Émile Littré (Elme-Marie Caro)
Revue des Deux Mondes3e période, tome 50 (p. 516-551).
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EMILE LITTRÉ

I.
HISTOIRE DE SES TRAVAUX ET DE SES IDÉES.

Nous aurions pu intituler cette étude les Confessions littéraires, politiques et philosophiques de M. Littré. Lui-même s’est servi de ce mot dans un de ses ouvrages les plus curieux et les moins connus, pour caractériser l’exposition des différentes phases de sa pensée, de ses vicissitudes intellectuelles, qu’il aimait à décrire dans ls dernières années de sa vie. Il est un des hommes de ce temps qui s’est le plus volontiers commenté dans ses préfaces, dans ses notes, dans les Causeries intercalées au milieu d’articles impersonnels, dans les pièces justificatives de toute sorte qui accompagnent la plupart de ses travaux. L’idée nous est venue de rassembler ces pages dispersées, perdues dans l’ensemble considérable de l’œuvre, trop peu remarquées à leur apparition, quelques-unes oubliées aujourd’hui. Elles révèlent l’homme et l’auteur bien mieux que toute l’étude objective, faite du dehors. On est tout surpris, quand on les a réunies, de voir quel jour elles répandent sur la vie intellectuelle et morale de M. Littré. On les voit éclore un peu partout et presque au hasard dans ses dernières publications, souvent au moment où on les attend le moins, et quand on en tient dans la main le précieux faisceau, il se trouve que l’on possède de véritables mémoires, une sorte d’autobiographie très intéressante et très personnelle. Là surtout où la récolte de ce genre de documens est la plus abondante, c’est dans la seconde édition du livre intitulé : Conservation, Révolution, Positivisme. M. Littré s’y donne libre carrière pour ses dernières confidences. Au moment de publier cette nouvelle édition d’un ouvrage depuis longtemps épuisé, dans lequel il avait réuni en 1852 un certain nombre d’articles du National, quand il vint à les relire, il s’était trouvé sur presque tous les points en désaccord avec eux. Que faire ? Ne voulant ni couvrir de son nom des idées qu’il n’admettait plus, ni abandonner à des polémiques posthumes un livre qui subsistait comme un témoin compromettant pour ses idées nouvelles, il prit le parti de publier tout simplement le livre ancien, mais en jugeant chaque chapitre avec l’indépendance complète de sa raison renouvelée et de son expérience acquise. Sa perplexité trouva là une issue. D’une part, il donnait satisfaction à un sentiment courageux de solidarité personnelle qui le portait à ne pas dissimuler des pages malencontreuses ; d’autre part, il se corrigeait lui-même et faisait amende honorable de ses erreurs devant le public. Rien n’est plus intéressant pour l’histoire d’un esprit que cette série de remarques annexées à chaque article, tracées avec une ingénuité, une indépendance incomparables, par un homme qui a su s’affranchir de ses idées d’autrefois, et ce qui est plus difficile, de son amour-propre, se discutant, s’infligeant des blâmes sévères, à l’occasion de certaines erreurs et de faux jugemens qui le stupéfient quand il les rencontre à trente années de distance. Il y a là, en même temps qu’une source précieuse d’informations psychologiques, un spectacle moral qui a sa nouveauté et sa grandeur. C’est l’histoire des variations d’un esprit sincère, racontées par lui-même. Nous voyons là se former graduellement devant nous un portrait d’une ressemblance parfaite, retouché à plusieurs reprises, avec les principaux traits de l’homme, la vaste érudition, la puissance de travail, la curiosité universelle, l’amour inquiet de la vérité (irrequietus amor) joints à une certaine mobilité d’idées qui en était peut-être la marque et l’effet nécessaire. — Un brillant écrivain, jetant un coup d’œil sur l’étonnante succession des événemens et des idées au milieu desquels se déroule notre vie disait, un jour, non sans mélancolie, « que la contradiction est le signe de la vérité. » Nous n’irons pas jusque-là; mais nous accorderons que, dans bien des cas, elle est un signe de sincérité. Elle l’est assurément, au milieu des orages politiques et des révolutions de la pensée qui bouleversent notre siècle et notre pays, pourvu qu’il soit évident qu’elle n’est pas la rançon et le prix d’une ambition personnelle. Or ce désintéressement absolu n’éclate nulle part plus vivement que dans ces récits de M. Littré, nous racontant son odyssée à travers les idées et les passions contemporaines, s’efforçant jusqu’à son dernier jour de corriger ses erreurs, de combler des lacunes dans son éducation intellectuelle, attentif à rectifier son esprit, à compléter sa vie morale.

J’ajoute que l’emploi de ces témoignages personnels, tous relativement assez récens, permet de tenter une étude sur beaucoup de points nouvelle, la plupart des travaux qui ont été consacrés à M. Littré datant d’une époque déjà ancienne, quand il était trop tôt pour embrasser l’ensemble complexe de cette vie, quand il restait au chef du positivisme une longue carrière d’expériences politiques et intellectuelles à parcourir, bien des déceptions à subir, de longues années encore à vivre, à penser, à souffrir.


I.

Avant d’aborder l’examen de la philosophie de M. Littré, que nous réservons pour une prochaine étude, nous devons rappeler la suite des travaux qui ont rempli sa vie et qui ont été comme le cadre mobile dans lequel s’est développé cet esprit. C’est un noble plaisir de la vie intellectuelle que de se donnera soi-même des motifs d’honorer ceux dont on ne partage pas les doctrines. La discussion philosophique ne doit pas être une arène livrée aux luttes grossières et à la fureur des exterminations réciproques. Elle doit être un débat entre honnêtes gens, qui, en dehors des idées où le désaccord se produit, ont droit à leur estime mutuelle. C’est un devoir facile à observer quand il s’agit d’un homme comme M. Littré, chez qui l’on peut admirer un des beaux exemplaires de la nature humaine, un des types où se produisent dans tout leur relief la moralité la plus élevée, une sincérité absolue et le plus grand effort de la pensée active, régulière et féconde.

M. Littré n’a pas, à proprement parler, d’histoire en dehors de ses livres. Sa vie est tellement mêlée à ses travaux qu’on ne peut l’en séparer que par une sorte d’abstraction. Elle n’est, au vrai, qu’un acte de travail prolongé pendant plus de soixante ans. La conception de ses ouvrages, les recherches par lesquelles il les prépare, l’exécution, les circonstances qui la retardent ou la précipitent, voilà toute son histoire avec les évolutions diverses qui s’accomplissent dans ses idées, toujours en activité et comme en surveillance sur elles-mêmes.

Rappelons rapidement quelques dates et quelques faits pour fixer le cadre extérieur de cette laborieuse existence. M. Littré avait été formé à l’école et dans le culte de la convention. Son père, qui servait dans l’artillerie de marine en qualité de sous-officier, appartenait aux partis les plus avancés. M. Littré se félicitait, en faisant allusion à ces souvenirs de famille, que son père, embarqué pour l’Inde en 1791, « eût été sauvé du péril de prendre part aux violences du temps. « Il nous raconte à ce propos un épisode de cette traversée. L’équipage célébrant en pleine mer l’anniversaire de la prise de la Bastille, par une singulière rencontre, l’artilleur de marine força M. de Villèle, le futur ministre de la restauration, alors officier à bord, de danser d’assez mauvais gré, paraît-il, autour du grand mât une ronde composée par le jeune enthousiaste en vers quelque peu déclamatoires. Plus tard, fidèle à ses dieux anciens, le père de M. Littré disait souvent que Robespierre avait été calomnié et que son procès était à réviser[1]. Les relations intimes de la famille répondaient à la couleur de ces idées. C’était Vatar, l’imprimeur du Journal des hommes libres ; c’étaient les conspirateurs Aréna, Cerachi, Démerville ; c’étaient Second, auteur du Sensitisme, un philosophe aujourd’hui bien oublié, et Dufaure, l’historien de Paris. Ces deux conventionnels, autrefois divisés d’opinion, s’étaient réconciliés dans la haine des nouveaux pouvoirs. Une haine commune n’est-il pas le plus fort des liens politiques? Pourtant l’un des deux avait bien quelque grief contre l’autre. M. Second, de la montagne, quelques années auparavant, avait voté la mort de M. Dufaure, du marais, et celui-ci n’avait échappé qu’à grand’peine à la sentence. Quand on se retrouve après de pareils malentendus, il doit y avoir des deux côtés un moment d’embarras. On ne fut pas longtemps à se remettre. M. Dufaure convint galamment que, si les hommes du marais avaient été les plus forts, ils n’auraient pas traité d’autre façon les hommes de la montagne. Cette explication loyale fit disparaître toute trace de froideur.

Du côté maternel, mêmes affinités, mêmes traditions. Le grand-père, M. Johannot, fabricant de papier à Annonay, attaché, lui aussi, aux jacobins, avait été assassiné pendant la réaction thermidorienne par les compagnies du Soleil. La mère, Sophie Johannot, avait reçu de ce terrible événement une impression dont elle garda toujours l’empreinte. On le vit bien, le jour du coup d’état de brumaire, quand, au milieu du silence universel, elle apostropha rudement, dans le jardin des Tuileries, un député de son pays qui n’avait pas défendu assez énergiquement, à son gré, l’assemblée. Sainte-Beuve nous l’a dépeinte, d’après M. Littré, dans sa vive et forte originalité : « C’était une figure antique, habillée le plus souvent non comme une dame, mais comme une servante, en faisant l’office au logis, la femme de ménage parfaite, une mère aux entrailles ardentes, et avec cela douée d’une élévation d’âme et d’un sentiment de la justice qu’elle dut transmettre à ce fils, dont elle était fière et jalouse. Il tenait beaucoup d’elle pour le moins autant que de son père. » C’est dans ce milieu austère et républicain que naquit, le 1er janvier 1801, Emile Littré. — Malgré ses répugnances politiques, son père, qui était sans aucune fortune, était entré dans l’administration des finances ; grâce à la bienveillance de Français (de Nantes), il y fut chargé d’un bureau de droits réunis. C’était un homme intelligent, d’une puissance rare de volonté et de travail, d’une bonne foi absolue. A travers les circonstances d’une vie très éprouvée et souvent très difficile, il eut le courage de refaire à fond son éducation classique, qui avait été fort négligée ; il apprit le grec, il s’initia même à la connaissance du sanscrit. — Il prenait en toute chose la vie au sérieux. Bien qu’opposé aux croyances théologiques, il avait le sentiment de répulsion le plus vif pour la raillerie de Voltaire en ces matières. M. Littré trouva dans les papiers de son père une note constatant que, lui aussi, avait été centriste et alarmé par les moqueries du XVIIIe siècle ; que, devenu père de famille, il s’était jugé responsable de ses opinions théologiques à l’égard de ses enfans, qu’il avait dès lors étudié à nouveau toute la question des croyances, mais que ce nouvel examen n’avait pu l’y ramener[2].

Il n’est pas étonnant qu’il imposât à ses fils, Emile et Barthélémy, quand le temps fut venu, la forte discipline de travail qu’il s’était imposée à lui-même. La maison était tenue avec une rigidité presque excessive ; chacun y remplissait sa tâche sans trêve, sans répit. C’était une sorte de séminaire laïque où les récréations même prenaient la forme de l’étude et où l’émulation était poussée à son point extrême. Emile Littré suivait comme externe les cours du lycée Louis-le-Grand, où il avait pour condisciples Eugène Burnouf et Hachette. A la fin de chaque année, sous la double stimulation de ses instincts et de la discipline paternelle, il remportait tous les prix de sa classe. C’est à cette forte éducation et à ces succès scolaires qu’un critique pénétrant, M. Guardia, attribue le goût des auteurs classiques qu’il garda plus tard et des honneurs académiques dont il fut toujours très amoureux. Un autre avantage plus sérieux, c’est qu’il emporta du collège, avec la passion de l’étude et l’habitude du travail, un fonds très solide et très étendu de connaissances, le grec et le latin, plus l’allemand, l’anglais et l’italien, ce qui était rare dans le bagage des écoliers d’alors, et enfin un esprit très curieux, disposé à considérer sa vie scolaire uniquement comme un noviciat et un apprentissage de la science.

Beaucoup plus tard, dans des causeries ingénument prolixes, jetées un peu au hasard à travers ses livres ou même à travers ceux des autres[3], il aimait à revenir sur ses souvenirs de famille. « En me comparant à mon père, disait-il, et en reconnaissant combien je lui suis inférieur, j’ai regretté souvent que les circonstances n’eussent pas été plus favorables à lui et, par compensation, moins à moi. Qu’est-il advenu? Il a passé inconnu, vieillissant dans un emploi obscur, après avoir parcouru, non sans naufrages, les mers de l’Inde et combattu contre les Anglais. Et moi, quelques travaux, qui ne sont pas restés sans encouragement de la part du public, m’ouvrant les académies, m’ont placé avantageusement parmi les hommes de ma génération. » Il avait au plus haut point le sentiment de la solidarité des familles, et il aurait voulu que chacune d’elles eût ses archives qui constitueraient la véritable histoire morale d’un peuple : « Depuis qu’une meilleure philosophie m’a enseigné à estimer grandement la tradition et la conservation, j’ai bien des fois regretté que, durant le moyen âge, des familles bourgeoises n’aient pas songé à former de modestes registres où seraient consignés les principaux incidens de la vie domestique et qu’on se transmettrait tant que la famille durerait. Combien curieux seraient ceux de ces registres qui auraient atteint notre époque, quelque succinctes qu’en fussent les notices! Que de notions et d’expériences perdues qui auraient été sauvées par un peu de soin et d’esprit de suite ! »

A sa sortie du collège, la vie s’ouvrait devant lui avec son redoutable inconnu : « La vie, disait-il dans les confidences des derniers jours, c’est pour quelques-uns un roman bruyant et éclatant, pour la plupart une humble nouvelle. Au début de la jeunesse, on cherche l’emploi de ce que l’on sait et de ce que l’on peut, de ses aptitudes et de son caractère. Cela trouvé (quand on le trouve), on se case, on se marie, on travaille, on a des succès, des revers, on éprouve quelques joies, on pleure souvent; et puis, tout surpris, on s’aperçoit qu’on est vieux, très vieux et que l’écheveau de la vie est bien près d’être dévidé, et l’on se surprend à dire comme Voltaire octogénaire : « Quand j’étais à l’âge heureux de soixante-dix ans! » Il hésita quelque temps sur ses vraies aptitudes. Il pensa d’abord à l’École polytechnique; il y serait certainement entré sans un grave accident de santé, qui le détourna de cette carrière ; pendant deux années nous le trouvons secrétaire auprès du comte Daru, après quoi il se mit résolument à la médecine, mais sans mener cette étude jusqu’à la pratique. « J’ai beaucoup écrit sur la médecine, disait-il[4] : articles de journaux, articles de dictionnaires, monographie sur le choléra, édition d’Hippocrate ; j’ai vécu dix ans dans les hôpitaux comme externe, comme interne, comme disciple assidu à la visite de M. Rayer, et cependant je n’ai passé aucun examen, n’ai aucun titre médical et ne suis pas docteur. » Voici comment il expliquait cette bizarrerie de conduite. En 1827, il avait ses seize inscriptions et se préparait à subir ses examens, quand son père mourut. Cet événement changea sa position et l’obligea de pourvoir non-seulement à sa subsistance, mais aussi à celle de sa mère. Il jugea qu’il devait renoncer à l’avenir médical et n’eut pas la hardiesse de grever son avenir en essayant de s’établir médecin à Paris, installation dispendieuse et toujours incertaine. Il donna des leçons sans renoncer pourtant aux études médicales. Par une ténacité d’esprit qui le portait à ne pas vouloir perdre, en l’abandonnant, les fruits d’une étude commencée, il continua à suivre, en disciple bénévole, la clinique de M. Rayer à la Charité, où il se lia très intimement avec des jeunes gens de la plus grande distinction, ses camarades d’hôpital, Michon et Natalis Guillot. Dans la suite, il ne pratiqua la médecine que par hasard, dans le petit village où il demeurait l’été, à Mesnil-le-Roi, près Maisons-Laffitte, où il lui arrivait de donner à l’occasion quelques soins gratuits et très recherchés aux paysans ses voisins. Il faut voir de quel ton modeste et avec quelle sensibilité il en parle : « Prudent et réservé, j’ai certainement été utile à ces paysans, et de cette utilité j’ai obtenu la meilleure des récompenses dans leur reconnaissance, manifestée par un bon vouloir constant et, au besoin, par des services. Là aussi j’ai éprouvé, pour ma part, combien la médecine peut causer d’angoisses, quand dans un cas grave où il y va de la vie et de la mort, l’incertitude du diagnostic ou du traitement et la crainte de s’être trompé suscitent de cuisans regrets qui ressemblent à des remords. Il n’y a point de parité entre la responsabilité du médecin et son pouvoir; l’une est grande et l’autre est petit, et c’est justement à cause des limites où ce pouvoir est resserré que, bien qu’il soit très facile d’en laisser perdre une parcelle, la moindre parcelle perdue cause une poignante anxiété. » Et ailleurs il touche presque à l’éloquence en parlant de l’utilité morale et intellectuelle qu’il a trouvée dans la médecine : u Je ne troquerais pas contre quoi que ce soit cette part de savoir que j’ai jadis conquise par un labeur persistant. Pour l’homme qui ne craint pas de compatir avec les lamentables misères de la nature humaine, soit qu’elle se montre pâle et défigurée sur la table d’amphithéâtre ou que, dans un lit d’hôpital, elle demande secours contre la douleur et le danger, peu d’enseignemens valent celui-là. J’ai touché à bien des points dans le domaine du savoir ; aucun ne m’a désintéressé de la médecine, des recherches qu’elle poursuit et de la contemplation de cette pathologie, inévitable tourment des êtres vivans, sur laquelle il est si difficile et si beau de remporter de notables victoires[5]. »

C’est à ce premier goût, qui persista à travers les études et les occupations les plus différentes, que se rapportent les nombreux travaux qui le signalèrent successivement à l’attention publique comme un des représentans distingués de cette science et lui ouvrirent plus tard les portes de l’Académie de médecine. Il prépara longuement l’édition et la traduction des œuvres d’Hippocrate, qui parurent de 1839 à 1861 et dont le premier volume excita une véritable émotion dans le monde scientifique et annonça la venue d’un vrai savant. Depuis 1832, il publie un grand nombre de travaux dont un des plus remarqués fut le Choléra oriental, en 1832 ; il édite une revue médicale, l’Expérience, de 1837 à 1846, avec M. Dezeimeris; il traduit l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (1848), le Manuel de physiologie de Müller (1851); il procède, au point de vue positiviste, à la refonte complète du Dictionnaire de médecine et de chirurgie de Pierre Nysten (1854), en collaboration avec M. Charles Robin. Sa vraie spécialité, dans cet ordre de travaux, c’est l’érudition médicale, l’étude de la médecine historique. En ce genre, son introduction aux traités hippocratiques est une œuvre de maître. Bien que la constitution du texte laisse encore à désirer, que le commentaire et les notes n’aient pas sur tous les points une valeur définitive, qu’il y ait bien ici et là des obscurités persistantes et quelques défaillances philologiques, ce grand travail marque une date, et si on le dépasse plus tard, ce sera à condition de s’en être beaucoup servi. Dans les questions d’ordre physiologique et médical, M. Littré me parait représenter l’histoire et la critique plutôt que l’intuition, la science en tant qu’érudition, non en tant qu’invention. La plupart des faux jugemens que l’on porte sur le mérite des hommes, dans les spécialités scientifiques, tient à ce que l’on confond l’érudition et l’invention. M. Littré a su beaucoup ; il a travaillé au-delà de la capacité ordinaire des autres hommes, il a su tout ce qu’il était nécessaire de savoir pour suffire à des tâches aussi variées ; il a rempli les conditions requises pour être un excellent historien de la médecine, il a laissé en ce genre quelques parties achevées, des morceaux excellens d’exposition et de critique; mais il n’a tiré aucune découverte de sa méthode si vantée. La fameuse publication du Dictionnaire de Nysten aurait pu être aussi bien signée d’un disciple de Cabanis que d’un disciple de M. Auguste Comte, sauf, bien entendu, la différence des temps et le progrès des connaissances. C’est de la science positive, contraire à toutes les influences mystiques ou aux considérations spiritualistes de quelque nature qu’elles soient, ce n’est pas nécessairement du positivisme; il n’y a pas de découverte scientifique qui se rattache directement à l’impulsion d’Auguste Comte ni à sa doctrine. Je ne veux pas dire qu’il n’y ait pas de positivistes qui aient inventé dans l’ordre des sciences physiologiques et médicales; mais n’auraient-ils pas fait les mêmes découvertes en dehors de l’école ?

Entre temps, M. Littré était devenu, depuis 1831, rédacteur au National, spécialement chargé de la traduction des journaux étrangers. Il resta trois ans dans ces fonctions obscures lorsqu’à la fin de 1834, il eut l’occasion de faire quelques-uns de ces articles qu’on appelle, en langage de journaliste, des variétés. Quand le dernier parut au commencement de l’année 1835, Armand Carrel, qui était alors à Sainte-Pélagie, fut frappé pour la première fois du talent qui s’y révélait, et il écrivit à la mère de M. Littré une lettre que celui-ci garda pi s de quarante ans en portefeuille et qu’il ne voulut pas publier aussi longtemps que sa carrière n’était pas terminée[6]. « C’est à vous, madame, disait-il, que je veux faire compliment de l’admirable morceau qu’Emile nous a donné ce matin dans le National. Je sais que je ne peux lui faire de plus grand plaisir que de vous en faire à vous-même, et les éloges que sa modestie ne recevrait pas de moi, il m’en saura peut-être un peu plus de gré s’il sait qu’en passant par vous ils ont pu vous donner un moment de jouissance maternelle. Dites-lui, madame, qu’il est notre maître à tous, que je ne sais à Paris personne capable d’écrire son article sur Herschel, et que je rougis de m’être donné pendant trois ans comme rédacteur en chef d’un journal dans lequel il se contentait d’une tâche si au-dessous de son savoir et d’un talent pour le moins égal à ce savoir... Je ne mesure la hauteur à laquelle est parvenu notre bon et modeste Littré, par un travail solitaire, inaperçu, infatigable, qu’en m’avouant ma propre ignorance sur tant de matières qu’il traite, en se jouant, avec une supériorité si grande. » Voilà une lettre bien digne du noble esprit qui l’écrivait et de celui qu’elle honorait en le désignant pour un avenir certain.

C’est à cette époque (1835) que M. Littré se maria. Il avait, avant de s’y décider, traversé une période douloureuse d’indécision ; haute par des idées noires, il hésitait, nous dit-on, entre le mariage, un voyage lointain et le suicide. Sa mère le décida au mariage et choisit pour lui une personne intelligente, dévouée et qui, par surcroît fort inattendu, était pieuse. « La fille qui lui naquit, dit Sainte-Beuve, et qui a été plus tard si digne de son père, une aide intelligente dans ses travaux, fut élevée, selon la foi de sa mère, chrétiennement. C’est ainsi que ce philosophe, au cœur doux autant qu’à l’esprit élevé, comprend la tolérance et l’exerce autour de lui. Ce fut lui-même qui éleva sa fille, et, de même qu’il avait respecté toujours dans sa femme la piété qu’elle avait, il la respecta également dans sa fille avec une délicatesse et une douceur parfaites. » Un de ses amis intimes a raconté à notre savant confrère, M. Baudry, que Littré avait d’abord l’intention d’exposer à sa fille ses propres convictions lorsqu’elle serait d’âge à les comprendre, et de la mettre alors à même de choisir entre les opinions de son père et celles de sa mère ; mais que, le moment arrivé, il recula devant le chagrin qu’il aurait causé à sa femme : la bonté de son cœur se refusa à une épreuve de ce genre et, dussent les stoïciens de l’athéisme l’en blâmer, il jugea que cette expérience « ne valait pas les larmes qu’elle aurait fait couler. » M. Littré avait au plus haut point la sensibilité de famille ; on le vit bien dans tous les événemens graves de sa vie : en 1838, quand il perdit son frère Barthélémy, mort des suites d’un empoisonnement cadavérique ; en 1842, quand il perdit sa mère. Des témoins l’ont dépeint, dans ces deux circonstances, « fixe, immobile, la tête baissée près du foyer, dans une sorte de stupeur muette, restant des mois entiers sans travailler, sans toucher une plume ni un livre, et comme mort à tout. » Même au terme de la vieillesse et quand il eut dépassé les années qu’il fut donné à sa mère d’atteindre, le deuil, disait-il, le ressaisissait encore quand il pensait à la dernière nuit, à la nuit de mort, et l’amertume inondait son cœur. Mais les travailleurs n’ont pas le droit de se livrer innocemment à leurs plus légitimes douleurs, et c’est ce qui les sauve. M. Littré dut se remettre à écrire ; la vie autour de lui n’attendait pas et ne pouvait faire crédit à la mort ; un travail acharné put seul le tirer de cette crise, qui, prolongée, fût devenue fatale et se fût terminée, disent ses amis, par le suicide ou la folie.

En 1840, il avait lu les écrits d’Auguste Comte et s’était initié à la philosophie dont il devait devenir l’apôtre et à son tour le chef. Peu de temps après, il fit connaissance avec le maître lui-même et mit sa plume au service de l’homme qui avait fait briller à ses yeux de nouvelles clartés, jusqu’au jour où il fit schisme avec lui et se retira de son patronage immédiat. Mais, au début et pendant de longues années, il fut le scrupuleux sectateur de la doctrine ; il l’installa même dans le National, « non pas, dit-il, que les principaux rédacteurs en fussent des adhérens ; ils étaient entre eux de philosophies fort diverses, mais ils me laissaient traiter de la mienne à ma guise, non pas une fois, mais couramment et quand l’occasion me paraissait propice. » Depuis 1844, il eut ainsi dans ce journal un cadre réservé pour cette philosophie et comme une tribune ouverte pour la répandre. Nous reviendrons plus tard sur les origines et les transformations de la doctrine positiviste dans cette intelligence à la fois tenace et mobile ; il nous suffira d’indiquer ici la suite de ses publications dans cet ordre de travaux : l’Analyse raisonnée du cours de philosophie positive, en 1845 ; l’Application de la philosophie positive au gouvernement des sociétés, en 1849 ; Conservation, Révolution et Positivisme, en 1852. Tous ces ouvrages sont des collections d’articles, la plupart empruntés au National. En 1859, ce sont les Paroles de philosophie positive ; en 1863, Auguste Comte et la philosophie positive ; en 1876, les Fragmens de philosophie positive et de sociologie contemporaine. Depuis 1867, il avait fondé et dirigeait, avec M. Wyroubof, la Revue de philosophie positive, qui fut, dans les dernières années de sa vie, l’unique organe de ses idées.

Cette nomenclature imposante de travaux philosophiques aurait de quoi remplir une longue vie et satisfaire à une grande activité. Mais pendant qu’il développait concurremment ses études sur l’histoire de la médecine avec ses travaux de propagande et de discussion en faveur de la philosophie positive, sur une troisième ligne s’étendait parallèlement dans le Journal des savans, dans le Journal des Débats et ans la Revue des Deux Mondes, une série d’articles sur de tout autres sujets, des études d’histoire et de critique littéraire, de philologie comparée et de linguistique, qui formèrent plusieurs volumes, l’Histoire de la langue française (titre un peu ambitieux pour des fragmens, et regretté par l’auteur lui-même), Littérature et Histoire (1875), les Barbares et le Moyen Âge, la traduction de l’Enfer de Dante en langue d’oïl du XIVe siècle et en vers (1879) ; enfin les Études et Glanures (1880). C’est à l’occasion de ses travaux académiques que, sans l’avoir prévu, il se trouva engagé un jour dans l’étude du vieux français, où il devait acquérir une si grande autorité. Nommé dès 1839 membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, il avait été choisi, quelque temps après, pour remplir la place de M. Fauriel dans la commission chargée de continuer l’Histoire littéraire de la France. Il se dévoua à cette tâche nouvelle avec cette obstination qui ne connut jamais ni l’obstacle ni la fatigue, et sentit s’éveiller en lui des instincts qu’il ignorait ; il devint par ce côté jusque-là inaperçu de son esprit et grâce à une volonté de fer, un archéologue de la langue, un témoin irrécusable de ses transformations, un philologue de premier ordre, un maître et un juge. C’est de cet ensemble de qualités innées ou acquises, tardivement révélées, que sortit cette grande œuvre, ce monument, le Dictionnaire de la langue française, qui aurait suffi à illustrer un nom et qui n’est qu’un épisode dans cette vaste carrière, mais un épisode décisif et triomphal. M. Littré s’y prépara longtemps par ses études sur les origines et les évolutions organiques de la langue française. Successeur naturel des Raynouard et des Diez, persuadé comme eux que les langues du moyen âge ne s’étaient pas formées au hasard dans la décomposition du latin et qu’une logique secrète gouverne ces transformations qui ne sont des hasards que pour notre ignorance, il s’applique à compléter leurs découvertes ou plutôt à les prolonger dans la même direction : il cherche, par les plus fines analogies, les règles grammaticales qui président à ces évolutions ; il s’occupe activement le la prosodie dans les vieux poèmes français, essayant de surprendre par elle la prononciation et les lois de l’accent et de remonter par l’accent à l’étymologie ; il arrive ainsi à déterminer le mode de construction de ces idiomes intermédiaires, qu’il connaît et qu’il admire assez pour trouver dans leur confusion débrouillée des caractères de vigueur native et même, à certains égards, de supériorité sur les langues modernes élaborées par eux et sorties, à un jour donné, toutes formées de ce laborieux berceau. C’est en 1846, après de longues hésitations, qu’il se crut assez assuré de ses progrès dans ces études nouvelles pour accepter la tâche à laquelle le conviait, depuis cinq années, un homme qui mérite d’occuper une place à part dans l’histoire des lettres françaises au XIXe siècle. C’était son ancien condisciple, M. Hachette, un de ces grands libraires qui ont le don de deviner les talens et qui deviennent, par leur intelligente sympathie, des éditeurs, non-seulement de livres, mais d’hommes. Sans ses encouragemens et sa sollicitude toujours en éveil, sans un peu de contrainte qu’il sut exercer sur une modestie parfois découragée, il est plus que probable que le Dictionnaire n’aurait pas existé.

Si l’on veut se faire une idée de l’immensité de l’œuvre et de la puissance de travail qu’elle représente, il faut lire une causerie écrite un an à peine avant sa mort par M. Littré, sous ce titre : « Comment j’ai fait mon Dictionnaire de la langue française[7], » et qui éclaire d’un jour tout nouveau ses procédés et la méthode qui a présidé à son œuvre, en même temps que les détails les plus intimes de sa vie mêlée, pendant près de quinze ans, à cette œuvre au point d’en être inséparable. On y trouve, dans un mélange singulier, des explications très savantes sur les recherches préparatoires, sur la logique et l’architecture de ce monument, et des confidences sur la res angusta domi, sur les avances que l’auteur reçoit de son éditeur, la manière dont il s’acquitte, puis les bénéfices inespérés qu’il réalise et sa surprise en voyant le grand succès de l’ouvrage. Nous analyserons quelques pages de cette Causerie qui ajoute plus d’un trait à la physionomie de M. Littré. À la distance de près de quarante années, il s’étonne d’avoir osé concevoir une pareille entreprise.

Mais quoi ! rien ne remplit
Les vastes appétits d’un faiseur de conquêtes.


« Entendons-nous, dit-il, sur mes vastes appétits. Je suis de ces esprits inquiets ou charmés qui voudraient parcourir les champs divers du savoir et obtenir, suivant la belle expression de Molière, des clartés de tout ; mais, à la fois avare et avide, je n’aimais à rien lâcher. C’est ainsi que je continuai mon Hippocrate, tout en entreprenant mon Dictionnaire. Que n’ai-je pas roulé dans mon esprit ? Si ma vieillesse avait été forte et que la maladie ne l’eût pas accablée, j’aurais mis la main, avec quelques collaborateurs, à une Histoire universelle dont j’avais tout le plan[8]. » — C’est en 1841 qu’il avait conçu la première idée de son Dictionnaire ; un traité fut dès ce moment conclu avec son libraire. Mais d’autres travaux devaient être achevés et plusieurs années s’écoulèrent sans qu’il pût « introduire cette nouvelle besogna dans le cadre de sa journée. » Ce temps ne fut pas cependant perdu pour l’œuvre future. « On sait que parfois, pendant le sommeil, des idées qui nous ont occupés la veille s’élaborent inconsciemment ; de même, pendant ce trop long sommeil de mon projet, mes idées s’étaient modifiées. » D’un commun accord, il fut convenu avec M. Hachette qu’il ne s’agirait plus, comme dans le plan primitif, d’un Dictionnaire étymologique de la langue française, on ajouta le mot historique. C’était là, en effet, le point dominant qui préoccupait M. Littré depuis qu’il considérait son projet sous toutes ses faces, l’avoue de bonne grâce que l’idée n’était pas de lui. Voltaire en avait proposé une ébauche en conseillant de citer, au lieu d’exemples arbitraires, des phrases tirées des meilleurs écrivains. Génin, amoureux de la vieille langue, recommanda de remonter délibérément jusqu’à elle et de ne pas craindre d’y chercher des autorités. M. Littré s’appropria l’idée de Voltaire et le conseil de Génin en composant un plan original qui fût bien à lui. Il était le premier qui entreprenait de soumettre de tout point le dictionnaire à l’histoire. — Cependant, il hésita encore avant d’acquiescer à la proposition définitive de M. Hachette; il demanda vingt-quatre heures de réflexion. « Ces vingt-quatre heures furent un temps d’angoisses; je passai la nuit sans fermer l’œil, soupesant en idée le fardeau dont il s’agissait définitivement de me charger. Jamais la sévère réalité du vers d’Horace ne se présenta plus vivement à mon esprit (quid ferre récusent, quid caleant humeri). La longueur de l’entreprise, qui, je le prévoyais, me mènerait jusqu’à la vieillesse, et la nécessité de la combiner durant beaucoup d’années avec les travaux qui me faisaient vivre, se jetaient en travers de ma résolution. Enfin, vers le matin, le courage prit le dessus. J’eus honte de reculer après m’être avancé. La séduction du plan que j’avais conçu fut la plus forte, et je signai le traité. » Ne dirait-on pas, en lisant le récit dramatique de cette nuit de savant, Alexandre ou Condé, la veille de leurs grandes batailles? Et, en effet, c’était une bataille qu’il s’agissait de livrer et de gagner pour « ce grand serviteur de la langue française. »

Nous ne pouvons entrer dans les innombrables détails de l’opération que M. Littré nous expose avec une infatigable complaisance. Bornons-nous à quelques indications. Il fallait tout d’abord rassembler force exemples pris dans nos classiques et dans les textes d’ancienne langue. Pour cela, il était nécessaire de constituer un atelier. On mit à sa disposition des personnes instruites qui furent pour lui les auteurs et inscrivirent les phrases relevées sur de petits papiers portant en tête le mot de l’exemple. M. Littré lisait de son côté et dépouillait certains livres. Ses instructions à ses collaborateurs étaient fort générales : recueillir autant que faire se pourrait des exemples de tous les mots, n’omettre ni les archaïsmes, ni les néologismes, ni les contraventions à la grammaire, avoir l’œil sur les acceptions détournées ou singulières et donner la préférence aux exemples intéressans ou par leur élégance, ou par l’anecdote, ou par l’histoire. Le programme une fois fixé, l’atelier fonctionna avec une régulière et féconde activité. Toutes les contributions de chaque auxiliaire venaient se concentrer entre les mains du chef principal et s’organiser en un recueil d’observations positives et d’expériences arrangées pour éclairer l’usage et la grammaire[9]. La disposition commune à tous les articles est celle-ci : le mot, la prononciation, la conjugaison du verbe, si le verbe a quelque irrégularité, la définition et les divers sens classés et appuyés, autant que faire se peut, d’exemples empruntés aux auteurs des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, des remarques, quand il y a lieu, sur l’orthographe, la signification, la construction grammaticale ; la discussion des synonymes dans certains cas ; l’historique, c’est-à-dire la collection des exemples depuis les temps les plus anciens de la langue jusqu’au XVIe siècle, enfin, l’étymologie. Chaque article devenait ainsi la monographie d’un mot, son histoire, son état civil tout entier dans le présent et dans le passé ; cela n’avait point encore été fait.

Le plan était excellent ; mais il ne se dessina pas du premier coup avec cette clarté aux yeux de l’auteur ; il ne se détermina ainsi qu’au prix de maint essai avorté et de maintes fausses routes. Cette indécision primitive fut la première difficulté sérieuse. « Celui qui considère mes quatre volumes, leurs milliers de pages et leurs trois colonnes estime certainement que beaucoup de temps a été employé à tout cela; mais ce dont il ne se doute pas, c’est combien de temps, dont il ne reste aucune trace, a été enfoui en recherches vaines et sans résultat, en retour sur les pas faits, en remaniemens et en reprises. » La seconde difficulté était de se borner dans le choix des exemples. « Avec les proportions où j’avais conçu mon Dictionnaire, je me serais perdu sans ressources dans le temps et dans l’espace, si je m’étais laissé aller, en chacun des compartimens qu’il embrassait, à la tentation d’y être complet. Il était urgent de se résigner à un sacrifice et de procéder au tout en se refusant à mettre la dernière main aux parties. Je n’ai point eu à me repentir de ma résolution. Le tout se fit, et c’était l’essentiel; car, en bien des cas, il est le juge suprême des parties. »

L’impression commença enfin sur l’ordre de l’éditeur, qui jugeait avec raison qu’elle ne commencerait jamais si l’on attendait que le travail fût achevé et que l’auteur en fût content. Mais alors que de nouvelles angoisses! En l’état où était le travail, le malheureux auteur se convainquit que la copie allait vite manquer, et que dès lors l’impression marcherait avec tant de lenteur que ni lui ni l’éditeur, qui n’étaient plus jeunes, n’en verraient la fin. La perte eût été grande pour tous deux, mais pour lui c’était de plus un désastre moral. Il tomba dans le découragement; ce fut tout un petit drame intérieur. Ou bien il fallait abandonner le Dictionnaire, ou bien il fallait en précipiter l’exécution en se contentant d’une œuvre hâtive, inachevée. « Il n’est rien de tel que d’être dans une mauvaise position pour avoir de mauvaises pensées. » Il essaya d’abord de se persuader que son Dictionnaire, même imparfait, l’emportait encore de beaucoup sur les œuvres de ce genre et que cela devait lui suffire. Il procédait par flatterie envers lui-même pour se décider à déserter son œuvre et pour se résigner, tout en voyant le mieux et le plus, au pire et au moindre. Quelle tentation, mais aussi quelle chute devant sa propre conscience ! Après qu’il eut faibli un instant devant son devoir, une honte généreuse le prit ; il résolut de n’abdiquer rien du plan qu’il s’était imposé. Mais pour cela, il fallait régler sa vie entière en vue de ce résultat et organiser heure par heure, durant plusieurs années, son travail et celui de ses collaborateurs, sans se relâcher un jour et en essayant de gagner et de maintenir une avance sur l’imprimerie. M. Beaujean, dès le commencement, puis M. Jullien, puis M. Sommer, et après lui M. Despois, M. Baudry, le capitaine André, se relayaient avec un zèle infatigable. M. Littré était le reviseur général ; mais il y avait tant de détails à réviser qu’il aurait succombé à la peine sans les deux auxiliaires que l’éditeur lui octroya bien volontiers, sa femme et sa fille, témoins de ses perplexités, travaillant sous ses yeux et dans le rayon de son activité personnelle. Grâce à l’admirable économie de temps et de force qui fut ainsi réalisée, l’impression, commencée dans le dernier quartier de l’année 1859, finit en 1872 ; elle avait duré un peu plus de treize ans et avait été précédée de deux années de préparation.

Quelle vie de cénobite ! Il n’en est pas de plus sévère. Depuis huit heures du matin jusqu’au dîner, à six heures, et depuis sept heures du soir jusqu’à trois heures du matin, c’était la mesure du travail accordé au Dictionnaire, interrompu seulement pendant deux heures dans l’après-midi en faveur des autres labeurs immédiatement exigibles. L’existence ainsi réglée ne fut suspendue que par les événemens politiques, par la guerre et par la commune. M. Littré avait pris les plus sages précautions pour la conservation de ce trésor colossal de petits papiers qui était l’avenir de son Dictionnaire ; il nous raconte l’odyssée des huit caisses transportées au moment de la guerre de la cave de la petite maison de Mesnil-le-Roi dans les caves de la maison Hachette ; on aurait pu croire que c’était une fortune de banquier, aux précautions que prenait M. Littré pour la protéger ; c’était une fortune, en effet, mais d’un genre tout idéal. Quand on put rentrer à Paris, « on trouva que tout avait dormi tranquillement pendant de longs mois, et comme dans le conte de Perrault, tout, copie en train, placards à demi corrigés et feuilles commencées, se réveilla en sursaut. » Malgré la vie nouvelle qui s’était ouverte alors pour M. Littré, devenu membre de l’assemblée nationale, l’œuvre suspendue fut reprise avec tant d’activité qu’elle s’acheva dans les délais à peu près prévus. M. Littré avait cinquante-huit ans quand il remit la première page à son imprimeur ; il en avait soixante et onze quand il donna en 1872 le dernier bon à tirer, « avec le sentiment d’un résultat obtenu par de grands efforts, après beaucoup d’années, en dépit de momens de vrai désespoir intérieur et de bien rudes traverses extérieures. » Le succès vint le récompenser de tant de peine : il fut éclatant et dépassa de beaucoup les plus orgueilleuses espérances de l’auteur. Notre littérature était dotée d’un monument, qui restera pour tout écrivain un auxiliaire indispensable et qui ne sera certainement pas dépassé, durant un siècle au moins, quelles que soient les critiques de détail qu’on ait pu faire sur certaines lacunes ou imperfections qui disparaissent dans la beauté sévère et l’ordonnance du tout. Comme le disait Littré, pour une œuvre pareille, c’est le tout qui est le juge des parties.

Avec une joie naïve il calcule que la copie (sans le Supplément) compte 415,636 feuillets, qu’il y a eu plus de 2,200 placards de composition; que si le Dictionnaire était composé sur une seule colonne, cette colonne aurait plus de 37, 525m, 25. Il s’émerveille, à la réflexion, de tous ces beaux résultats, qu’il doit à la continuité d’un travail sans trêve et sans distraction. Il eut cependant un regret dont il resta inconsolable. « Mon dessein, dit-il, était de réunir à un repas de félicitation et d’adieu mes collaborateurs, mon éditeur, et quelques amis datant du collège ou à peu près. Devenu malade, il me fallut renoncer absolument aux réunions et au repas. J’espérais d’abord que ce n’était qu’un ajournement; mais j’espérais en vain. L’ajournement était définitif. Le temps n’amenda rien, il empira tout, et, en écrivant ces lignes, je tiens la plume d’une main débile et endolorie. »

En effet, la maladie était venue, lente, inexorable. Peu à peu, M. Littré fut tout à fait confiné dans sa chambre, presque cloué sur son fauteuil « et représentant assez bien le misérable Scarron que nous connaissons[10]. » Mais Scarron n’était pas médecin, et M. Littré avait cette triste supériorité de pouvoir analyser les signes et les progrès du mal. Il lui vient à ce propos une idée singulière : ce mal ne serait-il pas la conséquence du genre de vie qu’il a mené durant les quinze années de son Dictionnaire? — Il se donne à lui-même une consultation en règle; il tâche de se rappeler tous les symptômes héréditaires; il constate, en les séparant avec soin, les élémens de trouble individuels et la diathèse goutteuse que lui ont léguée ses ascendans, et il termine cette curieuse enquête par ce mot naïf : « J’innocente donc le Dictionnaire de toutes les perversions organiques qui m’affligent ! « Il consent bien à être malade, et d’une maladie qu’il sait incurable; mais il ne veut pas qu’on accuse le Dictionnaire. Tout est bien ou du moins tolérable si le Dictionnaire n’est pas coupable.

Cependant les honneurs étaient venus de toutes parts chercher dans l’ombre de la maison de la rue d’Assas cette vieillesse toujours avide de savoir. « Mon travail, disait-il en 1874, a été récompensé plus que je n’y avais jamais compté. J’ai demandé peu à la société; en revanche, elle m’a accordé au-delà de mes espérances ou de mes ambitions. Je rends ce témoignage au moment où, parvenu à la grande vieillesse, je ne sollicite ni ne poursuis plus rien[11]. » Il tirait un juste orgueil de ce que tous ses succès avaient été des succès électifs. L’Académie des inscriptions, depuis plus de quarante années, l’avait élu, jeune encore. Le Journal des savans l’avait nommé un de ses collaborateurs. L’Académie de médecine lui avait accordé un de ces sièges dont elle dispose pour ceux qui n’ont pas le grade de docteur. L’Académie française, comme par un regret de l’avoir repoussé en 1863 après un débat fameux, avait saisi l’occasion de l’achèvement du Dictionnaire pour en récompenser l’auteur. Enfin, après avoir été quelque temps député, devenu sénateur inamovible, il avait épuisé toute la série des honneurs qu’un homme de science peut réunir sur sa tête, sans avoir jamais aliéné sa liberté ni à un pouvoir ni à une influence. C’était sa satisfaction intime. Il avait résolu, à un certain moment, « d’arranger sa vie, c’est-à-dire de ne laisser aucune prise, en renfermant étroitement ses ambitions dans ce qui est accordé soit par l’élection, soit par la faveur publique. » — Il y avait réussi, et, de cette façon, il s’était soustrait aux mauvais vouloirs que suscitaient ses opinions philosophiques et qui auraient été un obstacle insurmontable dans certaines carrières. Resté ferme dans une attitude d’opposition absolue pendant tout le temps du second empire, il avait pu constater qu’en dehors de ces carrières les intentions de nuire, dans l’ordre philosophique et littéraire, demeurent, étant donné notre milieu social, sans aucune efficacité. « On a lancé contre moi des polémiques qui devaient me confondre ou, si j’étais trop endurci, écarter d’une tête maudite la foule et l’opinion. Qu’est-il arrivé? Mes amis connus et inconnus, en France et hors de France, ont tenu à mépris ces déclamations ou, dans leur dédain, n’en ont même pas pris connaissance... Puisque, en réalité, on ne s’atteint pas, séparé qu’on est par la violence et l’exagération, ne vaudrait-il pas mieux renoncer aux polémiques insultantes et mensongères[12]? » Souvent discuté avec violence, injurié même, il se consolait, ou plutôt se rendait invulnérable aux attaques par des réflexions du genre de celles-ci : « Les lecteurs des journaux républicains ne lisent point les journaux monarchiques et cléricaux, et réciproquement. La barrière ne se franchit ni d’un côté ni de l’autre ; il en résulte qu’on s’ignore beaucoup. Cela crée une espèce d’entre-soi où l’on se dit à soi-même maintes choses dont l’unique avantage est de se faire plaisir. Ces choses n’ont ni vérité, ni vraisemblance, ni portée; elles travestissent les adversaires, mais on aime à voir des adversaires ainsi travestis, et cela suffit au gros des partis... Comme de parti à parti on ne se lit pas et surtout on ne se croit pas, les journaux adversaires n’ont aucune influence pour décréditer un homme dans le milieu qui le soutient[13]. »

M. Littré avait toutes les curiosités et presque toutes les ambitions de l’esprit, sous forme d’expériences à faire. Il fut poète même, non assurément pour avoir tenté de traduire l’Enfer de Dante en vers du XIVe siècle, ce qui est un tour de force d’érudition plutôt que d’inspiration, mais pour avoir plusieurs fois essayé de donner à sa pensée le rythme et la forme du vers moderne, un peu dans la manière affaiblie de Lamartine. Quelques essais en ce genre nous ont été donnés à la fin du volume Littérature et Histoire. Ils expriment la surabondance des sentimens qui débordaient chez lui en présence de quelque grand sujet; ils répondaient à un surplus d’émotion. La Lumière, les Étoiles, la Vieillesse, la Terre, voilà quelle est la matière de ces chants. Il y a quelques strophes hardies, bien lancées, quelques beaux vers, mais le coup d’aile ne se soutient guère ; le tour est difficile et embarrassé : ce n’a été d’ailleurs pour lui qu’une tentation passagère ; il n’attachait pas à ses vers plus d’importance qu’il ne convient à un galant homme qui s’est amusé à rimer de temps en temps quelque grande pensée, comme celle-ci :

O terre, mon pays, inonde parmi les mondes,
Tandis que je te suis dans les plaines profondes,
Il me prend un plaisir austère et pénétrant
A joindre mes destins aux tiens, dans la carrière
D’où tu viens en arrière,
Où tu vas en avant.


Mais pour rencontrer cinq à six vers qui se suivent harmonieusement, il faut chercher, et le choix est limité.

Parmi ses œuvres en prose, une des plus soignées et qui donnerait la meilleure idée de l’écrivain, c’est le Discours prononcé pour sa réception à l’Académie française en 1873. L’éloge de M. Villemain, qu’il remplace, est délicatement touché; moins sévère que beaucoup de ses confrères en philologie, il admire franchement l’éloquent professeur, il dessine avec finesse son rôle dans les lettres, particulièrement dans l’histoire littéraire et la critique moderne; il reprend à grands traits sa thèse favorite sur le progrès, qui, sous certaines formes particulières, ne s’est pas ralenti même pendant cette période du moyen âge, injustement dépréciée et méconnue par l’école révolutionnaire; il loue les vieux idiomes des XIIe et XIIIe siècles et va jusqu’à déclarer que la langue d’Amyot et de Montaigne vaut mieux que celle des âges suivans ; enfin, il définit à merveille le XVIIIe siècle, étudié avec tant de goût par M. Villemain ; il établit avec une précision vigoureuse le principe des littératures comparées. Nulle part comme ici, par une coquetterie fort légitime pour l’Académie, il ne s’est soucié d’être écrivain; il l’a été pleinement cette fois, comme il l’a été dans plusieurs morceaux de son livre sur les Barbares et le Moyen Age et dans quelques pages philosophiques.

L’était-il de nature et de race? Certes, il avait des parties de l’écrivain; il avait l’instinct de la force et de la justesse; il trouvait facilement des images heureuses et neuves; il avait le souci du mieux ; il se tourmentait vers la perfection. Mais ce souci et ce tourment se marquent trop dans ce qu’il écrit. Il y a dans sa manière une probité manifeste et un peu de gaucherie. La probité veut dire les choses exactement telles qu’elles sont et telles qu’il les pense; la gaucherie consiste à vouloir trop dire et tout dire. Alors surviennent les mille incidens au milieu desquels flotte la pensée, les circonlocutions qui noient le dessin principal de la phrase, les parenthèses et tout l’accessoire ; c’est le produit naturel des corrections perpétuelles, des repentirs grammaticaux ou psychologiques, des reprises qui allongent la phrase et l’enflent démesurément. M. Littré devenait obscur à force de vouloir être complet. La clarté du style ne s’obtient qu’à la condition de sacrifices continuels, que M. Littré ne sut jamais faire complètement. On regrette aussi l’intervention inattendue de mots techniques qui détonnent au milieu du langage littéraire. Le sentiment de la juste proportion, de la mesure, de l’art, en un mot, lui manque : bien qu’il ait écrit un assez grand nombre de belles pages, il n’est pas artiste. Il le sentait lui-même : « Quand je compose, disait-il, dans les bons momens, je suis content de ce que trace ma plume ; puis vient ce qui est pour moi le quart d’heure de Rabelais, relire, corriger, mettre les épreuves en bon à tirer. En cette seconde phase, mon enchantement a disparu, et je me méfie de tout. »

C’est alors qu’il lui arrivait de gâter tout en voulant mieux faire. Il y a des écrivains pour qui le second moment est celui du perfectionnement définitif, tel du moins que le comporte la nature de leur esprit. Il en est d’autres qui, à l’heure de la révision, cèdent à la tentation fatale des surcharges et des corrections indéfinies. On sait ce que cette inquiétude perpétuelle, chez Balzac, lui coûtait de peine et coûtait de frais à ses éditeurs, qui finissaient par réclamer. Il ne donnait qu’à contre-cœur le bon à tirer, maniant et remaniant jusqu’au bout ses épreuves, en demandant de nouvelles, fatiguant l’imprimerie par des scrupules toujours renaissans. Sans pousser les choses aussi loin, M. Littré avait un peu la même tendance. De là ce style trop souvent compliqué, issu d’une inspiration hésitante et d’un cerveau qui se torturait, cette lenteur de la phrase surchargée, dont il ne se débarrasse que dans les courts instans de conception vive, de joie intellectuelle et de sensibilité, quand son esprit s’éclaire et s’égaie, quand son âme s’anime d’une grande émotion ou bien encore quand il est contraint par la nature du sujet et par les limites de son cadre, comme dans les définitions de son Dictionnaire, où l’heureuse nécessité de faire court le force à être excellent.

Un dernier trait que nous fournit sur lui-même M. Littré et qui complète sa physionomie morale. Était-il modeste et dans quelle mesure? « Modeste, je le suis certainement, nous dit-il, au point de vue de l’opinion que j’ai de moi-même; depuis longtemps, je m’examine, souvent et sérieusement; je ne sais si beaucoup de bonnes opinions de soi résistent à un examen répété; chez moi, la bonne opinion n’y a pas résisté. — Mais si l’on entend par modestie cette disposition morale qui fait qu’on ne se produit pas, qu’on ne se met pas en avant, qu’on se tient même en arrière, j’ai besoin d’établir une distinction : ce n’est pas la modestie qui m’a retenu en arrière, c’est la conscience de mon insuffisance pour des éventualités que j’entrevoyais vaguement et auxquelles je ne méjugeais pas capable de tenir tête. J’ai été quelquefois bien téméraire, et maintenant que l’œuvre de mon Dictionnaire est finie, je trouve que ce fut à moi une grande témérité de l’entreprendre... Devant ce genre de témérité, je ne recule pas ; mais partout ailleurs j’aurais pu être un bon soldat, je n’aurais pas été un bon capitaine[14]. » C’est cette modestie, ou plutôt cette timidité extérieure, qui l’empêchait de prendre la parole devant les assemblées dont il fit partie. Il se produisait bien rarement aussi dans les académies. Lui-même nous raconte que les vendredis, jours des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, auxquelles il était d’ailleurs très assidu (tant que le mal le lui permit), il employait l’heure tout entière à feuilleter curieusement un Bossuet, que la bibliothèque de l’Institut mettait à sa disposition, en vue des exemples qu’il avait à y recueillir pour son Dictionnaire. A l’Académie française, il ne paraissait guère, sauf les jours d’élection; la maladie lui en interdit l’accès presque depuis la séance où il fut reçu : il y prit très rarement la parole et seulement quand il était mis en demeure de donner son avis sur une définition ou une étymologie dans l’œuvre perpétuelle du Dictionnaire d’usage que la compagnie poursuit sans relâche et qu’elle recommence quand l’ouvrage est achevé pour le tenir au courant des révolutions de la langue. Mais s’il était absent de nos séances, son témoignage était là, et le Dictionnaire historique, en permanence sur la table, à chaque instant consulté, remplaçait jusqu’à un certain point le célèbre savant. C’était sa voix écrite, recueillie avec le plus grand soin dans tous les cas douteux, écoutée avec déférence, et, quoique absent, il gardait ainsi une juste et grande part dans toutes les délibérations qui touchaient à ce vaste domaine de la langue, marqué de ses conquêtes et de son nom.


II.

Organisateur plutôt qu’inventeur, tel fut M. Littré. Lui-même semble se juger ainsi dans l’épilogue d’un de ses derniers livres : « Il y avait en moi des élémens capables de se faire jour et d’attirer l’attention; mais ils ont été tardifs, parce que la faculté de les mettre en mouvement a manqué. Mon esprit n’était pas de ceux qui s’éclairent soudainement devant l’imprévu des circonstances ; personne n’était plus désarmé que moi devant les difficultés subites, si le temps ne m’était pas donné de les étudier et de m’y préparer. De cette façon, mon apprentissage a été long, mais il a été nécessaire, et je serais ingrat si aujourd’hui je m’en plaignais comme d’un temps perdu[15]. » Il était dans le monde intellectuel le même que dans la vie pratique; il n’avait pas l’initiative des idées, mais quand elles s’étaient produites devant lui, même à l’état d’ébauche et sous une forme incomplète, nul ne les saisissait d’une étreinte plus forte et ne s’y attachait avec plus de suite jusqu’au moment où il s’apercevait que cette idée n’était peut-être qu’un aspect incomplet de la vérité. Alors un nouveau travail se faisait en lui. Il essayait, avec son admirable bonne foi, de se prémunir contre ses propres habitudes intellectuelles et ce qu’il appelle « ses insuffisances de toute nature. » Il opérait cette critique de lui-même « à l’aide de tâtonnemens qui se cherchaient et se rectifiaient l’un l’autre. « Il sentait profondément le défaut général de son esprit, qui consistait « à ne rien savoir par intuition et pour ainsi dire d’avance et à être contraint de tout apprendre par expériences chèrement achetées et par tentatives redoublées[16]. »

Ainsi s’explique l’histoire de ses idées. Quand on en étudie la succession de près et avec la précision chronologique, non dans son ensemble nécessairement vague et confus, on voit apparaître clairement les diverses phases par lesquelles M. Littré a passé en politique et en philosophie, et les transitions qui l’ont amené d’une phase à l’autre, l’éducation progressive de son esprit sous l’action simultanée de l’expérience et de la réflexion. Il réalise en lui-même cette loi de l’évolution dont il a si curieusement étudié les applications dans les sociétés humaines. Et qu’on n’aille jamais imaginer, dans une pareille vie, un motif vulgaire qui explique ces transitions, rien qui soit indigne d’un vrai penseur. Le plus grand éloge qu’on puisse faire de lui, c’est qu’il a toujours cherché la lumière, dût-il, comme dit le poète, gémir de l’avoir trouvée. Il est de ces hommes rares qui ne se préfèrent pas eux-mêmes à la vérité, qui ne mettent pas l’amour-propre de leurs idées au-dessus de l’amour du vrai, et qui osent simplement et hardiment dire, quand ils le doivent, ces quatre mots si pénibles à la vanité humaine : « Je me suis trompé. »

Il est curieux de voir comment se manifeste cette bonne foi dans les questions politiques et sociales. C’est lui-même, lui seul, qu’il faut prendre pour guide dans l’histoire de ses variations. Le témoignage le plus explicite nous est donné dans la seconde édition du livre Conservation, révolution, positivisme, dont nous avons déjà parlé, l’édition commentée, où chaque chapitre a reçu un post-scriptum des plus intéressans, une critique vigoureuse et des rectifications sans nombre, qui nous permettent de mesurer les changemens accomplis en trente années d’expérience et de réflexion. L’auteur plaide parfois les circonstances atténuantes pour ses erreurs ou ses illusions passées, mais avec quelle fermeté de jugement il se rectifie lui-même et rétracte ses opinions fausses ! Nous donnerons seulement quelques exemples significatifs de cette remarquable disposition d’esprit. Le 18 novembre 1850, sous l’inspiration des idées personnelles de M. Auguste Comte, il avait écrit quelques pages singulièrement utopiques sur la paix occidentale. Il y développait avec candeur cette pensée que les derniers feux du grand embrasement de l’Europe étant éteints depuis trente-cinq ans, il y avait de grandes chances pour qu’ils ne se rallumassent jamais. La paix est prévue par la sociologie, disait-il, depuis plus de vingt-cinq ans, prévue avant la commotion de 1830, prévue avant les menaces de 1849, prévue avant février 1848, et toujours, malgré les apparences les plus graves, l’événement lui a donné raison. Aujourd’hui encore on peut la prévoir pour tout l’avenir de notre transition, au bout de laquelle une confédération républicaine aura uni l’Occident et mis un terme aux conflits les armes à la main. La solidarité est déjà établie entre les nations, elle le sera encore mieux dans dix ans, dans quinze ans. Allemands, Anglais, Italiens, Français et Espagnols seront plus près de s’entendre, plus éloignés de se guerroyer qu’ils ne le furent en 1848... Aujourd’hui, en Europe, il y a des défaites politiques, il n’y a plus de défaites militaires. Ce sont les partis qui sont en lutte dans l’Occident, ce ne sont plus les nations. — Il faut voir comment, en 1878, M. Littré jugeait l’utopiste de 1850 : « Ces malheureuses pages, disait-il, sont en contre-sens perpétuel avec les événemens qui se sont déroulés. Elles respirent une confiance qui me fait mal, même après tant d’années. Elles feront mal aussi au lecteur, qui plaindra un tel aveuglement ou haussera les épaules, selon les sentimens dont il sera animé... A peine avais-je prononcé, dans mon puéril enthousiasme, qu’en Europe il n’y aurait plus de défaites militaires, désormais remplacées par des défaites politiques, que vinrent la défaite militaire de la Russie en Crimée, celle de l’Autriche en Italie, celle de l’Autriche encore en Allemagne, celle de la France à Sedan et à Metz et tout récemment celle de la Turquie dans les Balkans. Est-ce la fin? Qui le sait?.. Avec une outrecuidance qui maintenant me paraît risible, j’oppose ce que je nomme politique réelle, celle qui prévoit la paix perpétuelle, malgré les apparences, à la politique que je nomme vulgaire et qui consulte les apparences pour conjecturer la paix ou la guerre. La politique réelle a été démentie sans réserve ; la politique vulgaire a eu de nouveau et pleinement raison[17]. »

Il ajoutait fièrement : «J’ai tenu à remettre moi-même ces pages au jour pour compléter ma confession politique et philosophique. Je me suis trompé; qui ne se trompe? Aussi là n’est pas ce qui me trouble. Ce qui me trouble, c’est la certitude avec laquelle j’écartais les faits menaçans, et surtout ma témérité à donner pour gage de confiance en la sociologie des prévisions qui devaient être si tôt démenties. » Il explique ses prodigieuses erreurs par deux raisons ; l’une est une raison de personne : c’était l’absolue confiance qu’il avait eue dans le jugement d’Auguste Comte: « Je ne jurais alors que par la parole du maître; et pour la trouver vraie, je faisais violence aux faits positifs, j’écartais les signes manifestes. » C’est à cette influence prédominante qu’il rapporte les chimères qu’il se forgeait alors sur la décadence du bonapartisme, sur la consolidation de la république en 1850, sur la suppression nécessaire du budget des cultes et de l’Université, sur la désuétude de la guerre, sur le voisinage de la période positive et l’avènement définitif de la doctrine dans la direction des idées et dans le gouvernement du monde. — L’autre raison par laquelle il expliquait la vanité de ses prophéties, si rudement démenties par la réalité, c’est la confusion qui se faisait alors dans son esprit entre les prédictions de la sociologie et celles des sciences physiques comme l’astronomie. Il lui avait paru, dans les premiers enchantemens de la doctrine, que, de même que l’astronomie se démontre aux ignorans par la prévision des phénomènes célestes, ainsi la sociologie devait se démontrer par la prévision de certains faits politiques qu’elle prépare et qu’elle doit prévoir parce qu’elle les amène infailliblement. Mais plus tard il fut conduit à cette réflexion que plus une science est simple, plus la prévision y est étendue et sûre, et qu’au contraire plus une science est compliquée, plus la prévision y est restreinte et douteuse. C’est le cas de la sociologie, la plus compliquée de toutes les sciences et par conséquent celle de toutes qui doit le moins voir à longue portée, tant sont nombreux et délicats les élémens qui entrent dans ses calculs. Il fut ainsi amené à distinguer deux politiques : l’une, l’empirique, qui appartient aux hommes d’état, aux diplomates, aux militaires, aux journalistes, aux rois, aux empereurs, aux ministères, aux représentations nationales; c’est elle qui, à l’aide de l’expérience prochaine et parfois d’intuitions de génie, règle les affaires, décide les événemens et conjecture les résultats; l’autre, la politique scientifique, a, pour le moment du moins, peu de vertu pour prévoir les événemens et les contingences; mais du moins elle indique les grandes lignes du développement social et doit, par conséquent, être prise en grande considération. Encore y aurait-il bien à dire sur la réalité des conjectures de la politique scientifique et sur l’exactitude du linéament général qu’elle trace dans un lointain avenir. En plusieurs occasions, M. Littré revient sur cet aveu caractéristique. Aussi renonça-t-il tout simplement à ce rôle équivoque et difficile de prophète positiviste qui lui avait valu tant de mécomptes; il lui suffit désormais de recueillir le plus d’observations possible, de les noter, de réfléchir sur les causes et les lois des événemens passés, d’en démêler la complexité toujours croissante, de les ramener à leurs élémens générateurs. C’était là son vrai rôle de philosophe expérimental.

Avec la même ingénuité, bien touchante chez un vieillard arrivé si haut dans l’estime publique, il révisait ses illusions politiques une à une, sans respect humain, sans ménagement pour son amour-propre. Il lui était arrivé, vers 1848, dans l’enivrement de la révolution de février et sous la forte impression des idées de Comte, de croire que ces coups d’état populaires annonçaient une ère nouvelle et que le monde touchait à sa période positive, celle où, le savoir étant coordonné philosophiquement, les sociétés allaient y prendre leur règle de penser et d’agir. Il ne s’agissait plus que de préparer la transition. Les traits de cette réforme, qui devait nous amener à l’état définitif, consistaient à restreindre autant que possible le pouvoir parlementaire, en le réduisant aux attributions financières, à restreindre dans la même mesure le suffrage universel, en attendant que le régime spirituel permît de s’en passer, à créer enfin un pouvoir central, composé de trois grands fonctionnaires qui auraient entre les mains le pouvoir exécutif, et nommé par le peuple de Paris. « C’est ainsi, disait-il, que les prolétaires arriveront à mettre directement la main au gouvernement. Cela importe à la terminaison de la longue révolution occidentale. C’est pour avoir la liberté que le positivisme supprimera les budgets ecclésiastique et universitaire, ouvrira les clubs et ôtera les entraves de la presse ; c’est pour avoir l’ordre qu’il attribuera la prépondérance à Paris, au pouvoir central et aux prolétaires[18]... Paris a toujours défait et refait les gouvernemens, et tant que la France restera la France, il en sera ainsi. La force des choses lui a constamment attribué, dans nos péripéties révolutionnaires, la nomination ou la sanction des chefs qui ont gouverné. Qu’y a-t-il à faire pour la politique positive, sinon de reconnaître cette inévitable attribution et de la régulariser[19]?.. Paris, appelé à cette grande fonction électorale, ne tarderait pas à confier l’autorité à des ouvriers ; mais, en ceci encore, il ne ferait qu’obéir à des tendances salutaires. Le prolétariat arrive de toutes parts à la compétition du pouvoir; et comme les instincts progressifs y sont plus puissans qu’ailleurs, il y arrive dans des conditions intellectuelles bien préférables à celles qu’y apportent les autres classes[20]. » Le gouvernement de Paris et la suprématie du prolétariat, voilà tout son programme. Ce n’était pas seulement la cause des droits du prolétaire qu’il plaidait, ce qui est l’essence de la démocratie; c’était la thèse de ses privilèges nécessaires, ce qui devait rétablir une autre aristocratie, une aristocratie à rebours dans l’état, l’aristocratie de l’ouvrier de Paris maître de la France.

Ces idées étaient d’Auguste Comte ; mais M. Littré, qui avait été chargé de les exposer devant la Société positiviste au nom d’une commission, déclarait, trente années après, qu’il les avait alors pleinement et entièrement acceptées, a Ce n’est pas volontiers, écrivait-il plus tard, que je me suis résigné à imprimer ces pages étranges; car je ne puis les caractériser autrement; mais je n’ai pas voulu m’épargner devant le lecteur en lui dérobant l’étendue de ce que je regarde présentement comme mes erreurs[21]. » Il s’étonnait même qu’on n’eût point fait usage de ce document, au moment de la dure polémique qui s’éleva contre lui au sujet de sa candidature à l’Académie française en 1863; il reconnaît que c’eût été de bonne guerre; il aurait été atteint au vif, dit-il, et obligé de se désavouer lui-même en un moment désagréable. Plus libre de cette pression extérieure, il consigna une rétractation complète de ces opinions d’abord dans le livre sur Auguste Comte et la Philosophie positive, puis dans les Fragmens de philosophie positive, enfin dans les Remarques écrites en 1878. Il nous dit comment l’événement a soufflé sur cet échafaudage hypothétique sans en rien laisser ; il montre à merveille comment certaines conditions inhérentes au milieu politique et social de la France faisaient de cette conception de Comte une hypothèse irréalisable. Il y avait trois graves erreurs de fait à la base de cette conception : l’une qui consistait à croire que la révolution de février avait amené la situation à un point que les positivistes appelaient la transition, et qui formait l’unique étape entre l’état présent et un régime définitif; une autre erreur concernait les prolétaires, qui n’étaient pas en mesure de prendre et de retenir le pouvoir. Les prolétaires, en effet, il le reconnut plus tard, ne sont pas le tout des classes populaires ; ils n’en sont en France, du moins, qu’une portion; l’autre portion, très importante et plus nombreuse, est constituée par les paysans. La troisième erreur tombait sur les socialistes, que M. Littré considérait alors comme des demi-positivistes et qui ne l’étaient en aucune façon[22]. « Ces trois erreurs de fait, conclut M. Littré, étaient toute chance possible d’application au projet de gouvernement révolutionnaire et transitoire, sans parler des obstacles qu’auraient opposés les provinces à la domination de Paris, les bourgeois à la prépondérance des ouvriers, les paysans aux systèmes socialistes ou autres. »

Avec cette théorie condamnée sur le rôle privilégié du prolétariat tombèrent toutes les illusions du même genre qui avaient un instant hanté son esprit. Il finit par comprendre qu’il n’y avait pas de milieu entre cette grande chimère, le gouvernement direct de la multitude aboutissant à l’anarchie ou à des dictatures momentanées, et le régime parlementaire pur et simple. Il se rangea décidément à ce second parti et, dans les dernières années, il en devint le plus zélé défenseur. Il a plusieurs fois développé des considérations remarquables sur ce sujet : le vrai est que la multitude, très apte à faire prévaloir des sentimens et des tendances, à soutenir et à sanctionner, ne l’est pas à gouverner. Plus une multitude est nombreuse, moins elle est capable d’avoir une décision sur les choses de gouvernement; les lumières y sont insuffisantes, les occupations privées prennent le temps de chacun; les intérêts s’y croisent sans accord[23]. Il y aurait un très grand mal à ce que la multitude gouvernât directement; il y a un très grand bien à ce qu’elle gouverne par des intermédiaires. Qu’est-ce cela, sinon le régime parlementaire? — Or ce régime, soit monarchique, soit républicain, semble approprié à la situation présente des nations européennes. On en parle même pour la Russie. C’est ce que l’homme d’aujourd’hui a trouvé de mieux approprié aux conditions du milieu social. Ce régime donne des garanties suffisantes à l’ordre, il en donne aussi à la liberté, car il comporte une presse affranchie d’entraves, la prépondérance de l’opinion, la possibilité de tout discuter, la participation, par représentation, du grand nombre à la gestion des affaires publiques; enfin il est ouvert aux réformes que signalent l’expérience politique et le progrès général. — En 1879, dans quelques pages très curieuses, il insistait sur l’erreur considérable que Comte avait commise en professant que le régime parlementaire était un produit britannique, inhabile à être transplanté[24]. D’une revue rapide de la marche de la civilisation occidentale, il tirait la conclusion toute contraire, à savoir que ce régime, bien loin d’être en déchéance depuis cinquante ans, est en croissance régulière sur le continent. N’étant pas tout d’une pièce et comportant des gradations, il est ici plus puissant, et là plus faible, mais partout il conserve sa propriété caractéristique, qui est d’assurer la publicité, la discussion, le meilleur système des garanties à tous et à chacun. M. Littré restait républicain convaincu, comme il l’avait été depuis de longues années, mais il était devenu républicain parlementaire.

C’est ainsi que peu à peu, par des expériences répétées, par des réflexions bien conduites, par une sincérité complète à l’égard de ses propres idées et des événemens, cet esprit, progressif et méditatif, s’élargissait, s’affranchissait de la secte, s’élevait et se pacifiait. Il vivait de plus en plus en face de sa conscience dans le passé et dans le présent. Lui-même a marqué d’un trait profond et délicat cette histoire intérieure d’un esprit qui s’observe, se châtie et s’améliore sans cesse, dans cette page écrite peu de temps avant sa mort : « Une vie qui se prolonge beaucoup, au milieu de la souffrance permanente, il est vrai, mais avec un esprit qui garde, ce me semble, la lucidité, me ramène aux jugemens du passé par le présent, n’étant à la différence du vieillard d’Horace, ni prôneur du temps passé, ni censeur et châtieur du temps présent. Je trouve singulièrement instructif, pour moi du moins, de me reporter à quarante ou cinquante ans en arrière, et de voir ce que les événemens ont fait de ce que nous avions cru, redouté, espéré. Il me paraît, malgré la croyance contraire, qu’un vieillard qui n’est pas entêté de lui-même, est aussi redressable qu’un homme plus jeune, et qu’il peut ne plus garder de préjugé pour ce qui jadis l’avait passionné et obsédé. Je me remets ici au point de vue de la philosophie positive telle que M. Comte l’enseignait alors et telle que je l’adoptais sans réserve. La réserve, les événemens me l’ont apprise. Y a-t-il beaucoup de vieux révolutionnaires, de vieux conservateurs qui se résignent, comme le vieux positiviste que je suis, à mettre une part de leurs déceptions sur eux-mêmes, au lieu de la mettre toute sur les événemens[25] ? »

Cette réserve, que les événemens lui avaient apprise, se manifeste par l’éloignement qu’il montre de plus en plus en vieillissant pour l’école révolutionnaire, ses jugemens historiques, ses procédés de gouvernement et ses expédiens politiques. Il définit la Révolution l’ensemble des tendances qui attaquent et ruinent violemment le passé dans ses croyances et dans ses institutions. Sa source est dans le conflit croissant entre le savoir positif et les croyances théologiques; son péril est la tendance à l’anarchie, résultat inévitable des conceptions rationnelles, des combinaisons purement subjectives, en dehors de tout appui dans l’expérience, dont chacune a en soi assez d’attrait pour faire la conquête de certains groupes d’esprits, mais dont aucune n’a assez de consistance pour s’imposer au plus grand nombre et faire loi. C’est ainsi qu’elle dissout la société et qu’en même temps elle rompt brusquement l’enchaînement des générations. Elle tient le passé en grande aversion ; elle engage contre lui une lutte redoutable, et il est naturel qu’elle haïsse énergiquement son adversaire. Cette inévitable situation lui fait commettre les plus graves erreurs et les plus criantes injustices : elle l’excommunie tout entier, elle le déclare inepte et infâme, elle l’anéantirait si elle pouvait, et ne conserve aucun sentiment de l’histoire[26]. La doctrine de l’évolution se substitue de plus en plus dans les esprits éclairés à cette doctrine violente. Elle rend au passé ses droits historiques, elle explique sa raison d’être, tout en accordant à la révolution sa part de légitimité suivant les temps et suivant les lieux Elle déroule lentement et logiquement, à travers le temps et l’espace, la chaîne des idées et celle des générations ; elle ne déchire rien brusquement, elle constate et elle suit le mouvement de progrès logique et naturel inhérent à la vie organique des sociétés ; elle ne s’arroge pas la faculté de modifier à son profit les choses naturelles, elle se soumet scientifiquement à leurs lois, et ce n’est qu’à cette condition qu’elle peut s’en servir.

De cette philosophie expérimentale et raisonnée il est facile de déduire toutes les idées et tous les sentimens qui servirent de règle à la conscience de M. Littré dans l’appréciation des événemens contemporains, et d’abord sa haine contre le socialisme armé ses condamnations réitérées de la commune, sa réprobation énergique de toutes les formes de l’assassinat politique[27] ; contre toutes ces manifestations de la violence, son verdict était inflexible et il l’énonçait sans ménagement. Sous l’influence de ces idées il traitait de crime politique toute insurrection ou tout coup d’état renversant ou tentant de renverser un pouvoir établi, afin de remettre entre les mains d’un homme ou d’un parti la gestion de la chose publique Ce genre de crime, selon lui, est le plus considérable de tous, du moins dans nos sociétés modernes; les contre-coups s’en font sentir, non-seulement sur les particuliers que l’on frappe pour vaincre leur résistance, mais aussi sur la fortune publique sur la situation internationale, sur les relations intérieures des citoyens entre eux, sur la moralité commune. Aussi mérite-t-il d’être étudie comme un cas de pathologie sociale[28]. « De 1814 à 1871 (jusqu’au vote de Bordeaux qui consacre la troisième république comme un fait, et jusqu’au vote de Versailles qui la consacre comme un droit) la culpabilité politique emplit notre histoire; roi, empereur, populaire y trempent à l’envi, et elle se paye chèrement au tribunal sociologique, qui inflige en toute rigueur aux prémisses leurs conséquences... Tous, pendant ces quarante-sept années, tous, légitimistes, républicains et impérialistes, sont passibles d’une seule et même condamnation. Je me mépriserais si parce que je suis républicain, je faisais en cela une exception pour le parti de la république et louais chez lui les coups que je blâme ailleurs. Je n’admets ni que ce qui est mal chez les uns soit bien chez les autres, ni que la fin justifie les moyens. Je suis d’avance du côté de ceux qui résolument renoncent aux voies violentes ; mais parmi ceux qui n’y renoncent pas, mon impartialité est complète, — impartialité qui n’est point de l’indifférence, car c’est le cœur déchiré que j’ai assisté à mainte péripétie de notre récente histoire. »

Les mêmes principes expliquent son attitude d’historien devant le christianisme et celle qu’il prit comme législateur, en une occasion solennelle, devant les pouvoirs qui lui semblèrent manquer de libéralisme et de tolérance. On s’étonnait parfois, dans le parti de la démocratie avancée, de trouver en lui des jugemens empreints d’une certaine faveur sur le rôle historique du christianisme dans le monde. M. littré l’expliquait par une simple distinction. En tant que disciple de la doctrine positive, il appartenait à un parti philosophique, et, là, il était l’adversaire des théologies ; il insistait sur l’incompatibilité qu’il croyait saisir entre elles et la conception moderne du monde. Mais tout autre était et devait être son langage quand il parlait en historien. Alors il se rappelait que les religions entrent dans la contexture intime du développement de l’humanité ; que ce développement ne peut être séparé de leur action et que, tout compensé, puisqu’on loue le point de civilisation où nous sommes arrivés, ont doit faire la part de ces collaboratrices assidues et puissantes dans l’œuvre accomplie. « Celui qui verrait dans cette nouvelle attitude une contradiction ou un démenti de moi-même, ferait preuve d’étroitesse d’esprit et de bien lourds préjugés[29]. »

Ce ne serait pas non plus une contradiction dans la pratique ni un démenti à lui-même, si, devenu homme de gouvernement et ayant à gérer les intérêts matériels et moraux de nos sociétés si complexes, M. Littré avait tenu pour son devoir politique le plus strict de faire jouir les théologies de la protection et de l’indépendance que l’état doit à toutes les doctrines. Ce fut l’objet spécial d’un écrit très curieux, publié presque simultanément dans la Revue de philosophie positive et dans le journal le Temps en 1879, sous ce titre : le Catholicisme selon le suffrage universel en France, et qui fit une sensation profonde dans les deux partis, celui avec lequel votait d’ordinaire M. Littré et le partir contraire, l’un scandalisé de l’éclat d’une telle dissidence, l’autre étonné d’une pareille impartialité. Au fond, M. littré était fidèle à lui-même et à ses idées. Certes il n’était pas tendre pour le cléricalisme ni pour les jésuites. Combattre leurs entreprises lui paraissait un des principaux soucis de la politique présente ; il s’effrayait un triomphe possible de leurs doctrines et les étalait non sans âpreté. Mais pour lui la question n’était pas une question de doctrine. Pour écarter le péril de ce triomphe redouté, deux systèmes étaient en présence : l’un, le préventif, procède par des lois d’exception qui frappent d interdit telles ou telles associations, tel ou tel enseignement; l’autre, le répressif, n’ayant recours à aucune arme particulière, réprime quand il y a lieu, mais s’en rapporte pour la défense des plus chers intérêts nationaux à l’ensemble des institutions laïques vigoureusement soutenu et développé[30]. C’est de ce point de vue que M. Littré juge ce grand débat et résout la question avec une singulière fermeté de principes. Il se déclare, en tout état de choses, l’adversaire du système préventif et des mesures d exception; dans le cas particulier qui se présente et qui est relatif à la liberté d’enseignement, il les juge inutiles et nuisibles et il en donne abondamment ses raisons. Le régime de la liberté est à son avis, non-seulement plus efficace que l’autre, mais le seul efficace avec de la constance, de la modération et de l’habileté. On parle de représailles légitimes. Eh quoi! nous dit-on, faut-il donc accorder la tolérance à qui ne tolère pas? Faut-il accorder la liberté à qui la refuse à autrui? M. Littré n’hésite pas à dire : Oui. Depuis longtemps les laïques, les sectateurs des idées et des institutions modernes prétendent l’emporter en moralité, c’est-à-dire apparemment en justice et en équité, sur les l’auteurs des doctrines théologiques ; le principal témoignage de cette supériorité, la plus précieuse de toutes, est justement la tolérance qu’ils pratiquent à l’égard de leurs adversaires et malgré eux et qui est le nouveau labarum, portant comme l’ancien : In hoc signo vinces. — « Mais faut-il donc permettre aux jésuites de former, au sein de la nation, une nation ennemie toujours disposée à ruiner de façon ou d’autre tout l’établissement laïque? — Cette nation ennemie, qui existe, continuera d’exister, n’en doutez pas, soit qu’on interdise ou non l’enseignement aux jésuites. Les convictions religieuses qui l’entretiennent défient les mesures temporelles. Ce sont des convictions contraires qu’il convient de lui opposer, et ces convictions contraires ne manquent pas, car elles ont fait la France ce qu’elle est. Sachons donc en prendre notre parti et nous résigner à ce danger bien connu, ni surfait ni atténué. Rien d’ailleurs n’est plus salutaire, quand on sait s’élever au-dessus des infatuations qu’une menace toujours présente et le frein auquel nous soumet la vigilance redoutable d’un ennemi acharné[31]. »

Telle est en substance cette fameuse déclaration de principes qui fut comme son discours suprême au sénat, discours que sa timidité physique l’aurait en tout cas empêché de prononcer, même s’il en eût la force, mais qu’il adressa du fond de son cabinet de travail à ses amis et à ses ennemis et qui eut un retentissement profond dans les esprits. On eut tort, selon lui, d’y voir autre choses qu’une protestation au nom de la justice égale pour tous. Sur ce seul point il se sépara de ses amis politiques. Sur le fond des choses, son opinion ne parait pas sensiblement modifiée ; du haut de la conception positiviste, il juge avec la même sévérité qu’autrefois ce qu’il appelle « les théologies. » Cependant on put s’y tromper. « Quand on le vit prendre parti historiquement pour le catholicisme durant le moyen âge, plusieurs s’imaginèrent qu’il gardait au fond du cœur des attachemens secrets pour des doctrines dont il faisait l’éloge, — l’éloge relatif, bien entendu. Et, de même, la part qu’il prit aux débats sur l’instruction publique, loin de contredire les tendances qu’on lui supposait, sembla les confirmer. Il s’était montré partisan résolu d’une politique qui tiendrait plus de compte que les républicains ne font d’ordinaire du catholicisme de la majorité et qui ménagerait davantage les intérêts[32]. » Cela suffit pour inspirer aux uns des espérances, aux autres des alarmes que M. Littré déclara tout à fait excessives et peu justifiées.

Pour se rendre un compte exact de l’état de son esprit à cette date si voisine des derniers jours, il faut lire une sorte de testament philosophique, publié en 1880, et qui porte ce titre mélancolique et grave : Pour la dernière fois. « S’il est des questions disait-il, sur lesquelles quelque occasion s’offre de revenir, il faut bien s’avouer, quand on est entré comme moi dans la quatre-vingtième année, non sans un pénible cortège de désordres pathologiques, il faut s’avouer que l’on y revient pour la dernière fois. Plus tard, l’occasion, ou le temps, ou la volonté manqueront. Les questions dont je parle sont celles sur lesquelles Claudien a douté en beaux vers si

Curarent superi terras an nullus inesset
Rector, et incerto fluerent mortalia casu. »


M. Littré rappelle sommairement les crises de sa vie philosophique. Au début, ses croyances étaient celles du déisme : Dieu, l’âme et l’immortalité. Il les avait puisées, sans enseignement dogmatique, dans le milieu qui l’entourait. Lui aussi, il avait eu, comme Jouffroy, dans sa première jeunesse, une nuit fatidique qui lui ravit ses croyances déistes, comme elle enleva à Jouffroy sa foi religieuse. Un soir, dans sa petite chambre, où, sorti du collège, il commençait à se livrer à l’étude, il s’arrêta tout à coup, et sans que rien eût préparé la question, il se demanda sur quel fondement il croyait ce qu’il croyait. A sa grande surprise, non sans quelque effroi, il ne sut que répondre à cette redoutable question que personne, parmi ceux qui pensent, n’évite un jour ou l’autre. Ce fut un coup inattendu et qui pénétra fort avant. Alors « il laissa aller toute sa religion naturelle et il devint négateur d’une façon fort analogue à celle du XVIIIe siècle. » Ce ne fut que beaucoup plus tard que la philosophie positive vint calmer toutes les fluctuations de son esprit, en le mettant à son nouveau point de vue, qui est de traiter les théologies comme un produit historique de l’évolution humaine, de nous convaincre de la relativité de notre entendement et de ne rien affirmer ou de rien nier en présence d’un immense inconnaissable[33]. Il déclare que, depuis ce temps, ce point de vue n’a pas changé en lui. Mais au nom de l’évolution historique il s’est réservé le droit de ne pas se porter pour « le contempteur absolu du christianisme et de reconnaître ses grandeurs et ses bienfaits. » Il avoue même « qu’il n’a aucune répugnance à prêter l’oreille aux choses anciennes qui lui parlent tout bas et lui reprochent de les abandonner. » Il ne peut, aller au-delà : « L’appel aux émotions religieuses n’a pas été spontané en mon âme; des occasions, des excitations lui ont été fournies; je ne les ai refusées ni dédaignées. Mais, chaque fois, elles se sont circonscrites en un point très spécial, à savoir une sorte de problème psychique entre mon évidence, qui me fait rejeter les dogmes théologiques, et votre évidence qui vous les fait, à vous tous croyans, accepter. » Ce conflit entre les évidences témoigne hautement de la relativité de l’entendement : l’intolérant, de quelque côté qu’il soit, ne le reconnaît pas ; mais le tolérant le reconnaît, l’excuse et le comprend. Aux appels religieux qui leur sont faits certains esprits répondent tristement le mot célèbre dit à d’autres intentions: Non possumus. « Tristement, ai-je dit. Il faut rectifier cet adverbe et le conformer à la réalité. La tristesse domine sans doute en M. Charles Gréville (dont il vient de nous raconter un entretien touchant) et dans des âmes disposées comme la sienne, chez Théodore Jouffroy, par exemple... Je n’ai rien à y contester, rien à y épiloguer; suum quisque habet animem, a dit avec pleine raison Tite Live. Mais il en est à qui dans cette situation d’esprit la tristesse est tout à fait étrangère. Ils vivent leur vie telle que la nature la leur accorde, avec ses joies et ses douleurs, l’occupant par le travail, la rehaussant par les arts, les lettres et les sciences, et lui assignent un idéal dans le service de l’humanité. » C’est de ce regard grave et ferme, le regard d’un stoïque, qu’il considérait la vieillesse, qui s’aggravait tous les jours, et la mort inévitable. La mort! c’est l’objet constant des méditations et des exhortations des moralistes. Mais eux-mêmes sont partagés comme les sociétés auxquelles ils appartiennent : les uns croient que la mort est un passage à une autre vie; les autres pensent qu’il ne reste rien de la personnalité humaine au-delà du tombeau. Quelle que soit la divergence de ces discours, la résignation est au bout avec la croyance en une vie éternelle chez les uns, et la croyance en un éternel repos chez les autres[34]. M. Littré, dans les dernières années, avait toujours cette pensée devant les yeux. Elle lui a inspiré ses plus belles pages, celle-ci entre autres que je regrette d’abréger : « La jeunesse songe peu à la mort; mais l’idée en devient de plus en plus présente à mesure qu’on avance dans la vieillesse. Parvenu à l’âge de cinquante ans, je m’arrêtai un jour pour considérer combien de ma vie était déjà écoulé ; puis je me remis en route en me disant que, pour atteindre soixante-dix ans, que je m’octroyais libéralement, j’avais vingt ans devant moi, terme assez long pour ne pas encore m’occuper de la mort. Les soixante-dix ans sont venus, ils ont fini à leur tour, ils sont déjà loin, les délais se raccourcissent de moment en moment, et désormais je ne compte plus comme à moi que le jour que je tiens. Voltaire vieux écrit dans une de ses lettres qu’à l’aspect d’une nuit étoilée, il se dit qu’il allait perdre bientôt ce spectacle, qu’il ne le reverrait plus dans toute l’éternité. Comme lui, j’aime à contempler, en songeant que c’est peut-être la dernière fois, la nuit étoilée, la verdure de mon jardin et l’immensité de la mer que je vais visiter tous les ans et que j’ai encore visitée cette année. La pièce où je me tenais ouvrait sur le rivage, et quand la marée était pleine, son flot n’était qu’à quelques pas de moi. Là, que de fois je me suis enfoncé dans la contemplation, me représentant ces Troyennes qui pontum adspectabant fientes ! Je ne pleurais pas, mais je sentais que ces graves spondées répondaient le mieux à la grandeur du spectacle et au vague de la méditation. » Puis il considère, comme pour s’y préparer, les divers genres de mort : « A l’un, la fin est tranquille; à l’autre, elle est torturée par de cruelles douleurs. L’un perd connaissance de très bonne heure, l’autre garde jusqu’au bout sa présence d’esprit. L’un espère jusqu’au dernier moment qu’il échappera, l’autre sent que l’atteinte est mortelle et que, comme disait ma mère plusieurs jours avant de finir, il faut aller rejoindre les siens... Enfin ajoutez-y les accidens, qui sont innombrables. Se préparer trop particulièrement à ce dernier passage est difficile ; il comporte tant de diversités et de hasards! Il y a longtemps que je dis à moi et aux autres : « On meurt comme on peut, non comme on veut. La chance règne dans la mort comme dans la vie. » Il remarquait d’ailleurs que, dans la manière d’envisager la destruction finale le caractère a bien plus de puissance que les croyances, et que, d’après le caractère, les préparations doivent être différentes. Ceux qui acceptent sans regret ni affliction la nécessité de la mort n’ont qu’à s’entretenir dans ces sentimens; ceux qui la détestent et en remissent « doivent s’efforcer d’agir sur eux-mêmes, chercher dans les affections et les occupations un palliatif et gagner ainsi le moment où le coup qui nous attend tous sera porté. »

Dans laquelle de ces dispositions d’esprit la mort vint-elle atteindre M. Littré? Nous n’en savons rien. Ici s’arrête sa vie écrite, la seule que nous ayons le dessein d’analyser. Que se passa-t-il dans les derniers temps de cette noble existence? La question est posée-elle sera résolue sans doute un jour ou l’autre; mais elle échappe complètement à notre juridiction; un respectueux silence est pour nous la seule manière d’y répondre. Nous avons entrepris une tâche qui n’était pas sans difficulté, celle de faire exposer et raconter par M. Littré lui-même cette vie toute de travail et de réflexion, l’histoire de ses labeurs presque infinis, l’histoire inférieure et souvent dramatique de son esprit. On ne peut quitter un tel homme, en quelque dissidence que l’on soit d’ailleurs avec lui, sans être pénétré d’une sympathie profonde et d’un respect absolu pour cette dignité simple de conscience, pour cette sincérité qui ne veut laisser derrière elle, volontairement, le germe d’aucune erreur et qui emploie ses dernières années à une sorte d’examen de conscience rigoureux, non dans l’ordre de ses actes, mais dans l’ordre des idées, où il reconnaît qu’il a pu se tromper souvent. C’est l’homme que nous avons étudié d’après lui-même. Une autre fois nous étudierons le philosophe; ou plutôt, à l’occasion de sa philosophie, certaines tendances de l’esprit du XIXe siècle qui en ont fait la fortune momentanée» »


E. CARO.

  1. Conservation, Révolution, Positivisme, 2e édition, p. 314.
  2. Revue de philosophie positive, mai-juin 1880.
  3. Voir la causerie en guise de préface, en tête du livre de M. Eugène Noël, Mémoires d’un imbécile.
  4. Médecine et Médecins, préface.
  5. Préface au livre de M. Eugène Noël, Mémoires d’un imbécile.
  6. Conservation, Révolution, Positivisme, Remarques, 2e édition, p. 201.
  7. Causerie datée du 1er mars 1880 et publiée dans les Études et Glanures.
  8. C’est le sujet d’une leçon faite à l’École polytechnique à Bordeaux pendant la guerre, le 1er février 1871.
  9. Préface du Dictionnaire, p. 6 et 36.
  10. Études et Glanures, p. 437.
  11. Littérature et Histoire, préface, p. 3 et suiv.
  12. Ibid., p. 7.
  13. Conservation, Révolution, Positivisme, Remarques, 2e édition, p. 56.
  14. Conservation, Révolution, Positivisme, 2e édition, p. 204.
  15. Conservation, Révolution, Positivisme, 2e édition, p. 472.
  16. Études et Glanures, p. 423.
  17. Conservation, Révolution. Positivisme, 2e édition, p. 480 et 483.
  18. Conservation, Révolution, Positivisme, 1re édition, préface supprimée dans la 2e édition, p. 22.
  19. Ibid., 2e édition, p. 243.
  20. Ibid., 1re édition, p. 23.
  21. Conservation, Révolution, Positivisme, 2e édition, p. 246.
  22. Ibid., p. 247, 248 et 327.
  23. Remarques, p. 171 et 252.
  24. Revue de philosophie positive, juillet-août 1879, p. 140.
  25. Expérience rétrospective au sujet de notre plus récente histoire.
  26. Remarques, p. 103.
  27. Remarques, p. 453, 457 et suiv.
  28. Revue de philosophie positive, juillet-août 1879.
  29. Revue de philosophie positive. Mars-avril 1880.
  30. Revue de philosophie positive, septembre-octobre 1879.
  31. Ibid., p. 239 et 242.
  32. Revue de philosophie positive, mai-juin 1880.
  33. Revue de philosophie positive, octobre 1877 et mai 1880.
  34. Remarques, p. 430.