Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage de Joseph Mercier, gérant
Témoignage de Joseph Mercier, gérant[1]
JOSEPH MERCIER de la Cité de Québec, Gérant, âgé
de vingt trois ans, étant dûment assermenté sur
les Saints Évangiles dépose x ainsi qu’il suit :-
Q. Voulez-vous dire M. Mercier ce qui s’est passé
jeudi soir lorsque vous avez été arrêté au Cercle
Frontenac à St. Roch ?
Mtre. F. O. Drouin. — Avant de procéder à l’enquête
des faits de jeudi soir je suis autorisé à m’opposer
à toutes preuves concernant les faits du
vingt huit, jeudi Saint au soir parce que
cela n’a pas d’affaire du tout aux victimes du
premier avril dernier.
Le Coroner. — Au contraire je pense que pour l’information
des Jurés le point de départ de toutes
ces choses là a été justement l’arrestation du jeune
homme que je crois de mon devoir de faire
entendre pour qu’il donne sa version aux Jurés
pour qu’ils soient bien renseignés comment ça
s’est passé.
R. C’était vers huit heures et demi. Je venais
d’entrer à la salle Frontenac avec mon ami…
Q. Qui ?
R. Alfred Deslauriers. Je n’étais pas descendu
l’escalier du soubassement où sont les tables
que j’entends dire dans la salle : On parle d’une
affaire…… Bélanger est ici.
Q. Qu’est-ce que ça voulait dire ça : « Bélanger est ici » ?
R. Il était un des agents, je le connaissais comme
un des agents, qui se trouvait à demander nos exemptions.
J’avais entendu dire avant de descendre de l’escalier : Bélanger est ici. Sur ça aussitôt
je me suis mis à dire à mon ami : Allons nous en donc
plutôt, quand même nous avons nos exemptions, pour
ne pas causer d’ennuis. On est mieux de s’en aller
pour pas que cela nous cause d’ennuis. Ça fait que
en arrivant à la porte il y a d’autres agents qui
nous arrêtent — les agents dont je ne connais pas
les noms — et qui nous demandent nos papiers —
de produire nos papiers. Ils nous ont montré une
insigne prouvant qu’ils étaient des agents eux-autres
aussi. Ça fait que j’ai constaté que j’avais
oublié mon papier. Sur l’entrefaite mon ami a
dit : Oui je les ai. Il est venu pour les montrer —
il n’a pas eu la peine de les montrer,
il l’ont laissé sortir sans s’en occuper immédiatement —
lorsque j’ai dit que je n’avais pas les
miens — alors j’ai compris que ce n’était pas
leur devoir qu’ils voulaient remplir mais que c’était
les dix piastres…
Q. Dites exactement ce qui s’est passé.
Mtre. Lesage. — Que voulez-vous dire par ces dix piastres ?
R. J’avais entendu …
Mtre. F. O. Drouin. J’objecte à toute preuve de ouidire.
Q. Le Coroner. — Dites ce qui s’est passé seulement.
R. Là j’ai demandé à ceux qui étaient en garde de
me laisser téléphoner. Nous étions dans la salle —
ils m’avaient gardé dans la salle avec eux. J’ai demandé pour téléphoner — le téléphone était
dans la même salle — un téléphone public. Ils n’ont
pas voulu. J’ai dit : Venez avec moi à côté du téléphone
il n’y a pas de danger que je me sauve.
Ils n’ont pas voulu me permettre ça encore.
Le garçon de M. Hubert Moisan a passé là et je lui
ai demandé s’il voulait bien téléphoner pour moi.
Nous n’avions pas de change ni l’un ni l’autre.
Il dit : Ça sera plus court, je vas aller chez
moi, je vas les avertir et aussitôt je reviendrai
avec les papiers. De là la foule a commencé à
se ramasser — ils ont fait venir les militaires
et d’autres polices municipales. Là les détectives
m’ont pris et ils m’ont remis aux militaires et
là j’ai été conduit au poste parmi les cris de la
foule. Je leur disais de me laisser — j’étais
tenu, je n’étais pas capable de faire aucun
mouvement. J’ai demandé aux militaires qui me tenaient :
je ne suis toujours pas un bandit, je
suis capable de marcher. Ils n’ont pas voulu.
Une fois au Poste je ne sais pas ce qui est arrivé.
Mon père est arrivé avec le papier. Ils ont
pris le papier et je suis sorti, j’ai été libéré.
Q. C’est tout ce qui s’est passé ce soir là ?
R. Oui.
Q. Vous leur avez demandé la permission de téléphoner
R. Oui.
Q. Le téléphone était près de vous ?
R. À deux pas.
Q. On vous a refusé ?
R. On a refusé. J’ai demandé qu’on m’accompagne
au téléphone, il n’y avait pas de danger de sortir,
il y en avait à toutes les portes.
Q. Ils étaient plusieurs ?
R. Il y en avait une dizaine ce soir là je crois.
Q. Y en a-t-il d’autres qui ont été arrêtés ce soir
là en même temps que vous ?
R. Ils ont arrêté des jeunes gens et ils leur ont
demandé leurs papiers. À ma connaissance je suis
le seul qui a été amené à la station.
Q. Est-ce qu’il y avait beaucoup de monde dans la
salle ce soir là ?
R. Bien moins qu’à l’ordinaire.
Q. Combien y avait-il de monde à votre connaissance ?
R. En tout et partout, dans les deux, la salle et le
soubassement, il pouvait y avoir une centaine de
jeunes gens.
Q. Rendu au Poste vous ont-ils mis les menottes ?
R. Non Monsieur, seulement qu’ils me tenaient.
J’avais un soldat de chaque côté de moi qui me tenait.
Je ne pouvais pas faire un mouvement du tout.
Q. M. Mercier depuis quand aviez-vous vos papiers
d’exemption ?
R. Depuis le huit novembre, le première journée.
Q. Aviez-vous coutume de les avoir sur vous ?
R. C’était la première fois que je les oubliais.
Q. Vous vous absentez souvent de la ville n’est-ce-pas ?
R. Oui Monsieur.
Q. Est-ce qu’on est allé chez-vous avant ça pour
vous demander — est-ce que les agents de la police
sont allés chez-vous déjà pour vous demander ?
R. Non Monsieur.
Q. Ce soir là vous ne les aviez pas avec vous ?
R. Non.
Q. Saviez-vous que vous deviez les avoir avec vous
continuellement ?
R. Je savais que c’était dangereux.
Q. Ce soir là vous les aviez oubliés ?
R. Je les avais oubliés.
Q. Pouvez-vous dire qui est-ce qui vous a arrêté ?
R. Je ne connais pas leurs noms.
Q. Avez-vous su après qui est-ce qui vous avait arrêté ?
R. Il y en avait plusieurs. Ils ont dit que c’était…
les uns ont dit que c’était Bélanger, d’autres
ont dit que c’était Plamondon — un autre a dit
que c’était Éventurel, je ne connais pas.
Q. Vous ne savez pas vous-même qui est ce qui vous
a arrêté ?
R. Non Monsieur.
Q. Vous avez dit il y a un instant qu’il y avait
à la porte une dizaine de policiers, d’agents ?
R. Pardon, ils étaient répandus.
Q. Dans la salle ?
R. Dans la salle et aux portes.
Q. Est-ce que vous y allez souvent à cette salle là ?
R. J’y vas lorsqu’il me prend plaisir d’aller jouer une partie.
Q. Ce n’est pas la première fois que vous rencontrez
ces agents de police là ?
R. C’est la première fois.
Q. Quelle heure était-il lorsqu’ils vous ont arrêté
comme ça ?
R. Huit heures et demi à peu près.
Q. Qui vous a amené au poste de police No 3 ?
R. Les militaires, après avoir été requis.
Q. Ceux qui vous ont conduit au poste de police
No 3 ce ne sont pas des agents fédéraux ?
R. Ils suivaient. Il y avait les soldats et la
police municipale, et en arrière les détectives.
Q. Votre père est arrivé, avec vos papiers de conscrit.
R. Oui
Q. Et vous étiez exempté ?
R. J’ai été exempté.
Q. Là on vous a laissé aller ?
R. Oui Monsieur.
Q. Les avez-vous sur vous ?
R. Oui Monsieur.
Q. Vous avez parlé M. Mercier de dix piastres tout
à l’heure. Qu’est-ce que vous avez voulu dire par ça ?
Mtre. F. O. Drouin. — Je me suis déjà objecté à cette preuve.
Le Coroner. — Sa réponse serait du ouidire.
Il ne peut pas donner de preuves de lui-même. C’est mieux d’attendre qu’on puisse avoir un témoin
qui puisse prouver la chose. Ce ne serait rien
qu’une question d’opinion. Ça ne peut pas avoir
grand poids.
M. Levasseur. — Il vient de nous dire ce dont il
a eu connaissance. On peut lui demander pourquoi
le jeune Deslauriers n’avait pas eu la peine de
montrer ses papiers — aussitôt qu’on s’est aperçu
que celui-ci ne les avait pas ils ne se sont
pas occupée de l’autre. Ils avaient toujours
l’intention de faire quelque chose.
Mtre. F. O. Drouin. — L’autre, il avait les siens.
R. Il aurait bien pu montrer n’importe quel autre
carte, ils ne l’ont pas regardé seulement.
M. Lesage. — Je crois que le témoin a le
droit de répondre à ma question. On veut prouver
que les autorités militaires ont employés des hommes
qui n’avaient pas la confiance du public.
C’est ce qui se disait dans le public.
Mtre. Barclay. — Ça c’est la police fédérale ?
M. Lesage. — Ils ont employé des hommes qui n’avaient
pas la confiance du public, et de là sont venus
les troubles et par conséquent la mort de ceux dont
on fait l’enquête aujourd’hui — et si on veut
savoir qu’est-ce qu’il y avait dans le public sur
le compte de ces gens là je crois qu’on doit savoir
de ceux qui ont été arrêtés qu’est-ce
qu’ils pensaient de ces gens là et qu’est-ce qu’ils
disaient de ces gens là.
Le Coroner. — Comme le faisait remarquer M. Drouin,
l’opinion de M. Mercier ne serait qu’un témoignage
de ouidire, parce qu’il leur a entendu dire
telle ou telle chose, ça ne fait aucune preuve du
tout. Si on est capable de produire des témoins
qui prouveront que la chose s’est faite, on les
fera entendre.
Mtre. F. O. Drouin. — Je n’ai aucune objection à
ce que cette preuve soit faite mais je veux qu’elle
soit faite légalement.
M. Lesage. — Je crois que la preuve réelle serait
très difficile à faire.
Mtre. F. O. Drouin. — Vous allez entendre M. Desrochers
qui est le chef inspecteur des agents de
police fédéraux et alors vous pourrez le questionner
là-dessus et vous aurez les détails qu’il vous
faut. Il est au courant de ça.
M. Lesage. — C’est seulement pour arriver à prouver
que dans l’opinion du public ces gens là recevaient
dix piastres par tête d’individus qu’ils rendaient.
Mtre. F. O. Drouin. — Nous tenons à ce que le public
soit renseigné là-dessus. Si tel est le cas, c’est
important de le savoir mais enfin…
M. Lesage. — On veut savoir du témoin ce qui se disait
dans le public — vous pourrez prouver le contraire.
Le Coroner. — Si vous posiez la question comme ceci :
M. Mercier vous avez déclaré dans votre déposition
que quand vous avez su que Bélanger était là vous
avez dit : Allons nous en pour pas qu’il y ait de
troubles. Pourquoi avez-vous donné cette opinion là ? — S’il peut donner la réponse…
M. Lesage. — Je ne suis pas un avocat. Je sais ce
que je veux savoir mais je ne sais pas exactement
comment poser la question.
R. C’est par oui dire encore.
Mtre. F. O. Drouin. Attendez une minute.
Le Coroner. — Voici la question qu’on vous pose :
Quand vous avez déclaré que Bélanger étant dans
la salle il valait mieux pour vous autres de vous
en aller — pourquoi aviez-vous peur de Bélanger ?
R. C’était un des agents.
Q. Du moment que vous aviez vos papiers ? vous
n’aviez pas raison d’en avoir peur ?
R. On disait que les papiers étaient déchirés.
Mtre. F. O. Drouin. — J’objecte à ceci et je demande
qu’on retire cette phrase là. Je demande que cette
phrase là soit retranchée. J’ai pris la peine de
m’objecter au début. Je veux pas de preuve par ouidire.
Le Coroner. — Ce que je lui demande ne fait pas preuve
de la chose. On demande au témoin pourquoi il
avait peur. Il dit : — que c’est parce qu’on lui
avait dit ça. Ce n’est pas une preuve que cela
existait. Je ne vois pas d’irrégularité là-dedans.
Il restera à prouver que ça n’existe pas et c’est tout.
Q. Parce que on disait qu’il déchirait les papiers ?
c’est ça que vous aviez peur ?
R. C’est ça que j’avais peur.
Q. Pouvez-vous dire qui est-ce qui vous a dit cela qu’il déchirait les papiers ?
R. Il y en a plusieurs.
Q. Nommez les donc s’il y en a plusieurs ?
R. …
Q. Vous pouvez toujours nous en donner une
couple ?
R. Même si je ne me trompe pas cela a paru
sur les journaux cette affaire là.
Q. Sur quel journal avez-vous vu ça ?
R. Je ne n’en rappelle pas.
Q. Ce n’est toujours pas sur L’Évènement ?
R. Je ne peux pas dire.
Q. Ce n’est pas sur le Soleil non plus ?
R. …
Q. Est-ce que c’est un journal de la rue Ste. Anne ?
R. …
Q. Ce ne serait pas l’Action Catholique par hasard ?
R. Je ne sais pas. On entendait dire ça — on ne
remarquait pas.
Q. Pourriez-vous vous rafraîchir la mémoire d’ici
à quelque temps ? ou même à la fin de la séance
de ce matin. Si vous avez des noms, vous me les
donnerez. Nous serions très désireux d’avoir quelques
noms des gens qui ont dit que leurs papiers
avaient été déchirés.
R. Je ne m’en rappelle pas.
Et le témoin ne dit rien de plus.
L’enquête est alors ajournée au lendemain 12 avril
1918 à 9.30 AM.
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
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