Études d’économie forestière/L’Aménagement des forêts en France
Comme la plupart des sciences d’application, la science forestière est complexe. Reposant à la fois sur l’histoire naturelle et sur l’économie politique, elle relève de la première pour tout ce qui se rattache de près ou de loin à la culture proprement dite ; elle entre dans le domaine de la deuxième dès qu’elle s’occupe des rapports des forêts avec les besoins de la société. C’est aux sciences naturelles qu’il faut demander les lois de la formation des tissus ligneux, les moyens pratiques de hâter le développement des arbres, les propriétés des différentes essences, les sols et les climats qui peuvent leur convenir ; mais c’est l’économie politique qui nous fait connaître la constitution de la propriété forestière, les principes commerciaux qui président à l’échange de ses produits, le mode de jouissance le plus avantageux suivant les conditions dans lesquelles se trouve le propriétaire. Un cultivateur qui veut tirer de ses terres le meilleur parti possible ne doit pas se borner à connaître l’époque la plus favorable pour les semailles et les modes de labour les plus perfectionnés, il faut encore qu’il s’enquière de la situation économique de la contrée qu’il habite, des débouchés qu’elle présente, des ressources de main-d’œuvre qu’elle peut offrir, parce que ces diverses circonstances lui feront précisément préférer tel ou tel système de culture. Le propriétaire de bois doit agir de même ; il lui serait parfaitement inutile de connaître les différentes méthodes d’exploitation, les procédés de plantation les plus expéditifs, s’il ignorait d’ailleurs l’espèce de produits qu’il lui importe de créer, le choix des essences à propager. À opérer ainsi au hasard, il risquerait fort, malgré tous ses soins, d’avoir fait une mauvaise spéculation, et de se trouver finalement en perte.
Le point capital dans l’exploitation d’une forêt est la détermination de l’âge auquel les arbres doivent être abattus. En agriculture, l’époque de la récolte est déterminée d’une manière invariable par la maturité des produits de la terre. Un retard dans la moisson ne présente aucun avantage, et n’est au contraire jamais que préjudiciable. Pour les forêts, il n’en est pas de même. Dès l’âge de dix ans, les arbres peuvent être exploités et livrés au commerce ; mais, loin de se détériorer en restant sur pied, ils prospèrent jusqu’à deux cents ans et plus, augmentant chaque année de volume et de qualité. Entre ces deux limites extrêmes, quel est le moment précis où l’exploitation est la plus avantageuse pour le propriétaire, celui où elle répond le mieux aux besoins de la consommation ? Et ce point déterminé, vaudra-t-il mieux exploiter la forêt en une seule fois, sauf à rester ensuite pendant de longues années sans rien en retirer, ou bien sera-t-il préférable de pratiquer des coupes de manière à obtenir une production uniforme et continue ? L’étude de ces questions, qu’il importe tout d’abord de trancher, avant même de faire tomber un seul arbre sous la cognée, constitue la partie de la science forestière qu’on appelle l’aménagement des forêts. Au point de vue pratique, elle donne lieu à une opération qui a pour but de régler les exploitations dans le plus grand intérêt des propriétaires.
Suivant qu’elles appartiennent à des particuliers, à l’état ou à des communes, les forêts ont des exigences différentes à satisfaire, et ne sauraient par conséquent toujours être soumises au même régime. C’est l’analyse des principes qui doivent présidera l’exploitation en ces diverses circonstances que nous allons entreprendre ici. Elle présente du reste une opportunité toute particulière. Dans un document officiel d’une haute importance, relatif à l’exécution des grands travaux publics, on place en première ligne le reboisement des montagnes et le défrichement des plaines. Un projet de loi soumis au corps législatif a suivi de près cet appel à la sollicitude ministérielle. Si nous voulons éviter tout mécompte et recueillir de ces opérations tout le fruit qu’on est en droit d’en attendre, il importe de bien connaître les conditions dans lesquelles la production forestière est la plus profitable eu égard à la qualité du propriétaire.
Il existe, on le sait, pour les forêts deux systèmes d’exploitation, le taillis et la futaie. Le premier, basé sur la propriété qu’ont les souches de bois feuillus de produire des rejets, ne peut s’appliquer qu’à des arbres peu âgés ; il ne donne par conséquent que des bois de faibles dimensions et qui ne sont guère propres qu’au chauffage. La durée des révolutions[1] dépasse rarement trente ans, et resté le plus souvent bien au-dessous de ce terme. La futaie au contraire, destinée à fournir des bois de service et d’industrie, conduit à laisser les arbres sur pied jusqu’à un âge fort avancé ; elle correspond à un système de culture beaucoup plus perfectionné que le taillis, et donne des produits à la fois plus considérables et plus précieux[2]. Cette supériorité s’explique par la marche même de la végétation. Ce qui constitue le bois, ce sont les couches ligneuses successivement accumulées les unes sur les autres. Chaque année il se forme dans chaque arbre, entre l’écorce et le tronc, une couche nouvelle qui enveloppe complètement le végétal et le recouvre en quelque sorte, depuis l’extrémité des racines jusqu’au sommet des branches les plus faibles, d’un vêtement nouveau. C’est ce travail continu de la végétation qui, ajoutant d’année en année une nouvelle quantité de matière ligneuse au bois déjà existant, transforme après deux siècles le jeune plant qui vient de naître en un arbre majestueux qui répand autour de lui son ombrage. Ces couches annuelles sont faciles à distinguer les unes des autres, au moins dans la plupart des essences, et le nombre qu’on peut en compter fait naturellement connaître l’âge de l’arbre.
Cette formation toutefois n’est pas la même pour toutes les essences. Les unes, comme le pin, le peuplier, le saule, le tilleul et la plupart des bois blancs, ont une croissance très rapide dans leur jeunesse, mais qui se ralentit promptement. Les autres, comme le chêne, le hêtre, le charme, le sapin, croissent très lentement d’abord et ne commencent à se développer avec quelque vigueur qu’à partir d’un certain âge ; mais, tandis que les premières dépérissent de bonne heure, la végétation de ces dernières se soutient pendant fort longtemps. S’il y a donc avantage à soumettre les unes à de courtes révolutions, souvent même à les exploiter en taillis, il ne saurait en être de même des autres, du moins au point de vue de la production en matière, parce qu’en opérant ainsi on les ramènerait périodiquement à l’âge où l’accroissement est le plus faible, sans leur laisser jamais parcourir la phase où la végétation est pour elles le plus active. Ces essences, qui sont pour nous les plus importantes et les plus précieuses, demandent donc à être exploitées à de longues révolutions, car les produits qu’elles fournissent augmentent non-seulement de quantité, mais encore de qualité, à mesure que l’âge des arbres s’élève. Un chêne de deux cents ans, s’il a végété dans de bonnes conditions, peut donner jusqu’à 10 mètres cubes de bois valant 400 francs et plus ; coupé en taillis à chaque période de vingt-cinq ans, c’est-à-dire huit fois pendant ces deux siècles, il n’eût guère produit que trois stères de bois de feu d’une valeur de 30 francs.
Si le taillis est moins productif que la futaie, si sous le rapport cultural il présente sur cette dernière une infériorité bien constatée, il n’en est plus de même sous le rapport financier. En tenant compte en effet des capitaux engagés, on reconnaît qu’après tout le taillis correspond à un taux de placement plus avantageux que la futaie, et doit à ce titre être préféré par les particuliers. C’est facile à comprendre.
Ce qui détermine le taux de placement, ce n’est pas le revenu brut, mais le rapport entre ce revenu et le capital qui le produit ; toutes choses égales d’ailleurs, ce rapport sera d’autant plus élevé que le capital sera plus faible, et réciproquement. Or, pour qu’une forêt puisse être exploitée régulièrement à la révolution de deux cents ans, il faut que la superficie comprenne toute une série d’arbres âgés depuis un jusqu’à deux cents ans, et qu’elle représente par conséquent un capital beaucoup plus considérable que la forêt qui, exploitée à l’âge de vingt-cinq ans, ne renferme que des bois d’un à vingt-cinq ans. Il en résulte, et c’est d’ailleurs ce que confirme l’expérience, que le taux de placement est plus faible dans le premier cas que dans le second. Un particulier qui recherche avant tout l’emploi le plus lucratif de ses capitaux préférera donc toujours les révolutions les plus courtes ; rarement il sera conduit à les prolonger au-delà de quinze ans, terme qui correspond à un placement de 3 ou 3 1/2 pour 100, tandis que la futaie lui donnerait à peine 1 1/2 ou 2 pour 100. Son calcul est fort simple. Supposons qu’à l’âge de quinze ans l’hectare de bois vaille 500 francs ; la production moyenne sera la quinzième partie de cette somme ou 33 fr. : pour qu’il y ait bénéfice à différer l’exploitation jusqu’à la seizième année, il faudrait que pendant ce temps la valeur du bois, par le fait de la végétation, augmentât non-seulement de ces 33 francs de production annuelle, mais encore de l’intérêt des 500 francs qui n’ont pas été réalisés précédemment. En calculant ces intérêts à 3 pour 100, il faudrait qu’à seize ans l’hectare de bois valût 548 fr., faute de quoi le propriétaire ferait une mauvaise spéculation en les laissant sur pied une année de plus. Ainsi, adoptant dans toute sa rigueur l’opinion du poète anglais :
- The value of a thing,
- Is as much moncy as’t bring,
un particulier ne trouvera jamais avantage à cultiver des futaies, et sera fatalement poussé à détruire celles qu’il pourrait posséder, parce qu’il trouvera toujours pour le capital qu’elles représentent un placement plus avantageux. Il sera d’autant plus sollicité à cette opération que le prix des bois sera plus élevé, car l’importance du capital augmente en même temps que ce prix. Les propriétaires de bois se trouvent donc dans les mêmes conditions que ceux de l’agro romano, dont parle Sismondi, qui, tout compte fait, trouvent du bénéfice à se contenter du mince revenu de leurs pâturages, plutôt qu’à leur faire produire, à force de capitaux, du froment et des betteraves. Sous des formes diverses, c’est toujours la grande question du produit net et du produit brut, si digne à tous égards de l’attention des économistes.
La règle que nous venons de poser n’est cependant pas absolue, et sans parler des considérations de plaisir et d’agrément, suffisantes bien souvent, aux yeux du propriétaire, pour lui faire différer l’exploitation de ses bois, son intérêt bien entendu commande souvent d’y déroger. Se trouve-t-il au lendemain d’une révolution, comme celle de 1848 par exemple, au moment où les maîtres de forges, inquiets de l’avenir, ont éteint leurs fourneaux, où l’industrie du bâtiment a suspendu ses constructions, où les armateurs ont abandonné sur leurs chantiers les navires inachevés : que fera-t-il du produit de ses forêts ? Privé de débouchés, il ne peut s’en défaire qu’à des prix avilis, et s’il se décidait à vendre malgré cette dépréciation, il ne trouverait dans les entreprises industrielles ou commerciales du jour qu’un placement des plus aléatoires pour ses capitaux. Dans ces conditions, il est évidemment de son intérêt de laisser ses bois sur pied et d’attendre une heure plus favorable pour s’en défaire. Les arbres, continuant à croître et à végéter, lui donneront, quand les affaires auront repris quelque vigueur, un bénéfice qu’aucune autre spéculation n’aurait pu fournir avec la même sécurité. C’est ainsi qu’agira celui à qui ses ressources personnelles permettent d’attendre des temps meilleurs ; quant aux autres, ils vendront leurs bois, à quelque prix que ce soit, pour faire face aux exigences de leur position. S’agit-il au contraire d’un maître de forges pressé par des commandes : s’il lui faut 100,000 stères de bois pour faire marcher ses usines et s’il n’a pu s’en procurer que 50,000 dans le commerce, il faudra bien qu’il trouve le surplus dans ses propres forêts. Il peut ainsi être forcé de les couper bien avant qu’elles n’aient atteint leur plus grand accroissement, et s’imposer par cette exploitation anticipée un sacrifice quelquefois très onéreux ; mais il aimera mieux s’y résigner que de suspendre ses travaux. — Êtes-vous un père prudent et soucieux de l’avenir de vos enfans : plantez un terrain aujourd’hui stérile et sans valeur ; dans vingt ou trente ans, presque sans soin ni culture, vous aurez un bois. C’est une caisse d’épargne, dans laquelle une somme versée s’est transformée, par l’accumulation des intérêts, en un capital considérable. Venez-vous à mourir : cette forêt, partagée entre vos enfans, est abattue ou conservée suivant qu’ils ont ou non besoin de fonds, suivant qu’ils sont prodigues ou économes.
Ainsi ce qui caractérise la propriété privée en matière de forêts, c’est tout à la fois la faiblesse et l’irrégularité de la production ligneuse. L’insuffisance du taux de placement des capitaux qu’elle exige ne lui permet pas d’atteindre son maximum ; les fluctuations des fortunes particulières l’empêchent d’être uniforme. Ne tenant compte que des circonstances qui les touchent personnellement, les individus augmentent ou suspendent leurs exploitations le plus souvent sans se rendre compte des besoins de la consommation. Les lois de l’offre et de la demande, régulatrices infaillibles pour les produits qu’on peut créer rapidement, n’ont pas la puissance d’assurer un approvisionnement continu, quand il s’agit d’une matière qui ne peut suivre les oscillations du marché qu’à de longs intervalles. Ce n’est plus satisfaire à un besoin que d’y pourvoir un siècle seulement après qu’il s’est manifesté.
Pour garantir la société contre le danger d’être momentanément privée de bois, danger sérieux à l’époque où le combustible minéral était encore à peu près inconnu, où l’absence de routes et de canaux rendait les transports lointains impossibles, on multiplia les lois et les règlemens sur l’exploitation des forêts particulières. On apporta par là de nombreuses restrictions au droit des propriétaires ; mais alors on faisait bon marché des principes, et dès qu’il s’agissait de l’intérêt de tous, on passait outre : salas populi suprema lex. C’est ainsi que l’ordonnance de 1669, qui resta en vigueur ou à peu près jusqu’à la promulgation du code forestier, fixait l’âge auquel ces forêts pourraient être exploitées, le nombre de baliveaux à réserver dans les coupes, soumettait l’abatage des futaies à une déclaration préalable, autorisait l’administration de la marine à enlever les pièces propres aux constructions navales, ordonnait enfin aux officiers forestiers de veiller par des visites fréquentes à l’exécution de ces prescriptions. En 1827 seulement, on revint à des principes plus équitables : on supprima toutes ces mesures vexatoires, et, sauf la prohibition de les défricher sans autorisation, on fit, ou peu s’en faut, rentrer les forêts particulières dans le droit commun. Le martelage de la marine, qui avait été maintenu pendant une période de dix années après la promulgation du code forestier, n’est plus exercé depuis fort longtemps, et l’interdiction du défrichement elle-même se trouve aujourd’hui subordonnée à des cas spéciaux déterminés par la loi[3]. Hors de là, un propriétaire peut disposer de ses bois comme il l’entend, sans obéir à d’autres considérations que son intérêt ou son agrément.
Puisque ces mobiles, ainsi que nous venons de le voir, sont impuissans à garantir l’approvisionnement continu du marché en produits ligneux, et que la réglementation, complètement insuffisante dans ses résultats, est d’ailleurs contraire aux principes les plus élémentaires du droit public, il ne reste à la société d’autre ressource, si elle ne veut être exposée à manquer un jour de bois, que de se constituer elle-même propriétaire de forêts, et de se rendre à elle-même, par l’intermédiaire de l’état, un service que personne autre ne peut lui rendre. Cette nécessité est si universellement sentie que dans tous les pays de l’Europe, en France, en Allemagne, en Russie, en Angleterre même, une grande partie du sol boisé se trouve entre les mains de l’état, tandis que nulle part on ne voit celui-ci se faire cultivateur ou industriel[4] ; mais une pareille dérogation aux principes qui règlent les attributions gouvernementales ne peut se justifier qu’à une condition, c’est que l’état n’obéira point aux mêmes mobiles que les particuliers, car si, entre ses mains, la propriété forestière ne devait pas trouver la garantie de stabilité et de bonne administration que ceux-ci ne peuvent lui donner, il n’y aurait aucune raison de faire pour elle cette exception.
Le rôle de l’état est en effet tout différent de celui des particuliers. Si ceux-ci, comme producteurs, recherchent avec raison le plus grand profit pécuniaire possible, l’état ne doit agir que dans l’intérêt du consommateur. À une époque encore peu éloignée de nous, le souverain, propriétaire de tous les biens domaniaux, était maître d’en disposer comme il l’entendait et bénéficiait personnellement de leurs produits. Il n’en est plus ainsi ; l’état aujourd’hui, c’est la nation tout entière ; son intérêt, c’est l’intérêt de tous. Aussi doit-il, dans l’exploitation des forêts qui lui sont confiées, rechercher la production la plus considérable et la plus utile, résultat qui ne peut être atteint que par le régime de la futaie, le seul que comporte une culture intelligente et bien entendue. Ce n’est pas tout, il faut encore choisir la révolution la plus avantageuse. Quoique traitée en futaie, une forêt donne des produits fort différens si on l’exploite deux fois à l’âge de cent ans, au lieu de la laisser atteindre celui de deux cents. La préférence qu’on doit accorder à l’une ou à l’autre de ces révolutions dépend de la nature du sol, de la longévité des essences, de toutes les circonstances locales qui influent sur la végétation. Tandis que le chêne peut, dans les sols argileux et profonds, prospérer pendant trois siècles et plus, il ne dépasse guère cent cinquante ans dans les terrains calcaires ou siliceux ; les pins ne végètent pas au-delà de cent vingt ans, et les bois tendres périssent le plus souvent avant leur cinquantième année. En général, il vaut mieux reculer le terme de l’exploitation jusqu’au moment où la végétation commence à se ralentir, parce que c’est alors que l’accroissement annuel moyen est le plus considérable, et la production ligneuse portée au plus haut point.
À opérer ainsi, il y a double avantage. D’abord on satisfait aux besoins de la société en consacrant à la culture des bois la plus petite étendue possible, et l’on n’enlève point inutilement à l’agriculture des terrains dont elle pourrait tirer parti différemment. En second lieu, l’état reste dans la limite de ses attributions en ne demandant à ses forêts que les produits à l’égard desquels l’initiative individuelle est absolument impuissante. La futaie fournit surtout des pièces de fortes dimensions, propres aux constructions civiles et navales, aux arts, à l’industrie, par conséquent des produits tout différens de ceux qu’on peut obtenir avec le taillis, qui ne donne guère que du bois de feu. Si l’état exploitait ses forêts en taillis, il ferait donc aux particuliers propriétaires de bois une concurrence fâcheuse, et les pousserait même à renoncer à un genre de culture qu’ils sont déjà très enclins à abandonner.
Avec la futaie sans doute, le taux de placement est moins élevé qu’avec le taillis, mais par contre le revenu, envisagé d’une manière absolue, est beaucoup plus considérable ; pour la société, prise dans son ensemble, c’est le point essentiel. Que lui importe en effet le placement plus ou moins avantageux de son capital, puisqu’en définitive c’est elle-même qui paie les intérêts, et qu’elle donne d’une main ce qu’elle recueille de l’autre ? Supposons avec M. Tassy que le loyer des capitaux pût être supprimé sans que l’abondance de l’argent s’en ressentît, il est évident que la quantité des produits créés n’en serait nullement diminuée ; obtenus à de moindres frais, puisque l’un des élémens du prix de revient aurait disparu, ils s’adresseraient au contraire à un nombre plus considérable de consommateurs, qui profiteraient de cette baisse et par suite satisferaient à leurs besoins avec moins d’efforts. La société en général bénéficierait donc, non-seulement de tout ce que perdraient les capitalistes, mais encore de l’activité plus grande imprimée à la production. Ainsi le loyer des capitaux, qui donne d’ailleurs à ceux qui les possèdent des profits parfaitement légitimes, ne constitue pas une richesse nouvelle ; il modifie seulement en faveur des capitalistes la répartition du revenu social, mais il n’augmente pas ce revenu. Que conclure de là, sinon que l’état doit rechercher, non l’intérêt le plus élevé, mais bien la production la plus abondante ? Puisque les capitaux dont il dispose sont à tous, il ferait un mauvais calcul en les faisant valoir aux dépens de tous. C’est ainsi que lorsqu’il s’agit de percer une route, il ne se demande pas quel intérêt lui rapportera le capital qu’il va débourser, mais seulement si la richesse nouvelle que cette route développera dans les pays qu’elle doit traverser est en rapport avec les sacrifices qu’exigera cette construction. C’est pour le même motif que dans l’exploitation des forêts il ne doit avoir en vue que la satisfaction d’un besoin social, et non un placement plus ou moins fructueux pour ses capitaux[5].
Ces vérités si simples, exposées pour la première fois par Varenne de Fenille dans ses Mémoires sur l’administration des Forêts, publiés en 1792, ont cependant été méconnues pendant bien longtemps. En Allemagne, quoique généralement admises, elles trouvent encore des contradicteurs. L’un d’eux, M. Robert Pressler, professeur à l’université de Tharand, s’est fait, dans un ouvrage récent (Der rationnelle Waldwirth), le défenseur absolu du produit net contre le produit brut. Il trouve dans la situation particulière de son pays des argumens sérieux pour prouver que, comme les individus, l’état doit rechercher le plus grand profit pécuniaire possible et non la production la plus considérable, qu’il doit par conséquent exploiter ses forêts aux révolutions les plus courtes. — Les bois de grandes dimensions, dit-il, coûtent fort cher à établir, et le prix de revient, qui n’est autre que l’intérêt du capital engagé, en sera, quoi qu’on fasse, toujours supérieur à la valeur marchande. Cette culture laisse donc en perte le propriétaire qui l’entreprend, et constitue pour lui une véritable charge. Lorsque ce propriétaire est l’état, on conçoit à la rigueur qu’il se résigne à la supporter, puisqu’avant tout il faut pourvoir aux besoins de la consommation nationale ; mais alors il doit bien se garder de produire au-delà de ces besoins, parce qu’en livrant ses bois à l’exportation, il fait profiter d’autres nations des sacrifices qu’il s’impose. Le pays qui exporte doit donc se placer au point de vue du producteur, comme le ferait un simple particulier, et non plus au point de vue du consommateur ; ce serait jouer un rôle de dupe. C’est précisément le cas pour l’Allemagne, qui, exportant une grande quantité de produits ligneux, perd par cela même une partie des bénéfices que ses forêts lui donneraient, si l’exploitation en était réglée en vue du plus grand produit net. — Ce raisonnement est logique sans doute, mais il prouve uniquement que l’Allemagne est trop boisée pour sa population, et non qu’il y ait avantage à introduire dans ses forêts Un système de culture qui aurait pour effet d’en diminuer le rendement. En France, nous ne sommes pas dans les mêmes conditions ; la pénurie des bois de construction y est telle qu’ils entrent pour 61 millions dans les 83,700,000 francs de produits ligneux importés en 1858. Que deviendrions-nous si la théorie de M. Pressler venant à prévaloir, nous nous trouvions privés de cet appoint considérable à notre production indigène ? La Suède et la Norvège, qui jusqu’à présent nous fournissaient les sapins propres à la mâture des navires, commencent, dit-on, à s’épuiser, et c’est dans les Vosges que les constructeurs cherchent aujourd’hui à s’approvisionner. Nous devons donc prévoir le moment où, les bois étrangers nous faisant défaut, il faudra bien produire nous-mêmes ceux dont nous aurons besoin.
Enfin le sol boisé n’appartient pas exclusivement aux particuliers et à l’état : une partie considérable de l’étendue qu’il comprend se trouve entre les mains des communes[6]. Les principes qui doivent dans ce cas en diriger l’exploitation se modifient avec la condition de ce nouveau propriétaire, et ne sont plus absolument les mêmes que pour les forêts domaniales. L’état en effet n’a en vue que l’intérêt général et non pas seulement celui de telle ou telle localité, tandis que la commune ne doit s’occuper que d’elle-même et nullement de ses voisins. Sa sollicitude ne s’étend pas au-delà des limites de son territoire, et il y aurait injustice à lui imposer des sacrifices au profit de gens qui lui sont étrangers. Toutefois si à ce premier point de vue elle se rapproche de l’individu, sa qualité de corps moral et immuable lui impose d’un autre côté des obligations de même nature que celles de l’état. Cette situation complexe fait donc de l’intérêt communal un composé de deux intérêts, le particulier et le général, qui réclament l’un et l’autre une égale satisfaction. En n’écoutant que le premier, la commune trouverait avantage à exploiter ses forêts aux révolutions les plus courtes, à transformer ses futaies en taillis, souvent même à les défricher et à réaliser le capital qu’elles représentent ; mais elle ne pourrait le faire sans léser le second, qui lui interdit de spolier les générations futures d’une richesse qui lui a été transmise par les générations passées et dont elle n’est que dépositaire.
Ces données étant admises, on comprend que lorsqu’une forêt communale est en futaie, exploitée à une révolution normale, la commune ne doit sous aucun prétexte la transformer en taillis, ni diminuer par des coupes anticipées les ressources de l’avenir, et il est du devoir de l’état d’empêcher ces abus. S’il s’agit au contraire de forêts actuellement en taillis, il serait sans doute fort désirable de les convertir en futaie, puisque ce serait substituer à un traitement rudimentaire un mode de culture plus perfectionné et plus productif ; mais cette opération ne peut être effectuée que si la commune est assez riche pour supporter la réduction momentanée de revenu qui doit reconstituer le capital nécessaire, et c’est là malheureusement l’exception. Dans tous les cas, il serait inique d’imposer à la population actuelle, contre son gré, des sacrifices qui ne devraient profiter qu’à ses descendans. On n’en a pas toujours jugé ainsi, car à l’époque où l’on se croyait le droit de réglementer l’exploitation des forêts particulières, on faisait peu de cas de l’intérêt communal proprement dit, et on le sacrifiait sans pitié à l’intérêt général.
C’est ainsi que dès 1561 Charles IX, préoccupé de la disparition rapide des forêts du royaume, ordonna que le tiers des bois appartenant aux gens de mainmorte, bénéficiers et communautés, tant ecclésiastiques que laïques, serait mis en réserve pour croître en futaie. Un édit de 1573 réduisit au quart la contenance à réserver. La fameuse ordonnance de 1669 reproduisit cette disposition conservatrice, et c’est grâce à elle que la plupart des bois du clergé, qui en 1790 ont fait retour à l’état, présentaient des massifs de futaie souvent fort importans. Le code forestier de 1827, en prescrivant également la mise en réserve du quart des forêts communales, ne va pas cependant jusqu’à imposer aux communes, comme l’avait fait l’ordonnance de 1669, l’obligation de le laisser croître en futaie ; il les autorise au contraire à l’exploiter lorsqu’elles ont des besoins urgens à satisfaire, et qu’elles n’ont pas d’autre moyen d’y pourvoir. C’est là un acte de sage administration, qui, ne leur laissant que la libre disposition des trois quarts du produit de leurs forêts, constitue avec le surplus une épargne pour l’avenir, mais ne va pas jusqu’à sacrifier leurs légitimes exigences aux besoins généraux du pays.
On a pu se convaincre par ce qui précède que des différentes circonstances qui influent sur le mode de culture à appliquer aux forêts, et par conséquent sur la nature et la quantité des produits qu’elles peuvent fournir, il n’en est pas de plus importante que la qualité du propriétaire. Faible et irrégulière chez les particuliers, la production ligneuse trouve dans le caractère permanent de la commune des conditions qui lui permettent de se développer davantage ; mais ce n’est que dans les forêts de l’état qu’elle peut être portée au plus haut point. Comment, dans ces différens cas, doit se régler cette production ? C’est ce qu’il nous reste à examiner.
Si les particuliers ont quelquefois intérêt à exploiter leurs forêts sans ordre ni méthode, et sont conduits, suivant les exigences du moment, tantôt à restreindre, tantôt à augmenter l’étendue de leurs coupes, il n’en est pas de même de l’état et des communes, qui doivent avant tout s’astreindre à en retirer annuellement la même quantité de matière ligneuse. Puisque la société a toujours besoin de bois, il faut que le marché en soit constamment pourvu, et il ne peut l’être qu’avec une production constante et uniforme. Régler les exploitations de manière à garantir cette continuité, c’est ce qui s’appelle fixer la possibilité d’une forêt. Cette opération n’est pas moins importante pour le propriétaire, à qui elle assure un revenu régulier, que pour la société, qu’elle met à l’abri de la privation éventuelle des bois dont elle a besoin.
Dans les taillis, la fixation de la possibilité est fort simple. La régénération de la forêt s’effectuant par les souches, on peut, sans craindre d’en compromettre la perpétuation, asseoir les coupes de proche en proche, et y abattre, sauf les réserves, tous les arbres qui forment la superficie. Si donc on a une forêt de 100 hectares à exploiter à la révolution de vingt-cinq ans, il suffira d’en couper chaque année la vingt-cinquième partie, ou Il hectares, pour que le roulement s’établisse d’une manière continue. Les parties qui arriveront successivement en tour d’exploitation présenteront toujours des bois âgés de vingt-cinq ans, qui donneront des produits en matière, et par suite en argent, sensiblement égaux, si le sol a partout à peu près la même fertilité. Cela s’appelle mettre une forêt en coupes réglées, mot qui a passé dans la langue usuelle pour désigner des opérations qui donnent des revenus réguliers. La plupart des forêts des environs de Paris, celles de Saint-Germain, de Marly, de Meudon, de Verrières, sont exploitées de cette façon à des révolutions de vingt-cinq et trente ans : il en était de même des bois de Boulogne et de Vincennes avant leur transformation en promenade publique. Aujourd’hui on laisse dans ceux-ci les arbres se développer en toute liberté, et au lieu de les couper périodiquement, on se borne à extraire ça et là ceux qui viennent à périr avant l’âge. Pour ne parler que de la question d’agrément, il est à regretter que ces diverses forêts, si fréquentées par les étrangers et la population parisienne, n’aient pas toujours été soumises au régime de la futaie.
Dans les futaies, la détermination de la possibilité est plus compliquée, parce que la régénération de la forêt s’opérant par les semences et non plus par les souches, il devient impossible d’asseoir régulièrement les coupes de proche en proche, et par conséquent de les faire porter chaque année sur une étendue déterminée à l’avance. L’exploitation des futaies comporte en effet trois coupes successives. Lorsqu’un massif a atteint l’âge fixé par la révolution, on commence par enlever, une partie des arbres qui le composent, de manière à permettre à ceux qu’on laisse sur pied d’ensemencer le sol au moyen des graines qu’ils produisent et qui se disséminent naturellement ; c’est la coupe sombre. Une fois l’ensemencement fait, on abat une partie des arbres précédemment conservés, afin d’habituer peu à peu le jeune recru à l’action de la lumière ; c’est la coupe claire. Enfin, quand la nouvelle forêt est assez vigoureuse pour n’avoir plus rien à redouter des influences atmosphériques, on procède à la coupe définitive, qui consiste dans l’extraction des derniers arbres laissés sur pied. Ces diverses opérations qui demandent beaucoup d’habileté se succèdent à des intervalles indéterminés, suivant qu’elles sont jugées plus ou moins urgentes. Ici c’est une jeune forêt qu’il faut débarrasser des réserves qui l’écrasent ; plus loin c’est un semis qui menace de s’étioler, si l’on ne se hâte de lui donner de l’air et de la lumière ; ailleurs c’est un massif arrivé à maturité dont il faut commencer la régénération. Ces exploitations si variées et si imprévues ne pouvant pas rentrer dans le cadre régulier des coupes opérées par contenance, il a fallu baser la possibilité sur le volume et non plus sur l’étendue. Ce n’est donc plus en hectares, mais seulement en mètres cubes ou en stères de bois qu’il devient possible d’exprimer dans les futaies l’importance des exploitations.
Chaque année, nous l’avons dit, une couche nouvelle vient dans chaque arbre se superposer aux précédentes, et ajouter un certain nombre de mètres cubes de matière ligneuse à ceux qui constituent la superficie. Tant qu’on aura soin de ne pas enlever plus de bois qu’il ne s’en forme ainsi annuellement, la production se maintiendra au même niveau : c’est un capital dont les conditions de placement ne varient pas, et qui continue à produire toujours les mêmes intérêts ; mais que l’on vienne à en exploiter davantage, on entame ce capital, qui, donnant par cela même d’année en année moins de revenu, finit par s’épuiser complètement. Qu’on reste au contraire au-dessous de cette production, le matériel non réalisé va en s’accumulant insensiblement, les arbres inexploités arrivent tour à tour à maturité, et périssent sur pied sans profit pour personne. Ainsi c’est l’accroissement annuel d’une forêt qui mesure d’une manière précise la quantité de bois qu’on peut y couper sans qu’elle se détériore, et qui en détermine par conséquent la possibilité. Voici comment on la calcule.
Si nous nous trouvons par exemple en présence d’un massif âgé de vingt ans, il sera facile, soit par des procédés spéciaux de cubage, soit en faisant abattre et débiter en stères une partie des arbres qui le composent, de connaître exactement le volume de bois que comprend un hectare ; la vingtième partie de ce volume exprimera évidemment le nombre de mètres cubes de bois dont un hectare de ce massif s’est accru pendant chacune de ces vingt années, c’est-à-dire l’accroissement moyen par hectare à l’âge de vingt ans. Ces cubages répétés sur les bois de tous âges font de même connaître l’accroissement de chacun des massifs de la forêt, et dès lors celui de la forêt tout entière. On sait par là de combien le matériel s’augmente tous les ans, et par suite combien on peut en enlever sans modifier les conditions de production.
En Allemagne, on met à cette opération les plus grands soins, car elle intéresse au plus haut point les finances de la plupart des états qui composent la confédération germanique. Les forêts en effet y sont la principale source de revenu ; si la possibilité n’en était pas calculée d’une manière précise, il serait à craindre que les exploitations ne pussent s’y succéder indéfiniment sans danger pour la fortune publique. Cette préoccupation de l’avenir s’est manifestée dans ces pays par des études approfondies sur la production ligneuse ; des expériences nombreuses ont été faites, et des tables indiquant la marche de la végétation de chaque essence dans les différens sols ont été dressées pour presque toutes les forêts. Les plus connues de ces tables sont celles de Cotta ; elles sont relatives à la Saxe et ont été reproduites, converties en mesures françaises, par M. de Salomon dans son Traité d’aménagement. Quoiqu’elles soient fort en usage, les praticiens d’outre-Rhin prétendent cependant qu’elles donnent des chiffres trop faibles. M. Chevandier nous a également fait connaître celles qui ont été publiées par l’administration forestière du duché de Bade et qui sont employées dans ce pays. Enfin le docteur Pfeil a consigné dans son ouvrage sur la sylviculture pratique, le résultat des expériences faites dans les forêts de la Prusse. C’est en consultant ces tables qu’on peut se faire une idée exacte de la végétation des arbres ; comme elle y est exprimée par des chiffres, on se trouve à l’abri des illusions auxquelles on est si souvent exposé quand on parcourt les forêts. Tandis que dans un sol de qualité moyenne le volume d’un hectare de pins âgés de vingt ans dépasse 80 mètres cubes, il ne s’élève qu’à 24 dans un terrain maigre. C’est à l’âge de soixante-dix ans que cette essence atteint son maximum d’accroissement moyen ; elle donne à ce moment, dans le sol sablonneux des plaines de la Prusse, un accroissement annuel de près de 5 mètres cubes, un volume total de 311 mètres cubes environ par hectare. Au-delà de cet âge, ce volume va bien toujours en augmentant, puisque la végétation produit chaque année de nouveau bois, mais l’accroissement moyen diminue ; à quatre-vingts ans par exemple, le volume par hectare est de 335 mètres cubes, mais la production annuelle moyenne n’est plus que de Il mètres cubes, c’est-à-dire inférieure à ce qu’elle est à soixante-dix : d’où il suit que si l’on veut obtenir les plus grands produits en matière, c’est à ce dernier âge qu’il faut pratiquer F exploitation. Pour les hêtres, le maximum est atteint à cent vingt ans ; la production annuelle moyenne est alors de plus de 5 mètres cubes, et le volume total de 633 mètres cubes par hectare. Les chênes veulent être conduits plus loin encore ; il est rare qu’il soit avantageux de les exploiter avant l’âge de cent cinquante ans, et souvent on a intérêt à prolonger ce terme bien au-delà.
Ces expériences n’ont pas seulement eu pour but de déterminer le volume des bois aux différens âges, elles ont encore servi à faire connaître dans une même essence la proportion des diverses parties de l’arbre. C’est important à savoir, car toutes ces parties n’ont pas la même valeur ; la tige, qui est propre à la charpente et à l’industrie, est beaucoup plus précieuse que les branches, qui ne donnent que du bois de chauffage. Ces proportions varient suivant les conditions dans lesquelles la végétation a eu lieu : lorsque les arbres croissent en massif, les branches prennent moins de développement que lorsqu’ils sont isolés ; mais, toutes choses égales d’ailleurs, la tige est plus forte dans les chênes que dans les hêtres, et dans les pins que dans les chênes. On conçoit combien ces renseignemens sont utiles et combien ils peuvent contribuer aux- progrès de la culture forestière. Tout cultivateur sait ce que chaque hectare lui donne de blé et de paille, est-il moins important pour le sylviculteur de connaître le rendement en bois ? n’est-ce pas au contraire la première chose dont il devrait s’enquérir pour se rendre compte du bénéfice de son entreprise ? Cependant nous n’avons en France rien de précis à cet égard, et nous sommes le plus souvent obligés d’avoir recours aux tables allemandes, qui ne conviennent qu’imparfaitement au sol et au climat de notre pays[7].
La possibilité dans les futaies ne se détermine cependant pas toujours ainsi que nous venons de le dire. On a pensé avec raison que le plus souvent une égalité mathématique des produits d’une année à l’autre n’est que d’une importance secondaire, et que le point essentiel dans un aménagement, c’est, tout en évitant des variations trop sensibles, d’assurer l’ordre et la régularité des opérations, On arrive à ce résultat en combinant la possibilité par volume avec la possibilité par contenance, de manière à localiser les exploitations pendant un laps de temps donné, dans une partie déterminée de la forêt. Cette méthode, à laquelle M. Parade a su donner le cachet de netteté et de rigueur qui caractérise son esprit, est connue sous le nom de méthode simplifiée. L’application en est des plus faciles. Elle repose sur les mêmes principes que celle qui est employée dans les taillis, avec cette différence qu’au lieu de préciser à l’avance l’étendue à exploiter chaque année, on affecte une partie de la forêt aux opérations à exécuter pendant plusieurs années, de manière à ce qu’on puisse se mouvoir dans des limites moins étroites pour asseoir les coupes jugées nécessaires.
Si l’on a par exemple une forêt aménagée à la révolution de cent ans, on concentrera pendant vingt années les exploitations sur les parties âgées aujourd’hui de quatre-vingts à cent ans, sans s’occuper du surplus de la forêt autrement que pour y favoriser la croissance et le développement des arbres. Au bout de ces vingt années, lorsque tous ces vieux bois auront été abattus et qu’ils auront fait place à une nouvelle forêt, on portera les coupes sur les parties voisines qui, ayant aujourd’hui de soixante à quatre-vingts ans, en auront alors de quatre-vingts à cent, et seront devenues exploitables à leur tour. On opère ainsi de vingt ans en vingt ans, coupant pendant chacune de ces périodes les bois les plus âgés, qui laissent après eux de jeunes semis pour les remplacer. Lorsque la révolution est expirée, la forêt tout entière, ayant été exploitée, se trouve reconstituée dans son état primitif, avec la série complète de bois âgés depuis un jusqu’à cent ans. En procédant ainsi, il suffit, on le voit, de calculer la possibilité pour vingt années seulement au début de chaque nouvelle période, et de connaître par conséquent le nombre de mètres cubes que donnent les arbres de quatre-vingts à cent ans qui devront tomber pendant ce laps de temps. La possibilité annuelle sera la vingtième partie de ce nombre. Cette estimation se fait soit à vue d’œil, soit au moyen d’instrumens spéciaux qui, donnant le diamètre et la hauteur de chaque, arbre permettent d’en déterminer exactement le volume. Toutes ces opérations sont fort simples, mais elles exigent un peu d’habitude. Quand on a suivi quelques exploitations, qu’on a vu abattre les arbres, équarrir les tiges, façonner les branches en bois de feu, confectionner les bourrées, on arrive rapidement à acquérir un coup d’œil très sûr, et, comme la plupart des gardes et des marchands de bois, à dire, à la seule inspection d’un arbre sur pied, la quantité de matière ligneuse qu’il représente, les usages auxquels il est propre, et par suite le prix qu’on en pourrait obtenir d’après l’état du marché.
Pour que l’aménagement d’une forêt soit complet, il ne suffit pas de connaître la quantité de bois qu’on peut y prendre chaque année sans en compromettre la production future ; il faut encore que les coupes ne soient pas portées au hasard sur les différens points. La régularisation des massifs boisés et la graduation des âges, tel est le but qu’on ne doit jamais perdre de vue. Une forêt n’est en effet dans son état normal que lorsqu’elle présente dans toutes ses parties un peuplement uniforme et complet, et qu’elle comprend, se succédant de proche en proche, sans interruption, les bois de tous les âges, depuis le brin naissant jusqu’à l’arbre prêt à tomber. C’est alors seulement qu’elle se trouve dans les meilleures conditions de végétation, parce que des arbres de toutes dimensions irrégulièrement mélangés se gênent dans leur croissance, et l’on ne peut diminuer le mal que font les exploitations aux massifs voisins qu’en les concentrant sur un même point, au lieu de les disséminer dans les différentes parties de la forêt. On arrive à cette régularité désirable au moyen d’un plan d’exploitation qui, en faisant connaître l’époque où chacune de ces parties sera régénérée, les repeuplemens artificiels à effectuer, permet de graduer convenablement les âges, d’approprier les essences à la nature du sol, d’exécuter en temps opportun tous les travaux nécessaires pour augmenter la production ligneuse. C’est par ce moyen seulement qu’on aura une forêt exploitée avec ordre et méthode, et qu’on saura pour combien elle doit compter dans le bilan de la fortune nationale.
L’aménagement est donc une opération fort complexe qui, touchant à la fois aux questions économiques et aux questions culturales, a été jugée assez importante par le législateur pour qu’il ait cru devoir réserver au chef de l’état le soin de la sanctionner dans les forêts domaniales comme dans les forêts communales. Nous espérons avoir réussi à montrer en quoi elle consiste, et à faire comprendre, contrairement à l’opinion reçue, que l’expression la plus élevée de la richesse forestière n’est pas précisément la forêt vierge, mais la forêt cultivée et exploitée suivant les prescriptions de la science. Une telle opinion pourra n’être pas adoptée par ceux qui, se plaçant au point de vue essentiellement pittoresque, n’aiment que le spectacle grandiose d’une végétation désordonnée. Que de clameurs n’ont point soulevées quelques serais de pins faits dans les gorges de Franchard et d’Apremont de la forêt de Fontainebleau ! C’était dépouiller de toute poésie ces âpres solitudes, et enlever à ces amas de roches entassées les unes sur les autres le caractère sauvage qui faisait leur beauté. C’est l’avenir de l’art, lui-même qu’on invoquait contre un pareil sacrilège. Nous l’avouerons en toute humilité, nous sommes de ceux qui pensent qu’avant de rêver il faut vivre, et devant l’énorme quantité de bois dont nous avons besoin, nous ne nous sentons pas le courage de demander qu’on laisse les arbres de nos forêts tomber de vétusté ; en entendant la branche morte craquer dans le sentier, nous pensons malgré nous à tant de pauvres diables qui, faute de feu, soufflent dans leurs doigts. Il s’en faut d’ailleurs qu’une forêt perde son cachet imposant, pour être soumise à des exploitations régulières. Dominée par l’homme, la nature est parfois plus belle qu’abandonnée à elle-même.
Il y a peu de peuples d’une nature plus rêveuse et plus poétique que les Allemands, et il n’y en a pas qui aiment mieux leurs forêts ; c’est en les soignant, en les cultivant, qu’ils témoignent de leur amour, et ne se croient pas des barbares pour en tirer des produits annuels. Ce sentiment est si prononcé chez eux qu’ils savent, dit-on, plus de gré au grand Frédéric du soin qu’il a donné aux forêts que de toutes les victoires qu’il a remportées. C’est en effet du règne de ce prince que datent en Allemagne les premiers aménagemens ; ils ont été exécutés vers 1740 à l’occasion d’un inventaire général de la fortune publique. Depuis cette époque, ces opérations se sont poursuivies avec une telle persévérance que toutes les forêts, — nous parlons des forêts domaniales, — sont aujourd’hui aménagées, et qu’il existe dans chaque état un personnel spécial chargé de vérifier si ces aménagemens sont rigoureusement exécutés.
En France, nous sommes loin d’être aussi avancés que nos voisins. Colbert, il est vrai, avant l’ordonnance de 1669, avait fait opérer la réformation de toutes les forêts du royaume. Il avait envoyé dans les provinces des commissaires généraux qui avaient fixé la durée des révolutions et prescrit des règlemens d’exploitation pour chacune d’elles. Ces règlemens, sanctionnés par des arrêts du conseil du roi, sont aujourd’hui insuffisans, puisqu’ils ne sauraient s’appliquer à des forêts exploitées par la méthode actuelle. Dans la discussion du code forestier en 1827, M. de Bouthillier, alors directeur-général, annonça qu’il faudrait procéder à la révision de tous ces aménagemens, et l’ordonnance réglementaire alla jusqu’à prescrire que ces travaux fussent faits dans l’année. Il s’en faut de beaucoup que cette prescription ait reçu son exécution. On trouve en effet dans le rapport adressé par M. de Forcade, directeur-général des forêts, au ministre des finances, le 20 février 1860, que, de 1827 à 1859, 361,654 hectares seulement de forêts domaniales ont été aménagés, dont 154,375 hectares en futaie pleine et 207,279 hectares en taillis sous futaie. Plus de 700,000 hectares sont donc encore aujourd’hui exploités soit suivant certains usages locaux, soit en vertu d’anciens règlemens non abrogés. Quant aux communes, les forêts aménagées sont l’exception. Depuis quelques années cependant, on commence à sentir tout ce que cette situation a d’anomal, et l’on a donné à ces opérations une impulsion nouvelle. L’aménagement de 60,000 hectares est aujourd’hui en cours d’exécution, et selon toute probabilité nous n’aurons bientôt plus rien à envier sous ce rapport à l’Allemagne.
À n’envisager que le produit en argent, nous avons déjà l’avantage, car, sauf en Saxe, le produit net par hectare est partout inférieur à ce qu’il est en France. Si en effet l’on ne tient pas compte du capital bois engagé dans la superficie, et si l’on calcule le revenu net en déduisant seulement du revenu brut les frais d’entretien et d’administration, on trouve que ce revenu par hectare est chez nous d’environ 25 fr., tandis qu’il s’élève en Saxe à 26 fr. 30 c ; les frais d’administration y sont de 40 pour 100 du produit brut, tandis qu’en France ils n’atteignent pas à 20 pour 100. En Wurtemberg, le produit net est d’environ 13 fr., et en Prusse il ne dépasse pas 6 fr. ; les frais de toute nature s’élèvent à 50 pour 100 du produit brut[8] ; la faiblesse de ces chiffrés doit être attribuée à ce que dans ces pays on délivre annuellement soit à des usagers, soit aux classes nécessiteuses, une certaine quantité de bois au-dessous de sa valeur réelle. Ce revenu, si peu considérable déjà, le serait moins encore, si l’on tenait compte du capital bois engagé dans l’exploitation de ces forêts, et si l’on ajoutait aux dépenses de gestion et d’entretien l’intérêt de la valeur du sol et de la superficie. En n’estimant le sol qu’à 150 francs l’hectare, dans bien des cas les forêts donneraient à peine un revenu de 1/2 pour 100. M. Robert Pressler a calculé qu’une forêt de pins aménagée à quatre-vingts ans ne rapporte guère que 1,8 pour 100 du capital sol et superficie qu’elle représente ; une forêt d’épicéas aménagée à cent ans, 1,6 pour 100 ; une forêt de hêtres à cent vingt ans, 1,4 pour 100.
Ces chiffres prouvent, comme nous l’avons déjà remarqué, que ces pays sont trop boisés pour la population ; les forêts recouvrent en Bavière et dans le duché de Bade les 32 centièmes de la superficie totale ; en Prusse, les 23 centièmes ; en France, les 16 centièmes seulement. Cette étendue serait plus que suffisante pour satisfaire à nos besoins, si l’exploitation en était réglée en vue de la plus grande production en matière ; mais il s’en faut de beaucoup qu’il en soit ainsi, puisque nous importons chaque année pour 70 millions de produits ligneux de plus que nous n’en exportons. D’après M. Tassy, la production actuelle de nos forêts, qui n’atteint pas 38 millions de mètres cubes, pourrait, par un traitement plus rationnel, être portée à 51 millions, dont moitié au moins serait propre à l’industrie. Ce serait un revenu annuel de 678 millions de francs, supérieur de près de 300 millions au revenu actuel ? 300 millions, telle est la plus-value annuelle que nous donnerait la simple substitution du régime de la futaie à celui du taillis[9]. Et si nous nous demandons à la création de quelles richesses peut contribuer cette énorme quantité de matière ligneuse, ce sera bien autre chose encore. Il n’est pas en effet une industrie qui n’ait besoin de bois, et qui ne fût immédiatement arrêtée si elle s’en trouvait privée. Les chemins de fer seuls ont absorbé rien qu’en traverses 1,800,000 mètres cubes, et en exigent annuellement 180,000 pour leur entretien ; la marine militaire emploie à peu près 80,000 mètres cubes chaque année, et la marine marchande au moins autant ; les constructions civiles en consomment 1,600,000, et nos établissemens métallurgiques environ 7,000,000. Joignez à cela la consommation personnelle pour les besoins domestiques, et vous aurez une idée de l’immense quantité de bois qu’exige un pays comme la France. D’après le procès-verbal de l’enquête sur l’industrie parisienne, faite en 1847 par les soins de la chambre de commerce, la valeur des produits créés par les industries qui employaient le bois comme matière première s’élevait à 101,516,026 francs à Paris seulement ; dans cet immense atelier, la charpenterie occupait le vingtième rang, la carrosserie le seizième, l’industrie du bâtiment le neuvième, l’ébénisterie le huitième. Le nombre des patrons et ouvriers occupés à la manipulation du bois dépassait trente-cinq mille ; il a plus que triplé depuis cette époque.
Pour faire face à cette consommation prodigieuse et toujours croissante, il faudrait que la plus grande partie de nos forêts fussent traitées en futaie, et cependant c’est à peine si le quart de leur étendue totale est soumis à ce régime. Nous savons, il est vrai, qu’il ne peut convenir aux particuliers, incessamment tourmentés par des exigences nouvelles et exposés à toutes les incertitudes du lendemain ; mais au moins devrait-il constituer le traitement normal dans les forêts de l’état et dans celles des communes. Propriétaires immuables, ils n’ont rien à redouter de l’avenir, ils n’ont pas de besoins imprévus à satisfaire, et ne craignent pas de voir leurs biens se morceler entre les mains de leurs héritiers ; ils pourraient donc en toute sécurité, sans se préoccuper du taux de placement de leurs capitaux, rechercher dans l’intérêt de tous la plus grande production possible.
Malheureusement l’administration des forêts, qui dépend chez nous du ministère des finances, a été quelquefois conduite à sacrifier la question culturale à la question financière. Considérée comme un aliment exclusif du budget, au même titre que les postes ou les contributions, la propriété forestière a été soumise à toutes les conditions fiscales des diverses branches du revenu public. On ne lui a pas demandé de fournir les produits les plus considérables et les plus utiles, mais de donner le bénéfice pécuniaire le plus grand, et, en se plaçant ainsi spontanément dans les mêmes conditions que les particuliers, on a été conduit aux mêmes conséquences. On continuait à traiter en taillis les forêts qui s’y trouvaient déjà, et, méconnaissant le principe même sur lequel repose la propriété de l’état, on allait jusqu’à transformer en taillis des futaies existantes. On réalisait, il est vrai, par cette opération, un capital plus ou moins considérable, mais on diminuait en même temps la production future, privant ainsi les générations à venir d’un bien dont on n’avait pas le droit de disposer. Tout montre cependant qu’on commence à mieux comprendre le véritable intérêt de la chose publique. D’un côté, à la suite d’un rapport de M. le ministre des finances, le corps législatif est en ce moment saisi d’un projet de loi sur le reboisement des montagnes[10] ; de l’autre, grâce aux efforts de MM. Lorentz et Parade, la supériorité de la futaie n’est plus contestée. L’on se rend mieux compte des attributions et des devoirs de l’état, et l’on ne croit plus que la culture des forêts confiées à sa gestion est d’autant plus parfaite qu’elle se rapproche davantage du système adopté par les particuliers[11].
Au lieu de convertir des futaies en taillis, c’est l’opération inverse qu’on pratique aujourd’hui, et cette tendance, il faut l’espérer, ne s’arrêtera que lorsque toutes les forêts de l’état seront transformées en futaies. Les communes, de leur côté, devraient bien suivre cet exemple, elles y ont tout intérêt ; mais l’exiguïté des ressources de la plupart d’entre elles leur permet difficilement de supporter la réduction momentanée de revenu qu’impose cette substitution de traitement. Il serait possible cependant d’y procéder graduellement, et sans trop léser la génération présente au profit de l’avenir ; il suffirait de consacrer d’abord à la futaie le quart de chaque forêt, qui, suivant le vœu du législateur, est destiné à former une réserve. Une fois cette portion convertie, on procéderait de même sur un second quart, jusqu’à la transformation complète et absolue de toute la forêt. On trouverait à cela un grand avantage, parce que non-seulement on accroîtrait le volume annuellement produit, mais l’augmentation porterait surtout sur les bois de construction et d’industrie, dont le prix s’accroît tous les jours. En comparant en effet le prix de ces bois dans les différentes régions de la France à diverses époques, on peut s’assurer que cette augmentation est un fait sans exception. Dans la plupart des départemens, ce prix est double aujourd’hui de ce qu’il était il y a quarante ans. Il n’en est pas de même du bois de chauffage, dont le prix est resté à peu près uniforme, ou même a diminué dans presque tout le bassin d’approvisionnement de Paris. Il n’a augmenté sur certains points que par suite de circonstances exceptionnelles, telles que la création de routes ou de chemins de fer. Puisque le régime du taillis ne donne en général que du bois de feu, et que la futaie seule peut produire du bois de service et d’industrie, une commune n’a point à hésiter sur le choix du traitement applicable à ses forêts, quand elle est en position de pouvoir opter.
La science forestière n’est malheureusement guère plus connue aujourd’hui que du temps de Buffon, qui dès 1774 se plaignait de l’ignorance du public à cet égard. « Il serait naturel, disait-il dans un mémoire adressé à l’Académie des Sciences, de penser que les hommes ont donné quelque attention à la culture du bois ; cependant rien n’est moins connu, rien n’est plus négligé. Le bois paraît être un présent de la nature qu’il suffit de recevoir tel qu’il sort de ses mains… On ignore jusqu’aux moyens les plus simples de conserver les forêts et d’augmenter leurs produits. » Il serait temps ce pendant de nous y mettre, de chercher à augmenter la production ligneuse par l’emploi de méthodes de plus en plus perfectionnées, et d’étendre, par l’amélioration de nos massifs, les ressources forestières dont pourront disposer ceux qui viendront après nous. C’est là précisément le but de la sylviculture, qui contribue à ce titre, dans une certaine mesure, aux progrès de la civilisation. Et ce rôle n’est point sans importance. Le progrès en effet n’est pas autre chose qu’un accroissement continu de capitaux soit matériels, soit moraux. Une génération laisse-t-elle plus de capitaux accumulés qu’elle n’en a reçu, elle a fait avancer l’humanité et contribué à notre émancipation ; en a-t-elle consommé plus qu’elle n’en a produit, son bilan se solde par un déficit, elle a spolié d’autant la génération suivante et retardé sa marche dans le progrès. Si nos descendans ne devaient pas trouver des forêts plus productives, mieux cultivées, mieux distribuées sur la surface du pays que nous ne les avons trouvées nous-mêmes, nous manquerions à nos devoirs envers eux. Les principes qu’on vient de développer nous apprennent à quelles conditions ce résultat peut être atteint.
J. CLAVE.
- ↑ La révolution est le nombre d’années fixé pour l’exploitation d’une forêt. C’est donc elle qui détermine l’âge auquel les arbres seront abattus.
- ↑ Voyez à ce sujet la Revue du 15 janvier 1860, la Sylviculture en France et en Allemagne.
- ↑ Loi du 19 juin 1859.
- ↑ Il a été question à différentes époques, notamment sous la restauration, d’abandonner l’exploitation des forêts domaniales à des compagnies particulières. Il est facile de comprendre, par ce que nous avons dit, combien peu une pareille combinaison était praticable, et de se faire une idée des complications administratives qu’un contrôle sérieux eût amenées. Une proposition de cette nature n’a pu émaner que de spéculateurs qui espéraient s’enrichir aux dépens de la fortune publique, ou de certains fanatiques du self-government qui, faute de le bien comprendre, tombaient précisément dans l’écueil qu’ils voulaient éviter.
- ↑ Ces principes tranchent une grave question. Dans des circonstances données, i’état ne doit-il pas avoir égard aux exigences de certaines industries locales, et ne conviendrait-il point par exemple de traiter en taillis des forêts situées à proximité des établissemens métallurgiques, parce qu’ils ont besoin pour marcher de bois à charbon ? L’état, répétons-le, est le représentant de l’intérêt général ; adopter au profit de quelques individus un traitement que cet intérêt réprouve, c’est sacrifier celui-ci à l’intérêt particulier et introduire en quelque sorte le système protecteur dans la culture des bois.
- ↑ Voici approximativement la distribution du sol forestier en France :
hectares 1° Aux particuliers 5,500,000 2° Aux communes et aux établissemens publics 1,900,000 3° A l’état, y compris le domaine de la couronne 1,100,000 Total 8,500,000 - ↑ « Il serait très désirable, dit M. Tassy, que l’on s’occupât activement de la formation de tables de production indiquant, pour les conditions déterminées de végétation, la marche de l’accroissement des principales essences de notre pays. Il ne le serait pas moins qu’on établît par des expériences consciencieuses l’influence que l’âge, le sol, le climat et le mode d’exploitation exercent sur les qualités de ces essences. Le chêne de la Meurthe est moins estimé pour le chauffage que celui de la Bourgogne : en sait-on la raison ? Le chêne du nord dure, dit-on, beaucoup moins que celui du midi ; on assure que des vaisseaux construits avec le premier sont hors de service au bout de sept ou huit ans, tandis que ceux qui sont construits avec du bois de Provence se conservent plus de quinze ans. Ce sont la des assertions à vérifier. Quels services l’administration ne rendrait-elle pas à l’état, au commerce, a l’industrie, si elle pouvait dire : dans cette région le bois est propre à tel usage ; il se distingue dans celle-ci par telle qualité ! »
- ↑ D’après une statistique officielle publiée tous les ans à Berlin Taschenbuch fur Forst und Jagdmänner, chez Julius Springer, l’étendue des forêts domaniales en Prusse serait de 2,016,490 hectares
fr. produisant 23,718,750 Les frais s’élèvent à 11,403,375 Il reste comme produit net 12,225,375
ou environ 6 francs par hectare. - ↑
fr. fr. Le produit total des forêts domaniales en 1858 a été de 32,217,979 La contribution payée par les communes pour frais d’administration est de 1,800,000 34,017,979 Les dépenses se répartissent ainsi qu’il suit : Administration centrale 240,700 Personnel actif 4,610,300 Améliorations, repeuplemens 2,023,000 Dépenses diverses 752,500 7,626,500 Il reste comme produit net 26,391,479
soit environ 25 fr. par hectare pour 1,077,000 hectares de forêts domaniales. - ↑ Voyez la Revue du 1er février 1859 sur le Reboisement et le Régime des eaux.
- ↑ Au 1er janvier 1858, la contenance totale du domaine forestier de l’état était distribuée ainsi qu’il suit :
hectares 1° Taillis sous futaies 493,874. 2° Futaies feuillues 193,091 3° Futaies résineuses 152,646 4° Futaies mélangées 90,518 5° Taillis en cours de conversion en futaies 106,201 6° Vides non compris dans les aménagemens 40,716 Total 1,077,046
Rapport du directeur-général des forêts au ministre des finances du 20 février 1860.