Épigrammes (Martial)/1841/06

Traduction par Constant Dubos.
Chapelle (p. 209-244).

LIVRE SIXIÈME.


1.

À JULES MARTIAL.

O toi ! dont l’amitié m’est précieuse et chère.
Jule, reçois de moi ce sixième recueil ;
Mais au lieu d’un léger coup d’œil,
Je réclame pour lui ta censure sévère.
Grâce à tes soins, craignant moins de déplaire,
Du palais de César il franchira le seuil ;
Et sa démarche téméraire
Y trouvera peut-être un favorable accueil.

3.

SUR LA NAISSANCE D’UN FILS DE DOMITIEN.

Parais, auguste enfant, promis au fils d’Énée,
Viens, digne fils des dieux, remplir ta destinée.
Lorsqu’après maint siècle écoulé,
Ton père, chargé d’ans, sur ta verte jeunesse
Voudra reposer sa vieillesse,
A partager son trône à ton tour appelé,

Tu seras son émule ; et vos mains souveraines
D’un empire éternel gouverneront les rênes.
Pour lui faire des jours de soie et d’or tissus,
Julia va filer la toison de Phryxus.

4.

COMPLIMENT A DOMITIEN.

Vous, pour qui le triomphe épuisa ses honneurs,
Vous, chef suprême des censeurs,
Arbitre et modèle des princes ;
Vous, à qui Rome doit ses temples, ses grandeurs,
Tant de cirques, de dieux, de villes, de provinces.
Rome encor vous doit plus : elle vous doit des mœurs.

5.

À CECILIANUS.

L’achat d’un bien rural me met dans l’embarras ;
Prête-moi mille écus, ami, je t’en supplie.
Tu sembles réfléchir et te dire tout bas :
« C’est de l’argent perdu ! » — Je n’en disconviens pas
Aussi, tu vois que je t’en prie.

7.

SUR THÉLÉSINA.

Depuis que de César la loi renouvelée
A recouvré sa vigueur parmi nous,

Et ramené la décence exilée,
Thélésine a cinq fois pris un nouvel époux,
Et la moitié d’un mois est à peine écoulée.
Changer de maris tant de fois,
Ce n’est pas, Thélésine, user du mariage ;
C’est en couvrir l’abus sous le manteau des lois ;
Je serais moins blessé d’un franc concubinage.

8.

À SÉVÉRE.

Pour obtenir certaine belle
Qu’un barbon tenait en tutelle,
De l’hymen briguant les faveurs,
Quatre tribuns et deux préteurs
À l’envi s’empressaient près d’elle.
Ajoutons-y sept avocats,
Et de plus encor maint poète,
Et nous aurons des candidats
La liste, je crois, bien complète.
Pour un autre que d’embarras !
Le bonhomme n’hésite pas ;
A l’éclat préférant l’utile,
Sans bruit, à sa jeune pupille
Il donne un huissier pour époux ;
Ma foi, j’en connais de plus fous.

9.

SUR LEVINUS.

Au théâtre, en nos bancs, quand Lévinus sommeille,
Doit-il être surpris qu’Océanus l’éveille ?

10.

APPEL INDIRECT A LA LIBERALITÉ DE DOMITIEN.

« Daigne, grand Jupiter, m’envoyer de l’argent ! »
Le dieu m’entend : Adresse ta prière,
Me répond-il, à ton prince obligeant,
Qui de mes dons est le dépositaire.
Il vient de relever mes temples à ses frais.
— A son maître il rend ses bienfaits ;
Il te bâtit un temple, et je ne m’en sens guère.
Mais, c’est ma faute, aussi ! j’ai demandé trop peu :
Fallait-il pour un rien importuner un dieu ?
Pourtant, lorsqu’il a lu ma supplique dernière,
Son œil n’a témoigné ni dédain ni colère ;
Je croyais même y lire son aveu.
Son front n’est pas plus bénévole
Lorsqu’en triomphateur il monte au Capitole,
Ou lorsque, sur son trône assis,
Il rend le diadème aux rois qu’il a soumis.
Toi, sa confidente chérie,
Vierge auguste, dis-moi : De celui qui supplie,
D’un air si bienveillant s’il rejette les vœux,
Quel est-il donc quand il fait un heureux ?
Ainsi je me plaignais ; déposant son égide
Qui glace de terreur l’œil le plus intrépide :
« Insensé, dit Pallas, un bienfait attendu,
Pour être différé, le crois-tu donc perdu ? »

11.

CONTRE MARCUS.

Je t’entends répéter parfois d’un air chagrin :
« II n’est plus, dans nos jours, d’Orestes, de Pylades ! »
Sais-tu pourquoi ? Tous deux buvaient du même vin,
Tous deux mangeaient du même pain,
En tout, partout, ils étaient camarades ;
Entre eux régnait toujours parfaite égalité.
A table, ici, je vois placer de ton côté
L’huître que du Lucrin engraissent les parages,
Et l’on me sert, à moi, quelques vils coquillages
Que ne sucerait pas un chien.
Me crois-tu le palais moins friand que le tien ?
De ton riche manteau Tyr a fourni la laine :
Une laine gauloise et dégraissée à peine
Forme l’épais tissu qui compose le mien ;
Et tu veux qu’entre nous il existe un lien ?
Le nom d’ami, pour toi, n’est qu’un nom de parade :
Près de mon vil sagum ta pourpre se dégrade ;
L’amitié n’admet pas cette inégalité :
Pour moi sois un Oreste, et je suis ton Pylade.
Surtout, pénètre-toi de cette vérité :
Marcus, si tu veux que l’on t’aime,
Commence par aimer toi-même.

12.

SUR FABELLA.

Quelqu’un disait à Fabelle :
Ces cheveux si blonds, si beaux,

Quel dommage qu’ils soient faux !
Ils sont bien à moi, dit-elle,
Je le jure hardiment.
Moi qui tiens de son marchand
Qu’il en fut payé comptant,
Je déclare que la belle
N’a point fait un faux serment.

13.

SUR LA STATUE DE JULIE.

Vrai prodige de l’art inventé par Pallas,
Et qui sembles sorti des mains de l’immortelle,
Es-tu l’œuvre de Phidias,
Ou du ciseau de Praxitèle ?
Oui, ce marbre est vivant ; quelle sérénité
Relève de son front la grâce et la beauté !
Dans ses doigts délicats se joue une ceinture ;
C’est ton ceste, ô Vénus, ta plus belle parure,
Dérobé par Julie au cou de ton enfant.
Mais, quoi ! déjà pour réveiller la flamme,
Junon de son époux, Vénus de son amant,
L’une vient l’emprunter, et l’autre le réclame.

14.

CONTRE LABÉRIUS.

Je puis être poète, et poète excellent.
— Si tu dis vrai, pourquoi nous cacher ce talent ?

Le posséder, et n’en pas faire usage,
C’est, à mon gré, l’effort du plus rare courage.

15.

SUR UNE FOURMI RENFERMÉE DANS UN MORCEAU DE SUCCIN.

Des sœurs de Phaëton une larme échappée
Saisit une fourmi qui meurt enveloppée.
Cet insecte, vivant, n’obtint que du mépris ;
Mort, il est recherché : sa tombe fait son prix.

18.

À PRISCUS, SUR SALONICUS.

Salonicus repose aux champs de l’Ibérie ;
Jamais le Styx ne vit mortel plus regretté.
Mais, retenons nos pleurs : Priscus nous est resté,
Priscus, la moitié de sa vie ;
Et se survivre en lui fut sa plus chère envie.

19.

CONTRE POSTHUME.

Il ne s’agit dans mon affaire
Ni de meurtres, ni de poisons ;
Mais seulement de trois moutons
Qu’un voleur a su me soustraire ;

Et ce voleur est mon voisin.
Le juge attend que du larcin
On lui serve une preuve claire ;
Et toi, d’une voix de tonnerre,
Avec de grands gestes, voilà
Que tu nous cites Scévola,
Cannes, Mithridate et sa guerre,
Annibal, Marius, Sylla,
Tous gens dont je n’ai point affaire.
C’est assez te donner carrière,
Ami ; ménage tes poumons,
Et dis un mot de mes moutons.

20.

CONTRE PHÉBUS.

Tu m’as dit un jour : Cher Marcus,
A tes talents, à tes vertus,
Je me plais à rendre justice ;
Mes sentiments te sont connus ;
Puis-je te rendre un bon office ?
— De tes bontés je suis confus,
Mais l’occasion m’est propice :
Ami, prête-moi cent écus,
Et tu me rendras grand service.
Depuis tu ne me parles plus ;
Est-ce refus ? est-ce caprice ?
Pour mettre fin à mon supplice,
Mon cher, au lieu de cent écus,

Donne-moi tout net un refus,
Et tu m’auras rendu service.

21.

SUR IANTHIS ET STELLA.

En donnant Ianthis au poète Stella,
Vénus, s’applaudissant d’un si bel assemblage,
Dit : Je ne puis pour vous ni mieux, ni davantage.
L’épouse était présente. Ensuite elle ajouta,
Mais en secret : « Époux, ne deviens point volage.
« Lorsque Mars autrefois m’adressait son hommage,
« J’ai dû souvent, dans mes justes fureurs,
« De mon ceste punir ses coupables erreurs.
« Depuis qu’il est à moi, plus constant et plus sage,
« Il peut servir d’exemple à tous les séducteurs ;
« Junon à son époux le voudrait pour modèle. »
Vénus dit. À l’instant, sa main, avec douceur,
Du secret talisman frappe l’époux au cœur.
Stella chérit sa plaie : O puissante Immortelle !
Si tu voulais encore mieux assurer tes droits,
Tu devais les frapper tous les deux à la fois.

22.

CONTRE PROCULINA.

Aujourd’hui qu’une loi sévère
Frappe un nœud justement flétri,

De ton complice d’adultère
Tu consens à faire un mari ;
Proculina, ton mariage
Atteste ton concubinage.

24.

SUR CHARISIEN.

Charisien, ô comble des scandales,
Pour endosser sa toge attend les saturnales !

25.

À MARCELLINUS.

Digne fils d’un vertueux père,
Toi qui, dans ce moment, au milieu des combats,
De l’ourse glaciale affrontes les climats,
Si, dès longtemps, ta famille m’est chère,
Si tu m’as vu toujours au rang de tes amis,
Marcellinus, écoute et retiens mes avis.
Sois brave et non pas téméraire,
Garde qu’une imprudente ardeur
Au-devant du trépas ne pousse ton jeune âge,
Et laisse le sang-froid diriger ta valeur.
Ne sois pas ce soldat vulgaire
Qui n’a d’instinct que celui de la guerre,
Et qui, de Mars imitant la fureur,

Le front baissé se jette au milieu du carnage.
La patrie aujourd’hui réclame ton courage,
Sois son généreux défenseur,
Mais songe que tu peux en être aussi l’honneur.

27.

À NÉPOS.

Népos, mon voisin doublement
(Car, aux champs ainsi qu’à la ville,
De notre double logement
La distance à peine est d’un mille),
Le ciel t’a fait don d’un enfant
Fidèle image de son père,
Son vrai portrait, qui m’est garant
De la chasteté de sa mère.
Cependant, parmi tes tonneaux
Qui dorment pleins d’un vieux falerne,
Choisis, crois-moi, le moins moderne,
Qu’en ta coupe il coule à grands flots ;
Puis, ta tendresse paternelle
Y plaçant un autre trésor,
Le remplira de pièces d’or
Qui doteront un jour la belle.
En attendant le prétendu,
Quelle boive le vin du cru,
Et que la récolte nouvelle
Mûrisse et vieillisse avec elle.
Des vieillards veufs et sans enfants
Les vins corrigés par les ans

Sont-ils donc l’exclusif partage ?
Un père aussi, je le prétends,
Peut boire les vins de son âge,
Et prendre encore du bon temps.

28.

ÉPITAPHE DE GLAUCIAS.

De Melior l’esclave favori,
Par son patron récemment affranchi,
Dont Rome a déploré la fin prématurée,
Le jeune Glaucias, si connu, si chéri,
Sous la tombe, à jamais par son nom consacrée,
Au bord de ce chemin repose enseveli.
A la candeur, à l’innocence
Il unissait esprit, beauté, grâce, décence ;
A deux lustres à peine il ajoutait trois ans ;
Cœurs tendres et compatissants
Qui versez des pleurs sur sa cendre,
Pour vous-mêmes jamais n’ayez lieu d’en répandre !

29.

SUR LE MÊME SUJET.

Ce n’était pas un esclave vulgaire,
Ni tel que ceux qu’en vente on expose au marché ;
C’était un jeune enfant à son maître attaché,
Et que son maître aimait d’une amitié sincère.

Trop charmant Glaucias ! Melior, son patron,
De tous ses droits sur lui lui faisait l’abandon,
Qu’il ignorait encor le prix d’un pareil don !
Présent si bien placé ! cette faveur insigne,
Ses grâces, ses vertus l’en avaient rendu digne.
Ses traits, ses beaux cheveux nous peignaient Apollon.
Mais, ô de tant d’éclat jouissance éphémère !
Ainsi passe en sa fleur tout ce qui sait nous plaire !
Passants, qui déplorez son précoce trépas,
Tremblez de trop aimer ce qui brille ici-bas !

30.

CONTRE PŒTUS.

Si, lorsque profitant de ton offre obligeante,
Je t’ai demandé cent écus,
Tu m’eusses dit : En veux-tu cent cinquante ?
Les voilà, prends ; mon cher Pœtus,
Je croirais aujourd’hui t’en devoir mille et plus.
Mais lorsqu’enfin, après huit ou neuf mois d’attente,
Je les tiens, arrachés bien plutôt qu’obtenus,
Mon cher, en deux mots comme en trente,
Ce sont cent écus de perdus.

32.

SUR LA MORT D'OTHON.

Deux concurrents se disputaient l’empire ;
Mars allait prononcer. Le faible Othon soupire.

Il hésite, il se dit que le suprême rang
Serait trop acheté par des torrents de sang.
Il pourrait triompher : son âme généreuse
Préfère au succès même une mort glorieuse.
Caton vivant, sans doute, éclipsa son rival ;
Mourant, du noble Othon Caton n’est point l’égal.

34.

À LYCORIS.

Donne-moi, Lycoris, donne-moi des baisers.
— Combien ? — Autant qu’on voit sur leurs rivages
L’Océan chaque jour jeter de flots brisés,
Et l’Égée entasser de brillants coquillages ;
Que l’Hymette, embaumé des plus douces odeurs,
Voit d’abeilles piller les trésors de ses fleurs ;
Autant que du milieu de la foule idolâtre
S’élèvent de bravos dans notre amphithéâtre,
Alors que de César le retour imprévu
L’enivre d’un bonheur trop longtemps attendu.
Je les veux, mais sans compte, et non comme Catulle ;
En demande trop peu l’amant qui les calcule.

35.

À CÉCILIEN.

Dans une affaire assez frivole,
Ton juge, trop facile et trop bon, selon moi,

A sept clepsydres vient pour toi
De limiter le temps de la parole.
Toi, sans perdre un moment de ce temps qui s’envole
Tu pars, bats la campagne, et devant toi tu cours,
Déclamant, à briser le tympan des plus sourds.
A mesure qu’une fiole
Est descendue, afin de rafraîchir ta voix.
Tu la saisis, d’un seul trait tu la bois,
Et n’en repars que de plus belle.
Ton infatigable loquèle
Comme un torrent roule et roule toujours ;
De tes clepsydres la cinquième
Est écoulée, et déjà la sixième
Touche à sa fin : c’est assez donner cours
A ta faconde sans pareille,
Mon cher ; tu parles à merveille,
Mais, sans te perdre en de plus longs détours,
Pour soulager ta soif, ta voix et notre oreille,
Avale la septième, et finis ton discours.

38.

SUR LE FILS DE RÉGULUS.

Le fils de Régulus déjà sait, à trois ans,
De ce grand orateur distinguer les talents.
À peine il l’aperçoit, que, du sein de sa mère
Il voudrait s’élancer dans les bras de son père
Dont son naissant orgueil partage les succès.
Les sièges d’où Thémis proclame ses arrêts,

Les graves centumvirs ont seuls droit de lui plaire.
Il aime les clameurs dont le bruyant vulgaire
Fait retentir ce temple, ornement du Forum,
Que l’illustre César honora de son nom.
Tel le fils du coursier, émule de son père,
Se plaît à soulever une noble poussière ;
Tel le jeune taureau, dans ses premiers ébats,
D’un front sans arme encor, provoque les combats.
Daignez, ô Dieux puissants ! exaucer ma prière,
Et conservez le fils d’une race si chère !
Que le père longtemps puisse, au gré de ses vœux,
Applaudir à son fils, et la mère à tous deux.

40.

À DIRCÉ.

Nulle beauté, jadis, ne t’égala, Dircé :
De Glycère, à son tour, le règne vient de naître ;
Ton sceptre de ta main dans la sienne a passé.
Elle est ce que tu fus, et tu ne peux plus l’être ;
Telle que je te vois je la verrai peut-être.
Quel changement le temps nous amène avec lui !
Je t’aimais autrefois, et je l’aime aujourd’hui.

41.

SUR UN POÈTE ENRHUMÉ.

Cette laine à ton cou, qu’en ses plis elle enserre,
Prouve que tu ne peux ni parler ni te taire.

42.

À OPPIEN, SUR LES THERMES D’ETRUSCUS.

Il vous faut renoncer à vous baigner jamais,
Si des bains d’Etruscus vous ne faites usage :
   Exprès pour vous il semble qu’ils soient faits.
Eh ! quels autres pourraient vous plaire davantage ?
Les thermes de Passer et leur vive chaleur,
Ceux d’Apone, où préside une austère pudeur,
La molle Sinuesse aux eaux voluptueuses,
Cume, chère à Phébus, le mont altier d’Anxur
Et les sources de Baye encore plus fameuses,
N’ont point un ciel si doux, si serein et si pur.
Là, le jour plus longtemps prolongeant sa carrière.
Ne semble qu’à regret retirer sa lumière ;
Là de l’Onyx s’exhale une sèche vapeur,
Taygète à l’émeraude emprunte sa couleur,
Et d’un reflet de feu brillent les serpentines.
   Là, pour le plaisir du baigneur,
Et l’Asie et l’Afrique ont épuisé leurs mines.
Si l’usage de Sparte a pour vous plus d’attraits,
Suez dans une étuve, et baignez-vous au frais
   Dans l’eau vierge d’une fontaine
Si diaphane et si pure, qu’à peine
On en distingue le cristal,
Et qu’on croit voir à sec le marbre du canal.
Vous ne m’écoutez pas ; mon éloquence est vaine,
   Et mon conseil est par vous dédaigné :
Oppien, vous mourrez sans vous être baigné.

43.

À CASTRICUS.

Tandis que de Baya le séjour enchanté
Vous retient, Castricus, dans ses eaux sulfureuses,
Moi, près de Nomentum propice à ma santé
je file de mes jours les heures paresseuses.
Ma maison est modeste, et mon champ limité.
Ici, sans m’imposer d’onéreux sacrifices,
De Baya, du Lucrin je trouve les délices,
Tous les plaisirs enfin que vous payez si cher.
Jadis, vous le savez, j’aimais à changer d’air ;
Sans calculer les frais ni la distance,
Aux bains les plus fameux j’allais de préférence.
A mes goûts maintenant mon Nomentum suffit ;
Les voyages lointains n’ont plus rien qui me plaise ;
J’aime mieux près de Rome un commode réduit,
Toujours bien, si j’y puis paresser à mon aise.

44.

CONTRE CALLIODORE.

Calliodore, aucun, prétends-tu, ne manie
Mieux que toi la plaisanterie,
Et toujours tes bons mots sont d’un excellent goût,
Aussi, dans les festins, dans les cercles, partout,

Présents, absents, homme ni femme,
Nul n’échappe à ton épigramme.
Mais de ces traits d’esprit dont tu fais tant de cas
Veux-tu savoir quels sont les résultats ?
Crois-en, Calliodore, un moniteur sincère :
Tu peux bien amuser, mais on ne t’aime pas ;
Et, ma véracité dût-elle te déplaire,
Malgré tout ton esprit, jamais dans un repas
Un convive, du tien n’approchera son verre.

46.

À CATIANUS, SUR UN QUADRIGE EN BRONZE.

Le fouet a beau presser ce venète quadrige,
Il demeure immobile : on croit voir un prodige.

47.

À LA NYMPHE IANTHIS.

Nymphe de mon ami, dont l’onde cristalline
Sous ses riches lambris entretient la fraîcheur,
Dis-moi quelle est ton origine,
A qui doit-il cette faveur ?
Serait-ce la nymphe Egérie,
La chaste épouse de Numa,
Qui, pour complaire à mon Stella.
T’envoie à lui de la grotte chérie

Où dans l’été Diane évite la chaleur ?
Des muses serais-tu la sœur,
Ou la nymphe de Castalie ?
Naguère, affaibli, languissant,
j’osai furtivement boire à ta source pure,
Et te promis que, mieux portant,
Une laie encore vierge expirait cette injure.
Je dégage mon vœu ; mais toi, je t’en conjure,
Permets qu’à l’avenir je vienne en liberté
Y boire encore même en santé.

48.

SUR POMPONIUS.

Lorsqu’à ta table un essaim parasite
Fait de ses longs bravos retentir le fracas,
Ta vanité tout bas se félicite,
Pomponius ; mais, ne t’y méprends pas,
C’est qu’on applaudit au mérite
De ton repas.

51.

À LUPERCUS.

Souvent sans m’inviter tu donnes à manger,
Mais bientôt tu verras si je sais me venger.
Par lettre, par message, ou même par prière,
Appelle, invite-moi : dans ma belle colère
Tu verras ce que je ferai !
— Eh bien ! que feras-tu ? — Pour te punir, j’irai.

52.

EPITAPHE DE PENTAGATHUS.

Ici Pentagathus a sa froide demeure,
Pentagathus, l’amour d’un maître qui le pleure
Instruit dans l’art de retrancher
Le luxe d’une épaisse et longue chevelure,
Et le poil hérissé qui voile la figure,
Il ne semblait pas y toucher.
Ravi dès le début de sa courte carrière,
De son deuxième lustre à peine il vit la fin ;
Autant que tu le dois, terre, sois-lui légère,
Jamais tu ne pourras l’être autant que sa main.

53.

SUR UNE MORT SUBITE.

Nous avions pris ensemble un bain
Suivi d’un repas assez fin.
Le cœur joyeux, le corps bien sain
Nous nous quittons. Le lendemain
J’apprends, non sans un vif chagrin,
Que notre convive Germain
Dans son lit vient par un voisin
D’être trouvé mort le matin.
Longtemps je me demande en vain
D’où vient un trépas si soudain :
Je crois le deviner enfin :

En rêvant, le pauvre Germain
Aura cru voir son médecin.

55.

CONTRE CORACINUS.

Semblable aux sachets de senteurs
Préparés chez les parfumeurs,
Coracinus, de sa personne,
Fait un vrai magasin d’odeurs.
Chacun le fuit : il s’en étonne ;
Mais qu’il se persuade bien
Qu’il vaudrait mieux ne sentir rien
Que de sentir odeur si bonne.

57.

CONTRE PHÉBUS.

La pommade à ton front prête une chevelure,
Et ton crâne est couvert de cheveux en peinture.
Si quelque jour tu veux, par propreté,
En nettoyer la sale nudité,
D’appeler un barbier il n’est pas nécessaire ;
Une éponge, Phébus, fera mieux ton affaire.

58.

À AULUS PUDENS.

Tandis que, visitant la zone glaciale
Tu contemples le cours de l’ourse boréale,
Qu’il s’en est peu fallu que, sur les sombres bords,
J’allasse contempler le royaume des morts !
Mes yeux éteints, ma bouche au moment de se clore,
Cher Pudens, te cherchaient et t’appelaient encore.
Si les trois Sœurs pour moi ne filent point en noir.
Si pour toi, près des dieux ma voix a du pouvoir,
Puissions-nous nous revoir de retour à la ville,
Moi bien portant, et toi, chevalier primipile !

59.

CONTRE BACCHARUS.

Fier de six cents manteaux bien garnis de fourrure,
Sans cesse Baccharus appelle la froidure,
Et dans chaque saison se plaint de nos climats.
Pour lui notre automne est trop tiède,
Notre hiver tempéré l’excède ;
Il lui faut des brouillards, des neiges, des frimas.
Pour étaler l’orgueil des manteaux qu’il possède.
Cruel, quel mal t’ont fait nos surtouts écourtés,
Par le plus léger vent soulevés, emportés ?
Tu serais plus humain, et bien moins ridicule,
D’endosser la fourrure en pleine canicule.

60.

SUR POMPILLUS.

« Pompillus a rempli son but : il sera lu ;
« Son nom dans l’univers va courir répandu. »
— Qu’il soit lu, j’y consens ; c’est ainsi qu’on renomme
Le roux Usipien, et tout rival de Rome.
— Ses ouvrages pourtant ne manquent pas d’esprit.
— L’esprit seul ne saurait faire vivre un écrit ;
Chaque jour nous en donne une nouvelle preuve.
Que d’auteurs qu’on a lus, que de livres diserts
Enveloppent le poivre, ou sont mangés des vers !
il faut plus, si du temps on veut franchir l’épreuve :
Seul le sceau du génie éternise les vers.

61.

CONTRE UN ENVIEUX.

Rome applaudit mes vers, les vante, les répète ;
On me tient à la main, on me porte avec soi.
Voilà qu’un envieux, dans sa rage indiscrète,
Frémit, rougit, pâlit, déclame contre moi ;
Je suis enfin sa bête noire.
Mon triomphe est complet, rien ne manque à ma gloire.

62.

SUR OPPIANUS.

Avec son fils unique, en sa fleur moissonné,
Silanus a perdu son soutien et sa joie.
Vite, que ta largesse, Oppian, se déploie !
As-tu quelque présent qui lui soit destiné ?
Cours, ou crains qu’un rival encore plus acharné
Ne lui porte le sien, ou déjà ne l’envoie.
Destin cruel ! ô père infortuné !
De quel vautour deviendras-tu la proie ?

63.

À MARIANUS.

Tu vois, Marianus, qu’on cherche à te séduire,
Et tu sais à quel but tout captateur aspire.
Or, nul ne fut jamais plus âpre que le tien ;
Tu ne l’ignores pas ; et pourtant, de ton bien
Tu le fais l’héritier, l’unique légataire.
— De ses présents nombreux c’est le juste salaire.
— Insensé ! ces présents cachent un hameçon ;
Et que doit au pêcheur le malheureux poisson ?
— Il pleurera ma mort. — Oui, de pleurs mercenaires ;
Point de legs, et ses pleurs alors seront sincères.

64.

CONTRE UN DÉTRACTEUR.

Tu ne rappelles point l’austère Fabius ;
Rien en toi ne nous peint l’agreste Curius,
Dont l’épouse rustique accoucha sous un chêne,
Portant à son mari son dîner, dans la plaine
Qu’il sillonnait, aidé de ses bœufs vigoureux.
Fils d’un père sans mœurs et d’une mère infâme.
Toi, qui sembles plutôt l’épouse de ta femme,
Te sied-il de blâmer mes vers partout fameux,
Et d’affecter le ton d’un censeur rigoureux ?
Ces jeux de mon esprit, dont la fortune est faite,
Chez les grands, au sénat, partout on les répète.
Sura, qui de Diane est le proche voisin,
Et qui de son logis sur le mont Aventin
Peut voir les jeux du Cirque, à mes légers ouvrages
Ne refuse pas ses suffrages ;
L’éloquent Régulus les cite à chaque instant ;
L’immortel Silius les aime, les accueille,
Et daigne leur donner place en son portefeuille.
Je dis plus : l’empereur lui-même, assez souvent,
Au milieu des travaux qu’entraîne un vaste empire,
Sait trouver le moment de les lire et relire.
Mais ton esprit, apparemment divin,
N’a point d’égal, et ta raison plus saine
Aux leçons de Minerve a puisé dans Athène

Un tact, un goût plus pur, un jugement plus fin.
Eh ! malheureux ! ton goût, ce goût dont tu te vantes,
Peut tout au plus juger les vapeurs rebutantes
Qu’exhalent les débris dont un boucher sanglant
Offense le regard et le nez du passant !
Et pourtant contre moi ta verve poétique
Ne craint pas d’exercer sa rage satirique !
Pauvre papier perdu que personne ne lit !
Prends garde, cependant ! si ma bile allumée
De stygmates brûlants une fois te flétrit,
Tout l’art de Cinnamus, malgré sa renommée,
N’en effacera point l’empreinte envenimée ;
Et ton nom conspué, courant dans l’univers.
Pour ta honte y vivra tant que vivront mes vers.
Prends pitié de toi-même, et crains dans ta folie,
Mordant un ours vivant, d’éveiller sa furie.
Il est paisible encore, et même caressant ;
Mais, jouant avec lui, si tu vas l’agaçant,
Si tu le blesses, tremble ! en sa juste colère,
L’animal offensé reprend son caractère,
Il redevient un ours. Pour exercer ta dent,
Crois-moi, choisis un ours qui ne soit pas vivant.

65.

À TUCCA.

L’épigramme est, chez moi, traitée en hexamètre ;
Tu m’en blâmes, Tucca ? Qu’y vois-tu d’étonnant ?

Quel mal, si le public veut bien me le permettre ?
Tant d’autres, avant moi, l’ont fait impunément !
— Mais leur longueur ! — C’est chose encore fort ordinaire.
Si la brièveté seule a droit de te plaire,
Lis les distiques seulement.
Or, transigeons : à toi permis de ne pas lire
Les sujets que tu crois traités trop longuement ;
A moi permis de les écrire.

70.

À MARTIANUS.

Douze lustres entiers, surchargés de trois ans ;
De Cotta sont maintenant l’âge ;
Et sur son corps bien sain, qui triomphe du temps,
Nul mal, jusqu’à présent, n’exerça son ravage.
Il faut le voir, d’un doigt moqueur,
Narguant et droguiste et docteur,
Dont il n’a jamais fait usage !
Et nous, de nos jours de santé
Si, par un partage équitable,
Nous voulons séparer les jours où nous accable
L’ennui, la toux, la fièvre, et mainte infirmité,
Chargés d’ans, nous mourons presque encore dans l’enfan
Lorsque, dans nos calculs, à Priam, à Nestor,
A tant d’autres vieillards encore,
Nous supposons une longue existence,
Que nous sommes souvent loin de la vérité !
Ne comptons point les jours perdus dans la souffrance ;
La seule vie est la santé.

72.

SUR LE VOLEUR CILIX.

Cilix, fameux voleur, pénètre en un jardin
Dont un Priape en marbre était l’unique garde ;
Il se flattait d’y faire un grand butin.
Mais dans ce vaste enclos c’est en vain qu’il regarde,
Qu’il furète partout, il n’y rencontre rien :
Faute de mieux, le drôle emporte le gardien.

74.

À ESCULANUS.

Cet homme que tu vois à table, au second rang,
Dont le front dépouillé semble faire parade
De cheveux en sillons tracés sur la pommade ;
Qui du lentisque aigu s’escrime à chaque instant,
Il n’a que trois cheveux, et n’a pas une dent.

75.

CONTRE PONTIA.

Pontia, tu me dis, quand parfois il t’arrive
De m’envoyer un pigeon, une grive,
Une cuisse de lièvre, ou bien quelques perdreaux :
« Je m’ôte, en ta faveur, les morceaux de la bouche. »

— Merci du compliment ; mais garde tes cadeaux,
Je n’en dispose pas, et jamais je n’y touche.

77.

CONTRE AFER.

Aussi pauvre qu’Irus, peut-être plus encore,
Quand tu n’as rien perdu de ta jeune vigueur
Qui pouvait défier l’athlète Artémidore
Au temps où dans le Cirque éclatait sa valeur,
Tu te fais donc porter dans un large hexaphore ?
Afer, on te bafoue avec plus de raison,
Que si, nu, tu passais au milieu du Forum.
Ainsi l’on montre au doigt sur sa chétive mule
Atlas, cet avorton moins que toi ridicule,
Ou le noir Africain, qui d’un air triomphant
Se pavane, juché sur son noir éléphant.
Pourquoi donc afficher l’orgueil d’une litière,
Toi qui n’as pas de quoi payer même une bière ?

78.

À AULUS, SUR UN BORGNE.

Aulus, tu connais Phryx, ce buveur si fameux,
Borgne d’un œil, de l’autre, chassieux ;
Son médecin lui dit : Veuillez m’en croire,
Le vin vous est contraire ; ami, cessez d’en boire,
Ou vous perdrez la vue entièrement.
Eh bien, adieu mon œil ! répond Phryx très-gaîment

Qu’on me verse à pleins bords double et triple mesure
D’un vin sans eau, mais surtout qu’il soit bon !
Aulus, veux-tu savoir la fin de l’aventure ?
Phryx but le vin, et son œil le poison.

79.

À LUPUS.

Heureux et mécontent ! Paix ; ne fais point d’éclat !
La Fortune aurait droit de t’appeler ingrat.

80.

SUR DES ROSES ENVOYÉES A CÉSAR.

Fière de ses jardins, l’Égypte en t’envoyant
De ses roses d’hiver un tribut volontaire,
Divin César, a cru te faire
Un rare et merveilleux présent.
Mais l’envoyé du Nil dans notre capitale
A peine a mis le pied, qu’il s’arrête, surpris :
Le printemps, en janvier, dans sa pompe s’étale,
Et Rome est un jardin où partout Flore exhale
De l’odorant Pœstum les trésors réunis.
Partout où vont ses pas, où son regard s’arrête,
La rose au-dessus de sa tête
Se balance en guirlande ou se groupe en bouquets ;
Il voit les murs parés des festons les plus frais,
Et les chemins, de fleurs sous les frimas écloses.
Cède aux hivers de Rome, ô Nil, et désormais
Viens échanger tes blés contre nos roses.

82.

À RUFUS.

Hier, je me vis accosté
D’un sot que je ne connais guère,
Qui, lorsqu’il m’eut bien inspecte
Du doigt, de l’œil, devant, derrière,
(A peu près comme pourrait faire
Pour un esclave un acquéreur,
Ou, si l’on veut, un revendeur)
Me parlant d’un air de mystère :
« Ne seriez-vous pas, me dit-il,
Ce Martial, ce demi-sage
Dont l’esprit caustique et subtil,
A toute oreille non sauvage
Fait agréer son badinage ? »
Baissant les yeux modestement,
Je laisse échapper un sourire
D’une façon qui voulait dire :
Oui, c’est moi-même justement.
Mon questionneur continue :
« Puisque j’ai si bien rencontré,
Pourquoi vous montrer dans la rue
Avec un manteau déchiré ?
— C’est que je suis mauvais poète. »
Pour m’éviter à l’avenir
Cette question indiscrète
Et l’aveu qui m’a fait rougir,
Rufus, ne pourrais-tu couvrir
D’un meilleur manteau ton poète ?

83.

À DOMITIEN.

De son père exilé compagnon volontaire,
Un fils, par son beau dévoûment,
De l’empereur a su désarmer la colère,
Ô généreux César ! et le fils et le père
A ton bienfait ont part également,
Et près de toi, tous deux ils sont rentrés en grâce.
Quand tu lances ta foudre, un pieux mouvement
En amortit l’atteinte, et ta bonté l’efface.
Que n’est par Jupiter ton exemple imité !
Il frapperait en père et souvent à côté.
Ta clémence, ô César ! doublement nous est chère ;
Elle nous rend le fils en rappelant le père.

84.

SUR PHILIPPE.

Un octaphore à toi ! quelle sottise extrême !
Si tu n’es pas un fou, j’en veux être un moi-même.

85.

PLEURS DONNÉS A LA MORT DE RUFUJS.

J’espérais vainement présenter à Rufus
Ce sixième recueil des produits de ma muse ;

C’en est fait ! il ne lira plus
Ces jeux badins où mon esprit s’amuse.
Funeste Cappadoce, ô séjour dangereux
Qu’il visita sous le plus noir auspice,
Toi qui fus de sa mort et témoin et complice,
Devait-il approcher de tes bords malheureux,
A son père éploré si tu ne devais rendre
Que de froids ossements, qu’une insensible cendre ?
Ton fils chéri n’est plus, Bologne ! prends le deuil,
Des pleurs les plus amers arrose son cercueil,
Et remplis de tes cris la voie Émilienne !
Eh quoi ! si jeune encore ! près de l’Alphée à peine
Il avait vu cinq fois couronner le vainqueur,
Et la mort tout à coup l’a ravi dans sa fleur !
Toi qui lisais mes vers, et qui dans ta mémoire
Aimais à déposer ces fruits de mes loisirs,
Rufus, avec mes pleurs et mes tristes soupirs,
Reçois ce grain d’encens que je brûle à ta gloire
Lorsque tu ne vis plus que dans nos souvenirs !

86.

CONTRE LES BUVEURS D'EAU.

De Cécube et Falerne, ô nectar précieux !
Que la neige a saisi d’un frais délicieux,
Quand pourrai-je, affranchi d’un régime sévère,
Au gré de mes désirs te sabler à plein verre ?
Bacchus, pour tes amis réserve tes douceurs ;
Et qu’ils en soient privés, tous ces tristes buveurs
Dont le cœur sec, ingrat, à ton divin breuvage
Préfère de Midas l’opulent héritage !
Que sont, au prix de tes faveurs.

Les blés d’Afrique et les trésors du Tage ?
Je suis loin d’envier vos goûts,
Vous que l’amour de l’or possède ;
Si des miens vous êtes jaloux,
Quand je vous laisse votre eau tiède
Je suis assez vengé de vous.

87.

A CÉSAR.

César tient son bonheur de lui-même et des cieux ;
Le mien est dans la main de César et des Dieux.

88.

A CÉCILIANUS.

Ce matin, négligeant l’ordinaire formule,
Je t’ai salué par ton nom,
Sans ajouter celui de maître ou de patron ;
Mais tu me fais payer ma fierté ridicule ;
Elle me coûte une sportule.

92.

SUR AMMIANUS.

Dans ta coupe un serpent fut gravé par Myron,
Aussi ton vin toscan n’est-il qu’un vrai poison.

93.

SUR THAÏS.


Le vieux pot qu’un foulon dans la rue a jeté,
Le bouc échauffé de luxure,
L’haleine du lion, le poulet avorté,
D’un chien le cadavre empesté,
L’amphore où s’est aigrie une vieille saumure.
N’égalent point l’odeur impure
Dont auprès de Thaïs on se sent infecté.
Pour couvrir de sa peau l’exhalaison fétide,
Elle se rend aux bains, et, quittant ses habits,
Se frotte d’un mordant et d’une craie acide ;
Puis, à quadruple couche, étend sur ces enduits
Une pâte de fève grasse.
Inutiles efforts ! Thaïs, quoiqu’elle fasse,
Sent, et toujours sentira la Thaïs.

94.

SUR CALPÉTIANUS.


Calpétien, qu’il dîne en ville, à la campagne,
En voyage ou chez lui, se fait servir partout
Une vaisselle d’or qui toujours l’accompagne ;
Le travail en est riche et d’un merveilleux goût.
— Il n’en a donc point d’autre ? — Il n’en a pas du tout.


FIN DU SIXIÈME LIVRE.