et les points sur lesquels il faut les asseoir ; mais la difficulté devient bien plus grande encore quand il s’agit de massifs aussi fréquentés que ceux de Compiègne et de Fontainebleau, où les moindres exploitations sautent aux yeux, et prennent presque les proportions d’un événement. Il est singulier de voir avec quelle légèreté les personnes les plus étrangères à la sylviculture s’expriment sur certaines opérations forestières, sans même se donner la peine d’examiner si elles ne sont pas l’application d’un plan général arrêté à l’avance en vue d’un but spécial. Avec une superbe assurance, elles tranchent à première vue et sur un simple coup d’œil des questions que les praticiens les plus habiles ne peuvent décider sans de longues et patientes études, sans une reconnaissance détaillée de tous les massifs, sans un inventaire complet de tous les arbres exploitables. On conçoit que l’abatage d’une vieille futaie, dont les arbres plusieurs fois centenaires ont prêté leur ombrage à de nombreuses générations, cause une certaine peine, et qu’en voyant ces vétérans tomber sous la cognée, le premier mouvement soit de crier au vandalisme. Cependant peut-il en être autrement ? Si ces massifs sont arrivés à maturité, il faut bien les abattre, à moins qu’on ne veuille renoncer à tirer de sa forêt un revenu quelconque. Traitez-la alors comme un parc, bornez-vous à y couper les arbres morts et à les remplacer par d’autres ; mais du moment qu’il s’agit d’exploitations régulières, il n’y a pas à hésiter. Qu’importe après tout que tel vieux massif disparaisse, si, les coupes se succédant avec ordre, des peuplemens nouveaux prennent la place des anciens, et si, grâce au roulement qui s’établit, la forêt se maintient toujours dans le même état ? Il n’y a dans tout cela aucune espèce de vandalisme, et, tant qu’on reste dans les limites normales de la production annuelle, une forêt ne périclite pas. S’étaient-ils bien rendu compte de ces circonstances ceux qui ont jadis accusé l’administration du roi Louis-Philippe d’avoir pratiqué des coupes abusives $ans les forêts de la liste civile ? Les avaient-ils parcourues pied à pied ? en avaient-ils compté tous les arbres et reconnu l’étendue des repeuplemens artificiels ? C’est douteux, car ils ne se fussent pas faits les organes d’accusations qui ont été reconnues mal fondées[8].

Mais la fixation des coupes annuelles ne suffit pas pour assurer la perpétuation d’une forêt, il faut encore que chaque coupe laisse derrière elle de jeunes peuplemens qui doivent remplacer les massifs disparus. Quand l’ensemencement ne se fait pas naturellement par les graines tombées des arbres, il faut avoir recours à des procédés artificiels, et alors, suivant les circonstances, on se décide soit pour la plantation, soit pour le semis. Dans le premier cas, on emploie de jeunes plants âgés de quatre ou cinq ans, élevés en pépinière, qu’on place dans des trous creusés à un mètre de distance les uns des autres. Cette opération, qui se fait à l’automne ou au printemps, doit être suivie pendant deux années de binages destinés à empêcher les plants d’être étouffés par les herbes ; tout compte fait, elle ne revient à guère moins de 500 ou 700 francs par hectare, ce qui, comme on voit, est assez cher. Autrefois il existait à Compiègne et à Fontainebleau, pour les travaux de cette nature, des entrepreneurs qui les exécutaient à forfait et qui étaient responsables de la réussite. Certains d’avoir dans chaque forêt pour 15 ou 20,000 francs de plantations à faire chaque année, ils s’étaient outillés en conséquence et avaient dressé des ouvriers spéciaux. Ils employaient d’habitude des femmes et des enfans, qui, outre l’économie du salaire, leur offraient l’avantage d’une plus grande dextérité. Pour manier de jeunes plants, pour les placer dans les trous préparés à l’avance, pour étaler convenablement le chevelu des racines, pour les recouvrir de terre, il faut moins de force que d’adresse ; à cet égard, qui en doute ? la supériorité des femmes est incontestable. Grâce à ce système, on a créé dans ces forêts, sur une très grande échelle, des plantations qui ont perpétué jusqu’à nos jours les noms de MM. Pannelier et Marsault, qui les ont exécutées. Depuis quelques années, on a préféré se passer d’entrepreneur et mettre ces travaux en régie ; mais jusqu’ici il est douteux que les résultats obtenus soient beaucoup plus favorables.

Les semis coûtent moins cher que les plantations, mais ils sont d’une réussite moins certaine, car les graines sont exposées à être mangées par les oiseaux ou les mulots, ennemis que les entreillagemens les plus serrés ne peuvent éloigner. Les frais de cette opération, qui comprennent la préparation du terrain, le répandage et le prix de la graine, s’élevaient jusque dans ces derniers temps à 300 francs par hectare environ. Une invention récente, celle de la charrue forestière, due à M. Dubois, inspecteur des forêts à Blois, les a réduits de près des deux tiers. L’instrument auquel il a donné ce nom, et qu’il a eu l’idée d’appliquer à la culture des forêts, n’est autre chose que le scarificateur de Roville, légèrement modifié. Il se compose d’un bâti porté sur trois roues, armé de cinq socs à versoir, dont deux sont placés en avant et trois en arrière, et assez solides pour retourner un sol compacte et sillonné de racines. Un levier qu’on fixe au moyen d’une cheville détermine le degré d’entrure de ces socs, et deux mancherons placés à l’arrière servent à guider la charrue et à la soulever quand elle vient à rencontrer des obstacles. Attelée de deux chevaux en arbalète, guidés par un enfant, elle peut passer entre les arbres, et, en évitant les rochers ou les trop grosses racines, retourner le sol d’une forêt pour en préparer l’ensemencement. Elle enterre les feuilles, arrache les herbes et les bruyères, facilite l’action des influences atmosphériques, et réussit souvent à raviver la végétation de peuplemens affectés déjà, faute d’air et d’humidité, d’un dépérissement anticipé. Avec ce. procédé, le labour d’un hectare ne revient qu’à 20 francs, et en évaluant à 5 francs l’hectolitre de glands et à 12 francs l’hectolitre de faînes, le prix d’un semis mélangé de chênes et hêtres ne s’élève pas à plus de 120 francs par hectare. C’est, on le voit, une économie sensible sur le prix précédent. La charrue forestière sera d’un emploi très utile à Fontainebleau, où l’on rencontre de nombreux perchis de chêne pur, de quarante ans et au-dessus, qui commencent à dépérir faute d’une humidité suffisante[9]. Il sera facile par ce moyen de créer un sous-étage de hêtres qui, recouvrant complètement le sol et y entretenant une fraîcheur salutaire, auront bientôt rendu sa vigueur au peuplement primitif. Cet instrument servira également à effectuer des semis de pins partout où il serait impossible de faire venir des essences plus précieuses. Du reste, les procédés employés pour ceux-ci sont déjà très économiques. Ainsi M. de Bois-d’Hyver se bornait, dans les parties couvertes de bruyères, à faire répandre les graines à la volée, sans aucune préparation préalable du terrain ; puis, cela fait, il autorisait les indigens des villages voisins à venir extraire ces bruyères, qu’ils employaient comme litière pour leurs bestiaux. Cette extraction remuait le sol comme un labour, et faisait tomber ces graines sur un terrain dont la préparation n’avait ainsi rien coûté.

À l’époque où l’on a commencé à opérer les semis de pins sur une grande échelle, afin d’avoir toujours une quantité de graines suffisante, on a fait construire une sécherie spéciale. On sait que les semences de pins, comme celles des autres résineux, sont renfermées dans des cônes écailleux. Au moment de la dissémination, les écailles s’ouvrent spontanément, et les semences, qui sont munies d’une aile, sont emportées au loin par les vents. La sécherie a pour objet de provoquer artificiellement par la chaleur l’ouverture des cônes, de manière qu’on puisse récolter les graines qui s’en échappent. C’est un bâtiment en maçonnerie ayant deux étages superposés et chauffé par un four d’où sortent des tuyaux de calorifère. Les cônes, recueillis en forêt par des femmes et des enfans, sont étalés à l’étage supérieur sur des claies, d’où, après avoir laissé échapper une partie de leurs graines, ils sont transportés successivement aux étages inférieurs ; la chaleur devenant de plus en plus forte, ils finissent par abandonner complètement toutes les graines qu’ils contiennent. Le chargement se fait toutes les vingt-quatre heures, et les semences obtenues dans les différens étages sont recueillies séparément, celles des étages supérieurs valant mieux que les autres. Une sécherie de cette nature ne coûte pas d’autres frais que la récolte des cônes, car ce sont ceux-ci qui, une fois vidés, servent au chauffage du four.

Dans la forêt de Fontainebleau, comme dans toutes celles de l’état, les coupes sont annuellement vendues sur pied à des adjudicataires qui les font exploiter pour leur compte. Le produit qu’elle fournit actuellement, et qu’on peut évaluer à 40,000 mètres cubes environ, ne consiste guère qu’en bois d’industrie et en bois de feu. Les chênes y sont peu propres à la charpente, et la marine vient rarement y chercher des pièces pour la construction des vaisseaux. Cela s’explique par ce fait, que, le sol étant naturellement aride, les couches concentriques annuelles sont très rapprochées les unes des autres, et forment ce qu’on appelle un bois gras, qui n’a pas la ténacité et l’élasticité de celui qui provient de terrains plus fertiles. En revanche, ces chênes sont excellens pour la fente : on en fabrique des lattes, des douves, des merrains, etc., objets d’un très grand débit et d’une valeur considérable dans les environs de Paris. Le hêtre et le charme ne se rencontrent encore qu’accidentellement dans les futaies, et il s’en trouve trop peu de grandes dimensions pour qu’on puisse en tirer parti dans l’industrie. Quand la forêt tout entière sera en futaie, et que ces essences, mélangées au chêne, constitueront une partie importante des peuplemens, il y aura sans doute alors avantage à y installer, comme à Compiègne, un chantier d’injection d’après le système Boucherie, afin de pouvoir les utiliser comme traverses de chemins de fer. Jusqu’ici on se borne à les débiter en chauffage, ainsi qu’on fait également de tous les brins de taillis[10]. Les pins encore trop jeûnes pour donner de là charpente sont recherchés par les boulangers, et les bourrées par les chaufourniers du pays. Tous les autres bois sont expédiés sur Paris, qui est le centre de consommation de toute cette région, et qui étend jusque dans la Bourgogne son rayon d’approvisionnement. C’est par la Seine, qui contourne la forêt sur quelques points, que les bois se dirigent vers la capitale, soit par bateaux, soit en immenses radeaux. La consommation locale est en général desservie par des bois particuliers, assez nombreux dans le voisinage.

La forêt de Fontainebleau emploie chaque année un nombre considérable d’ouvriers et débucherons, tant pour les travaux d’amélioration et d’entretien que pour l’exploitation des coupes. La plupart des bûcherons sont du pays, c’est-à-dire de Fontainebleau même et des villages voisins, et beaucoup, exerçant ce métier de père en fils depuis un très grand nombre de générations, y ont acquis une habileté prodigieuse. L’habileté en effet est chose héréditaire, et l’on peut affirmer que celui dont les ancêtres ont pendant de longues années exercé une certaine profession y est naturellement plus apte que tout autre dont l’éducation est complètement à faire. J’ai vu des bûcherons tellement habiles à manier la hache, tellement sûrs de leur coup d’œil, qu’ils fendaient d’un seul coup une noisette placée entre leurs doigts de pied. Ils sont payés à la tâche, et peuvent gagner de 2 francs 50 cent, à 3 francs par jour ; ils ont en outre les copeaux et les bouts de bûches qui n’ont pas les dimensions requises pour le commerce. Il leur arrive quelquefois de s’entendre entre eux pour faire la loi aux marchands de bois et leur imposer des conditions plus onéreuses, mais le cas est rare ; la quantité de travail disponible étant toujours à peu près la même, le nombre d’ouvriers qu’on peut occuper ne varie pas sensiblement, et au besoin les adjudicataires font venir des Belges ou des Bourguignons. Ces hommes passent une grande partie de l’année dans la forêt, ne la quittant que le dimanche pour aller renouveler leurs provisions ; ils couchent dans des baraques en bois recouvertes de terre, et le plus souvent ont avec eux leur femme et leurs enfans qui les aident dans la mesure de leurs forces. Pendant l’été, quand le travail chôme en forêt, ils cultivent le lopin de terre qu’ils possèdent, ou louent leurs services comme journaliers. Avec de l’ordre et de l’économie, ils arrivent presque tous à une petite aisance qui les met à l’abri du besoin ; ils ne sont pas d’ailleurs, par la nature de leurs occupations, exposés à des crises semblables à celle qui sévit si malheureusement sur nos ouvriers cotonniers. Tant qu’ils sont bien portans, ils n’ont pas de chômage à craindre, et quand vient la maladie, ils trouvent, s’ils ont été prévoyans, la société de secours mutuels qui pourvoit à leurs besoins.

Les ouvriers bûcherons ne sont pas les seuls qui vivent de la forêt ; il y a encore les fendeurs, qui débitent le bois en lattes et en merrain, les voituriers, qui le transportent de la coupe au port d’embarquement sur la Seine, les flotteurs et les bateliers, qui l’amènent par eau jusqu’à Paris, les menuisiers et les charpentiers, qui le travaillent de mille manières, tous ceux enfin qui contribuent d’une façon quelconque à le mettre à la portée du consommateur. Les 40,000 mètres cubes que produit aujourd’hui la forêt, qui sur pied se vendent peut-être 400,000 francs, représentent au moins 1 million sur le marché parisien. C’est donc une somme de 600,000 francs qui reste entre les mains de tout ce monde de marchands et d’ouvriers. La conversion en futaie de la forêt de Fontainebleau, en doublant la production en matière, fera donc plus que doubler ou tripler le revenu du propriétaire ; elle augmentera dans la même proportion les bénéfices et les salaires de toute cette population laborieuse et accroîtra son bien-être.

Pour avoir du reste une idée de ce que peuvent faire l’intelligence et le travail, il suffit de parcourir le village de Thomery, dont le territoire est resserré entre la Seine et la forêt. Peuplé autrefois de bûcherons, comme tous les autres, il est devenu peu à peu l’un des plus prospères et des plus coquets qui se puissent voir. Les maisons, entourées de jardins qui s’étagent dans ses rues en pente et qui viennent déboucher sur les bords de la Seine, paraissent, tant elles sont d’un élégant aspect, plutôt des maisons de campagne que des habitations de simples cultivateurs. C’est la culture des fruits qui a fait leur richesse ; mais il faut voir à quel degré de perfectionnement ils l’ont portée ! Ils ne se contentent pas de couvrir d’espaliers les murs blanchis à la chaux de leurs maisons et de leurs jardins, ils en construisent au milieu des champs. Hauts de 3 mètres, distans de 10 ou 12, ces murs sillonnent la colline qui domine la Seine, présentant aux brûlans rayons du soleil leurs arbres étalés en éventail, taillés, échenillés, cultivés avec soin, abrités contre les gelées printanières et choisis parmi les meilleures espèces. Ce sont eux qui donnent ces beaux fruits que tout le monde connaît et qui ont fait à Fontainebleau la réputation que méritait Thomery. À défaut de célébrité, les habitans ont l’aisance, et je doute qu’ils consentent à changer leur lot. Quand on voit de pareils résultats, combien ne déplore-t-on pas l’ignorance et l’incurie de nos paysans, qui ne savent pas ce que c’est que tailler un arbre, et s’en rapportent à la Providence pour faire pousser ceux qu’il lui plaira ? L’on s’étonne, devant les immenses marchés que présentent la Russie et l’Angleterre, que la France ne soit pas tout entière transformée en verger. Il y a là pour elle une source incalculable de richesses, car nul pays au monde n’est plus propre à ce genre de culture.

Enfin ce n’est pas seulement par les produits qu’elle fournit et le travail qu’elle procure que s’explique l’intérêt général qui s’attache à la forêt de Fontainebleau. On sait qu’elle attire chaque année quantité d’artistes et de visiteurs. Il n’y a pas de forêt au monde qui soit plus parcourue, plus dessinée que celle-ci ; il n’y en a pas qui ait inspiré plus de paysagistes. Elle doit ce privilège à l’incroyable variété de sites qu’on y rencontre, elle peut fournir des modèles de tout genre : études d’arbres, rochers, mares, déserts, paysages orientaux, couchers ou levers de soleil, effets de neige, on y trouve tout ce qu’on veut. C’est à elle que bien des artistes justement populaires vont demander des inspirations. Rousseau lui prend ses vieux chênes, Diaz ses dessous de bois, Decamps ses paysages historiques. Il y a tels arbres de la forêt qui ont été dessinés par tous nos peintres, tels rochers qu’en cherchant bien on retrouverait dans nombre de tableaux. Chaque année, les villages voisins sont envahis par des légions d’artistes. C’est une vraie bonne fortune pour l’école française que de posséder près de Paris un champ d’étude aussi vaste et aussi varié que la forêt de Fontainebleau.

On voit quel intérêt complexe s’attache à une grande forêt ; on voit aussi quelles salutaires influences en émanent. Dans le cadre d’une simple étude forestière, ce n’est pas seulement l’action de l’homme sur la nature que nous avons pu observer, c’est l’action de la nature sur l’homme sous une de ses formes les plus saisissantes et s’exerçant dans l’ordre matériel comme dans l’ordre moral.


J. CLAVE.

  1. Quant à la dernière syllabe du mot, on en raconte l’origine de trois manières : le président De Thou dit que les eaux de la fontaine parurent si belles au premier chasseur qui la découvrit, qu’il l’appela Fontaine de Belle Eau (Fons Bellaqueus). C’est la version et le nom adoptés au XVIIe siècle. André Fauvin raconte qu’un chien nommé Bleaud conduisit son maître mourant de soif auprès de cette fontaine, d’où le nom de Fons Bleaudi ou Blaaldi, ainsi qu’on écrivait dans le latin du XIIIe siècle. Enfin une autre version prétend qu’il existait très anciennement, au lieu où s’élève aujourd’hui le château, un domaine seigneurial appelé le Bréau, d’où serait venu le nom de Fontaine Bréau. Une des pièces d’eau du parterre s’appelle encore aujourd’hui le Bréau.
  2. Voyez l’Essai d’une description géologique du département de Seine-et-Marne, par M. de Sénarmont.
  3. Les produits qu’on tire des carrières se divisent en pavés d’échantillon, de 0m22 à 0m23 sur toutes les faces ; pavés bâtards, de dimensions irrégulières ; pavés panneaux ou de fantaisie ; pavés de deux, moitié du pavé d’échantillon. On fait aussi des bordures de trottoirs, des boutisses d’échantillon formant un pavé et demi d’échantillon, des coins, des tablettes pour caves, des marches d’escalier, etc. ; mais ces derniers articles ne s’adressent qu’à la consommation locale. Les pavés seuls font l’objet d’un commerce considérable. Mis en place dans les rues de Paris, chaque pavé revient à peu près à 1 franc, soit 1,000 francs le mille. On voit, en comparant ce chiffre avec le prix en forêt, tout ce qui est absorbé par les intermédiaires.
  4. On obtient les verres et glaces en fondant ensemble dans un creuset du sable, du sulfate de soude, de la chaux et du charbon ; la pâte obtenue est ensuite coulée ou soufflée. Le cristal se compose de sable, de minium et de carbonate de potasse. La qualité des produits dépend surtout de la pureté du sable.
  5. Dans les forêts ouvertes, ces animaux vont au gagnage dans la plaine ; mais alors il faut payer les dégâts qu’ils occasionnent aux cultures.
  6. Le permis de chasse ne constitue pas d’ailleurs une restriction réelle du droit de. chasse ; c’est un impôt plus ou moins bien assis, mais qu’on pourrait à la rigueur conserver. La restriction véritable consiste dans la défense faite au propriétaire de chasser chez lui certaines époques et avec les engins qui lui conviennent, et de transporter le gibier qui lui appartient.
  7. En laissant chacun libre de chasser chez lui, il faudrait faire une exception pour les oiseaux insectivores, dont la destruction devrait être défendue d’une manière absolue. Il s’agit en effet ici d’une question d’intérêt général qui motive parfaitement l’intervention de la loi.
  8. On se rappelle qu’une commission présidée par M. Troplong a été chargée en 1850 de faire une enquête sur la gestion de ces forêts pendant le dernier règne. Cette commission a constaté non-seulement que la possibilité en matière de coupes n’avait pas été outre-passée, mais que des travaux d’amélioration avaient été terminés pour une somme de 4,150,000 francs. Aussi décida-t-elle à l’unanimité qu’il n’y avait pas lieu de donner suite aux réclamations soulevées contre la gestion de la liste civile.
  9. Des travaux de cette nature opérés récemment dans la forêt de Saint-Germain sur une très grande étendue ont donné d’excellens résultats.
  10. On distingue les bois de feu suivant leurs dimensions et qualités en bois de corde ou grands bois, charbonnette, bois câlin, bois brigot, cotrets, bois de rebut et bourrées.