Épîtres (Voltaire)/Épître 38
ÉPÎTRE XXXVIII.
Jeune Gaussin, reçois mon tendre hommage,
Reçois mes vers au théâtre applaudis ;
Protége-les : Zaïre est ton ouvrage ;
Il est à toi, puisque tu l’embellis.
Ce sont tes yeux, ces yeux si pleins de charmes,
Ta voix touchante, et tes sons enchanteurs,
Qui du critique ont fait tomber les armes ;
Ta seule vue adoucit les censeurs.
L’Illusion, cette reine des cœurs,
Marche à ta suite, inspire les alarmes,
Le sentiment, les regrets, les douleurs,
Et le plaisir de répandre des larmes.
Le dieu des vers, qu’on allait dédaigner[3],
Est, par ta voix, aujourd’hui sûr de plaire ;
Le dieu d’amour, à qui tu fus plus chère,
Est, par tes yeux, bien plus sûr de régner :
Entre ces dieux désormais tu vas vivre[4].
Hélas ! longtemps je les servis tous deux :
Il en est un que je n’ose plus suivre.
Heureux cent fois le mortel amoureux
Qui, tous les jours, peut te voir et t’entendre ;
Que tu reçois avec un souris tendre,
Qui voit son sort écrit dans tes beaux yeux ;
Qui, pénétré de leur feu qu’il adore[5],
À tes genoux oubliant l’univers,
Parle d’amour, et t’en reparle encore !
Et malheureux qui n’en parle qu’en vers !
- ↑ Voyez tome Ier du Théâtre, page 534.
- ↑ Voltaire parle de ses versiculets dans la lettre à Cideville, du 15 novembre 1732. (B.)
- ↑ Après avoir, en 1726, donné une tragédie d’Œdipe, en vers, Lamotte s’était avisé de mettre sa pièce en prose. (B.)
- ↑ Variante :
Entre ces dieux désormais tu peux vivre. - ↑ Variante :
Qui meurt d’amour, qui te plaît, qui t’adore.
Qui, pénétré de cent plaisirs divers,
À tes genoux, etc.