Émile Nelligan et son œuvre/Le jardin de l’enfance/Ruines


Émile Nelligan et son œuvre, Texte établi par Préface par Louis Dantin (p. 20).



RUINES




Quelquefois je suis plein de grandes voix anciennes,
Et je revis un peu l’enfance en la villa ;
Je me retrouve encore avec ce qui fut là
Quand le soir nous jetait de l’or par les persiennes.

Et dans mon âme alors soudain je vois groupées
Mes sœurs à cheveux blonds jouant près des vieux feux ;
Autour d’elles le chat rôde, le dos frileux,
Les regardant vêtir, étonné, leurs poupées.

Ah ! la sérénité des jours à jamais beaux
Dont sont morts à jamais les radieux flambeaux,
Qui ne brilleront plus qu’en flammes chimériques :

Puisque tout est défunt, enclos dans le cercueil,
Puisque, sous les outils des noirs maçons du Deuil,
S’écroulent nos bonheurs comme des murs de briques !