Études et préludes (1923)/Sonnets

Poèmes de Renée VivienA. Lemerre (p. 36-37).
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Sonnets

I

Lombre assourdit le flux et le reflux des choses.
Parmi l’accablement des parfums et des fleurs,
Tes lèvres ont pleuré leurs rythmiques douleurs
Dans un refrain mêlé de sanglots et de pauses.

Et la langueur des lits, la paix des portes closes,
Entourent nos désirs et nos âpres pâleurs…
Dédaignant la lumière et le fard des couleurs,
Nous mêlons aux baisers le soir lassé de roses.

Tes yeux aux bleus aigus d’acier et de cristal
S’entr’ouvrent froidement, ternis comme un métal ;
Le ciel s’est recouvert d’une brume blafarde.

Effleurant ton sommeil opprimé sous le faix
Des ivresses, la lune aux rayons verts s’attarde
Sur la ruine d’or de tes cheveux défaits.

(Études, I, 133 ; II, 123.)



II


 
Sous un ciel ambigu, l’olivier et l’acanthe
Mêlent subtilement leurs frissons bleus et verts,
Et dans l’ombre fleurit, comme un songe pervers,
L’harmonieux baiser de l’amante à l’amante.

Les cheveux aux bruns roux d’automne et d’amarante
Et les pâles cheveux plus blonds que les hivers
Confondent leurs reflets. Sur les yeux entr’ouverts
Passe une joie aiguë ainsi qu’une épouvante.

Le crépuscule rose a baigné l’horizon.
Les désirs attardés craignent la trahison
Et le rire sournois de l’aurore importune.

Les doigts ont effeuillé les lotos du sommeil,
Et la virginité farouche de la lune
A préféré la mort au viol du soleil.

(Études, I, 135 ; II, 125.)