Épitres
Traduction par Collectif dont C.-L.-F. Panckoucke.
Texte établi par Charles-Louis-Fleury PanckouckeC.L.F. Panckoucke (2p. 257-259).

ÉPITRE XI. A BULLATIUS.

Comment, Bullatius, avez-vous trouvé Chios, la célèbre Lesbos, l'élégante Samos, et Sardes, l'antique demeure de Crésus ? Et Smyrne et Colophon, qu'en pensez-vous ? sont-elles au-dessus ou au-dessous de leur réputation ? Pour vous, tout cela est-il fade et languissant auprès du Champ-de-Mars et des eaux du Tibre ? Désireriez-vous une des villes que possédait Attale ? ou bien, fatigué de la mer et des voyages, préféreriez-vous Lebedus ? Lebedus ! savez-vous ce que c’est ? un bourg plus désert que Gabies, plus désert que Fidènes. Eh bien, c'est là pourtant que je voudrais vivre ; là, qu'oublié de tous, et oubliant tout le monde, je voudrais, tranquille, contempler du rivage les fureurs de Neptune.

Cependant celui qui se rend de Capoue à Rome, trempé de pluie et couvert de boue, consentirait-il à passer ses jours dans une taverne ? et celui que le froid a pénétré ne fera pas consister tout le bonheur de la vie dans les bains et dans les étuves. Ballotté sur les flots par l'impétueux Auster, vous n'irez pas, au delà de la mer Egée, vendre votre vaisseau. Au sage, et Rhodes et la brillante Mitylène ne sont pas plus utiles qu'un manteau pendant le solstice d'été, un léger vêtement en la saison des neiges et des vents, les bains du Tibre en hiver, et au mois d'Auguste la chaleur du foyer.

Vous le pouvez encore, la fortune vous montre un visage serein ; contentez-vous donc de vanter à Rome les charmes de Samos, de Chios et de Rhodes. Les moments de bonheur que les dieux vous envoient, saisissez-les avec reconnaissance, et n'ajournez pas le plaisir. Vous pourrez ainsi, partout où vous serez, dire : « J'ai vécu satisfait. » La raison et la sagesse nous délivrent seules des chagrins, et non un lieu d'où l'on peut contempler les flots de la mer au loin débordés. Courir au delà des mers, c'est changer de climat, et non d'âme. Que d'agitations ! que de peines stériles pour suivre le bonheur sur des vaisseaux, sur des chars ! Ce que vous cherchez est ici, à Ulubra, partout où ne vous manque pas l'égalité d'âme.