Émile Salone. La Colonisation de la Nouvelle-France (Welvert)

Émile Salone. La Colonisation de la Nouvelle-France (Welvert)
Bibliothèque de l’École des chartestome 67 (p. 296-297).
Émile Salone. La Colonisation de la Nouvelle-France. Étude sur les origines de la nation canadienne française. Paris, Guilmoto, s. d. (1906). In-8o, 467 pages.


Au milieu des nombreux ouvrages sur le Canada que la librairie française met sans cesse en circulation, celui-ci se distingue par une réunion de qualités qu’on chercherait vainement dans la plupart des autres.

Tout d’abord, il remplit son titre. Jusqu’ici on n’avait guère sur le Canada que des études partielles, locales, des tranches d’histoire, des monographies ou des biographies ; ou bien alors des livres de vulgarisation, de distribution de prix, « avec de nombreuses illustrations ». Mais un travail scientifique de cette importance, comprenant dans son ensemble l’histoire de la colonisation de la Nouvelle-France, et ne comprenant que cela, un tel ouvrage, dis-je, n’existait pas. Et cependant quel plus beau sujet à proposer à un historien français ? Et aujourd’hui que nous sommes redevenus colonisateurs, quel livre plus opportun, plus instructif ?

Celui-ci est écrit avec une émotion discrète, mais très sensible, celle qu’inspire à tout homme aimant son pays le regret de voir orner maintenant la couronne coloniale d’une autre nation ce magnifique fleuron qu’aurait pu et qu’aurait dû être pour la nôtre la Nouvelle-France. Cette émotion se double chez le narrateur d’une admiration respectueuse et attendrie au spectacle et au récit des efforts surhumains du peuple franco-canadien pour conquérir le droit à la vie, en dépit des mille obstacles que lui opposèrent, à la fois, l’inclémence des éléments, l’indifférence de la mère-patrie, l’hostilité des indigènes, enfin les guerres incessantes dont il fut le héros et la victime.

Écrit par un bon Français, ce livre est écrit en bon français, et l’éloge n’est pas si médiocre pour un livre d’érudition. Beaucoup d’autres thèses, — car ceci est une thèse de doctorat soutenue tout récemment devant la Faculté des lettres de l’Université de Paris, — furent peut-être tout aussi laborieusement préparées ; mais combien en est-il qui ne soient d’une lecture douloureuse à qui honore tant soit peu notre langue ?

Enfin, ce livre n’est pas, comme tant d’autres, une improvisation. C’est la moisson d’une vingtaine d’années de recherches et de voyages à travers les deux continents, à travers les livres, enfin et surtout à travers de nombreux dépôts d’archives du Canada et de la France, et tout particulièrement celui de notre ministère des Colonies, si longtemps inexploré, si riche cependant en matériaux de premier choix pour l’histoire de nos anciennes possessions d’outre-mer.

Si l’ouvrage de M. Salone est une thèse de doctorat, ce n’est pas un livre à thèse. C’est de l’histoire pure et simple, écrite par un homme épris de son sujet, mais impartial et judicieux, qui distribue le blâme et l’éloge avec indépendance, clairvoyance et fermeté. La meilleure preuve qu’on en puisse donner, c’est qu’à la Sorbonne, si on a pu lui reprocher l’indulgence avec laquelle, dans sa thèse complémentaire, il avait traité l’abbé Raynal comme historien du Canada, il a été impossible au jury de trouver quoi que ce soit à critiquer dans sa thèse principale. L’Histoire de la colonisation de la Nouvelle-France fait donc grand honneur à son auteur, à l’érudition française et aussi, par reflet, à l’École des chartes, de laquelle M. Salone ne saurait oublier qu’il est sorti, car chacune de ses pages en porte l’empreinte ineffaçable.


Eugène Welvert.