Étude sur le corset/Chapitre 3


CHAPITRE III


Influence sur les parois thoraciques et abdominales

Arnould, dans son Traité d’hygiène, nous dit : « L’hygiène a toujours le droit de demander que le vêtement féminin ou masculin ne comporte pas de ligatures ni de constriction localisées ou étendues, compromettant la circulation sanguine, limitant les mouvements et capables de devenir des causes de déformations. »

Dans le chapitre précédent, nous avons vu comment ces déformations pouvaient modifier les grandes lignes du corps féminin. Localement, elles sont encore plus accentuées.

Tout d’abord, le corset serrant plus ou moins directement sur la peau, l’expose à des pressions et des frottements répétés qui se traduisent à cet endroit par des altérations diverses.

C’est ainsi que l’on rencontre très souvent sur la peau, outre des écorchures et des excoriations, des épaississements au niveau des hanches et des aisselles qui ont l’aspect, la nature et l’étiologie des cors aux pieds. Notons toutefois que, sur les hanches, la peau, avant d’arriver à ce stade, passe pendant longtemps par des périodes d’irritation plus ou moins aiguës qui déterminent sur les crêtes iliaques des douleurs insupportables.

Bommier attribue au corset la propriété de favoriser les éclosions in situ des diverses éruptions. C’est, dit-il, ici que la grande loi de pathologie générale de la « pars minoris resistentiae » trouve une de ses affirmations les plus évidentes. Tout le monde connaît les localisations de psoriasis sur les surfaces exposées aux frottements, la confluence des taches rosées lenticulaires à la base du dos où les frottements viennent s’ajouter à la pesanteur.

Tous les dermatologistes ont pu observer chez des femmes syphilitiques des couronnes ou des placards de syphilides qui marquaient la place des portions comprimées.

Wilson signale comme très fréquentes l’éclosion et la localisation aux parties latérales du tronc du lichen ruber planus, éruption de papules plates, confluentes, à base infiltrée et saillante, et l’attribue à la pression du corset.

On pourrait à plaisir multiplier les exemples.

Il nous semble donc bien évident que le mécanisme que nous étudions suffit à provoquer des altérations primitives et dicte les localisations secondaires.

La taille semble également un lieu de localisation pour la graisse et la plupart des femmes ont le tissu adipeux singulièrement développé à la base du tronc. On dirait que la graisse accumulée sous la peau comme dans un cul-de-sac, par la ligature que détermine le corset autour de la taille, ne peut plus être détruite et s’agglomère de plus en plus.

Le corset étant étroitement appliqué sur la peau, collant au corps ou à peu près, de façon telle qu’Arnould dit que ce ne sont que « ligatures, constrictions et fermetures exactes » il doit avoir un rôle antihygiénique considérable au point de vue de la peau. La ventilation naturelle est réduite à son minimum et les échanges entre l’air du dehors et l’atmosphère confinée au contact avec la peau n’ont lieu qu’à travers les pores de la matière vestimentaire. Or la peau doit respirer : elle est, au même titre que le poumon et le rein, un émonctoire à travers lequel s’échappent les matériaux de déchet qui proviennent des combustions organiques. De plus, le corset rompt l’équilibre calorifique, en supprimant la couche d’air entre le vêtement et la peau, couche d’air qui normalement, par sa faible conductibilité, arrête le rayonnement de la chaleur naturelle. Toutes ces actions réunies mettent cette surface de la peau dans des conditions physiologiques très mauvaises qui viennent entraver la nutrition normale du revêtement cutané, qui se ternit alors, prend une teinte sale, plus ou moins rugueuse, avec amaigrissement et atrophie de la paroi.

Après la peau, nous voyons que le tissu cellulaire sous-cutané va pâtir lui aussi, malgré sa laxité et son élasticité, de cette compression.

En effet, de Salle, en 1825, dans le Journal complémentaire des sciences médicales, décrit un trouble dont aucun n’a parlé après lui et dont nous n’avons pu retrouver — est-ce hasard ? — dans nos examens et recherches qu’un seul des symptômes, la douleur. Nous résumons cette note. On voit quelquefois des femmes portant des corsets depuis leur enfance se plaindre d’une douleur sourde occupant le bord des cartilages costaux du côté gauche ; à l’examen, les doigts ont trouvé un gonflement allongé, demi circulaire, accompagné d’un engorgement profond et dur, autour du cartilage des trois dernières vraies côtes et des trois ou quatre premières fausses côtes. La douleur devenait plus forte après les repas et à ce moment-là on eût dit que le tissu cellulaire sous-cutané avait acquis une sorte de propriété érectile. De Salle donne l’explication suivante de ce trouble : Avec le corset les diamètres du thorax se modifient et cette modification se fera surtout sentir aux côtes les plus longues, les dernières vraies et les premières fausses : ce sont celles-là qui seront le plus gênées par l’action du corset. Et ce sera dans le tissu cellulaire sous-cutané ou dans l’épaisseur du derme sous-jacent que va s’effectuer la réaction morbide. La localisation de l’affection au côté gauche s’explique de la façon suivante : C’est que quand l’estomac plusieurs fois par jour se dilate, le point siège de l’affection est comprimé entre deux forces agissant en sens contraire : l’estomac de dedans en dehors, le corset de dehors en dedans. Et l’irritation ainsi produite est parfois telle qu’elle se propage en dedans des cartilages après avoir eu son point de départ dans le tissu cellulaire. De plus, cette compression de la peau entre les côtes et le corset est rendue plus évidente encore par ce fait que sous l’influence de la dilatation de l’estomac le cône thoracique change de forme, les côtes inférieures se relèvent et il y a concentration de la constriction sur le point de la circonférence de la poitrine qui est maintenant plus saillant que les autres.

Après l’étude des parties molles, passons à l’étude du squelette.

L’os, comme tous les autres tissus, est modifiable. Une compression même légère-finit par changer la forme de notre système osseux, pourvu que cette compression continue. C’est la goutte d’eau qui tombe continuellement et qui finit par creuser le rocher.

Il y a longtemps qu’Ambroise Paré avait observé, dans son livre sur : Les accidents qui adviennent pour trop lier et serrer les parties du corps, que « par trop serrer et comprimer les vertèbres du dos, on les jette hors de leur place, qui fait que les filles sont bossues et grandement émaciées. »

Riolan et après lui Winslow expliquaient les déformations de la colonne vertébrale par l’usage du corset. C’est aller un peu loin, pensons-nous, et si effectivement, comme nous le verrons plus loin, le corset peut amener certaines positions vicieuses et défectueuses de la colonne vertébrale en diminuant la tonicité des muscles dorso-spinaux, nous ne croyons pas qu’il puisse être l’agent provocateur des cyphoses, lordoses et scolioses. Et si Winslow reprenant dans un long mémoire l’opinion de Riolan qui voulait que la déformation de l’épaule droite fût effectuée par une courbure latérale du rachis, c’est qu’il ne paraissait pas se douter que cette courbure se rencontre dans la majorité des deux sexes, quelle que soit la position sociale. Et Delisle ajoute que si Riolan, médecin de Marie de Médicis, avait examiné les filles du peuple comme les filles nobles, il aurait constaté que chez les unes comme chez les autres 10 % étaient dans ce cas.

Charpy écrit : « Ce n’est pas chose facile de trouver des poitrines de femmes de vingt-cinq à trente ans qui ne soient pas déformées par le corset ou les vêtements ». La déformation du thorax par le corset est, en effet, le plus constant des effets de ce vêtement. Et cela se comprend d’autant plus aisément que le thorax s’accroît au moment de la puberté, c’est-à-dire à l’époque où la jeune fille commence à user et même à abuser du corset, ce qui a pour résultat d’entraver le développement qui se fait anormalement sous l’influence d’une pression excentrique. En 1887, Dickinson essaya de mesurer cette pression en glissant sous le corset une poire en caoutchouc reliée par un tube à un manomètre enregistreur, cette pression toujours notable était quelquefois considérable. Malheureusement, les expériences portaient sur trop peu de cas pour que les résultats exacts fussent intéressants à connaître.

Sous l’influence de la constriction à peu près permanente qu’exerce le corset sur le thorax inférieur, les cinq ou six dernières côtes sont refoulées en dedans, du côté de la ligne médiane, les cartilages costaux sont refoulés en haut et rapprochés les uns des autres en même temps que de ceux de l’autre côte. La partie postérieure des côtes n’est plus horizontale, elle s’incline vers le bas et l’inclinaison de leur partie antérieure a augmenté d’une façon sensible en exagérant leur torsion naturelle. Et ce changement de direction ne s’arrête point là, puisque Ambroise Paré écrivait déjà avoir vu le chevauchement des « costes les unes par dessus les autres ». Il nous a été impossible dans nos examens radioscopiques de pouvoir constater ce chevauchement, mais nous avons pu voir toutefois que dans quelques cas les côtes avaient nettement perdu leur parallélisme.

De ce rapprochement sur la ligne médiane des côtes, il en résulte que l’angle xiphoïdien, c’est-à-dire cette échancrure située à la partie médiane de la circonférence du thorax, limitée par les cartilages infléchis des dernières côtes sternales, va diminuer de plus en plus jusqu’à se réduire à la largeur d’un doigt et même disparaître. Notons que normalement il est égal à 75°. Cet amoindrissement de l’angle xiphoïdien est un des stigmates constants.

Thorax et corset ont une orientation inverse : « Le corset, dit Leroy, représente la forme d’un cône dont la base est en haut et la pointe en bas, structure diamétralement opposée à celle de la poitrine ». Comment vont agir ces deux cônes ? La pression du cylindre extérieur va tendre naturellement à resserrer l’évasement du cône thoracique au point où la constriction sera la plus énergique : ce sera surtout actuellement à la base du thorax, au niveau des dernières côtes, en produisant la déformation du thorax en baril et diminuant progressivement le diamètre transversal de la 8e ou 9e côte jusqu’à la 12e. C’est de cette constriction que Glénard a parlé quand il écrit : « La cage thoracique est étranglée et immobilisée à sa base, précisément là où elle est compressible et où la nature a voulu qu’elle fût mobile transversalement ». Nous noterons seulement pour mémoire un type de constriction qui n’existe presque plus, la forme de nos corsets modernes ne s’y prêtant point. C’est une constriction s’exerçant non pas à la base, mais à trois ou quatre travers de doigt au-dessus de la marge : cette marge, au lieu de rentrer dans la cavité abdominale, est déjetée en dehors, évasée, et le rebord des derniers cartilages vient faire une saillie sous les parties molles. Le thorax, dans son ensemble, serait alors comparable à ces vases antiques à pied élargi et séparé du reste par un col plus ou moins rétréci.

Quel que soit le mode de constriction, il n’en existe pas moins une compression générale de toute la partie inférieure du thorax qui a pour effet de rapprocher la paroi antérieure de la paroi postérieure, autrement dit le diamètre antéro-postérieur diminue et le transverse augmente : l’indice thoracique de Broca, c’est-à-dire le rapport de ces deux diamètres, varie donc. Ce qui fait dire à M. Charpy que « la déformation par le corset est tellement générale qu’à partir de trente ans elle fausse plus ou moins toutes les mesures. On sait qu’elle a pour but de rétrécir le thorax inférieur au bénéfice du thorax supérieur, qui doit concentrer les regards comme il concentre la respiration. »

Les muscles sont aussi atteints surtout dans leur action physiologique.

Winslow dit que certaines femmes qui ont pendant longtemps porté des corps à baleine ne peuvent plus se tenir droites lorsqu’elles veulent les quitter, à un âge où la coquetterie perd ordinairement ses droits et son empire. Il explique ce fait par un affaiblissement des muscles longs du dos, résultant de leur inaction prolongée pendant plusieurs années. En effet, les corps à baleine, qui s’appuyaient en bas sur les crêtes iliaques et montaient en haut jusqu’au creux des aisselles, soutenaient le buste et les épaules. De plus, comme ils étaient rigides, la colonne vertébrale restait presque immobile, sa rotation sur son axe vertical étant seule possible et encore dans une mesure très restreinte. On conçoit que dans ces conditions les muscles du dos manquant d’exercice étaient privés de l’élément essentiel au développement de la fibre musculaire. Delisle en combattant cette idée nous en donne une explication qui nous paraît un peu trop fouillée : « Nous ferons remarquer, dit-il, que si dans la jeunesse, à l’époque où les tissus fibreux et fibro-cartilagineux des articulations vertébrales ont toute leur souplesse, les muscles sacro-spinaux ont un rôle très important dans la station verticale, il n’en est pas de même à l’âge de cinquante ans ; surtout lorsque pendant trente-cinq ans les vertèbres n’ont fait que des mouvements très limités. Le développement de la raideur normale progressive a été favorisé par la position, de sorte que l’augmentation de résistance du système ligamenteux doit compenser à peu près la perte d’énergie que le tissu musculaire a éprouvée ». C’est aller un peu loin et nous aimons mieux lui entendre dire « qu’il est plus vraisemblable que les muscles du rachis ne deviennent pas inertes par l’usage du corset, mais qu’ils contractent seulement l’habitude de trouver dans ce vêtement une sorte de renforcement des aponévroses qui rend leur action plus facile. »

Bouvier est plus catégorique. Ici encore, il soutient le corset : mais ici encore il l’applique sur des organismes pathologiques. C’est ainsi qu’il soutient que dans les voussures latérales et postérieures du rachis le corset est de toute utilité : « Sans doute, dit-il, il va falloir s’attacher à mettre avant tout les muscles du dos en état de redresser la colonne vertébrale et de s’opposer à l’inclinaison du tronc en avant. Mais tant que le résultat n’est point obtenu, un soutien artificiel prévient l’aggravation de la courbure, la fatigue et l’élongation des muscles. Ce support n’est, d’ailleurs, que temporaire ; on le supprime peu à peu, à mesure que l’action musculaire acquiert toute son énergie. L’usage du corset ne conduit pas alors, comme on l’a dit, à l’inertie des muscles, mais au contraire il exerce sur eux une pression favorable à leur contraction ». Et il ajoute que, aujourd’hui d’ailleurs où l’on ne met les corsets aux filles que vers l’âge de la puberté, il est impossible d’attribuer à leur influence des déformations musculaires ou osseuses qui commencent à cette époque.

Quoi qu’il en soit, il faut convenir que des trois qualités essentielles attribuées par Winslow à la colonne vertébrale, la solidité, la légèreté, la flexibilité, cette dernière est devenue singulièrement lettre morte par l’effet du corset. Et même dans les exercices où elle est amplement mise à contribution, dans nos exercices chorégraphiques modernes, la voit-on singulièrement réduite. Nos danseuses modernes feraient piètre figure à côté de la sveltesse et la souplesse des bayadères, qui ignorent le corset. Et, d’ailleurs, comment peut-il en être autrement de nos ballerines, avec leurs grands corsets dont les goussets de la gorge montent haut et sont garnis d’un baleinage très serré, emboîtant les seins et les tenant immobiles ; dont un busc cambré fortement et les baleines disposées en éventail convergeant en bas soutiennent le ventre ; dont des goussets courts, emboîtant les hanches, permettent autant que possible les mouvements d’adduction et d’abduction, et dont en arrière la large surface s’arrête sous les omoplates, laissant un soupçon de liberté aux épaules. Quelle grâce espérer obtenir de tout cet ensemble, serré, maintenu, cambré artificiellement ? Le seul intérêt qu’on pourrait lui trouver, c’est que le corset dans ces conditions maintient les viscères abdominaux en augmentant la résistance des aponévroses de l’abdomen.

Mme  Gaches-Sarraute, dans son travail : Le Corset, a très bien étudié l’action du corset sur les muscles et par là l’influence désastreuse sur la statique féminine ; nous en avons déjà parlé dans notre précédent chapitre. Mme  Gaches-Sarraute a très bien démontré :

1o Que quand le corset est appliqué sur l’abdomen, toute la partie située au-dessous du maximum de striction se trouve complètement immobilisée. La contractilité des muscles droits, éléments élastiques de la paroi antérieure, se trouve donc réduite à leur portion située au-dessus de la ligne de striction, c’est-à-dire précisément à la portion qui, serrée par le corset, se trouve atrophiée par ce fait, ce qui fait qu’au total toute l’action physiologique des muscles droits est annihilée.

2o Que « non seulement le corset atrophie les muscles situés en avant du thorax, mais encore que l’action en arrière du corset s’ajoute à l’action précédente. En diminuant l’action des muscles dorsaux, il gêne le redressement du buste. La partie postérieure du dos s’allonge donc en s’incurvant au détriment de la paroi antérieure qui se raccourcit. »

3o Que « si, à l’état normal, la cage thoracique se rapproche facilement de la hanche sous l’influence des mouvements de latéralité de la colonne vertébrale : avec le corset, ce mouvement est impossible. Ces deux cavités osseuses sont maintenues à une distance fixe l’une de l’autre par des armatures rigides et verticales qui composent le corset. Celui-ci prend un point d’appui sur les côtes et les crêtes iliaques et s’étend de l’une à l’autre à la façon d’une attelle qui les fixerait des deux côtés. »

Toutes ces déformations peuvent être constatées avec la plus grande facilités et permettent de faire comprendre combien ces modifications musculaires portant sur les points de l’organisme féminin les plus vulnérables, c’est-à-dire ceux dépourvus d’une protection osseuse, influent sur les organes sous-jacents à ces régions.

Nous terminerons ce chapitre en disant quelques mots de l’influence du corset sur la glande mammaire et les seins. Nous avons déjà dit dans le chapitre précédent qu’au point de vue des formes extérieures il leur est très préjudiciable en ne les laissant pas à leur place naturelle, en les rapprochant et en les déformant plus ou moins et cela sera d’autant plus facile pour la femme que le véritable but du corset étant de créer des formes artificielles, de simuler là où il n’y a pas et d’atténuer là où il y a de trop, elle pourra à loisir faire subir des modifications à ces organes si facilement maniables.

Et nous ne serons point sur cette question de l’avis de ceux qui, combattant le corset quand il s’agit de compression, le défendent quand il s’agit de soutenir les seins ; attendu que ce rôle peut être rempli par un vêtement tout autre que le corset. Et, du reste, nous dirons avec Mme Gaches-Sarraute que s’il y a beaucoup de femmes dont le ventre a besoin d’un soutien, par contre il n’y a que peu de femmes munies de seins assez volumineux pour qu’il soit indispensable de leur fournir un appui. D’ailleurs ce rôle de soutien est tout à fait illusoire, car la femme qui a de gros seins et qui veut les soutenir avec un corset ne tarde pas à les comprimer, le but est alors infailliblement dépassé ; nous verrons plus loin quels troubles cela peut amener. Si les seins sont normaux, il est alors facile de se rendre compte que dans la plus grande quantité des cas le corset, quoique appliqué sur le thorax, ne soutient pas ces organes ; dans tous les mouvements d’extension et de torsion, le sein est abandonné par son soutien. De plus, le fait d’emprisonner les seins dans des goussets imperméables, soit en raison du tissu employé, soit en raison du capitonnage dont on les remplit, a pour résultat de s’opposer à l’évaporation des sécrétions sudorales, de favoriser l’accumulation de la sueur au-dessous de la glande et, par suite, de déterminer des conditions défavorables au point de vue de l’activité des échanges cutanés et diminuer la vitalité des glandes. Si le corset agit directement sur les seins en ralentissant l’activité de la peau et en provoquant des pressions mal dirigées, il agit tout aussi bien indirectement sur leur maintien. Chez la femme sans corset on voit le torse se cambrer, le thorax se redresser, les fausses côtes s’écarter, si bien que les seins reposent sur une surface moins déclive et cet appui naturel est presque toujours largement suffisant : pour les seins trop volumineux une brassière reliée aux épaules les soutiendra ou plutôt les relèvera.

Nous avons déjà parlé du torse des femmes espagnoles comme modèle de sveltesse et de souplesse. Elles ignorent le corset. Les bayadères l’ignorent également ; Larousse a ce sujet dit : « C’est elle (la bayadère), en effet, qui a adopté la mode la plus convenable à la santé et à la fois la plus charmante et la plus voluptueuse. Son corset est fait de l’écorce d’un arbre de Madagascar et disposé de façon que chaque sein s’emboîte exactement dans son enveloppe ; mais écoutez : la couleur ressemble tellement à la peau que l’œil trompé croit voir une gorge nue ; l’étoffe en est si fine que le toucher le plus délicat ne peut distinguer l’enveloppe d’avec la partie qu’elle cache ; enfin l’élasticité dont elle est douée permet aux mouvements respiratoires de s’effectuer librement. Les bayadères ne quittent jamais ce corset, elles le gardent même dans leur lit et conservent ainsi la beauté et la délicatesse de leurs seins jusqu’à un âge très avancé. »

Et, pour les seins volumineux, bien développés, soutenus simplement par une sorte de brassière et dont la beauté ne le cède en rien à la richesse des contours, Gaston Vuillier nous donne un bel exemple : « Le corset des femmes sardes est bien conçu selon les vœux de la nature. Des lacets en retiennent les parties égales et similaires, formant ainsi une sorte de plastron dans le dos, à partir des creux axillaires des bandes s’abaissent en se courbant jusqu’au-dessous des seins qui, par ce fait, sont soutenus et non comprimés. Une chemise légère qui en laisse voir la forme les voile simplement. C’est grâce aux dispositions logiques de leur corset que les seins des femmes sardes, célèbres déjà dans l’antiquité, acquièrent un développement magnifique et qu’elles sont réputées bonnes nourrices ». (La Sardaigne, 1891.)

Nous avons dit que dans un torse bien cambré et bien redressé la surface d’appui offerte par la poitrine est suffisante bien souvent pour maintenir dans la rectitude un sein normal. Est-ce la seule raison ? Dans quelques dissections minutieuses de ces régions, faites avec notre ami le docteur Vincens, aide d’anatomie à la Faculté de Bordeaux, nous avons pu nous rendre compte qu’un nombre plus ou moins considérable, mais toujours notable, de fibres musculaires venant du peaucier du cou couraient dans le tissu cellulaire, sous la peau englobant tout l’hémisphère supérieur du sein. N’y a-t-il point là un élément naturel et contractile capable dans une certaine mesure d’apporter sa part de soutien ? Testut signale chez une jeune personne un développement exagéré du peaucier qui faisait relever sa glande mammaire en le contractant. Et ces modestes fibres capables d’une action plus encore modeste, mais certainement existante, ne suivent-elles point la grande loi de physiologie : la fonction crée l’organe ? Si cela est, le corset, par son action brutale et énergique, ne doit-il pas supprimer l’un et l’autre ? Nous avons cru devoir fixer quelque peu l’attention sur ce point, sans vouloir toutefois accorder une bien grande place à ce phénomène d’ordre secondaire, mais qui n’en existe pas moins.

Nous venons d’examiner le rôle du corset quand il soutient le sein et son action se borne presque toute à des changements de forme et de maintien. Mais il n’en est plus de même quand le corset va maintenir, c’est-à-dire comprimer. Il va remplir à ce moment un vrai rôle pathologique.

Tout d’abord, dans les mouvements de flexion et de latéralité, le busc situé plus ou moins haut entre les seins les contond ; et notons que si, actuellement, le busc des corsets modernes s’arrête depuis quelques années assez bas, uniformément, il n’en reste pas moins vrai que leur hauteur est relative au volume des seins ; tel sein exigu et haut placé sera à peine effleuré par le busc, qui viendra heurter cet autre sein volumineux et bas. La gêne ressentie va être une cause d’irritation continuelle de la glande mammaire, — Toutes les femmes usent du corset comme agent de coquetterie et certaines en usent mal ; c’est ainsi que l’on voit des femmes qui n’ayant pas beaucoup de poitrine emploient, à leur détriment, le stratagème suivant : elles refoulent en haut les tissus plus ou moins adipeux qui recouvrent leur poitrine et, les serrant ensuite fortement avec leur corset, elles se donnent ainsi l’aspect d’un embonpoint qu’elles n’ont pas. Le docteur Lisfranc a signalé le stratagème inverse pour celles qui ont les seins trop bas et trop volumineux. Pour corriger ce qui leur paraît être disgracieux dans une poitrine trop forte et trop élevée, elles compriment leurs seins au-dessous des mamelons, de manière à dissimuler l’excès de leur embonpoint. Dans un cas comme dans l’autre, il y a là des pressions irritantes qui déterminent des douleurs plus ou moins sourdes et qui finissent par produire des indurations dangereuses. Disons en passant que M. le Dr  Lisfranc recommande le port des brassières aux femmes dont les seins ont une conformation spéciale, ceux qui ont une base étroite, un pédicule rétréci qui vient s’épanouir ensuite en une glande assez volumineuse dont le propre poids exerce des tiraillements douloureux qui « finissent par amener dans l’organe un certain degré d’irritation, puis un engorgement dont la cause échappe presque toujours. »

Non seulement le corset peut déterminer l’affaissement des mamelles ou leur engorgement inflammatoire, mais c’est à lui que Réveillé-Parise et, après lui, Raciborsky imputent la privation qu’ont les mères, pour avoir sacrifié à la mode, du bonheur de nourrir leur enfant. C’est, en effet, au corset qu’est due la déformation des mamelons, moins commune chez les femmes de la campagne que chez celles de la ville. Au lieu de former saillie, le mamelon se trouve être, par l’effet du corset, presque en dépression ; dès lors, il est impossible à l’enfant de saisir le mamelon pour opérer la succion et c’est une cause aussi des plus fréquentes des affections du sein chez les jeunes mères.

Après ces quelques lignes, pouvons-nous, avec quelques auteurs, dire que le corset a sa raison d’être surtout pour le soutien qu’il offre aux seins. Nous ne le pensons pas. Quand le besoin d’un tuteur se fait sentir, que l’on en donne un qui soutienne sagement mais qui ne comprime pas. Et quand le sein sera d’un volume tel qu’il appartiendra du domaine de l’exagération, presque de la pathologie, le considérant comme l’exception et non la règle, nous aurons recours à une vraie médication dont l’orthopédie, si fertile en ressources, aura le soin. Nous répéterons avec Mme  Gaches-Sarraute : qu’il « y a peu de femmes pourvues de seins assez volumineux pour qu’il soit indispensable de leur fournir un soutien » et qu’en tout cas lorsque cela existe et que les seins réclament des moyens de contention, ce sera à l’aide d’appareils spéciaux, brassières ou autres, qu’il conviendra de fixer ces organes en les maintenant dans la région où ils doivent se trouver normalement.

Telle est, rapidement étudiée, l’influence du corset sur les parties de l’organisme qui sont en contact direct avec lui. Les modifications que le corset leur fait subir sont multiples et toutes déplorables : qu’elles retentissent plus ou moins profondément sur l’organisme tout entier, c’est ce que nous verrons plus loin ; mais déjà les déformations des parties externes et du squelette sont telles, que certains auteurs ont attribué au corset une influence plus profonde que celle qui consiste à déformer ; ils ont dit que l’usage prolongé pendant plusieurs générations d’un bandage qui comprime les côtes et les seins peut amener des modifications de formes d’abord temporaires, se transmettant ensuite par hérédité et constituant ainsi une espèce permanente. Ces auteurs veulent, en effet, que le torse des femmes de notre époque diffère notablement de celui des femmes du monde ancien, quoique la race soit la même, mais parce que nos aïeules ont comprimé outre mesure la gorge et le thorax.

Nous ne sommes point si pessimiste ; mais nous déplorons l’opinion si erronée qui se continue de génération en génération chez les mères de famille, qui soutiennent que le corset est nécessaire pour former la taille de leurs filles, que sans lui le torse devient épais, sans grâce, mal cambré, inapte à subir les exigences et les folies de la mode. On parvient difficilement à persuader la femme de l’avantage qu’il y a à considérer et comprendre le corset comme un vêtement léger et souple, ne comprimant pas les seins, se bornant à vêtir le corps sans prétendre le jeter dans un moule.