Épaves (Prudhomme)/La Source des vers

Pour les autres éditions de ce texte, voir La Source des vers.

ÉpavesAlphonse Lemerre. (p. 128-129).


LA SOURCE DES VERS


Contre les voluptés des plus heureux du monde
Je n’échangerais pas les maux que j’ai soufferts :
C’est le plus grand soupir qui fait le plus beau vers.
Ou railleuse ou perfide, ô femme brune ou blonde,
Merci ! je dois par vous mes stances à mes pleurs.
Si j’appris à rythmer l’émotion profonde,
Je dois mon chant à mes douleurs.


Contre les voluptés des plus heureux du monde
Je n’échangerais pas les maux que j’ai soufferts.
Pour mon cœur déchiré les cœurs sont grands ouverts.
Il reconnaît en eux ce qui sanglote ou gronde,
Et, quand ils ont crié du fond de leurs malheurs,
Il trouve en soi toujours un cri qui leur réponde :
J’en dois l’accent à mes douleurs.

Contre les voluptés des plus heureux du monde
Je n’échangerais pas les maux que j’ai soufferts.
L’étoile a plus de prix dans les cieux plus couverts,
Rien de cher ne se livre où la lumière abonde,
L’hiver aide à sentir les intimes chaleurs
Dont je fais le climat de l’Éden que je fonde.
Je dois mon rêve à mes douleurs.


1867.