Épigrammes (Martial)/1841/12/Préface

Traduction par Constant Dubos.
Chapelle (p. 478-479).

LIVRE DOUZIÈME.

PRÉFACE.

M. VALERIUS MARTIAL A PRISCUS SON AMI, SALUT.

Je sais qu’il est à propos que je me justifie de la paresse opiniâtre qui me domine depuis trois ans, paresse qui ne trouverait pas d’excuse suffisante, même à Rome, dans les devoirs sociaux, qui ne sont pas moins importuns à ceux qui en sont l’objet qu’à ceux qui sont obligés de les rendre. A plus forte raison est-elle inexcusable dans la solitude de la province, où le besoin d’un travail assidu et sans distraction pourrait seul me faire pardonner ma retraite absolue. Il est cependant quelques moyens de défense que je puis faire valoir en ma faveur. Le premier et le principal, c’est que je ne trouve point ici l’oreille exercée des citoyens auxquels j’avais l’habitude de m’adresser, et il me semble que je plaide dans un barreau étranger. En effet, si dans mes légers écrits il se rencontre quelques agréments, c’est à mes auditeurs que j’en suis redevable. Ce goût judicieux et fin, cet heureux choix de sujets, ces bibliothèques, ces théâtres, ces conversations où l’on s’instruit en se divertissant et sans s’en apercevoir ; tous les avantages — 479 —

enfin dont je jouissais et dont je n’ai pas assez connu le prix, je les ai perdus de gaieté de cœur, et avec eux tous mes moyens de plaire. Ajoutez à cela les sottes critiques de nos bourgeois de province, la jalousie qui dicte leurs jugements, la méchanceté caractérisée de quelques-uns qui font nombre dans une petite ville, et contre lesquels il est difficile de lutter toujours de sang-froid. Ne t’étonne donc plus si je repousse aujourd’hui, même avec dépit, des occupations qui autrefois faisaient mes délices. Cependant, comme à ton arrivée de Rome je veux être en mesure de ne rien refuser à tes instances, et que ce serait m’acquitter mal de ce que je te dois si je me bornais à faire pour toi ce qui m’est possible, je me suis durant quelques jours imposé une tâche qui jadis pour moi n’était qu’un plaisir, et je me suis arrangé de manière à fêter ta bienvenue en te servant un mets selon ton goût, que je connais depuis longtemps. Ainsi ces productions, qui de ta part ne courent aucun danger, je te prie de les apprécier, de les examiner avec le plus grand soin, et, ce qui ne te sera pas facile, de les juger sans indulgence, de peur que si, de ton aveu, ils doivent aller à Rome, cette capitale y reconnaisse, non pas un livre venu d’Espagne, mais un livre espagnol.

1.

A PRISCUS.

La chasse est suspendue : aux hôtes des forêts Le cor ne porte plus le signal de la guerre, Tout repose : chasseurs, rets et chiens et filets. Le sanglier au fond de son repaire