Éperdument (Verhaeren)

Poèmes (IIe série)Société du Mercure de France (p. 87-88).
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ÉPERDUMENT


 
Bien que flasque et geignant et si pauvre ! si morne !
Si las ! redresse-toi, de toi-même vainqueur ;
Lève ta volonté qui choit contre la borne
Et sursaute, debout, rosse à terre, mon cœur !

Exaspère sinistrement ta toute exsangue
Carcasse et pousse au vent, par des chemins rougis
De sang, ta course ; et flaire et lèche avec ta langue
Ta plaie, et lutte et butte et tombe — et ressurgis !


Tu n’en peux plus et tu n’espères plus ; qu’importe !
Puisque ta haine immense encor hennit son deuil,
Puisque le sort t’enrage et que tu n’es pas morte
Et que ton mal cinglé se cabre en ton orgueil.

Et que ce soit de la torture encore ! encore !
Et belle et folle et rouge et soûle — et le désir
De se boire de la douleur par chaque pore,
Et du vertige et de l’horreur — et le plaisir,

Ô ma rosse de souffre et d’os que je surmène
Celui, jadis, là-bas, en ces minuits du Nord,
Des chevaliers d’éclair, sur leurs chevaux d’ébène,
Qui s’emballaient, fougueux du vide et de la mort.