Épigrammes (Saint-Amant)

Épigrammes (Saint-Amant)
Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 470-473).

ÉPIGRAMME À PHILIS.


Si je fuy tes beaux yeux, c’est avecques raison ;
Mes jours entrent desjà dans l’infirme saison
Où l’homme pour l’amour n’a plus rien d’estimable
En vain donc, ô Philis ! tu me veux enflamer :
Car, comme il faut aymer tant que l’on est aymable,
Quand on n’est plus aymable il ne faut plus aymer.



ÉPIGRAMME

Sur un escrivain de Gascogne.


Ce petit fanfaron à l’œillade eschapée,
Qui fait le grand autheur et n’est qu’un animal,
Dit qu’il trenche sa plume avecques son espée :
Je ne m’estonne pas s’il en escrit si mal.



ÉPIGRAMME

Sur le cher Thirsis esborgné.


Thirsis, après sa perte amere,
Doit bien garder l’autre œil d’un autre coup felon
ll ne seroit plus qu’un Homere,
Au lieu qu’en le gardant il est un Apollon.



ÉPIGRAMME

Sur une servante.


Pour me servir boire et manger,
Je n’ay qu’une souillon plus laide que le diable ;
J’ay tousjours à mes yeux cet objet effroyable,
Et, ce qui me fait enrager,
C’est qu’elle est bonne et serviable,
Et qu’elle pense m’obliger.



ÉPIGRAMME


Un sot railleur à teste grise
Me demandoit, chés Alcindor,
Si les cornes de mon Moyse
Je n’avois point faites encor.
Non, mais j’en ay fait beaucoup d’autres,
Luy dis-je, sans conter les vostres.



ÉPIGRAMME


On dit de l’affaire du temps :
Elle n’est pas encore meure ;
L’issue en ce lieu j’en attens
Ma crainte ne se peut guerir,
Quelque espoir dont on la nourrisse,
Et j’ay peur que tout ne pourrisse
Auparavant que de meurir.

ÉPIGRAMME ENDIABLÉE

Sur Fairfax[1].


Je crois qu’il doit bien estre en peine,
L’execrable tyran qui preside aux enfers,
Quand, dans les feux et dans les fers,
ll songe au noir objet des foudres de ma haine.
Son vieux sceptre enfumé tremble en sa fiere main ;
Il redoute Fairfax, ce prodige inhumain ;
Il craint que ce monstre n’aspire
Au degré le plus haut de son horrible empire.
Le degré le plus haut est celuy le plus bas ;
C’est où ce prince des sabats,
Des endroits les plus clairs aux endroits les plus sombres,
Tombe pour rogner sur les ombres ;
C’est là, dis-je, qu’il craint que par quelque attentat,
Que par quelque moyen oblique,
Fairfax n’aille du moins renverser son estat
Pour en faire une republique.
Et voilà, les raisons qui l’ont fait hesiter
Jusqu’à cette heure à l’emporter.



ÉPIGRAMME


Paul, cet admirable chantre,
Et Guy, vendeur de tabac,
Mettent plus d’argent en sac
Qu’il n’en pourroit dans un antre.
Ils accroissent tous les jours

Et la ville et les fauxbours,
En palais de renommée,
Et semblent certifier
Que le son et la fumée
Se peuvent pétrifier.



  1. Fairfax s’est assez distingué dans la guerre civile d’Angleterre, où il servit contre le roi