Épîtres (Voltaire)/Épître 70

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 333-334).


ÉPÎTRE LXX.


AU MÊME,
QUI AVAIT ADRESSÉ DES VERS À L’AUTEUR SUR CES RIMES REDOUBLÉES.


Juin 1745.


Lorsque deux rois s’entendent bien,
Que chacun d’eux défend son bien,
Et du bien d’autrui fait ripaille ;
Quand un des deux, roi très-chrétien,
L’autre, qui l’est vaille que vaille,
Prennent des murs, gagnent bataille,

Et font sur le bord stygien
Voler des pandours la canaille ;
Quand Berlin rit avec Versaille
Aux dépens de l’Hanovrien,
Que dit monsieur l’Autrichien ?
Tout honteux, il faut qu’il s’en aille
Loin du monarque prussien,
Qui le bat, le suit, et s’en raille.
Cela pourra gâter la taille
De ce gros monsieur Bartenstein,
Et rabaisser ce ton hautain
Qui toujours contre vous criaille.
C’est en vain que l’Anglais travaille
À combattre votre destin,
Vous aurez l’huître, et lui l’écaille ;
Vous aurez le fruit et le grain,
Et lui l’écorce avec la paille.
Le Saxon voit que c’est en vain
Qu’un petit moment il ferraille ;
Contre un aussi mauvais voisin
Que peut-il faire ? rien qui vaille.
Vous seriez empereur romain,
Et du pape première ouaille,
Si vous en aviez le dessein ;
Mais votre pouvoir souverain
Subsistera, pour le certain,
Sans cette belle pretintaille.
Soyez l’arbitre du Germain,
Soyez toujours vainqueur humain.
Et laissez là la rime en aille.