L’ÉCOLE VÉDANTA
(SUITE ET FIN)[1]

§ I. — La délivrance dans les Upanishads.

La délivrance, considérée comme le retour de l’âme individuelle au sein de l’âme universelle, dans laquelle elle se confond et perd sa personnalité et sa conscience propre, est une conception qui paraît aussi ancienne que les plus anciennes Upanishads.

Dans la Brihad-Aranyaka-Upanishad, iv, 3, le roi Janaka dit au sage Yâjnavalkya de lui parler pour la délivrance (mokshâya), et Yâjnavalkya lui fait un exposé long et confus d’une théorie dont les traits essentiels conviennent à la délivrance telle qu’on la concevait à l’époque du védântisme systématisé, c’est-à-dire telle que je viens de la définir. On peut en dire autant de tous les autres passages des Upanishads anciennes qui se rapportent plus ou moins directement à la réunion des âmes individuelles à l’âtman universel ou à Brahma. C’est donc moins l’évolution de l’idée de délivrance que nous avons à étudier dans ces textes que le développement de celle ayant pour objet les moyens de l’obtenir.

Dans le principe, les Upanishads n’indiquent qu’un instrument qui procure la délivrance : c’est la science. C’est ainsi que nous lisons, Brih. âr. Up., i, 5, 16 :

« Le monde des dieux (équivalent à la délivrance et opposé au monde des hommes et à celui où sont les ancêtres) doit être conquis par la science. Le monde des dieux est le meilleur des mondes ; c’est pour cela qu’on célèbre la science. »

Cette science est la science de l’âtman ou la notion de l’unité essentielle de tous les êtres en Brahma. Brih. âr. Up., iii, 5, 1, le dit aussi expressément :

« Les brahmanes, après avoir connu cet âtman, s’élevant au-dessus du désir d’un fils, du désir de la richesse, du désir des mondes, mènent l’existence de religieux mendiants. »

Les mêmes textes établissent que la connaissance de l’âtman procure l’immortalité.

Brih. âr. Up., iv, 4, 14 : « Ici-bas, nous pouvons connaître (Brahma) ; si nous ne le connaissons pas, c’est un grand malheur. Ceux qui le connaissent deviennent immortels ; les autres n’obtiennent que le malheur. »

La Kena Up., ii, 12 et 13, confirme la même idée dans les termes suivants :

« Par la science, on atteint l’immortel.

Les sages qui ont réfléchi qu’il (Brahma) est dans chaque être, deviennent immortels quand ils ont quitté ce monde. »

D’ailleurs, de même que les Upanishads anciennes nous ont tracé le chemin que suivent les âmes dans les vicissitudes de la transmigration, c’est-à-dire en suivant le chemin des ancêtres, le pitryâna, elles nous indiquent la voie par laquelle les délivrés arrivent auprès de Brahma (le devayâna, le chemin des dieux). C’est ainsi qu’on lit dans la Brih. âr. Up., vi, 2, 15 :

« Ceux qui possèdent cette connaissance et ceux qui, retirés dans la forêt, font consister leur culte dans la foi et l’adoration du vrai, deviennent (après la mort) la flamme (du feu du sacrifice) ; de la flamme ils passent dans le jour, du jour dans la quinzaine lunaire claire, de la quinzaine lunaire claire dans les six mois pendant lesquels le soleil se dirige vers le nord ; de ces six mois ils passent dans le monde des dieux, du monde des dieux dans le soleil, du soleil dans la divinité qui préside à l’éclair. Le purusha qui est dans le manas survient et fait passer dans les mondes de Brahma ceux qui sont unis à la divinité qui préside à l’éclair. Ayant atteint la condition suprême dans ce monde de Brahma, ils y séjournent un nombre infini d’années. Pour eux, il n’est plus de retour (dans le cercle de la transmigration). »

Mais, en serrant de plus près ces conceptions sur le pouvoir de la science, les védântins sentirent la nécessité de favoriser cette science, qui n’était en dernière analyse que l’intuition extatique du néant de la conscience individuelle, par des pratiques mentales ou extérieures propres à provoquer et à entretenir l’extase. Ces pratiques, dont on trouve peu de traces dans les plus anciennes Upanishads, prennent de l’importance aux dépens, à ce qu’il semble, des spéculations philosophiques proprement dites à mesure qu’on passe à des documents d’une moindre antiquité. C’est ainsi que la Brih. âr. Up. et la Chând. Up. se bornent à recommander dans quelques passages la coercition, la libéralité et la miséricorde (damam dânam dâyam) comme des moyens de salut ou, tout au moins, de sanctification. Mais déjà, dans la Katha Up., iii, 13, il est formellement question des moyens coercitifs qui favorisent l’union mentale avec Brahma, prélude de la délivrance proprement dite :

« Le sage doit maîtriser la voix et le manas ; il doit les maîtriser en les réunissant à la buddhi. Il doit maîtriser la buddhi en la réunissant au mahat (l’âme individuelle). Il doit maîtriser le mahat en le réunissant à l’âtman apaisé (c’est-à-dire à Brahma). »

Et plus loin, vi, 10 :

« Lorsque les cinq connaissances (les sens) sont en repos avec le manas et que la buddhi n’a plus de mouvement, c’est ce qu’on appelle le but suprême. »

Toutefois, c’est dans la Çvetâçvatara Up., ii, 8-13, document d’une époque assez basse, qu’on trouve, pour la première fois dans ce genre d’écrits, une sorte de manuel de l’extase à l’usage des ascètes qui se préparent à la délivrance. Voici la traduction de ce curieux passage :

« Ayant maintenu en état d’immobilité les trois parties supérieures du corps et réuni les sens dans le cœur avec le manas, le sage traverse dans la barque de Brahma tous les courants terribles (il échappe à la transmigration).

Ayant ses mouvements soumis à la discipline (qui vient d’être indiquée), malmenant ses organes vitaux, ayant ses facultés réduites et ne respirant que par les narines, que le sage retienne soigneusement le manas comme un char attelé d’un cheval vicieux.

Qu’il s’unisse (par la pensée à l’âtman suprême) dans un lieu plain, pur, où il n’y ait ni cailloux, ni feu, ni poussière, non plus que du bruit, des eaux et des tentes ; dans une retraite agréable et non pas déplaisante aux yeux, retirée, à l’abri du vent.

Quand on s’applique à obtenir l’union avec l’âtman, diverses apparences préalables de Brahma qui ont pour effet de provoquer ses manifestations (se présentent à l’esprit comme celles) de brouillard, de fumée, de soleil, de vent et de feu, ou bien de khadyota (sorte d’insecte lumineux), d’éclair, de cristal et de lune.

La terre, l’eau, le feu, l’air et l’éther (dont l’homme est composé matériellement) manifestant leurs qualités quand les cinq qualités du yoga (de la discipline indiquée) se manifestent, il n’y a ni maladie, ni vieillesse, ni peine pour celui qui a obtenu au moyen du yoga un corps igné.

Le premier effet de la pratique du yoga consiste, dit-on, dans la ténuité (du corps), l’absence de maladie, l’impassibilité, l’éclat, la netteté de la voix, la pureté de senteur, la diminution des excréments. »

Une autre Upanishad moins ancienne encore, sans doute, la Maitri, s’étend aussi fort longuement sur les auxiliaires et les effets de l’extase ; mais, comme la théorie que cet ouvrage expose confusément est résumée d’une manière très-systématique dans le Vedânta-Sâra, auquel nous aurons recours plus loin, nous bornerons ici les emprunts que nous avions à faire sur cette matière à la catégorie des livres sacrés appelés Upanishads.

§ II. — La délivrance dans les Brahma-Sûtras.

L’exposé des données que contiennent sur la théorie de la délivrance les Brahma-Sûtras et le commentaire de Çankara qui les accompagne est peu susceptible d’un arrangement systématique. Il faudrait pour arriver à ce résultat refondre des documents, qui ne sont pas dépourvus d’un certain enchaînement logique, dans un moule d’où ils sortiraient plus concis et mieux ordonnés en somme, mais en perdant leur caractère polémique auquel nous devons des explications de détail qui en font le principal intérêt. Pour cette raison, je procéderai comme je l’ai fait jusqu’ici pour les mêmes documents, c’est-à-dire par voie d’analyse et en suivant l’ordre même des textes.

D’après le Sûtra iii, 4, 52, il n’y a pas de distinction ni de degrés dans la délivrance. À cet égard, on ne saurait la comparer aux moyens d’acquérir la science, dont les fruits se distinguent en conséquences relatives à ce monde et à l’autre, selon que ces moyens ont plus ou moins de force. Tous les textes sacrés s’accordent en effet pour affirmer le caractère unique et invariable de la délivrance ou de l’état d’union avec Brahma qui en résulte pour l’âme individuelle. Si l’œuvre est susceptible de produire des fruits différents, il n’en est pas de même de la science proprement dite dont la délivrance est le fruit. La science est une, comme la délivrance est une. Quant à la science particulière ou qualifiée (saguna), c’est-à-dire celle que contient tel passage des Upanishads qui s’applique à l’état des âmes incorporées, c’est elle qu’a en vue le texte où il est dit : « On acquiert une condition conforme au culte qu’on rend à une divinité[2]. »

Aux Sûtras iv, 1, 1-2, on agite la question de savoir s’il faut réciter une seule fois ou plusieurs les textes sacrés relatifs à l’âme suprême et spécialement la grande phrase (mahâvâkya) : « Tu es cela » (tat tvam asi), qui est la formule par excellence de la foi védântique. La répétition en est utile, car, bien qu’il faille arriver à l’idée de l’âme suprême (ou du moi, âtman) une et sans parties, il y a à tenir compte de ce fait que, par suite de l’ignorance, nous la considérons comme multiple et composée du corps, des sens, du manas et de la buddhi. Il en résulte que nous pouvons arriver à sa notion parfaite d’une manière graduelle et en faisant abstraction, à la longue et à force de nous pénétrer du sens de la grande phrase, de chacune des parties que nous nous imaginons voir en elle[3]. Quant à ceux dont l’intelligence est assez lucide (nipuna) pour dissiper d’un seul coup les ombres de l’ignorance, pour ceux-là l’intuition du vrai est instantanée et la répétition de la grande phrase est inutile.

Le Sûtra suivant (IV, 1, 3) établit la synonymie des mots « âme suprême » (paramâtmâ) et « moi » (aham). À l’objection que l’âme individuelle désignée par l’expression « moi » a des attributs contraires à ceux de Brahma ou l’âme universelle, Çankara répond au nom des Védântins que la contradiction de ces attributs n’est qu’apparente et résulte de la fausse idée que l’on a du moi. Dès que cette erreur est dissipée par l’effet de la science, l’âme individuelle devient identique à l’âme suprême, qui jouit seule d’une existence réelle.

Au témoignage du Sûtra iv, 1, 4, c’est une erreur de dire qu’on peut concevoir l’idée de l’âme suprême d’après un symbole, parce que tout symbole est une modification de Brahma et que Brahma est l’âme suprême. On ne saurait, en effet, attacher l’idée d’âme suprême à des symboles épars (pratikâni vyastâni). Quant à s’appuyer sur la raison que tout symbole est une modification de Brahma, cela revient à dire qu’il n’y a pas de symbole, attendu que l’ensemble des choses matérielles ne peut être considéré comme identique à Brahma qu’à la condition de perdre son caractère de modification ; or, quand ce caractère a disparu, que deviennent les symboles et la possibilité de former à leur aide une idée de l’âme suprême ?

Les Sûtras iv, 1, 7-10 constatent que, dans le culte mental que l’on rend à Brahma pour s’unir à lui et arriver à la délivrance, c’est-à-dire durant la méditation extatique, on doit être assis. Il n’est pas possible, en effet, d’assurer le cours égal de la pensée, nécessaire à la méditation, quand on court ou que l’on marche, parce que l’agitation que ces mouvements occasionnent distrait l’esprit ; quand on est debout, l’esprit est occupé à soutenir le corps et ne saurait maintenir son attention sur une matière aussi subtile que la nature de l’âme suprême ; enfin, quand on est couché, on tombe sans s’y attendre au pouvoir du sommeil. Ces différents inconvénients sont écartés si l’on s’assied pour se livrer à la méditation ; car elle exige que les membres soient détendus, que la vue soit fixée, et que l’esprit soit attaché à un seul objet, tous actes que la posture qu’on occupe en étant assis favorise.

D’après le Sûtra iv, 1, 11, et quoi qu’en dise la Çvetâçvatara Up., ii, 10[4], il n’y a ni lieu ni temps d’assigné à la méditation. Il est facultatif de s’y livrer tourné comme on l’entend, ainsi qu’en tout endroit et à toute heure où l’esprit peut facilement s’absorber dans la contemplation d’un seul objet[5].

Le Sûtra IV, 1, 12, prescrit de persévérer jusqu’au moment de la mort dans la pensée de l’unité du moi et de Brahma. C’est, en effet, au moyen d’une pensée dernière, d’une pensée que l’homme conserve jusqu’à son dernier moment, qu’on obtient un fruit invisible[6], inaccessible au sens, c’est-à-dire la délivrance. Même pour les fruits du sacrifice dont on doit jouir dans une autre existence, il faut, au moment de la mort, en avoir la notion idéale (bhâvanâvijñâna) présente à l’esprit. Si, à cette heure suprême, l’homme qui aspire à la délivrance n’avait pas en perspective sa véritable nature, quel serait donc l’objet de sa pensée ? Il faut en conséquence avoir présente à l’esprit jusqu’au dernier instant la condition à laquelle on aspire.

D’après le Sûtra suivant (iv, 1, 13), au moment où l’âme individuelle s’unit à l’âme suprême, c’est-à-dire quand la délivrance s’accomplit, le péché et ses conséquences disparaissent. Les fautes commises sont anéanties, et l’âme ne saurait être atteinte par de nouvelles souillures. Les textes sacrés l’établissent et spécialement le passage de la Mundaka Up., ii, 2, 8, où il est dit : « Le nœud du cœur est tranché ; tous les doutes sont tranchés, et ses œuvres s’anéantissent quand il voit cet être suprême et infime. »

On objecte, il est vrai, que l’œuvre a une énergie propre en vertu de laquelle ses effets doivent nécessairement s’accomplir. Mais la science a le pouvoir d’y mettre obstacle ; il suffit de savoir que l’âme ne saurait être agent pour que l’œuvre soit coupée dans sa racine[7]. Une fois même qu’on connaît Brahma, les actes peuvent s’accomplir sans qu’on puisse être taxé d’activité[8] et que l’acte produise des effets ; et quant aux actes qu’on a accomplis activement, pour ainsi dire, quand on était au pouvoir de l’ignorance, ils se dissipent par l’effet de la vraie science dès que l’ignorance a disparu[9]. C’est seulement ainsi, d’ailleurs, que la délivrance est possible, car, les œuvres s’enchaînant indéfiniment, il faut qu’elles s’évanouissent subitement par l’effet de la science pour que la délivrance s’accomplisse.

Les mérites et leurs effets disparaissent ainsi que les fautes, d’après le Sûtra suivant (iv, 1, 14), au moment où a lieu la délivrance. La raison en est que le fruit des mérites, s’il subsistait quand la délivrance se produit, ferait obstacle au fruit de la science[10], le seul désormais qui doive s’accomplir.

La délivrance suspend définitivement (Sûtra iv, 1, 15) les effets non commencés des œuvres, mais elle laisse s’achever les effets qui sont en cours d’exécution, tels par exemple que la vie d’ici-bas, qui n’est que la conséquence non terminée d’œuvres antérieures. S’il en était autrement, aussitôt la science acquise, le corps périrait. Demandera-t-on comment il peut se faire que la connaissance de ce fait que l’âme n’est pas agent a pour conséquence de supprimer telles œuvres et de laisser opérer l’effet de telles autres, tandis que si l’on jette au feu la semence d’une plante sa puissance productrice se détruit dans tous les cas[11] ? Les Védântins répondent : La science ne peut prendre naissance qu’au sein de l’effet en cours d’exécution que l’œuvre laisse après elle (les attributs corporels dont est douée l’âme individuelle). Or cet effet, même après l’avènement de la science, continue de s’exercer, comme le mouvement de la roue du potier, par suite de l’impulsion acquise. Le fait de savoir que l’âme n’est pas agent a bien pour conséquence de détruire l’œuvre en détruisant la fausse science ou l’ignorance, mais l’œuvre n’en poursuit pas moins ses effets pendant quelque temps encore, grâce au ressort de l’énergie propre dont elle est douée.

Les Sûtras iv, 1, 16-17, traitent un point fort intéressant de la doctrine. Ils ont pour objet d’établir que les conséquences du sacrifice perpétuel (agnihotra) se confondent avec ceux de la science pour procurer la délivrance. Mais comment est-ce possible, dira-t-on, que la science et le sacrifice, dont les effets sont différents, puisque celle-là produit la délivrance et celui-ci l’obtention de mondes meilleurs et par conséquent la continuation de la transmigration, aient, quand on les réunit, un effet identique[12] ? Çankara répond au nom des Védântins qu’il en est du sacrifice qui, lorsqu’il est joint à la science, a la délivrance pour fruit, comme du lait caillé et du poison dont l’un fait vieillir et l’autre fait mourir, tandis que mêlé au sucre le lait caillé produit d’heureux effets, et qu’accompagné de certaines incantations le poison fait prospérer le corps. Objectera-t-on de nouveau que la délivrance est instantanée et, par conséquent, qu’elle ne saurait être une conséquence de l’œuvre ou du sacrifice dont les effets sont à plus ou moins longue échéance[13] ? Il convient de répondre que l’auxiliaire que le sacrifice lui prête n’est pas direct[14]. Le sacrifice bien fait ou l’œuvre bonne (satkarma) favorise la science et devient ainsi indirectement une cause de délivrance[15]. Aussi cette unité d’effet de la science et du sacrifice, d’où résulte la délivrance, doit-elle s’entendre avec cette restriction qu’une fois la science obtenue le sacrifice cesse d’avoir lieu[16]. C’est seulement quand la science est encore qualifiée (saguna) ou incomplète que le sacrifice est pratiqué et qu’étant sans but propre il unit ses effets à ceux de la science[17].

Mais on peut encore se demander si le sacrifice (agnihotra) n’unit ses effets à ceux de la science qualifiée que quand il s’effectue avec elle, ou si cette union a lieu, même quand le sacrifice s’accomplit d’une manière indépendante. Le Sûtra iv, 1, 18, répond à ce doute en établissant d’après les textes que le sacrifice perpétuel appelé agnihotra, accompli ici-bas ou dans une autre existence avant l’avènement de la science, favorise l’union avec Brahma, en ce sens qu’il est la cause de l’éloignement du péché qui en est l’obstacle et qu’il confond ses effets avec ceux de la science, soit qu’il s’accomplisse comme auxiliaire de la science, soit qu’on l’effectue indépendamment d’elle.

Le dernier Sûtra de ce chapitre (iv, 1, 19) constate qu’une fois que les effets de l’œuvre en voie d’exécution ont épuisé leur énergie, l’union avec Brahma ne rencontre plus d’obstacle pour celui qui possède la vraie science. Tout motif, en effet, de nature à empêcher ce résultat, a disparu, et aucune œuvre ne peut reprendre naissance, parce que la science en a détruit (brûlé, dit le texte) la semence[18] et qu’une œuvre nouvelle ne saurait s’appuyer que sur l’ignorance.

D’après le Sûtra iv, 2, 1, dans la résorption des organes qui, au moment de la mort, accompagne la délivrance, c’est la voix, en tant que fonction, qui se dissout dans le manas, et non pas la voix considérée comme une entité qui accompagne une fonction. L’expérience le prouve, car, à la dernière heure, la fonction de la voix s’éteint visiblement dans le manas (c’est-à-dire que la pensée survit à la parole), tandis que nul n’aperçoit la dissolution de la voix considérée comme une entité. Au reste, une modification (substantielle) quelconque ne saurait se dissoudre que pour retourner à l’élément dont elle est issue. C’est ainsi qu’un pot redevient terre. Or rien n’indique que la voix (essence) provienne du manas et par conséquent doive y retourner. Mais il n’en est pas de même des fonctions : autres sont leurs causes matérielles, autres sont leur lieu d’extinction. La fonction du feu en est la preuve, car, tirant son origine de combustibles qui sont issus de la terre, elle s’anéantit dans l’eau.

Le Sûtra iv, 2, 2, constate que le même phénomène a lieu pour les autres sens, qui tous se confondent par leur fonction dans le manas au moment où la délivrance s’opère.

Il en est de même pour la dissolution du manas (iv, 2, 3) dans le prâna qui a lieu lors de la délivrance et dans le profond sommeil et que l’expérience confirme, puisque, quand les fonctions des sens et du manas ont cessé, on ne voit plus s’exercer que les mouvements résultant du jeu des esprits vitaux[19]. Alors aussi, ce n’est pas le manas considéré comme une entité distincte qui se dissout dans le prâna, mais bien seulement les fonctions du manas. Si les textes sacrés se servent simplement à cet égard du mot manas, c’est que la fonction et son substratum sont confondus sous une même dénomination.

Les trois Sûtras suivants (iv, 2, 4-6) ont pour objet d’établir que les cinq fonctions dont se compose le prâna se dissolvent dans Jiva ou l’âme individuelle, témoin (adhiyaksha) des actes du corps et ayant pour déguisement (upâdhi) le souvenir de l’ignorance originelle et des œuvres (avidyâkarmapûrvaprajna), et non pas dans le tejas ou l’élément du feu, comme certains textes sembleraient l’établir.

Au témoignage du Sûtra iv, 2, 7 et du commentaire de Çankara, la résorption des fonctions intellectuelles et du prâna dans Jîva a lieu de la même façon pour celui qui possède la vraie science (vidvân) que pour celui qui ne la possède pas (avidvân). Seulement, ce dernier s’unit avec les œuvres, qui ne l’abandonnent pas, aux éléments subtils qui sont la semence du nouveau corps à l’aide duquel il doit revivre, tandis que le vidvân arrive à la délivrance qu’éclaire la science, par la porte qui sert d’issue aux veines du cœur[20].

Toutefois, il existe des cas mixtes, pour ainsi dire, correspondant à un état qu’on peut appeler l’immortalité en perspective (âpekshika). Les âmes qui se trouvent dans cet état sont celles dont la science s’est trouvée un peu trop faible pour surmonter absolument l’ignorance ; ces âmes se réunissent de nouveau aux éléments subtils, et c’est à ce propos que le Sûtra iv, 2, 8 examine la question de savoir si, quand a lieu pour elles la résorption en Jîva, les éléments subtils se dissolvent en Brahma, leur lieu d’origine. Le Sûtra soutient la négative en se fondant sur ce que les éléments subtils, en qui sont réunis les organes des sens (distincts des fonctions), ont pour cause l’ignorance et ne sauraient se dissoudre qu’alors que cesse l’existence soumise à la transmigration. S’il en était autrement, la délivrance aurait lieu pour l’homme chaque fois qu’il meurt, et les prescriptions qui concernent l’élévation sur l’échelle des mondes et la délivrance se trouveraient sans objet. Donc, quand la résorption a lieu pour les âmes qui n’ont l’immortalité qu’en perspective, les choses se passent comme dans le profond sommeil, et les éléments subtils qui sont la semence de nouveaux corps ne se dissolvent pas en Brahma.

De ce fait que ces éléments sont subtils, il résulte que la personne qui est auprès d’un mourant ne les voit pas sortir du corps (Sûtra iv, 2, 9).

Il en résulte aussi (iv, 2, 10) que le corps épais peut subir des altérations de toute sorte par l’effet de la brûlure ou d’autres causes de destruction sans que le corps subtil ait à en souffrir.

Enfin (Sûtra iv, 2, 11), la chaleur dont le corps d’un homme en vie est le siège dépend du corps subtil. C’est pour cela qu’elle abandonne un cadavre, quoiqu’il conserve sa forme, etc. Donc la chaleur réside ailleurs que dans le corps épais ; elle dépend du corps subtil qui, au moment de la mort, se sépare du corps épais.

Les Sûtras iv, 2, 12-14 établissent qu’à la mort de celui qui possède la science (vidvân) il n’y a pas ascension (utkrânti) ni déplacement (gati) de l’âme individuelle accompagnée des prânas[21].

Ainsi (Sûtra iv, 2, 45), les sens et les éléments subtils qui composent le corps subtil du vidvân se dissolvent au moment de la délivrance dans l’âme suprême. On oppose, il est vrai, un texte d’après lequel chacune des quinze parties qui composent le corps subtil se réunirait à son principe, c’est-à-dire que les parties issues de la terre, comme le son, retourneraient à la terre, et ainsi de suite. Mais si cette théorie est vraie quand on se place au point de vue des faits sensibles (vyavahârâpeksha), eu égard à ce qui a lieu pour le vidvân (vidvatpratipattyapeksha), toutes les parties qui le composent s’absorbent en Brahma.

Le Sûtra qui suit (iv, 2, 16) établit que l’absorption des parties qui composent le corps subtil du vidvân est absolue, et qu’il n’en reste rien. En effet, ces parties, dont l’existence a l’ignorance pour cause, ne sauraient laisser de reste quand se produit une dissolution que détermine la science[22].

Le Sûtra iv, 2, 17 constate que l’âme du vidvân quitte le corps par la tête, c’est-à-dire par l’issue cérébrale dont il est question en ces termes dans l’Aitareya Upanishad, ii, 12 : « (Brahma), ayant fendu cette suture (du crâne), pénétra (dans la créature) par cette ouverture. Elle est appelée vidriti » ; tandis que les âmes de ceux qui ne possèdent pas la science, des avidvân, sortent du corps par d’autres issues. S’il en était autrement, si le avidvâns quittait le corps par n’importe quelle issue comme l’avidvân, il n’obtiendrait pas la résidence suprême, et sa science ne lui servirait à rien. Mais favorisé par Brahma, qu’il a adoré et qui réside dans son cœur, le vidvân, ayant obtenu sa nature (l’identité avec Brahma), abandonne le corps au moyen de la veine divisée en cent et une parties qui communique avec le sommet de la tête[23].

Les textes sacrés relatifs à la migration des âmes vers le Brahmaloka ou le monde de Brahma, d’après l’itinéraire dont le point de départ est la veine dont il vient d’être question, disent qu’elles passent ensuite dans les rayons lumineux. On peut se demander si ce voyage a lieu indifféremment de jour ou de nuit ou seulement de jour (Sûtra iv, 2, 18). D’après le Sûtra qui suit (iv, 2, 19), la migration des âmes des vidvâns peut avoir lieu en tout temps, attendu que, tant que l’âme est dans le corps, il y a un rapport intime entre la veine cérébrale et les rayons lumineux. L’émission de ces rayons se produit en effet même dans la nuit durant l’été comme le montre la présence de la chaleur dont ils sont la cause ; seulement ils diminuent et deviennent difficiles à apercevoir de nuit pendant les autres saisons, par exemple dans les moments pluvieux de l’hiver[24]. Il s’ensuit que, de nuit comme de jour, l’âme du vidvân s’unit au sortir de la tête aux rayons lumineux qui l’emportent vers les régions supérieures.

Les Sûtras iv, 2, 20 et 21 ont pour objet d’affirmer qu’on obtient le fruit de la science aussi bien en prenant le pitriyâna ou la route du sud qu’en prenant le devayâna ou celle du nord, qui, par conséquent, ne doit pas être l’itinéraire exclusif du vidvân.

En ce qui concerne la migration des âmes vers le Brahmaloka, les textes sacrés semblent peu d’accord et indiquent plusieurs modes de départ. Le Sûtra iv, 3, 1 répond à la question de savoir si ces modes sont distincts les uns des autres (parasparam bhinnâ) ou s’il n’en est qu’un affectant diverses particularités (ekaivânekaviçeshena). Quiconque désire s’unir à Brahma suit la route des flammes (devayâna)[25], car c’est celle qu’ont célébrée tous les sages. Quoique les textes sacrés semblent en indiquer plusieurs, ils n’en désignent en réalité qu’une seule, qui est celle-là, mais qu’ils qualifient au moyen de différents attributs. De même que la science est une, quoiqu’elle soit exposée en différents chapitres et que l’ensemble de la science se compose de la réunion des particularités contenues dans ces différents chapitres, les particularités relatives à la migration des âmes se résument en un seul mode de départ. Et, abstraction faite de la comparaison qui précède, comme il est reconnu que ces migrations aboutissent à un seul but, la route suivie doit être une également[26].

D’après les textes sacrés, le devayâna consiste à passer de la flamme dans le jour, du jour dans la quinzaine lunaire claire, etc. À ce propos, les Sûtras iv, 3, 4-6 examinent la question de savoir si ces différents stages du devayâna sont ou des points de repère de la route (mârgacihnâni), ou des lieux de jouissance (bhogabhûmayah), ou s’ils ne sont ni l’un ni l’autre. Cette dernière alternative est la vraie. La flamme, le jour, etc., sont le siège de divinités du même nom qui président à ces phénomènes et qui se transmettent de l’une à l’autre les âmes pendant leurs migrations. Du reste, la flamme, le jour, etc., n’étant pas des phénomènes permanents, ne sauraient servir de points de repère à ceux, par exemple, qui meurent pendant la nuit. Les divinités qui président à la flamme, au jour, etc., sont, au contraire, permanentes. Ces mêmes phénomènes ne sauraient être non plus des lieux de jouissance pour les âmes, attendu que celles-ci, ayant toutes leurs facultés réunies comme en faisceau, ne peuvent pas les exercer ; elles sont par conséquent dépourvues de liberté et ne sauraient éprouver de jouissance[27].

Il est dit dans les textes sacrés que la dernière des divinités qui président aux stages par lesquels passent les âmes pour arriver au Brahmaloka les conduit, les fait arriver à Brahma. Il s’agit de savoir à ce propos (Sûtra iv, 3, 7 et seqq.) s’il est question de Brahma suprême, non modifié et principal (mukhya), ou de Brahma inférieur (apara), qui est un effet (kârya). D’après Bâdarâyana, il ne saurait y avoir de doute à cet égard ; c’est auprès de Brahma inférieur que le purusha mânava[28] conduit les âmes. La preuve en résulte de ce seul fait qu’il y a migration vers lui. Il n’y a que Brahma-effet vers lequel on puisse aller, car les âmes individuelles ne sauraient aller, devoir aller ou être arrivées en Brahma suprême, puisqu’il est omniprésent[29]. Du reste (Sûtra iv, 3, 9), le mot Brahma peut désigner aussi Brahma inférieur, à cause de l’étroite relation qui existe entre lui et Brahma suprême.

Si l’on objecte que les textes sacrés disent qu’on ne revient pas du Brahmaloka et qu’il n’y a qu’en Brahma suprême qu’il peut y avoir pour les âmes séjour définitif, il convient de répondre que quand a lieu la dissolution du Brahmaloka qui, étant un effet, est périssable, les âmes qui s’y trouvent et qui possèdent la vraie science obtiennent avec Hiranyagarbha (Brahma inférieur qui préside au Brahmaloka) la résidence suprême de Vishnu. Telle est la marche progressive de la délivrance, et ainsi doit s’expliquer le texte disant que l’on ne revient pas du Brahmaloka. On n’obtient pas immédiatement Brahma suprême, et l’on doit auparavant passer par les stages indiqués[30].

Le commentaire de Çankara sur le Sûtra iv, 3, 14 est consacré à une longue et subtile polémique contre les arguments que Jaimini, le fondateur de la karmamîmâmsâ ou de la doctrine religieuse d’après laquelle la délivrance résulte du sacrifice et de l’observation des rites védiques, oppose à cette manière de voir. D’après lui, c’est de Brahma suprême que les textes sacrés entendent parler quand ils disent que le purusha mânava fait passer les âmes individuelles à Brahma. Nous ne retiendrons de cette discussion que la définition suivante des deux Brahmas : « Quand on parle de l’être qui n’a aucune qualité matérielle, avec exclusion des distinctions de nom et de forme auxquelles l’ignorance a donné naissance, c’est de Brahma suprême qu’il s’agit. Mais quand, afin d’offrir un objet (concret) au culte des hommes, on désigne cet être avec les épithètes : « Il est fait de manas, il a le prâna pour corps, il est brillant, etc. », et qu’on le distingue à l’aide de qualités fondées sur le nom et la forme, il est question alors de Brahma inférieur[31]. »

D’après les Sûtras iv, 3, 15 et 16, le purusha mânava ne conduit au Brahmaloka que les âmes de ceux dont l’adoration a eu pour objet les modifications (vikâra) de Brahma ou qui ont célébré le sacrifice dont Brahma est l’objet (brahmakratu) ; il en exclut ceux qui ont adressé leur culte à des représentations, à des images (pratîkca). Ceux-là, d’après la glose de Govinda-Ananda, ne dépassent pas les éclairs[32]. Ces conclusions sont à induire de différents textes sacrés que Çankara rappelle dans son commentaire.

Le Sûtra iv, 4, 1, constate que c’est sous la forme d’âme suprême (âtmamâtrena) que les âmes individuelles prennent possession des lieux de jouissance, tels que le Devaloka, etc., où elles arrivent par le devayâna.

Le Sûtra iv, 4, 4, a pour objet d’établir qu’en cet état l’âme du délivré s’unit à l’âme suprême.

D’après les Sûtras suivants (iv, 5-7), les avis sont partagés quant à savoir si l’âme du délivré unie à l’âme suprême participe à ses qualités. Selon Jaimini, l’âme individuelle acquiert dans cette union les qualités de l’âme suprême, à savoir l’absence de péchés, la propriété de n’avoir que de vrais désirs, des désirs qui se réalisent (satijasamkalpa), l’omniscience et la toute-puissance. D’après Audulami, l’âme individuelle jouit de la seule qualité de l’âme suprême, c’est-à-dire du fait d’être intelligence pure. L’absence de péché n’est en effet qu’une qualité négative ; quant aux autres qualités, elles sont contradictoires avec l’affirmation des textes sacrés disant que l’âme suprême ne saurait avoir différentes formes. Enfin Bâdarâyana, l’auteur de nos Sûtras, tranche la question en disant que, quoiqu’il soit établi que Brahma n’a pour nature que l’intelligence proprement dite (pâramârthikacaitanya), rien ne s’oppose à ce qu’on le considère, en même temps que les âmes individuelles qui se réunissent à lui par la délivrance, comme doué de puissance (aiçvarya) au point de vue relatif ou temporel (vyavahârâpekshayâ)[33].

Les Sûtras iv, 4, 8 et 9 établissent la toute-puissance du désir (samkalpa) du vidvân délivré attestée par les textes sacrés, comme ceux où il est dit : « Quand il le désire, les ancêtres lui apparaissent[34]. » Il en résulte que le vidvân n’a pas d’autre maître que lui-même.

Puisque le manas est l’instrument du désir, le vidvân, qui est uni à l’âme suprême et qui participe à sa toute-puissance (iv, 4, 10), est doué de manas ; mais possède-t-il également le corps et les sens ? Bâdarâyana, s’appuyant sur les textes sacrés, s’est décidé pour la négative. Toutefois il admet (iv, 4, 12) que le vidvân peut avoir, selon qu’il le désire, un corps, ou n’en point avoir, attendu qu’il n’a que des désirs qui se réalisent et que ses désirs sont divers[35]. Quand le vidvân n’a pas de corps, il perçoit les objets des sens comme on les perçoit sur terre dans le sommeil, quoiqu’ils fassent défaut (iv, 4, 13) ; quand il en a un, il perçoit comme sur terre dans l’état de veille (iv, 4, 14).

Mais les corps que le vidvân peut créer à volonté sont-ils doués ou non d’âtman ? Telle est la question qui fait l’objet du Sûtra iv, 4, 15.

De même que la lueur d’une seule lampe se multiplie par ses reflets, de même le vidvân, grâce à sa toute-puissance, peut se multiplier en pénétrant dans tous les corps. D’ailleurs, on ne saurait admettre l’existence active de corps dépourvus d’âmes. C’est en vain qu’on objecterait que le manas du vidvân est inséparable de l’âme. Le vidvân, quoique doué d’un seul manas, peut, attendu que tous ses désirs se réalisent, produire d’autres corps doués de manas dont les fonctions se modèlent sur celles de son propre manas. Et quand ces corps sont créés, l’upâdhi les distingue de l’âtman, et ils obtiennent ainsi une direction (adhishtâtrtva) qui leur est propre[36]. Mais comment concilier cette faculté dont jouit le vidvân délivré d’animer plusieurs corps, avec les textes établissant l’unité absolue de conscience de l’âme universelle ? Cela dépend du point de vue auquel on se place (Sûtra iv, 4, 16) ; si l’on considère l’état de profond sommeil ou celui d’union complète avec Brahma (kaivalya), alors il y a lieu d’appliquer les textes sacrés qui nient l’existence de la conscience individuelle après la délivrance. Mais il y a d’autres conditions, telles que la résidence dans le ciel, etc., conséquence de la science qualifiée, et c’est à un état de ce genre que la toute-puissance en question s’applique[37].

Le Sûtra iv, 4, 47, répond à la question de savoir si le vidvân qui s’est uni à Içvara avec son manas pour avoir rendu un culte à Brahma qualifié jouit d’une toute-puissance absolue (niravagraha) ou limitée (sâvagraha). On doit répondre non, en ce qui regarde la création du monde (jagadutpattyâdivyâpâram varjayitvâ). Mais le vidvân délivré dans les conditions qui viennent d’être dites possède une puissance qui s’étend sur les petites choses (animâdijâtmakam aiçvaryam). Diriger l’univers est l’affaire d’Içvara éternel (nityasiddha), car c’est lui seul que, les textes sacrés désignent pour cette fonction. Quant aux vidvâns dont il s’agit, ces mêmes textes disent que leur puissance consiste d’abord à le chercher et à avoir le désir de le connaître ; ils n’ont donc pas à s’occuper de la direction de ce monde. Du reste, comme ces vidvâns sont doués de manas, ils n’ont pas tous une même pensée, et il pourrait arriver en ce qui concerne le monde que les uns voulussent qu’il dure, tandis que d’autres désireraient son anéantissement, ce qui créerait des divergences inadmissibles[38].

Dira-t-on (Sûtra iv, 4, 19) qu’Içvara est sujet lui-même à des modifications ? Il convient de répondre qu’effectivement il a deux formes : la forme absolue et la forme relative. Or ceux qui ont adressé leur culte à sa forme finie et relative n’obtiennent pas l’autre, en vertu du précepte qu’on s’unit à la divinité à laquelle on a offert son adoration. C’est ainsi que le vidvân qui a entouré de ses hommages Brahma qualifié (ou Içvara, synonyme de Brahma et appellation qu’on emploie de préférence quand on a sa toute-puissance en vue) reste lui-même qualifié dans son union avec lui et n’obtient qu’une puissance limitée.

D’ailleurs, au témoignage du Sùtra iv, 4, 21, la puissance du vidvân qui a adoré Brahma qualifié n’est pas absolue, car les textes sacrés établissent qu’il n’a de commun que la jouissance avec Içvara, accompli de tout temps.

Mais s’il en ainsi, et puisque sa puissance est limitée, le vidvân est donc exposé à reprendre la condition d’âme individuelle et à reprendre place dans le cercle de la transmigration ? Non, dit le Sùtra iv, 4, 22 ; quoique sa puissance soit limitée, les textes sacrés affirment qu’il ne retombe jamais dans les vicissitudes de la transmigration.

C’est sur cette assertion que se terminent les chapitres des Brahma-Sûtras consacrés à décrire les conditions et les effets de la délivrance.


§ III. — La délivrance dans le Vedânta-Sâra.


Pour le Vedânta-Sâra, la délivrance consiste à supprimer la fausse imputation (adhyâropa) et l’ignorance qui en découle en se pénétrant par la science du vrai sens de la grande phrase (mahâvâkya) : « Tu es cela » (tat tvam asi). À cet effet, il faut être persuadé que ce séjour de jouissance ou de sensations (l’univers sensible) avec tout ce qui le compose, — c’est-à-dire les quatre grandes catégories de corps épais (vivipares, ovipares, êtres nés de germes et êtres nés de la sueur ou de la corruption), la nourriture et la boisson, ce qui forme l’ensemble des choses dont on peut jouir, ainsi que les quatorze mondes, à commencer par la terre, qui supportent tous ces corps et les objets de leur jouissance, et l’œuf de Brahma (l’univers), qui supporte les mondes à son tour, — est identique aux éléments grossiers, cause de l’univers ; — que ces cinq éléments grossiers accompagnés des objets des sens, tels que le son, l’odorat, etc., sont identiques aux cinq éléments subtils, causes des éléments grossiers ; — que ces cinq éléments subtils accompagnés des trois qualités (le sattva, le rajas et le tamas) sont identiques à l’intelligence ayant l’ignorance pour attribut, causes des éléments subtils ; — qu’enfin l’ignorance et l’intelligence ayant l’ignorance pour attribut représentées par Içvara et les autres modes d’union de Brahma avec la matière sont identiques à Brahma ou au quatrième (état), substratum de l’univers matériel[39].

Cette équation cosmogonique revient à dire que le mot « tu » (tvam) de la grande phrase (qui signifie littéralement l’union des trois choses suivantes : l’ignorance considérée comme répartie entre les différents êtres, l’intelligence qui lui est jointe et que distingue l’omniscience, et l’intelligence indépendante de l’ignorance, — union qui est pareille à celle de la chaleur et du fer dans une boule de fer rougie au feu) s’applique en réalité au quatrième, c’est-à-dire à l’intelligence sous forme de bonheur et privée d’attributs (tels que l’ignorance, etc.), qui est le substratum de l’intelligence unie à l’ignorance et qui correspond au mot « cela » (tat) de la grande phrase[40].

Quand, grâce aux leçons de son précepteur, le sens de la grande phrase est bien compris par le pupille vedântin, il se produit dans son intelligence (citta) une modification[41] par l’effet de laquelle elle prend la forme de l’être indivisible (Brahma) et donne lieu de sa part à l’affirmation suivante : « Je suis Brahma pur, délivré, ayant le vrai pour essence, félicité suprême, infini sans second[42].

Quand cette modification de l’intelligence, accompagnée du reflet de l’intelligence interne (c’est-à-dire suprême), a pris pour objet Brahma suprême, inconnu (auparavant) et identique à celui qui est en dedans (sans doute dans l’éther du cœur), l’ignorance en ce qui le concerne est détruite ; puis, de même qu’une pièce d’étoffe ne saurait être brûlée sans que le fil qui en est la cause matérielle soit brûlé lui-même, quand l’ignorance, cause matérielle de tous les effets dont l’ensemble forme le développement matériel de l’univers, a disparu, la modification de l’intelligence ou de la pensée modelée sur la forme de l’être indivisible, qui fait partie de l’univers matériel, s’anéantit à son tour[43].

Il en est de l’intelligence suprême se reflétant dans l’intelligence individuelle ainsi modifiée comme de l’éclat d’une lampe qui ne saurait soutenir celui du soleil et qui s’éclipse devant lui ; l’intelligence individuelle est dominée et éclipsée par l’éclat propre de Brahma, avec lequel elle ne saurait rivaliser. Elle ne lui sert plus de miroir ; en d’autres termes, la modification subie par l’intelligence individuelle, qui n’est qu’une partie de l’attribut d’ignorance dont cette intelligence est douée, ayant disparu, il se produit un phénomène analogue à celui qui a lieu quand disparaît un miroir dans lequel un visage se reflétait et que le reflet s’éteignant il ne reste que le visage même. Dès que la modification de l’âme individuelle reflétant l’âme suprême a cessé d’être avec l’ignorance dont elle dépend, l’âme individuelle elle-même cesse d’être, pour ne laisser place qu’à l’âme suprême[44].

Mais, pour obtenir ce résultat, qui n’est autre que la délivrance et arriver à la science dont il est la conséquence et qui consiste dans la notion exacte du sens de la grande phrase, différents exercices intellectuels sont nécessaires. Ce sont, d’après l’énumération et les définitions du Vedânta-Sâra (nos 113-140) : 1° l’audition (çrava na) ; 2° l’attention méditative (manana) ; 3° la méditation extatique (nididhyâsana) ; et 4° l’extase (samâdhi).

L’audition est le fait de s’appliquer à l’étude de l’être unique dont la notion forme l’objet principal du Vedânta[45].

Il faut, pour que l’audition porte ses fruits, tenir compte des circonstances suivantes : du commencement et de la fin (upakramopasamhâra), des sections des ouvrages sacrés ; de l’insistance (avabhyâsa), c’est-à-dire du soin apporté dans ces ouvrages à la répétition de certaines formules d’une importance spéciale, comme celle des mots tat tvam asi Chând. Up., vi, 8 et seqq.) ; de la nouveauté (apûrvatâ), ou du fait que le point établi, eu égard aux principes vedântiques, par un passage des ouvrages sacrés ne repose sur aucune autre preuve ; de fruit (phala) indiqué comme résultant de l’enseignement que l’on reçoit à l’audition de tel ou tel passage des ouvrages sacrés ; de l’amplification (arthavâda). qui consiste dans l’éloge de telle ou telle partie de la doctrine transmise par les ouvrages sacrés ; enfin de l’obtention (upapatti) ou de la conclusion (yukti), consistant à induire de telle ou telle assertion des ouvrages sacrés une conséquence favorable à la notion de l’être unique.

L’attention méditative, est la réflexion appliquée constamment à l’être unique avec l’auxiliaire de raisons conformes à la doctrine vedàntique[46].

La méditation extatique est un courant homogène de la pensée ayant pour objet l’être unique sur la forme duquel elle s’est modelée, avec exclusion de l’idée hétérogène de corps, etc.[47].

L’extase est de deux sortes : savikalpa, c’est-à-dire tenant compte de la distinction du sujet et de l’objet, et nirvikalpa, ou ne tenant plus compte de cette distinction.

L’extase savikalpa est un état dans lequel il y a modification de la pensée modelée sur la forme de l’être unique, sans avoir égard à la suppression de la distinction entre le connaisseur, la connaissance, etc. (distinction qui n’a rien de réel). Il en est alors de l’idée de Brahma comme de celle d’un éléphant de terre cuite, qui n’est en réalité que de la terre cuite et dans lequel on voit un éléphant ; de même, dans Brahma on voit le connaisseur, la connaissance, etc., quoiqu’en réalité il n’y ait que Brahma.

L’extase nirvikalpa est un état dans lequel il y a modification de la pensée modelée sur la forme de l’être unique avec égard à la suppression de la distinction de connaisseur, connaissance, etc., et complète unité de nature (du réel et de l’idée du réel). Alors l’être unique se manifeste seul, sans qu’il y ait reflet des modifications de la pensée qui en a pris la forme ; de même que, dans de l’eau où du sel est en dissolution, l’eau se manifeste seule et sans qu’apparaisse le sel qui (en se fondant) a pris la forme de l’eau.

Cet état diffère toutefois de celui de profond sommeil, car si dans l’un et l’autre cas la modification de l’intelligence a cessé d’être, ou de produire des effets particuliers, dans le profond sommeil la buddhi n’existe plus, elle s’unit momentanément à l’âme individuelle qui en est la cause[48], tandis que dans l’extase nirvikalpa, la buddhi ne cesse pas d’exister en prenant la forme de l’être unique.

Mais l’extase nirvikalpa doit être favorisée par différents auxiliaires (angâni), qui sont : les coercitions (yamâh) ; les observances pieuses (niyamàh) ; les postures (âsanâni) ; les obstacles apportés à la respiration (prânâyâmâh) ; la contrainte (prâtyâhârâ) ; l’attention (dhâranâ) ; la méditation (dhyâna) et l’extase nirvikalpa (samâdhi).

Les coercitions consistent à s’abstenir de maltraiter autrui en paroles, pensées ou actes, de mentir, de voler, de manquer aux règles de la continence[49] et d’accepter quelque chose qui n’est pas de nature à favoriser l’extase.

Les observances pieuses sont : la pureté extérieure et intérieure ; le contentement, c’est-à-dire la satisfaction de tout ce qui nous échoit et l’absence d’abattement même quand tout nous fait défaut ; la pénitence, c’est-à-dire le fait de ne pas manger à plaisir ou de fixer le manas et les sens sur un seul objet ; l’étude, ou la répétition de la syllabe om et la lecture réitérée des Upanishads, et le culte mental rendu à Içvara.

Les postures sont les différentes manières de placer les mains, les pieds, etc., qu’on désigne par les mois padma, svastika, etc.

Les obstacles apportés à la respiration se divisent en trois coercitions différentes : le recaka, qui consiste à exhaler le souffle lentement et alternativement, par la narine gauche et par la narine droite ; le pûraka, qui consiste à aspirer le souffle de la même façon ; et le kumbhaka, ou la rétention de la respiration.

La contrainte est l’éloignement des sens de leurs objets respectifs.

La méditation est le cours des fonctions intellectuelles s’appliquant de temps en temps à l’être unique.

L’extase nirvikalpa est exposée à des obstacles moraux, qui sont : l’inattention (laya), la distraction (vikshepa), la passion (kashâya) et la volupté (rasâsvâdana).

L’inattention est le sommeil de l’esprit qui n’appuie plus (ou ne s’applique plus à) l’être unique.

La distraction a lieu quand les modifications de l’intelligence appuient autre chose que l’être unique.

La passion consiste dans le fait que l’esprit, quoique n’étant livré ni à l’inattention ni à la distraction, n’appuie pas l’être unique, parce qu’il est au pouvoir des impressions passionnelles.

La volupté consiste dans le bonheur que goûte l’esprit en conservant la distinction de sujet et d’objet et sans servir d’appui à l’idée de l’être unique, ou bien dans le bonheur qu’il goûte ainsi au moment du début de l’extase.

Quand l’intelligence a écarté ces quatre obstacles et que, pareille à la flamme immobile d’une lampe que le vent n’agite pas, il ne reste que l’intelligence unique qui est l’être, alors a lieu l’extase nirvikalpa.

Le Vedânta Sara, après avoir distingué et défini ces conditions de l’extase, décrit l’état de celui auquel l’observation des pratiques extatiques a procuré la délivrance en cette vie même, et qu’on appelle pour cette raison délivré-vivant (jivan-mukta).

Quand la notion de la vraie science coïncide avec l’extinction des effets de l’œuvre, le corps du sage tombe, périt, et la délivrance complète et immédiate a lieu pour lui. Mais, si la vraie science se produit sans que les effets de l’œuvre soient épuisés, le corps persiste à vivre jusqu’à leur épuisement. Le cercle de la transmigration continue d’exister pour l’homme qui est dans cette situation, ou qui est délivré intellectuellement sans l’être physiquement, et cet homme est celui qu’on appelle délivré vivant (jivan-mukta[50]).

En d’autres termes, le jivan-mukta est celui pour qui s’est manifestée dans sa réalité, au moyen de la science et grâce à l’éloignement de l’ignorance, la nature de Brahma pur et indivisible. Délivré de tous ses liens, il détruit l’œuvre, les doutes, les erreurs, etc., qui sont les effets de l’ignorance[51].

Pour lui, les fruits de l’œuvre accomplie qui sont en cours d’exécution continuent de s’exercer, car la science ne saurait y mettre obstacle, et ils ont pour agent l’organe ou le sens interne, les sens externes et le corps. Mais le jîvan-mukta, tout en ayant l’air de voir ces fruits, c’est-à-dire les faits qui se rapportent à ses organes matériels, ne les voit pas en réalité. Ils lui font l’effet d’une évocation magique qu’on aperçoit des yeux du corps, mais dont on n’ignore pas le défaut d’existence réelle[52].

Désormais il s’abandonne à l’impulsion de ses bons sentiments, qui restent encore en lui à l’état de fruits de l’œuvre (çubhavâsanâ), comme il s’abandonnait auparavant à ses appétits et à ses plaisirs ; ou bien il reste indifférent aux sentiments, bons ou mauvais[53].

L’absence d’égoïsme et les autres conditions qui favorisent la science, ainsi que les bonnes qualités, telles que le fait de ne pas haïr autrui, etc., sont pour e jivan-mukta comme des bijoux qui ornent celui qui s’en pare tout en restant indépendants de sa personne[54].

En résumé, le jîvan-mukta goûte par les sens, dans l’unique dessein de faire marcher (la machine de) son corps (dehayâtrâmâtrârtham), les fruits commencés de l’œuvre, qui consistent dans le bien et le mal produits par les désirs, les répulsions, etc., et fournit à son organe interne la lumière (nécessaire à ses fonctions). Puis, quand les fruits de l’œuvre sont épuisés, que disparaissent les ressorts qui résultent de l’ignorance, le souffle vital s’exhale en Brahma suprême, qui est la félicité, et le jivan-mukta se confond avec Brahma, l’être absolu, le bonheur suprême, celui en qui disparaissent toutes les distinctions, l’indivisible !

Paul Regnaud.

  1. Voir l’article précédent, tome iv, p. 592.
  2. Tam yathâ yathopâsate tad eva bhavati.
  3. Yady api ca pratipattavya âtmâ niramças tathâpi adhyâropitam tasmin bahvamçatvam dehendriyamanobuddhivishayavedenâdilakshanam tac caikenâvadhânenaikam amcam apohaty aparenâparam iti yujyate tatra kramavan pratipattih.
  4. Voir plus haut.
  5. Yatraivâshya diçi deçe kâle vâ manasah saukaryenaikâgratâ bhavati tatraivopasîta.
  6. A prâyanâd evâvartayet pratyayam antyapratyayavaçâd adrshtaphalaprâpteh.
  7. Akartrâtmatvabodhât karmapradâhasiddhih.
  8. Agâmishu karmasu kartrtvam eva na pratipadyate brahmavit.
  9. Atikrânteshu tu yady api mithyâjñânât kartrtvam pratipeda iva tathâpi vidyâsâmarthyât mithyâjñânanivrttes tâny api pralîyante.
  10. Tasyâpi (punyasya karmanah) svaphalahetutvena jñânaphalapratibandhitvaprasangât.
  11. On s’expliquera cette comparaison si l’on sait que l’enchaînement des œuvres et de leurs effets est constamment assimilé à celui de la plante et du germe dont elle est issue.
  12. Nanu jñanakarmanor vilakskanakâryatvât kâryaikatvânupapattih.
  13. Nanv anârabhyo mokshah katham asya karmakâryatvam.
  14. Naisha doshah ârâd upakârakatvât karmanah.
  15. Jnânasyaiva hi prâpakam satkarma pranadyâ mokshakâranam.
  16. Ata eva câtikrântavishayam etat kâryaikatvâbhidhânam.
  17. Na hi brahmavida âyâmyagnihotrâdi sambhavati, aniyojyabrahmâtmatvapratipatteh çâstrasyâvishayatvât… tasyâpi (karmanah) nirabhisamdhinah kâryântarâbhâvât vedavidyâsamgatyupapattih.
  18. Tasya (karmanah) dagdhabîjatvât.
  19. Sushuptor mumukshoc ça prânavrttau parispandâtmikâyâm avasthitâyâm manovrttinâm upaçamo drcyate.
  20. Avidvân dehabîjabhûtani bhûtasûkshmâny âçrtya karmaprayukto dehagrahanam anubhavitum samsarati vidvâms tu jñanaprakâçitam moksham nâdîdvâram âçrayate.
  21. Na ca brahmavidah sarvagatabrahmâtmabhûtasya prakshînakâmakarmana utkrântir gatir vopapadyate nimittâbhâvât.
  22. Avidyânimittânâm ca kalânâm na vidyânimitte pralaye sâviçeshatopapattih.
  23. Hrdayâlayena brahmanâ samupâsitenânugrhitas tadbhâvam âpanno vidvân mûrddhanyayaiva çatâdhikayâ… nâdyâ nishkrâmati. Voir sur cette veine Brih. âr. Up.., iv, 2, 3.
  24. Nidâghasamaye ca niçâsv api kiranânuvrttir upalabhyate pratâpâdikâryadarçanât. Stokânuvrttes tu durlakshyatvam rtvantararajanîshu çaiçireshv iva durdineshu.
  25. Sarvo brahma prepsur arcirâdinaivâdhvanâ ramhati.
  26. Prakaranabhede ’pi tu vidyaikatve bhavatîtaretaraviçeshanopasamhâra-vagativiçeshanânâm apy upasamharah vidyâbhede ’pi gatyekadeçapratyabhijñânâd gantavyâbhedâc ca gatyabheda eva.
  27. Sampinditakaranagrâmatvâd eva ca gantrnâm na tatra bhogasambhavah.
  28. Allusion à un passage de la Chând. Up., v, 10, 2, où il est dit, qu’une fois qu’elles sont arrivées dans l’éclair, le purusha mânava fait passer les âmes auprès de Brahma.
  29. Asya hi kâryabrahmano gantavyatvam upapadyate pradeçatvât na tu parasmin brahmani gantrtvam gantavyatvam gatir vâvakalpyate sarvagatatvât pratyagâtmatvât ca gantrnâm.
  30. No hy añjasy eva gatipûrvikâ paraprâptih sambhavati.
  31. Yatrâvidyâkrtanâmarûpâdiviçeshapratishedhenâsthûlâdiçabdair brahma vyapadiçyate tat param. Tad na yatra nâmarûpâdiviçeshena kenacit viçishtam upâsanâyopadiçyate manomayah prânaçarîro bhârûpah ity âdiçabdais tad aparam.
  32. Teshâm(pratîkadhyâyinâm) vidyutparyantam eva gamanam astu na brahmaprâptih.
  33. C’est ce que le glossateur, Govinda-Ananda, explique en disant qu’il s’agit par là des rapports que l’âme suprême conserve avec les âmes individuelles non encore délivrées. Ye îçvaradharmâs ta eva cidâtmani mukte jîvântarair vyavahriyante. — Cette explication est d’une importance capitale pour comprendre tout ce qui va suivre.
  34. Chând. Up., viii, 2, 1.
  35. Satyasamkalpatvât samkalpavaicitryâc ca.
  36. Cette théorie explique comment s’opèrent indéfiniment l’extinction et la reproduction des âmes individuelles.
  37. Sagunavidyâvipâkasthânam tv etat svargâdivad avasthântaram yatraitad aiçvaryam upavarnyate.
  38. Samanaskatvâd eva caishâm anaikamatye kasyacid sthityabhiprâyah kasycit samhârâbhiprâya ity evam virodho ’pi kadâcit syât.
  39. Ved. Sâra, n° 93.
  40. Ved. -Sâra, n° 94.
  41. Par modification de l’intelligence, il faut entendre, d’après le commentaire, la manière dont l’organe ou le sens interne se modèle sur les objets extérieurs en passant par le canal des sens externes.
  42. Ved. -Sâra, n° 108.
  43. Ved. -Sâra, n° 109.
  44. Ved.-Sâra, n° 110.
  45. Vedântânâm advitîye vastuni tâtparyâvadhâranam.
  46. Mananam tu çrutasyàdvitîyavastuno vedântânugunayuktibhir anavaratam anucintanam.
  47. Vijâtîyadehâdipratyayarahitâdvitîyavastuni tadâkârâkàritâyà buddheh sajâtîyapravâho nididhyâsanam.
  48. Du moins c’est la signification que j’attache au passage suivant du Com. sur le Ved.-Sâra (loc. cit.) : sushuptau buddhir eva nâsti buddheh kâranàtmanâvasthânasya tal lakshanatvât.
  49. Ces règles, d’après, le Com., sont au nombre de huit. On doit éviter de penser aux femmes, de les célébrer, de badiner avec elles, de les regarder, de les désirer, de les convoiter vivement et d’accomplir avec elles l’acte charnel.
  50. Ved. Sâra, nº 141, et Com.
  51. Ved.-Sâra, n° 142.
  52. Ved.-Sâra, n° 143.
  53. Ved.-Sâra, n° 146. D’après le Com., cette indifférence doit être systématique et ne consister ni à observer les règles de la morale védique ni à les enfreindre.
  54. Ved.-Sâra, n° 148.