Épigrammes (Martial)/1841/04

Traduction par Constant Dubos.
Chapelle (p. 121-165).

LIVRE QUATRIÈME.


1.

SUR L’ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE DOMITIEN.

O jour qui de César signalas la naissance,
Plus solennel, plus auguste à nos yeux
Que le jour où l’Ida, du plus puissant des Dieux
En secret accueillit l’enfance !
Reviens toujours serein, et plus nombreux encor
Qu’on ne te vit jadis revenir pour Nestor.
Qu’ainsi puisse César, durant longues années,
Brillant de pourpre et d’or, dans les Panathénées,
De couronnes de chêne honorer les vainqueurs !
Qu’il préside au retour des grands jeux séculaires,
Et renouvelle les mystères
Que consacra jadis Rome à ses fondateurs !
Nous implorons de vous de bien grandes faveurs,
Dieux du ciel ! mais nos vœux pourraient-ils vous déplaire ?
Il s’agit de César, notre Dieu sur la terre.

2.

SUR HORACE.

Aux jeux, hier, les spectateurs,
Chacun à son rang, sénateurs,
Chevaliers, et le peuple même,
Tous, ainsi que leur chef suprême,
En toge, en robe, en manteaux blancs,
Du cirque garnissaient les bancs.
Vêtu de noir, le seul Horace,
Dans tout le circulaire espace
Tranchait par sa sombre couleur ;
Lorsque la neige, par bonheur,
Aux yeux de l’assemblée entière,
Vint du sinistre spectateur
Blanchir la robe réfractaire.

3.

SUR LA NEIGE QUI COUVRIT DOMITIEN AU SPECTACLE.

Quelle humide toison de neige condensée
Inonde de César le visage et le sein ?
Il n’en murmure pas, et voit d’un œil serein
L’eau sur sa tête en flocons amassée,
Accoutumé qu’il est à braver les frimas
Et les glaçons des plus rudes climats.

Mais, quel Dieu te lutine, ô César ? Je m’abuse
Ou, dans ce nuage innocent
Qui du ciel sur ton front descend,
Je reconnais un jeu de ton fils qui s’amuse.

4.

CONTRE BASSUS.

D’un marais desséché l’exhalaison fangeuse,
De l’Albula dormant la vapeur sulfureuse,
Le bain où l’eau de mer a longtemps séjourné,
Du soldat vétéran le manteau suranné,
Du juif encor à jeun l’haleine aigre et fétide,
Celle de l’accusé que son juge intimide,
La lampe de Léda, qui meurt sans aliment,
L’huile dont le Sabin pétrit son Uniment,
Le bouc avec ardeur poursuivant sa compagne,
La pourpre qui deux fois teint la laine d’Espagne
Le gîte où la vipère a reposé la nuit,
L’urine du renard que la meute poursuit,
De ces mortels poisons, Bassus, aucun n’égale
L’horrible puanteur que ta personne exhale.

5.

À FABIEN.

Belle âme, cœur loyal, et parfait honnête homme,
Mais pauvre, Fabien, que viens-tu faire à Rome ?

Peux-tu, vil complaisant d’un patron libertin,
Être son compagnon de débauche et de table ;
Ou bien, chaque matin, d’une voix redoutable,
Citer aux tribunaux le fourbe ou l’assassin ;
Corrompre d’un ami l’épouse belle et sage,
Ou d’une riche vieille épier l’héritage ?
Te verra-t-on, des grands assiégeant les palais,
Trafiquer d’un crédit que tu n’auras jamais ?
Tu ne peux seconder, louangeur mercenaire,
Des idoles du jour la vogue passagère ;
Homme droit, ami vrai, tu crois percer ? Erreur !
Tu n’atteindras jamais au destin d’un Auteur.

6.

À MASSILIANUS.

D’une vierge au front ingénu
Tu veux affecter l’innocence ;
Mais toujours un cœur corrompu
Se trahit par quelque imprudence.
Oubliant ta feinte pudeur,
Chez Stelle, hier, l’après-soupée,
Je t’ai vu sourire à l’auteur
D’un écrit libre et corrupteur,
Ou plutôt d’une priapée.

8.

À EUPHÈME.

Des repas de César prudent ordonnateur,
Euphème, de mes vers deviens le protecteur.

Du jour l’heure première, ainsi que la deuxième,
Appartient aux clients ; aux plaideurs la troisième.
Jusqu’à cinq, occupée à différents travaux,
A six, Rome respire ; à sept, complet repos.
De huit à neuf, la lutte ; ensuite vient la table ;
Et la dixième enfin est l’heure favorable
Où tu peux à mes vers permettre un libre accès.
Dans l’instant où César goûte, mais sans excès,
Les mets chéris des Dieux, le nectar, l’ambroisie,
Introduis près de lui ma folâtre Thalie,
Dont les jeux n’oseraient, dans leur libre gaîté,
De Jupiter à jeun braver l’austérité.

10.

À FAUSTIN.

Cette feuille nouvelle écrite de ma main,
Et dont je n’ose encor poncer le parchemin,
Tant l’écriture est fraîche et craint d’être effacée,
Enfant, va la porter à mon ami Faustin,
C’est à lui qu’elle doit d’abord être adressée.
Pars, et joins cette éponge à mon faible présent,
De mes vers nouveau-nés digne accompagnement.
Ma main de leurs défauts n’a pu faire justice,
Mais un seul coup d’éponge en peut remplir l’office.

11.

CONTRE ANTOINE SATURNIN.

Ta vanité rougit du nom de Saturnin,
Et d’un nom plus fameux se pare enorgueillie.

Misérable ! ce nom présage ton destin.
Quand ton ambition sans frein
Dans le fond de la Germanie
Renouvelle la guerre impie
Qu’Antoine osa jadis faire au peuple romain,
Tu prétends imiter l’amant de Cléopâtre !
As-tu donc oublié que ce nom malheureux
A vu périr sa gloire en ces débats fameux
Dont Actium fut le théâtre ?
Tu comptes sur le Rhin ; mais le Rhin fera-t-il
Pour toi, ce que pour lui n’a pu faire le Nil ?
Cet Antoine lui-même a fléchi sous un maître :
Et qu’es-tu près de lui ? sache enfin te connaître ;
Il fut presque un César, et toi tu n’es qu’un traître.

13.

ÉPITHALAME DE PUDENS ET DE CLAUDIA.

Prépare tes flambeaux, ô riant Hyménée !
Pudens et Claudia joignent leur destinée.
De l’amome et du nard les parfums précieux
Pour flatter l’odorat ne s’unissent pas mieux.
Tel nous voyons le généreux massique
Mêler sa sève au miel des coteaux de l’Attique ;
La jeune vigne ainsi s’entrelace aux ormeaux.
Tel, sur le bord des limpides ruisseaux,
Le myrte figure avec grâce ;
Ou telle encor la feuille du lotos
Pare d’un lac la paisible surface.
Bénis, heureuse paix, l’union de deux cœurs

Que sous ses lois l’hymen engage ;
Et toi, Vénus, des plus douces faveurs
Comble, sans te lasser, un si rare assemblage !
Fidèle à son époux, jusqu’à son dernier jour
Que son épouse le chérisse ;
Et que jamais, par un juste retour,
Aux yeux de son Pudens Claudia ne vieillisse !

14.

À SILIUS ITALICUS.

Honneur des vierges d’Aonie,
Qui nous peins à grands traits, d’un peuple détesté
Les cruautés, la noire perfidie,
Et le fourbe Annibal, si longtemps redouté,
Sous les grands Scipions abaissant sa fierté,
Silius, au repos Saturne te convie ;
Décembre en ce moment permet qu’en liberté
Le cornet du joueur en tous lieux retentisse,
Et que sa main subtile, avec dextérité,
Du sort de temps en temps corrige l’injustice.
Laisse un moment la gravité,
Et daigne avec faveur accueillir mon ouvrage ;
Ne juge pas avec sévérité
Ces vers empreints d’une vive gaîté,
Et songe qu’à Virgile offrant son badinage,
Catulle d’un moineau fit agréer l’hommage.

15.

À CÉCILIEN.

 « Pour sept ou huit jours tout au plus,
Mon cher, prête-moi cent écus.
— Je ne le puis : sur ma parole,
Chez moi je n’ai pas une obole.
— Un ami m’arrive ce soir ;
Dans une occasion si belle,
Pour m’aider à le recevoir,
Prête-moi du moins ta vaisselle.
— Ou ton esprit est bien obtus,
Ou tu me crois bien imbécile :
Je t’ai refusé cent écus,
Ce n’est pas pour t’en donner mille. »

16.

CONTRE GALLUS.

Gallus, tant qu’a vécu ton père,
La chronique voulait que de ta belle-mère
Tu fusses plus que le beau-fils ;
Mais, lui vivant, ce point paraissait indécis.
Aujourd’hui qu’il n’est plus, dans la même demeure
Elle reste, et te voit tous les jours, à toute heure.
Non, le grand Cicéron revînt-il des enfers,
Dût Régulus lui-même embrasser ta défense,

Tu verrais échouer toute leur éloquence
Contre des faits si parlants et si clairs.
La veuve qui toujours reste ta belle-mère,
Gallus, ne l'était pas du vivant de ton père.

18.

SUR UN ENFANT TUÉ PAR UN GLAÇON.

Non loin du portique fameux
Qu’Agrippa fit construire, est une porte humide
Dont la voûte, en tout temps, sur un pavé fangeux
Distille goutte à goutte une eau froide et limpide.
Le front penché, le cou tendu,
Un enfant s’avançait sous cette voûte obscure.
Un filet d’eau glacée aux parois suspendu
Se détache. Ô malheur ! le trait inattendu
Dans le cou de l’enfant plonge sa pointe dure.
Le malheureux expire, et le glaçon aigu
S’attiédit dans la plaie et redevient fluide.
Ce sont là de tes coups, ô Fortune perfide !
Qui l’eût cru, qu’à défaut d’une épée ou d’un dard,
D’un filet d’eau tu fisses un poignard ?

19.

SUR UN MANTEAU APPELÉ ENDROMIDE.

Ami, reçois de moi cette épaisse fourrure,
Rempart impénétrable au vent, à la froidure,

Et qui contre l’hiver saura te protéger.
Gauloise d’origine, agreste mais solide,
A Sparte on l’adopta : sous un ciel étranger
Elle garde toujours son nom grec d’endromide.
Soit que ton corps, frotté d’un mélange onctueux,
Développe en luttant ses membres vigoureux,
Ou soit que par ta main une balle lancée,
Te revenant vingt fois, soit vingt fois repoussée,
Soit encore qu’au stade, à ton rival Athis
De la légèreté tu disputes le prix,
Dût l’aquilon sur toi déployer sa furie,
Dût Iris t’inonder par des torrents de pluie,
Tout trempé de sueur, tu peux impunément
Braver sous l’endromide et la pluie et le vent ;
Du froid manteau de Tyr peut-on en dire autant ?

20.

SUR CÉLIE ET SA SŒUR.

Célie est une enfant, et se dit déjà vieille ;
Sa sœur, à soixante ans, n’en prend que la moitié :
De toutes deux la sottise est pareille ;
Célie est ridicule, et sa sœur fait pitié.

21.

SUR SÉLIUS.

Je n’admets pas de Providence,
Dit Sélius, et ne crois pas aux Dieux ;

Ma preuve, la voici : niant leur existence,
Tout me prospère et sourit à mes vœux.

23.

À THALIE, SA MUSE.

Muse, entre tes auteurs chéris
Pour assigner le rang, tandis que ton suffrage
Balance, et ne sait pas, trop longtemps indécis,
De l’épigramme grecque à qui donner le prix,
Un de tes plus chers favoris,
Callimaque lui-même adjugeant la victoire,
Au Romain Brutien en a cédé la gloire.
Mais si Brutien quelque jour,
Laissant la muse athénienne,
Courtise la nôtre à son tour,
Daigne marquer ma place après la sienne.

24.

À FABIEN.

Si Lycoris fait une amie,
C’est pour la voir bientôt ravie au jour.
Fasse le ciel qu’au gré de mon envie
Ma femme lui plaise à son tour !

25.

SUR LES RIVAGES D’ALTINUM.

O d’Altinum délicieux rivage,
Qui de Baya me retraces l’image ;
Bois consacré par les douleurs
Et les larmes des Héliades ;
Lac Euganée, où le dieu des pasteurs,
Faune, épousa la perle des Dryades ;
Et toi, belle Aquilée, où, par sept embouchures,
Le Timave à la mer roule ses ondes pures
Qui du fils de Léda baignèrent le coursier ;
Beau lieu, de mes amours vous serez le dernier.
Si je puis disposer des jours de ma vieillesse,
Je viendrai chercher parmi vous
Le calme où j’aspire sans cesse ;
Je ne veux pas, pour ma chère paresse,
De port plus assuré ni d’asile plus doux.

26.

À POSTHUME.

Pour n’avoir point été pendant toute une année
Te porter le salut de chaque matinée,
Mon cher, veux-tu savoir combien d’as j’ai perdus ?
Trente environ : ma robe eût coûté deux fois plus.

27.

À DOMITIEN.

Pour les légers enfants de mon joyeux cerveau
Ton goût, César, est bien notoire ;
L’envieux n’en croit rien, ou feint de n’en rien croire,
Tandis que de ta part un éloge nouveau
Ajoute tous les jours un fleuron à ma gloire.
Que dis-je ? passant aux effets,
Par le plus rare des bienfaits
Tu viens d’appuyer tes suffrages.
Grâce à ta libéralité,
De la triple paternité
Je recueille les avantages.
Poursuis, César, et que de ta faveur
La preuve à mon égard si bien se multiplie,
Que mon Zoïle, en voyant mon bonheur,
Sèche et meure de jalousie.

28.

À CHLOÉ.

Au vil Lupercus, ton amant,
Tu ne sais refuser rien de ce qui le flatte
Malheureuse Chloé ! Rubis et diamant,
Manteau d’Espagne et robe d’écarlate.

Sont les tributs dont chaque jour
Tu crois devoir payer son mercenaire amour.
Sans cesse, de sa part, c’est nouvelle demande,
De la tienne, nouvelle offrande ;
Hier, en prétextant je ne sais quel besoin
Qu’il fit valoir avec adresse,
Il eut encor de toi (rougis de ta faiblesse !)
Cent écus d’or frappés au nouveau coin.
Bientôt, jusqu’à la peau pauvre brebis tondue,
Grâce à ton Lupercus, tu seras toute nue.

29.

À PUDENS.

Mes livres trop nombreux font tort à leur auteur :
Trop de vers à la fois rebutent le lecteur.
C’est de leur rareté que vient le prix des choses.
Ainsi nous préférons les fruits dans la primeur,
Et l’hiver à nos yeux double l’attrait des roses.
L’amant, que refroidit un trop facile accueil,
D’une prude, à tout prix, prétend dompter l’orgueil.
Quelques vers font à Perse un renom plus solide
Que n’en fait à Marsus sa longue Amazonide.
Toi, si de mon recueil un livre est sous tes yeux,
Suppose qu’il est seul : tu le jugeras mieux.

30.

À UN PÊCHEUR.

Porte loin de Baya tes filets imprudents,
Pécheur ; ignores-tu qu’un divin privilège

Consacre de ce lac les muets habitants,
Et qu’on n’y peut toucher sans être sacrilège ?
Tous connaissent leur maître, et baisent cette main
A qui de l’univers est remis le destin.
Chacun d’eux a son nom ; et quand le prince arrive,
Celui qu’il a nommé s’empresse vers la rive.
Naguère, un étranger, un profane Africain
Dans ces profondes eaux épiait son butin :
Frappé d’un coup du ciel, soudain il perd la vue,
Et ne voit plus sa proie au roseau suspendue.
Depuis, au bord du lac assis, dans son malheur
Il mendie, accusant sa criminelle erreur.
A ces poissons sacrés adresse ton hommage,
Ami pêcheur ; crois-moi, repliant tes filets,
Sans amorce perfide offre-leur quelques mets ;
Puis, innocent encor, fuis loin de ce rivage.

31.

À HIPPODAMUS.

Tu fais cas de mes vers, et te ferais honneur
De passer quelquefois sous l’œil de mon lecteur.
Ta demande me flatte : elle a de quoi me plaire,
Et de grand cœur je veux te satisfaire.
Mais ta mère, au mépris et du goût et du son,
Loin des sources du Pinde alla te prendre un nom
Dont Phébus et ses sœurs, dans leur divin langage,
Jamais ne voudront faire usage.
Ainsi, dans mille noms divers,
Pour être admis dans mon ouvrage,

Prends celui qui pourra leur plaire davantage ;
Le nom d’Hippodamus figure mal en vers.

32.

SUR UNE ABEILLE ENFERMÉE DANS UN MORCEAU DE SUCCIN.

Dans l’ambre transparent cette abeille inhumée,
En son propre trésor semble s’être enfermée ;
Pour prix de ses travaux tel est son noble sort :
Aurait-elle jamais pu mieux choisir sa mort ?

33.

À SOSIBIANUS.

Tu tiens en portefeuille un ouvrage piquant
Avec soin renfermé : dis-moi par quel caprice ?
— Mes héritiers un jour le publîront. — Mais quand ?
N’est-il pas temps qu’enfin on en jouisse ?

34.

À ATTALUS.

Qu’il est sale ton vêtement !
Mais on ne peut dire, pourtant
Que tu n’es pas vêtu de blanc.

35.

SUR UN COMBAT DE DAIMS.

Nous avons vu deux daims timides,
Pour la première fois devenus intrépides,
Front contre front, l’un l’autre se heurtant,
Frappés d’un coup pareil, tomber au même instant.
Témoins de leur combat, et privés de leur proie,
Les chiens sentent mourir leur sanguinaire joie.
Le chasseur étonné voit et ne comprend pas
Qu’il ne reste plus rien à faire au coutelas.
Comment un tel excès de rage
Entre-t-il dans un faible cœur ?
Pour combattre, un taureau n’a pas plus de vigueur ;
Pour mourir, le héros n’a pas plus de courage.

36.

À OLUS.

Tu portes barbe blanche et noire chevelure ;
Ainsi l’art est chez loi trahi par la nature.

37.

À AFER.

« Coracinus me doit cinquante écus,
« Titius cent cinquante, et deux cents Albinus ;

« Chez Sabin j’en ai placé mille,
« Autant encor chez Serranus ;
« Mes biens de campagne et de ville
« M’en rapportent dix mille et plus ;
« Sur mes troupeaux de Parme et sur ceux de Tarente,
« Chaque année une forte rente
« Accroît encor mes revenus. »
— De cette longue litanie
Tu m’assommes, Afer, tous les jours de ta vie,
Et j’oublîrais plus tôt, je crois, mon propre nom.
S’il faut que pour entendre encor même chanson
Mon oreille se sacrifie,
Tu voudras bien, j’espère, trouver bon
Que je réclame un prix pour tant de complaisance,
Et que de mon ennui ton or me récompense.

38.

À GALLA.

Résiste-moi, Galla ; l’amour vit de refus ;
Mais finis par céder : il meurt par les rebuts.

39.

SUR CHARINUS.

Toute espèce d’argenterie
De Charin remplit les buffets ;

Les chefs-d’œuvre les plus parfaits.
Produits de la rare industrie
De Myron et de Phidias,
De Praxitèle, de Scopas
Et de Mentor en font partie.
Eh ! que n’y rencontre-t-on pas ?
Des Glanius bien authentiques ;
De riches plaqués gallaïques,
Merveilles de tout genre ; bref,
Des ciselures en relief,
Grand luxe des tables antiques.
Mais, quoi ! dans ce trésor orné
Des objets les plus magnifiques,
Prodiges d’un art raffiné,
Qu’avec tant d’orgueil il nous montre,
Faut-il que mon œil n’en rencontre
Aucun qui ne soit profané ?

40.

À POSTHUME.

Le palais des Pisons, riche en nobles images,
Sénèque, à triple droit qu’on pouvait envier,
A ma jeunesse offraient d’illustres patronages.
Pour toi, j’ai négligé tous ces grands personnages :
Posthume, pauvre encor, et simple chevalier,
Dans mon cœur, des consuls effaçait le premier.
Je te restai fidèle, et durant trente années
Auprès de toi j’ai vu s’écouler mes journées.
Toujours le même lit nous recevait tous deux.

Comblé d’honneurs et de richesses,
Aujourd’hui sur les malheureux
Tu peux répandre tes largesses,
Même les prodiguer ; où sont donc tes promesses ?
Quoi ! Rien ?… Il est trop tard pour changer de patron !
Ah ! je te reconnais, ô Fortune volage !
Posthume, mon espoir, l’ami de mon jeune âge,
M’oublie, et je vieillis, hélas ! dans l’abandon !

41.

CONTRE UN MAUVAIS LECTEUR.

La laine dont ton cou, pour lire, s’embarrasse,
A mon oreille, ami, serait mieux à sa place.

44.

SUR LE VESUVE.

Le voilà donc ce mont dont les vignes ombreuses
Épanchaient les torrents d’un vin délicieux !
De ses bonds pétulants, de ses danses joyeuses,
Naguère le satyre animait ces beaux lieux
Que Bacchus préférait à ceux de sa naissance,
Et que le nom d’Hercule avait rendus fameux.
Vénus les consacrait souvent par sa présence :
Sparte elle-même avait moins de charme à ses yeux.
La flamme a tout détruit : partout laves et cendre !

Vésuve, te voilà tel que t’ont fait les dieux !
A de telles rigueurs devaient-ils donc descendre ?

45.

À PHEBUS.

D’un père, pour son fils, accueille la prière,
O Phébus, et souris à ses vœux paternels !
Pour lui concilier ta faveur tutélaire
Il verse à pleines mains l’encens sur tes autels.
A Bromis, qui parvient à sa quinzième année,
Accorde une carrière et longue et fortunée !
Exauce Parthénus ! Du laurier de Daphné
Qu’ainsi puisse ton front être toujours orné !
Que de ta chaste sœur la clarté virginale
Brille toujours aux cieux d’une splendeur égale !
Et que, de tes cheveux, pour dernière faveur,
Jamais ceux de Bromis n’atteignent la longueur !

46.

SUR SABELLUS.

Aux saturnales, Sabellus,
De présents, cette année, a fait ample recette ;
Il en triomphe, il ne se connaît plus.
Il croit, et partout il répèle

A qui veut l’écouter, qu’il n’est pas aujourd’hui,
Au barreau, d’avocat plus en crédit que lui.
Et d’où lui vient cette forfanterie ?
Il a reçu de ses clients
Des pois cassés, du poivre, de l’encens,
Demi-muid de farine et vin cuit de Syrie,
Mortadelles de Lucanie,
Long saucisson du pays des Toscans,
Et d’huîtres et d’oignons une bourriche pleine ;
Plus, il a reçu de Picène
D’olives un panier, mais non pas des plus grands,
De sept flacons une assez lourde cave
En terre de Sagonte, ouvrage d’un potier
Dont le travail décèle un art encor grossier,
Une serviette enfin brodée en laticlave.
En fait de présents, Sabellus,
En dix ans n’en a tant reçus.

47.

SUR UN PHÆTON PEINT A L’ENCAUSTIQUE.

Phæton fut brûlé par la foudre autrefois,
Par l’encaustique il brûle une seconde fois.

49.

À FLACCUS.

L’épigrarnme, Flaccus, et vous pouvez m’en croire,
N’est point un jeu, n’est point un simple amusement :

Rien n’est plus sérieux ; j’aimerais presque autant
Dans des vers ampoulés transmettre à la mémoire
Et Térée et Thyeste et leurs affreux repas ;
Le géant Polyphème, effroi de la Sicile,
Ou Dédale pleurant de son fils indocile
La triste chute et le trépas.
Modeste en sa parure ainsi que dans son style,
Ma muse n’admet point l’emphase et le fracas.
Aux poètes du jour laissant la bouffissure,
Elle fuit des grands mots l’ambitieuse enflure.
Objets de tous les entretiens,
De leurs vers fastueux le vulgaire s’engoue ;
Partout sur parole on les loue,
On prône leurs écrits ; soit ! mais on lit les miens.

51.

À CÆCILIANUS.

A mille écus ton bien ne montait pas encor,
Qu’on te voyait porté dans un large héxaphore.
Mais depuis que pour toi signalant son pouvoir
La Fortune a deux fois décuplé ton avoir,
Tu vas à pied. Aux Dieux je fais une prière :
« Avec ses mille écus rendez-lui sa litière ! »

53.

À COSMUS.

Cet homme que tu vois, Cosmus, soir et matin,
Besace sur l’épaule et bâton à la main,

Venir assiéger le portique,
Et qui même ose pénétrer
Dans l’enceinte du temple auguste et magnifique
Qu’à Pallas récemment on vient de consacrer ;
Ce vieillard dont la chevelure
D’un blanc jauni, se dresse vers les cieux,
Et dont la barbe sale et d’un aspect hideux
Lui descend jusqu’à la ceinture ;
Cet objet de dégoût, au regard effronté,
Qui n’a pour compagnon sur sa triste couchette
Qu’un vieux manteau crasseux qu’il n’a jamais quitté,
Et qui, par importunité,
Obtient un peu de pain qu’en passant on lui jette,
A le voir tu le prends pour un cynique ? eh bien !
Ce n’est point un cynique. — Et qu’est-il donc ? — Un chien.

54.

À COLINUS.

Toi qui naguère, au Capitole,
Du chêne méritas l’honneur,
Et dont la gloire orna le front vainqueur
De sa plus brillante auréole,
Colinus, use bien de chacun de tes jours ;
Mets-les tous à profit, et réfléchis toujours
Que chaque heure pour toi peut-être est la dernière.
Nul ne peut attendrir la Parque filandière,
Ni retarder la fin qu’elle marque à leur cours.
Quand tu réunirais de Crispus l’opulence,
De Thraséas l’impassible constance ;

Quand du généreux Mélior
La candeur, la bonté viendraient s’y joindre encor,
Près d’elle et de ses sœurs tout serait inutile ;
Toujours Clotho prépare et charge ses fuseaux,
Sans y rien ajouter ; Lachésis toujours file,
Et toujours Atropos fait jouer ses ciseaux.

55.

À LUCIUS.

Lucius, de ton siècle et l’espoir et l’honneur,
Qui ne veux pas que sur le Tage
Arpi, par les talents, obtienne l’avantage ;
De notre Espagne illustre défenseur,
Laissons aux enfants de la Grèce
Chanter Rhode, Mycène et leurs fameux remparts ;
Thèbes aux cent palais, et Sparte où la jeunesse
S’exerce dans des jeux qui blessent les regards ;
Nous, fils de la Celtique, ou nés dans l’Ibérie,
Par quel ridicule travers
Rougirions-nous d’honorer dans nos vers
Les noms, quoiqu’un peu durs, chers à notre patrie ?
Citons donc Rilbilis dont l’utile métal,
Quelquefois dangereux, nulle part n’a d’égal.
Parlons de Platéa, cette cité bruyante
Sous les coups du marteau toujours retentissante ;
Le Xalon qui l’entoure, et ses rapides eaux
Qui durcissent l’acier du glaive des héros ;
Tudèle, Rixamare et ses danses joyeuses,
Cardua, qui se plaît aux tables somptueuses,

Pétéron, par la rose en tout temps couronné.
Et Rigas, autrefois par un théâtre orné.
N’oublions pas Silas et ses archers habiles,
Turgente, Pétusie, et leurs lacs immobiles,
De Baradon les bois plantés de chêne et d’if,
Où s’égare à plaisir le promeneur oisif ;
De Matinesse, enfin, les vallons sinueux
Où Manlius conduit ses taureaux vigoureux.
De tous ces noms ingrats la liste un peu rustique
Te fait rire, lecteur ; eh bien, ris, tu le peux ;
Quant à moi, je les aime mieux
Que tous les noms de l’île Britannique.

56.

CONTRE GARGILIANUS.

Aux veuves, aux vieillards, par pure politique,
Tous les jours de cadeaux tu fais nouvel envoi :
Et tu crois à mes yeux passer pour magnifique !
Mais non, Gargilius ; je connais ta tactique ;
Aucun n’est plus avare et plus ladre que toi.
Des pièges sont cachés sous ta feinte largesse.
Ainsi l’hôte des eaux, l’habitant des forêts,
Dupes d’une amorce traîtresse,
Reçoivent le trépas sous ombre de bienfaits.
La libéralité toujours est gratuite,
Et n’attend pas qu’un cœur reconnaissant
Des dons qu’il a reçus par d’autres dons s’acquitte ;
Tu te dis libéral ? fais-moi donc un présent.

57.

À FAUSTINUS.

Tandis que du Lucrin le lac voluptueux
Me retient dans les bains d’une grotte thermale,
Toi, Faustin, à Tibur, manoir délicieux
De Rome séparé par un faible intervalle,
Et fondé par Catile au temps de nos aïeux,
Tu jouis d’un bonheur que t’envîraient les Dieux.
Mais le chien de Procris dont l’ardeur nous dévore,
Aux chaleurs de Baya vient ajouter encore.
Adieu donc, prés et bois aux naïades si chers ;
Adieu, bords consacrés aux Déesses des mers,
Belles sources, adieu ! sur vous en ce moment
L’humide et frais Tibur obtient la préférence ;
Au retour de l’hiver, oui, j’en fais le serment,
Je reviendrai goûter votre douce influence.

58.

SUR GALLA.

Pourquoi donc te cacher pour le pleurer ? en somme,
Il était ton époux. — Oui, mais c’était un homme !

59.

SUR UNE VIPÈRE ENFERMÉE DANS UN MORCEAU D’AMBRE JAUNE.

Sur les rameaux du peuplier pleureur
Glissait une vipère, et voilà par malheur

(Ou bien si l’on veut par bonheur)
Que du succin la liqueur glutineuse
La saisit, l’enveloppe ; et malgré maint repli,
L’animal empêtré, dans sa prison visqueuse
Bientôt expire enseveli.
Superbe Cléopâtre ! en ton dernier asile
Ne t’enorgueillis point de ton riche tombeau :
Une vipère, un ignoble reptile,
Du sort en obtient un plus beau.

60.

SUR CURIATIUS.

Désormais, au sommet des cieux,
Quand le soleil s’arrête en sa course enflammée,
Allons chercher Ardée, et Pestum, et les lieux
Qu’embrasent les fureurs du lion de Némée.
Tibur ! ô séjour naguère si vanté,
Qu’as-tu fait de ta renommée ?
Coriace chez toi vient chercher la santé,
Il y trouve la mort, et des vapeurs thermales
Il passe tout à coup aux rives infernales.
Hélas ! nous courons vainement,
La Mort partout nous suit : en tous lieux elle règne,
Et quand arrive son moment,
Même au sein de Tibur nous trouvons la Sardaigne.

61.

L’autre jour, d’un air triomphant,
Mancinus, tu contas qu’un ami, galant homme,

En pur don, d’une forte somme,
De mille écus t’avait fait le présent.
Avant-hier, réunis au cercle des poètes,
Tu nous as dit que Pampilla
(Apparemment une de tes conquêtes)
T’avait fait cadeau ce jour-là
De vêtements d’un prix inestimable ;
Puis, tu nous assuras, et même avec serment,
Que Célie et Bassa t’avaient fait récemment
Accepter un bijou, sardoine véritable,
A triple cercle, avec un diamant
De très-belle eau, d’un effet admirable.
Hier, quand Pollion nous charmait par son chant,
Tu quittas le théâtre, et nous dis en courant
Que la veille au matin un immense héritage
T’était échu subitement,
Un autre vers midi non moins soudainement,
Et, pour compléter la journée,
Un autre encor l’après-dînée.
Quel mal t’avons-nous fait pour nous faire souffrir
Le dépit et l’ennui, cruel, que tu nous causes ?
On n’y tient plus ; tais-toi, sache te contenir ;
Si c’est trop exiger, dis-nous du moins des choses
Que nous puissions entendre avec plaisir.

62.

SUR LYCORIS.

Quelqu’un dit qu’a Tibur le noir devenait blanc ;
La brune Lycoris s’y rendit à l’instant.

63.

SUR CŒRELLIA.

Dans le trajet de Baulis à Baya,
Loin de son fils périt Cœrellia.
Ainsi perd son honneur cette onde qui naguère
A Néron refusa le trépas de sa mère.

64.

SUR LES JARDINS DE JULES MARTIAL.

Sur la cime du Janicule
Se prolongent quelques arpents,
Domaine de mon ami Jule.
Nuls jardins ne sont plus charmants,
Du parfait bonheur c’est l’asile.
Une solitude tranquille
S’étend au penchant du coteau,
Et sur la plaine au loin domine ;
Puis, le sommet par un plateau
Sans trop s’élever la termine.
Là règne un ciel pur et serein ;
Et tandis qu’encor la vallée
D’épaisses vapeurs est voilée,
Son front, d’un air de souverain,
Se couronne d’une lumière
A lui propre et particulière.
Du manoir le faîte élégant
Qui vers le ciel monte avec grâce,
Aplani, forme une terrasse

D’où j’aime à contempler souvent
De Rome la vaste étendue,
Avec ses palais, ses grandeurs,
Et les sept monts dominateurs.
De là, plus loin portant ma vue,
J’aperçois de nouveaux objets ;
Les coteaux d’Albe et de Tuscule,
Les bois, les asiles secrets
Où Rome va goûter le frais
Lorsque règne la canicule ;
Ici, l’antique Fidena
Et les vergers de Péranna,
Vergers de sanglante mémoire,
Si l’on s’en rapporte à l’histoire.
Là, sur un chemin fréquenté,
Avec rapidité s’avance
Un char dans sa course emporté,
Dont le bruit, grâce à la distance,
Jusqu’à moi n’est pas apporté.
De Mulvius le voisinage,
Ni les cris dont les débardeurs,
Les bateliers et les haleurs
Font retentir tout le rivage,
Ni ces mille et mille bateaux
Qui, dans leur rapide passage,
Du Tibre sillonnent les eaux,
Rien ne vient troubler mon repos.
Cette campagne que, peut-être,
Vous appelleriez mieux manoir,
Se recommande par son maître
Toujours prêt à vous recevoir ;
Chez lui si vous venez le voir,

Chez vous encor vous croirez être.
Tel on nous peint Alcinoüs
Ou l’humble pasteur Molorchus
Dont un temple honora naguère
La bienfaisance hospitalière.
Vous, à qui de tels agréments
Semblent d’une faible importance,
Sous vos lois rangez, j’y consens,
De Tibur les humides champs,
De Prœneste la plaine immense,
Et Sétie aux coteaux penchants ;
A tous ces domaines si grands
Je préfère le monticule
Habité par mon ami Jule.

65.

SUR HÉLÈNE.

Hélène d’un seul œil pleure. Hé mais, dit quelqu’un,
Que fait-elle de l’autre ? — Hélène n’en a qu’un.

66.

À LINUS.

Simple en ton goût, Linus, tu mènes l’existence
D’un bourgeois campagnard qui règle sa dépense.
Strictement ménager, dans les seuls jours fêtés
Pour remplacer la tunique grossière
Ton court manteau sort de ton vestiaire ;

Une seule chlamyde a fait tes dix étés.
Tu ne dépenses rien. La rivière voisine
De bon poisson bien frais entretient ta cuisine.
Pour ta table, ton bois nourrit dans ses halliers
La grive délicate et l’épais sanglier,
Et la plaine se plaît à te livrer ses lièvres.
Tu bois le vin du cru, qui te rougit les lèvres.
La flamme a respecté tes granges, ta maison ;
Le vent d’été jamais ne brûla ta moisson.
Point de vaisseaux : partant, sans craindre des naufrages,
Tu peux dormir au bruit des vents et des orages.
A table, on ne voit pas, debout à ton côté,
Un bel esclave grec chèrement acheté ;
Tu n’as, pour te servir, que la troupe rustique
Qui couronne le soir ton foyer domestique.
Jamais le dé fatal ne s’agite en ta main ;
A quelques noix se borne ou ta perte ou ton gain.
Tu vis sans aucun luxe, et ta parcimonie
Défend chez toi l’entrée à la cérémonie.
Mais réponds-moi, Linus : où sont-ils donc passés
Ces trente mille écus par ta mère amassés ?
Qu’en as-tu fait, dis-moi ? je m’adresse à toi-même,
Car toi seul peux, je crois, m’expliquer ce problème.

67.

CONTRE PRŒTOR.

Au cens de trente mille écus
Pour l’ordre équestre nécessaire.

Dix mille manquaient à Gaurus,
Et pour compléter son affaire
Il va s’adresser à Prœtor,
Son vieil ami, tout cousu d’or.
Vous savez, lui répond notre homme
Que pour Scorpus et pour Thallus,
Deux écuyers que l’on renomme,
Je dois compter pareille somme
Ou peut-être même encor plus.
On leur élève au sein de Rome
Une statue en beau métal.
— Voilà donc quelle est ta largesse !
Honte et malheur à la richesse
Qui place ses dons aussi mal !
Prœtor, rougis de tes excuses ;
Ce qu’au chevalier tu refuses,
Tu le donnes donc au cheval ?

68.

À SEXTUS.

De ta table, pour toi splendidement servie,
Traité comme un client, je remporte ma faim.
En m’invitant, Sextus, quel est donc ton dessein ?
Ne prétends-tu qu’exciter mon envie ?

69.

À PAPILUS.

Ami, te voilà tout en nage ;
Reprends haleine, et bois sans eau

Un grand verre de ce breuvage,
Vrai nectar, qui n’est pas nouveau,
Et dont j’ai même oublié l’âge.
— Mon cher, pour toi garde ton vin ;
On prétend qu’il n’est pas très-sain,
Et que trois fois dans ton ménage
Il a fait entrer le veuvage.
Je n’en crois rien assurément ;
Cependant, de ton ambroisie,
Sans façon je te remercie ;
Je n’ai pas soif en ce moment.

70.

SUR AMMIANUS.

D’Ammien le père, en mourant,
Ne lui laissa par testament
Qu’une vieille robe râpée ;
Le jeune homme alors, regrettant
De voir son attente trompée,
« J’aimerais, dit-il, tout autant
« Que le mort fût encor vivant. »

71.

À SOPHRONIUS RUFUS.

Depuis longtemps je cherche par la ville
Femme qui dise Non, et ne la puis trouver.

Dire Non leur paraît une chose incivile,
Et dont comme d’un crime on doit se préserver.
— Eh quoi donc, nulle part il n’est de femme chaste ?
— Il en est des milliers très-dignes de ce nom.
— Et que font-elles donc ? — Sans éclat et sans faste,
Elles n’accordent rien, mais ne disent pas Non.

72.

À QUINTUS.

« De ton ouvrage nouveau
« Ami, fais-moi le cadeau. »
— Je ne l’ai point ; mais mon libraire
Pourra t’en vendre un exemplaire.
-Qui, moi, payer tes vers ? te semblé-je idiot ?
-Qui, moi, te les donner ? me prends-tu pour un sot ?

73.

SUR VESTINUS.

Vestinus, approchant de son heure fatale.
Allait bientôt passer dans la barque infernale.
Il conjure les sœurs qui tournent nos fuseaux
De suspendre un instant le coup de leurs ciseaux ;
Mort pour lui, l’amitié le réclamait encore.
Atropos est sensible à la voix qui l’implore.
Vestinus lègue alors ses biens à ses amis,
Puis, il meurt en disant : Mes jours sont bien remplis.

74.

SUR DES DAIMS.

Vois quels combats affreux ces faibles daims se livrent,
O César ! quel courroux, quels transports les enivrent !
Leur front promet la mort et semble la braver ;
Lance tes chiens sur eux, si tu veux les sauver !

75.

SUR NIGRINA.

Cœur d’or, heureuse épouse, honneur de nos Romaines,
Tu veux que ton mari partage tes domaines,
Et que, liés tous deux d’une égale amitié,
Dans ton riche héritage il entre pour moitié.
Qu’aux cendres d’un époux Évadné soit fidèle,
Qu’un noble dévoûment rende Alceste immortelle,
Ta gloire les efface ; et, sans perdre le jour,
Ta vie attestera ton pur et chaste amour.

76.

SUR L’AVARICE D UN AMI.

Je reçois quinze écus quand j’en demandais trente ;
Pour en obtenir vingt, demain j’en veux quarante,

77.

CONTRE LE JALOUX ZOÏLE.

Jamais d’une voix importune
Je n’ai, Plutus, invoqué tes faveurs ;
Content de mon humble fortune,
Je te disais : Verse tes dons ailleurs.
Mais aujourd’hui, propice à ma demande
Comble-moi de bienfaits nombreux
Sans craindre que je m’en défende.
Et pourquoi ces contraires vœux ?
Afin qu’en me voyant heureux,
Le jaloux Zoïle se pende.

78.

CONTRE VARUS.

A dîner chez Varus l’autre jour invité
Avec grand appareil, je trouvai maigre chère.
Je vois, par les valets sur la table apporté,
Bassin d’argent et d’or, vase, soucoupe, aiguière,
Tout pour la vue et rien pour l’appétit.
Alors, cédant à mon dépit :
« Varus, lui dis-je, ou bien fais disparaître
« De ce luxe indigent l’étalage ennuyeux,
« Ou sers-moi quelques mets qui me conviennent mieux.
« Je suis à table pour repaître
« Mon estomac et non mes yeux. »

79.

CONTRE AFER.

Déjà fuit loin de toi ta soixantième année ;
Déjà le temps blanchit ta barbe surannée,
Et tu cours cependant la ville et les faubourgs,
Colportant au matin tes ennuyeux bonjours.
Des tribuns, des consuls escortant la litière,
Tu leur rends les devoirs d’un client mercenaire.
Dix fois par jour le mont Sacré
Te voit accourir hors d’haleine,
Du palais des Césars assiéger le degré.
Des plus illustres noms ta bouche est toujours pleine.
Laisse à nos jeunes gens tant de soins et de peine,
Afer, et vis en paix dans ton coin retiré ;
Rien n’est plus déplaisant qu’un vieillard affairé.

80.

À MATHON.

Tu ne quittais point ma campagne,
Et mon Tibur était plutôt le tien ;
Je te le vends, et doublement je gagne,
Mon cher Ma thon ; je t’ai vendu ton bien.

81.

CONTRE MATHON.

Déclamer, voilà ta folie,
Même durant la fièvre et ses accès brûlants :

Pauvre Mathon ! si tu ne sens
Qu’en ton état pareille fantaisie
Est véritable frénésie,
Tu n’es pas, certe, en ton bon sens.
Pourtant, si tu ne peux de quelque autre manière
Provoquer la sueur, qu’on te dit nécessaire,
Eh bien, déclame, j’y consens.
Déclamer au milieu des douleurs qu’on endure,
C’est, je l’avoue, un grand effort ;
Mais se taire, Mathon, quand le mal nous torture,
M’en paraît encor un plus fort.

82.

SUR FABULLE.

Fabulle a lu, sans doute, l’épigramme
Où je soutiens que jamais fille ou femme
Aux soupirants ne répond par un Non.
Depuis ce temps elle est un vrai dragon ;
Et tous les jours ma poursuite empressée
Est, par ce mot, vivement repoussée.
Mais si j’ai dit qu’une belle, en amours,
Doit dire Non, je n’ai pas dit : Toujours

83.

À RUFUS.

À Vénuleius, ton patron,
Cher Rufus, présente en mon nom

Ces deux livres nouveaux que pour lui je t’adresse.
Aux travaux sérieux qui l’occupent sans cesse
Qu’il dérobe quelques instants,
Et qu’avec des yeux indulgents
Il accueille ces vers, enfants de ma paresse.
Du reste, fais qu’il ne les lise pas
Vers le début ni la fin du repas,
Mais au milieu, quand la gaîté plus vive,
Sans l’exalter encor, anime le convive.
Si deux livres sont trop, tiens roulé le second ;
L’ouvrage divisé lui paraîtra moins long.

84.

SUR NÉVOLUS.

Névol, quand tout lui rit, est rogue, impertinent,
Pour maîtres et valets il est inabordable.
Craint-il quelques revers ? affable, prévenant,
Il tend la main, salue, il invite à sa table.
Si tu n’es pas un sot, tu devines, je croi,
Névol, quels sont les vœux que nous formons pour toi.

86.

CONTRE PONTICUS.

Je bois dans du cristal et toi dans des murrhins ;
Craindrais-tu que la transparence
De nos deux sortes de vins
Ne trahît la différence ?

87.

À SON LIVRE.

Mon livre, écoute mes avis ;
Heureux s’ils sont par toi suivis !
Aux gens de goût prétends-tu plaire ?
Charme le docte Apollinaire.
Parmi nous, personne aujourd’hui
N’est plus judicieux que lui :
Goût exquis, science profonde,
Franchise, chez lui tout abonde.
Si tu pénètres dans son cœur,
S’il se déclare en ta faveur,
Des malveillants, de la censure,
Désormais ne crains plus l’injure ;
Tu ne verras pas tes feuillets
Habiller tanches et brochets :
S’il te blâme, dans les cuisines
Cours envelopper les sardines,
Et qu’aux faiseurs de méchants vers
Tes pages prêtent leur revers.

88.

SUR BASSA.

Bassa mène toujours un enfant avec elle ;
Elle joue avec lui, sans cesse elle l’appelle

Mon bijou, mon mignon. On s’étonne d’un goût
Que rien jusqu’à présent n’annonçait chez la belle,
Et qui s’est montré tout à coup.
Le pourquoi, c’est qu’un peu gourmande,
Elle est sujette à certain accident ;
Et, malgré ses efforts, laisse échapper souvent
Quelques parfums de contrebande.

89.

CONTRE UN HABLEUR.

De Saturne déjà les cinq jours sont finis ;
En échange de mon ouvrage,
Cadeau qui, j’en conviens, n’était pas d’un grand prix
Je n’ai reçu de toi nul envoi, nul message,
Ni plat d’argent, ni le moindre tapis,
Que t’envoie un plaideur dont le sort t’est remis.
Point de thon mariné, de menu coquillage,
Ni de figue en panier, ni d’olive en barils ;
Enfin aucun de ces présents d’usage
Qui de ton souvenir m’auraient offert un gage.
Trompe qui tu voudras par ton dehors flatteur,
Désormais à mes yeux tu n’es plus qu’un hâbleur.

90.

PASSE-TEMPS A LA CAMPAGNE.

Ce que je fais aux champs ? je réponds en deux mois
Dès le matin aux Dieux j’adresse mon hommage,

J’inspecte mes valets, parcours mon héritage ;
Je me rends compte des travaux
De la veille, et j’assigne à chacun son ouvrage.
Je rentre, prends un livre, et du sacré vallon
Je rappelle ma muse et son frère Apollon.
Dans ces détails divers coule ma matinée.
Libre quand aux deux tiers arrive la journée,
Je cherche l’exercice ; aussitôt de mon corps
Une olive onctueuse assouplit les ressorts,
Puis la lutte lui rend une vigueur nouvelle.
Ainsi j’atteins le soir : Que te dirai-je enfin ?
Je chante, bois et ris ; du jeu je passe au bain,
Puis je soupe et je dors ; mais ma lampe fidèle
Veille, et bientôt je donne à quelques vers nouveaux
Une part de ma nuit dérobée au repos.

91.

À SON LIVRE.

Arrête, c’est assez ! livre ennuyeux, arrête !
Eh quoi ! des vers toujours ajoutés à des vers !
Chez toi déjà la page et le revers
Sont tout remplis, et ta verve indiscrète
A poursuivre encore s’apprête.
Quand donc dois-tu finir ? on a beau t’en prier,
Le lecteur aux abois en vain demande grâce.
Si tu voulais seulement l’ennuyer,
Ton but était rempli déjà dès la préface ;
Mais tu parles encor quand manque le papier.

Ne l’entends-tu pas s’écrier :
Arrête, ou je dors sur la place !
Le copiste, bâillant avec laide grimace,
De sa main laisse échapper le cahier,
Et, d’accord avec lui, répète :
Arrête, c’est assez ! livre ennuyeux, arrête !


FIN DU QUATRIÈME LIVRE.