Élysée Loustallot et les Révolutions de Paris/02


CHAPITRE II.
Juillet-Août 1789. (Nos I-VIII.)


I. Prise de la Bastille ; appel à tous les citoyens. Rentrée du roi à Paris. — II. Conseils au peuple. Meurtre de Berthier et de Foulon. Réflexions sur ces exécutions sommaires. — III. Terreurs paniques. Crainte de la famine. Retour triomphal de Necker. — IV. Revendication des droits de l’écrivain et de la liberté de la presse. Faux bruits semés par les royalistes. Éloquent appel à la concorde. — V. Armement de la population parisienne. Exploits cynégétiques qui signalent l’abolition du droit de chasse et des capitaineries. Adresse du roi au peuple français. — VI. Loustallot cherche à excuser les premiers excès du peuple, qui n’a pas encore les mœurs de la liberté. Défense de Beaumarchais injustement attaqué par Gorsas. Les ateliers nationaux de Montmartre. Le problème des subsistances. — VII. La famine. Accaparements de pain. Mauvaise organisation et tyrannie des districts. Élections des officiers de la garde nationale. Expulsion des Savoyards. — VIII. Dangers que court la liberté. — Éloquente déclaration de principes de Loustallot. Émotion populaire à Paris. La discussion du veto.

No I. (Du 12 au 17 juillet.) — Nous ne croyons pas devoir transcrire ici les détails circonstanciés donnés par les Révolutions de Paris sur les événements de cette semaine à jamais mémorable qui vit le réveil de la nation et la première, la plus éclatante victoire du peuple. En effet, le premier numéro (il eut neuf éditions, avec douze gravures) raconte les conséquences du renvoi de Necker, la scène orageuse du Palais-Royal où Camille Desmoulins prêcha l’insurrection, la prise de la Bastille, l’arrivée de Louis XVI à Paris (c’était encore alors le bon roi). Tous les historiens ont reproduit ces pages émouvantes, quelques-uns textuellement. On comprendra donc que nous ne les donnions pas, et que nous citions seulement ces quelques lignes :

« Ce matin 13, à neuf heures, on sonne le tocsin pour rassembler la bourgeoisie. Les citoyens de tout rang, de tout âge, pouvant porter les armes, se présentent dans leurs districts ; c’est la voix de la patrie, c’est l’intérêt du sang qui commande ; ce sont des amis, des frères et soi-même qu’il faut défendre ; nos lâches oppresseurs nous y forcent : ils ont trahi leurs serments, leurs devoirs ; à la justice ils opposent la force ; ils trompent la bonté du roi : c’est à nous de montrer que nos demandes sont équitables, et que la victoire est due à l’intègre justice ; non, ce n’est point aux rampantes intrigues des cours que peut appartenir le triomphe ; le ciel en serait irrité ! De vils courtisans, souillés de vices et d’opprobres, pourraient-ils donc être vainqueurs contre des légions de citoyens, éclairés par le flambeau de la saine philosophie, armés des droits sacrés des peuples, de la raison et de l’humanité ? Ne craignez point, nation courageuse ; intrépides citoyens, la liberté vous attend ! »

No II. (Du 18 au 25 juillet.) — Dans ce numéro, Loustallot commence par recommander aux vainqueurs de rester unis pour la revendication de leurs droits ; il cherche à prévenir toute scission funeste entre le peuple et la bourgeoisie.

« Peuple français, dit-il, ô mes concitoyens, l’Europe entière a sur vous les yeux, c’est à vous de montrer aux nations, lorsqu’on a proscrit des tyrans, comment on doit mettre à profit les fruits de la victoire ; ce n’est pas tout de vaincre, il faut savoir jouir de sa conquête ; prenez garde, c’est dans votre sein, c’est de vos divisions, c’est de vos prétentions, c’est de l’oubli des droits du citoyen, et d’égalité, c’est de vos sots mépris pour ce peuple qui a brisé vos chaînes, que l’hydre despotique peut renaître de sa cendre. »

Il fait appel à la modération des vainqueurs de la Bastille, mais la foule est implacable dans sa vengeance. Le contrôleur général des finances, Foulon, et son gendre l’intendant Berthier payent de leur vie le crime d’avoir trahi le peuple et spéculé sur sa misère. Leurs corps sont déchirés par la multitude. À propos de Foulon, massacré avant d’avoir pu dire un mot pour se défendre, le jeune publiciste fait cette judicieuse remarque : « Ses complices auraient-ils payé des misérables pour le tuer avant qu’on pût savoir de lui la révélation de leurs complots ? » et il ajoute :

« Quelle horrible scène ! tyrans, jetez les yeux sur ce terrible et révoltant spectacle ! Frémissez et voyez comme on vous traite, vous et vos pareils ! Ce corps si délicat, si soigné, lavé de parfums, est affreusement traîné dans la fange, et les pavés le déchirent par lambeaux ! Despotes et ministres, quelles terribles leçons ! auriez-vous cru que des Français eussent cette énergie ! Non, non, votre règne est passé ! Tremblez, ministres futurs, si vous êtes iniques !…

Je sens, ô mes concitoyens, combien ces scènes révoltantes affligent votre âme ; comme vous, j’en suis pénétré ; mais songez combien il est ignominieux de vivre et d’être esclave ! Songez de quels supplices on doit punir les crimes de lèse-humanité ; songez enfin quels biens, quelles satisfactions, quel bonheur attendent vos enfants et vos neveux, lorsque l’auguste et sainte liberté aura parmi vous placé son temple ! Pourtant n’oubliez pas que ces proscriptions outragent l’humanité et font frémir la nature. »

Nous trouvons à la dernière page du no  II une note qui nous montre quel soin mettait le rédacteur à ne donner que des nouvelles bien authentiques :

« Plusieurs écrivains se sont empressés de répandre dans le public des idées effrayantes sur les dangers que nous avons courus ; nous attendons pour en parler avec certitude qu’un nombre de faits rassemblés nous ait donné des convictions suffisantes. »

L’historien peut donc s’en rapporter pleinement aux affirmations d’un homme si désireux de ne pas laisser surprendre sa bonne foi.

No III. (Du 26 juillet au 1 août.) — La crainte de la famine commence à assiéger les esprits et cause déjà les plus ridicules terreurs. Voici comment Loustallot nous raconte la panique du 27 juillet ; on verra quels enseignements il en tire et quels salutaires conseils il donne au peuple :

« L’on annonce que du côté des plaines de Montmorency, plusieurs mille brigands sont armés, font des dégâts considérables, coupent les blés en vert, pillent les maisons des habitants, égorgent même quiconque s’oppose à leurs desseins ; il arrive de ces lieux des femmes et des enfants en larmes, qui fuient le carnage ; déjà les ordres sont donnés ; la milice bourgeoise se précipite dans ces plaines, on y trouve du canon ; après une marche forcée, l’on arrive enfin ; l’alarme était générale, le tocsin se faisait entendre de toutes les paroisses. Eh bien, qui le croirait ? il n’y avait ni ennemis, ni brigands, à peine sait-on comment l’alarme a pu naître. Quelques moissonneurs s’agitaient ; des femmes les ont aperçus de loin, et l’une s’est imaginé d’abord que ce sont des brigands ; dès lors ils vont faucher les blés en vert, rien n’est mieux prouvé, et puis cette année, c’est l’accusation générale ; aussi cette femme le dit à d’autres, celles-ci s’effrayent, courent, arrivent en larmes dans leurs villages, répandent l’effroi ; des hommes s’arment ; l’on court au clocher, et soixante paroisses sonnent l’alarme… Peuple crédule, serez-vous toujours effrayé de votre ombre ? Partout, cette année, à Rouen, à Caen, dans le Soissonnais et dans mille autres endroits, ce ne sont que des brigands qui fauchent les blés en vert. La sorcellerie a eu son tour, le diable et les revenants ont aussi paru sur la terre, les petits enfants enlevés ont causé des révoltes ; les possédés et le tombeau du diacre Paris ont eu leur règne, Mesmer a eu le sien ; quel est le nouveau fantôme qui désormais va séduire bu soulever le peuple imbécile ? Français, si les rêves puérils ont sur vous quelque empire, bientôt on s’en servira contre vous-mêmes pour vous tromper, pour perdre les meilleurs citoyens, pour vous remettre dans l’esclavage : voilà le grand moyen dont les tyrans ont toujours profité pour enchaîner les hommes : c’est de leur propre faiblesse, c’est de leur ignorance ou de leur crédulité, qu’ils ont tiré des armes contre eux-mêmes. Ô mes concitoyens ! n’oubliez pas que l’ignorance est la mère des erreurs ; chassez loin de vous l’ignorance, et je réponds de votre liberté. »

Voilà certes de nobles paroles et d’admirables doctrines. Le jeune publiciste comprenait bien que le peuple ne sera jamais vraiment libre tant qu’il restera sous le joug des superstitions, de l’ignorance et de l’erreur. Ce ne fut pas son moindre mérite d’avoir, dès les premiers jours de la Révolution, rappelé aux vainqueurs de la Bastille que si la liberté peut être conquise par un coup d’audace, elle ne peut être conservée que par l’instruction. Le maître d’école fait plus d’hommes libres que le tribun.

Le retour de Necker, exilé en Suisse, était la conséquence obligée du 14 juillet. Il revint, et son voyage de Bâle à Paris fut une marche triomphale. Disgracié naguère pour avoir défendu la cause du peuple, le peuple le reportait au pouvoir. Il jouit pendant quelques jours d’une popularité extraordinaire, qui malheureusement pour lui ne devait pas être de longue durée. Voyons ce que disent les Révolutions de Paris à propos du retour du « Sully moderne. »

« Vers midi, le ministre attendu est arrivé à la barrière de la Conférence : une multitude immense avait été au-devant de lui et l’amenait pour ainsi dire en triomphe ; une garde nombreuse de citoyens, une cavalerie brillante a dès lors augmenté son cortége ; les cris de vive la nation ! vive M. Necker ! faisaient entendre l’accent mélodieux de l’âme. Tous les cœurs étaient émus, des larmes de joie coulaient de presque tous les yeux, chacun eût voulu avoir mille voix, mille mains pour exprimer ce qu’il sentait. Oh ! qui peindra les délicieux transports de cette fête ! Qui se représentera un peuple immense bordant les rues, les portes, les balcons, les fenêtres, les places, les quais !… les dames de la halle offrant des bouquets, poussant des cris de joie, couvrant les mains de Mme  Necker de mille baisers, que la bonté de son cœur rendait plus touchants encore ; le nom de père du peuple répété dans toutes les bouches. Oh ! que le sentiment est sublime ! Ici ce sont des couronnes de fleurs offertes au libérateur de la France ; là ce sont les tributs des muses ingénieuses qui célèbrent ses talents et ses vertus ! Rois, potentats de la terre et ministres, contemplez ce magnifique spectacle, et voyez la justice gravée en caractères ineffaçables dans le cœur des peuples. Choisissez maintenant, et dites si vous préférez sa haine à son amour. »

Quelques voix parmi les assistants demandèrent une amnistie générale. Necker promit la grâce de tous les coupables arrêtés dans les derniers événements : mais le peuple, une fois la première ivresse passée, comprit qu’on amnistiait surtout ses ennemis. Et Loustallot, s’adressant au ministre, lui dit :

« Ô Necker ! ministre intègre, ne quittez plus notre roi, partagez avec lui l’amour d’une nation qui, dans des jours malheureux, ne sait être que juste et non barbare. Si elle refuse le pardon que vous avez demandé avec tant d’instance, c’est que la clémence n’est pas encore la vertu du moment. »

No IV. (Du 2 au 8 août.) — Quelques scènes de violence se produisent à Paris, et des soldats citoyens de districts différents sont sur le point d’en venir aux mains. Loustallot adresse à ses concitoyens ces sages et patriotiques conseils :

« Il importe essentiellement au bon ordre et à la paix que les citoyens armés n’aient qu’un même esprit, et qu’ils soient classés par une dénomination qui ne rompe point l’égalité, base éternelle de l’harmonie et de la bonne intelligence entre les hommes. Mais, dès qu’ils sont assemblés par corporations, l’égalité ne subsiste plus ; l’esprit de corps, la morgue et la jalousie de profession, sèment la division et aliènent les cœurs. Le maçon et le boulanger sont humiliés en se voyant précédés par le joaillier couvert d’or et par l’homme de robe qui dédaigne de les regarder. L’assemblée par districts confond tous les rangs ; l’homme de lettres est à côté du forgeron, le perruquier du magistrat. L’âme du citoyen obscur s’agrandit en marchant entre deux citoyens distingués, dont il ne peut gagner l’estime qu’en se montrant leur égal par son amour pour la patrie ; l’homme que sa naissance ou la fortune élèvent au-dessus des autres, se dépouille d’une sotte vanité, en voyant que le dernier des citoyens ne lui cède ni en courage ni en vertu : c’est une armée de frères, et cette armée est invincible. »

Après avoir rappelé ces grands principes d’égalité, le courageux publiciste vient revendiquer une liberté qui lui est chère entre toutes, la liberté d’écrire. On a rarement mieux exposé, en moins de mots, les droits de quiconque tient une plume.

« Au moment, dit-il, où la liberté de la presse a conquis la liberté publique et personnelle (individuelle), où elle a rendu aux âmes avilies par le despotisme toute l’énergie nécessaire pour la conserver, au moment où tous les soupçons assiégent tous les esprits, le comité provisoire de police rend sur la librairie une ordonnance plus gênante que n’étaient tous les absurdes règlements de la police inquisitoriale existant avant la Révolution. Elle défend de publier aucun écrit sans qu’il porte en tête le nom d’un imprimeur ou d’un libraire, et sans qu’un exemplaire paraphé ait été déposé ; elle rend le libraire ou l’imprimeur garants de la teneur de l’écrit, sauf son recours contre l’auteur, s’il y a lieu. — Cette ordonnance est injuste, oppressive et contraire aux premiers éléments du droit.

« Injuste envers les gens de lettres (cette portion précieuse de la société qui en tire toutes ses lumières), que l’on dépouille du droit naturel de faire circuler leurs pensées sur la foi de leur signature, pour en revêtir des compagnies de manufacturiers, dont les principaux membres reconnaissent enfin qu’il est juste de renoncer à ces prohibitions iniques, à ces priviléges absurdes, à tout arrêt de règlement qu’ils avaient acheté des directeurs généraux de la librairie.

« Oppressive envers les libraires et imprimeurs que l’on force à sortir de leur profession, pour faire celle de censeurs ; oppressive envers les gens de lettres, que l’on soumet de nouveau à des censeurs d’autant plus difficiles, qu’ils doivent être garants des écrits qu’ils autoriseront par leur signature ; oppressive envers le public qui sera privé d’une foule d’écrits, par la timidité des imprimeurs et les spéculations particulières des libraires.

« Contraire enfin aux éléments du droit qui, en matière pénale, n’admet point de garantie, et répugne à ce qu’un auteur puisse jamais être appelé par le libraire, pour subir la peine qu’un libelle aurait attirée sur sa tête. »

Et plus loin, à propos des plaintes du district de l’Oratoire contre cette ordonnance de police, il ajoute avec raison :

« Il y a sur cet objet des idées bien simples, qui devraient frapper tous les hommes. La presse n’est pas libre si un auteur ne peut pas, par sa volonté seule, faire circuler son ouvrage. Or, s’il lui faut la volonté d’un libraire, sa condition est pire que s’il lui fallait un censeur. Celui-ci ne refuse son approbation que parce qu’il croit le livre dangereux ; celui-là peut aussi la refuser, parce que tel ouvrage qu’on le prie d’autoriser pourrait nuire à la vente de quelques-uns des siens. »

Les ennemis de la Révolution font courir les bruits les plus invraisemblables pour jeter le trouble dans les esprits ; ils essayent de fomenter la guerre civile. On assure que des amas de poudre ont été découverts, que plusieurs quartiers de Paris vont devenir la proie des flammes ; l’émotion populaire est à son comble.

« L’aristocratie, s’écrie Loustallot, l’aristocratie renaîtra donc sans cesse de ses pertes ? C’est elle qui soudoie ces brigands incendiaires, c’est elle qui sème les soupçons déchirants qui exilent la bonne intelligence et le bon ordre ! C’est elle qui, frémissant de rage des blessures que vient de lui faire l’Assemblée nationale, par la rescision des droits féodaux et de la vénalité des charges, s’agite en tous sens, essaye tous les forfaits, et ne se voit qu’une seule ressource, la guerre civile.

« La guerre civile, grand Dieu ! Au moment où nous touchons à la liberté, citoyens, frères, amis, vous égorgerez-vous pour satisfaire de lâches tyrans, pour servir leur cause ? Disons-nous chaque jour, à chaque heure, et que ce soit le mot d’ordre pour tous les bons patriotes : l’aristocratie est abattue si nous ne nous divisons pas. »

Inutile de commenter ces paroles éloquentes, cette invocation chaleureuse dans laquelle, semble passer le souffle de la Patrie elle-même, appelant à son secours tous ses enfants.

No V. (Du 9 au 15 août.) — La conséquence immédiate de ces rumeurs peu rassurantes fut de précipiter l’armement de la garde nationale de Paris. La municipalité distribua aux districts des fusils, des piques, des canons, et un arrêté, réclamé depuis quelques jours par la voix populaire, vint interdire l’exportation des poudres et la sortie des munitions hors de la capitale.

Mais beaucoup de citoyens détournèrent ces armes de leur destination première : en attendant l’occasion de s’en servir pour défendre la liberté contre les aristocrates, ils profitèrent de l’abolition du droit de chasse et des capitaineries (sacrifiées dans la nuit du 4 août) pour faire une guerre acharnée au gibier des environs de Paris. Les lapins, les perdrix, les lièvres et les cerfs passèrent quelques jours désagréables, victimes eux aussi de la Révolution. Cependant les chasseurs n’envahirent pas indifféremment toutes les propriétés :

« Ce matin, il s’est présenté successivement aux portes du bois de Vincennes au moins quatre cents chasseurs ; tous ont commencé par s’informer où étaient les possessions de Mgr le duc d’Orléans ; les officiers de ce prince se sont présentés chaque fois et leur ont montré les limites : alors on a vu chaque chasseur, loin de vouloir porter ses pas sur les terres de Son Altesse, crainte de troubler ses plaisirs, s’éloigner en prononçant avec attendrissement le nom de ce prince citoyen, l’appui des Français ; aucun d’eux n’ignorait qu’il avait lui-même le premier proposé de supprimer toutes les capitaineries, aucun d’eux n’ignorait ce qu’il a fait pour la nation et pour la liberté. »

On voit combien était alors populaire le prince qui devait prendre plus tard le nom de Philippe-Égalité. Les motionnaires du Palais-Royal avaient porté son buste en triomphe le 13 juillet avec celui de Necker.

Dans certaines provinces, les paysans, à la nouvelle de la suppression des privilèges féodaux, s’étaient soulevés et avaient commis des actes de violence contre les personnes ou les propriétés de leurs ex-suzerains. Le roi publia le 12 août une adresse au peuple français blâmant vivement ces excès, — comme il en avait et le droit et le devoir. — Il chargeait en outre toutes les autorités constituées de prévenir ces délits par tous les moyens possibles. Cette formule un peu sommaire inspira à Loustallot les réflexions suivantes :

« Quelle que soit au reste la cause de ces maux, il est souverainement juste d’y porter remède. Sa Majesté charge tous les hommes publics de les prévenir par tous les moyens qui sont en leur pouvoir. Voilà, dans le style ministériel, un ordre de faire feu sur tous ceux qui auraient le malheur de se laisser séduire par des conseils perfides, ou de céder à des ressentiments que la loi désapprouve. Mais un nouvel ordre de choses ne devrait-il pas amener quelques changements dans le langage des ministres ? et ces expressions métaphysiques sont-elles un avertissement suffisant pour des hommes à qui il faudrait rendre palpables les idées les plus communes ? N’est-ce pas investir un très-grand nombre de petits agents du pouvoir exécutif, qui ont peu de lumières et beaucoup de vengeances particulières à exercer, d’une puissance dictatoriale d’autant plus redoutable qu’ils ne sont constitués responsables qu’envers leur conscience par la forme de l’ordre, et qu’ils peuvent exécuter toute espèce de carnage en disant qu’ils n’avaient pas d’autre moyen en leur pouvoir. »

No VI. (Du 16 au 22 août.) — Au début de ce numéro, Loustallot célèbre avec enthousiasme l’aurore du jour nouveau qui vient de se lever pour la France. Les provinces ont suivi l’exemple de la capitale et ont, elles aussi, secoué le joug. Le peuple s’est bien laissé aller à commettre quelques excès, mais doit-on les lui reprocher trop amèrement ?

« L’arbre que la force a courbé vers la terre ne se redresse pas, immobile sur sa tige ; il se rejette en sens contraire et s’agite longtemps avant de trouver l’aplomb que lui donna la nature. Voilà le peuple ; quand, lassé de ses maux, il lève la tête avec fureur contre les despotes, il ne lui suffit pas de secouer le joug, il le leur fait porter et devient despote lui-même. »

« Mais le despotisme du peuple n’est qu’un essai qu’il fait de ses forces, les inconvénients de l’anarchie le frappent bientôt par tous les sens ; il éprouve le besoin d’un gouvernement, et il se presse d’en créer un nouveau, ou de rendre à celui qu’il veut bien conserver une portion d’autorité assez forte pour qu’il puisse faire renaître l’ordre, sans attenter à sa liberté.

« Voilà le point où nous en sommes aujourd’hui. Les manufactures ayant suspendu leurs travaux, parce que le marchand n’avait plus d’acheteurs, le riche prenant à sa solde moins de ceux qu’il regarde comme ses ennemis naturels, le débiteur s’étant, par l’inaction des tribunaux, plus facilement soustrait à ses obligations, et le soin de la défense publique ayant formé un vide immense dans le produit de la main-d’œuvre et de l’agriculture, le nombre des indigents, déjà considérable par les vices et les folies du gouvernement, s’est accru tout à coup jusqu’à un degré effrayant. Il faut donc élever au-devant des propriétés le rempart de la force publique. L’Assemblée nationale s’en occupe, et chaque citoyen doit y concourir de toute sa force.

Après avoir excusé les premiers excès d’un peuple qui arrivait brusquement et sans préparation à la liberté, le rédacteur des Révolutions de Paris, si jaloux des droits de la presse, s’élève courageusement contre les excès de certains journalistes qui ne craignent pas d’attaquer sans preuves suffisantes l’honneur des citoyens. Voici la sévère leçon qu’il donne à Gorsas :

« La première obligation d’un écrivain politique est de défendre la liberté et les droits du citoyen : s’il vend sa plume à des vengeances particulières, s’il la fait servir aux siennes propres, s’il applaudit à l’oppression, tous ceux qui courent la même carrière doivent à l’honneur des lettres et à la tranquillité publique de protester hautement contre des procédés capables de faire frémir chaque individu sur les suites de la liberté de la presse.

« Le Courrier de Paris à Versailles et de Versailles à Paris vient de répandre dans le public une dénonciation faite au district des Récollets contre le sieur Beaumarchais.

« Nous ne connaissons point Beaumarchais, et nous ne désirons pas le connaître : mais, quel qu’il soit, dès qu’il est encore dans la liste des citoyens, nous réclamons pour lui l’exercice d’un droit dont on ne saurait le priver, sans livrer l’éligibilité à des règles arbitraires.

« Le sieur de Beaumarchais, selon la dénonciation, était lié avec les principaux agents du despotisme pour asservir cette contrée. Des allégations ne suffisent pas, où sont vos preuves ? Il s’est procuré une fortune considérable par d’affreux moyens. Où sont vos preuves ? Sa vie est un tissu d’horreurs. Ceci est une injure, mais non pas un chef d’accusation. Il a été compris dans la liste de la proscription. Mais ne l’auriez-vous point dressée cette liste, ou payé ceux qui la dressaient ? Il a été chassé de son district des Blancs-Manteaux. Si ce fait est vrai, ce district a fait un acte de despotisme. Il est parvenu à se faire nommer, à force d’intrigues, député du district Sainte-Marguerite à l’assemblée de la Commune. Quelles sont ces intrigues ? Il est proscrit depuis longtemps par l’opinion publique. S’il l’était, comment le district l’aurait-il élu ? En est-il moins membre de la Commune ? Cette nomination cause les plus grands mouvements parmi le peuple ? Fausseté notoire. Quand, ou comment a-t-il montré cette effervescence générale au sujet de son élection ? N’est-ce pas vous qui soulevez ce peuple, qui l’ameutez contre Beaumarchais ? Oui, votre dénonciation est un assassinat ; et s’il pouvait demeurer impuni, il faudrait s’attendre à voir troubler les travaux de l’Assemblée nationale par des dénonciations contre ceux de ses membres que l’opinion publique n’a point épargnés. »

Nous avons vu que la misère était grande à Paris : les arrivages de blé devenaient de plus en plus rares, et le travail manquait. La municipalité avait établi à Montmartre des ateliers nationaux pour quinze mille indigents. La rumeur publique, soigneusement excitée par les royalistes, représentait ces malheureux comme prêts à descendre dans la ville pour y porter le fer et le feu. Loustallot veut se convaincre de la réalité de ces dangers :

« Le bruit s’est répandu que quinze mille hommes étaient rassemblés à Montmartre, prêts à se livrer aux derniers excès : nous nous y sommes transporté sur-le-champ, et nous n’avons trouvé que de pauvres gens occupés, qui remuaient docilement de la terre pour obtenir du pain. Eux, des séditieux ! on peut les abuser, mais nous nous sommes promené dans leurs travaux, nous les avons observés soigneusement, et nous sommes convaincu que leurs intentions ne sont pas d’être rebelles. Le croiriez-vous, rêveurs extravagants, vous dont l’imagination égarée par les jouissances n’enfante que des chimères ; vous qui parliez de projets barbares… Le dirai-je à votre honte ? Eh bien, oui, ces hommes, ces malheureux que vous nommez brigands, parce qu’ils sont pauvres, de si loin qu’ils aperçoivent des citoyens, leur figure peint la joie ; ils adoucissent leurs peines en les contemplant. Oui, j’en ai eu la conviction, l’habit non suspect de la garde nationale leur inspire de la vénération, tandis que l’habit du soldat royal les irrite d’une manière frappante. Envoyez parmi eux quelques individus avec la livrée de Royal-Allemand, et je ne réponds pas qu’il n’y ait émeute ; envoyez-y au contraire des hommes vêtus de l’habit respectable de citoyen, et je suis garant qu’ils trouveront partout un accueil flatteur et des saluts ; répondez à cela ? Pourtant il est sage et convenable, sans doute, de rendre, s’il se peut, à des travaux plus utiles des hommes qui languissent dans l’indigence et le besoin. »

Dès le mois d’août se pose le grand problème de toutes les révolutions : Comment nourrir Paris ? — On se bat à la porte du boulanger, on se plaint du manque de farines. Les accusations les plus fantastiques se transmettent de bouche en bouche :

« Pourquoi manquons-nous de farines, puisque nous avons du blé ? Voilà le cri universel. C’est le parlement qui paye les meuniers pour ne pas moudre et les boulangers pour ne pas cuire. Ce sont les aristocrates, dont le parti, plus puissant et plus dangereux depuis qu’il agit en secret, veut nous rendre les instruments de notre propre destruction, et trouve des complices parmi ceux même que nous avons honorés de notre confiance. Ce sont nos approvisionneurs patriotes qui, voulant faire consommer les farines de qualité inférieure dont ils ont été forcés de se pourvoir, ont empêché l’approche des bonnes farines, et qui, par une erreur de calcul sur le temps que durerait cette consommation, se sont exposés à se trouver au dépourvu. »

Mais après avoir reproduit ces vaines clameurs de la foule, le jeune philanthrope fait entendre au peuple le langage du bon sens et la voix de la raison :

« Citoyens, dit-il, nos malheurs ne peuvent-ils donc exister que par des crimes sans cesse renaissants ? n’imputerons-nous rien au hasard ou à l’enchaînement d’une multitude de petites causes difficiles ou impossibles à prévoir ? ne reconnaîtrons-nous jamais nos propres torts ?

« Au commencement de la Révolution, quelle était la masse de nos provisions ? Le lendemain de la prise de la Bastille, il n’y avait pas pour trois jours de subsistance dans la capitale ; on crée un comité qui, sans s’effrayer de l’étendue et du danger de l’opération, se charge de suppléer par ses seules lumières à toutes les compagnies d’approvisionneurs, à tous les moyens adroits ou violents de la police et de l’intendance. »

Ensuite Loustallot prend la peine d’expliquer dans ses moindres détails la cause du manque de farines. Il indique sommairement les mesures à prendre pour remédier à ce fâcheux état de choses. Il donne au public de nouveaux procédés pour moudre le blé et fabriquer le pain. Aucune question ne lui parait indigne de son talent quand il s’agit de se rendre utile au peuple et de faire le bien.

No VII (Du 22 au 29 août.) — La semaine suivante, la situation économique s’est encore aggravée, la famine est dans Paris. Le cœur de l’écrivain patriote saigne au récit des souffrances de ses concitoyens. Il discute les divers moyens de subvenir à l’alimentation de la classe pauvre et blâme la distribution du riz au lieu de pain ; car le riz nécessite des frais considérables de préparation, et sa cuisson fait perdre à l’ouvrier beaucoup de temps. — Les indigents de Montmartre souffrent cruellement de la faim ; la municipalité se décide à renvoyer un certain nombre d’entre eux dans leur province.

On continue à faire queue à la porte des boulangers. Chaque citoyen n’obtient qu’une insuffisante ration, et cependant voici une plaisante histoire d’accaparement :

« On a trouvé des amas de pain chez des particuliers, entre autres chez une vieille femme, logée dans un galetas, où l’on a découvert seize pains de quatre livres, c’est-à-dire soixante quatre livres de pain pour elle seule, et pourtant elle était sans dents ; mais la crainte de manquer de pain l’avait rendue prévoyante. »

Loustallot proteste énergiquement contre la tyrannie de certains districts qui se font un jeu de violer la liberté individuelle et la liberté de la presse. Du reste, l’organisation de ces districts est fort défectueuse, l’administration de la ville de Paris manque complètement d’unité, première condition du bon ordre.

« Ils ont créé chacun un comité permanent, un comité de police, un comité militaire, un comité civil, un comité de subsistances : chaque district a eu présidents, vice-présidents, secrétaires, et chaque comité a été réglé par ses districts.

« À s’en rapporter aux faits, il parait que chaque district s’attribue un pouvoir législatif, et que chacun de leurs comités a le pouvoir exécutif pour la partie qui le concerne.

« Cependant comme il fallait, au moins en apparence, un point central, chaque district a élu deux députés, auxquels on en a ajouté un troisième, lesquels assemblés à l’Hôtel de ville, forment l’assemblée des représentants de la Commune.

« Ces représentants ne sont que des commis ; les commettants sont dans les districts, et dès qu’un arrêté des commis ne plaît pas aux commettants, ils le cassent ou ils-l’abrogent ; ils protestent contre et font afficher leur délibération ; mais ce qui déplaît à un ou plusieurs comités, d’autres l’adoptent et le font exécuter. »

Une telle critique, faite pendant la toute-puissance des districts, était trop juste pour ne pas être dangereuse. Mais le rédacteur des Révolutions de Paris n’avait pas l’habitude de considérer le danger quand parlait le devoir.

La garde nationale vient d’élire ses officiers : les choix déplaisent à Loustallot, qui fait les réflexions suivantes empreintes d’une certaine ironie :

« Nous sommes tellement encore pliés et façonnés au joug de la basse servitude, que les membres de nos districts se croient toujours honorés de choisir, pour chefs, des nobles ou des gens titrés ; et lorsqu’on ne s’agite que pour anéantir les abus, l’on ne met en place que des gens qui en vivent : il semble pourtant qu’ils devraient être nécessairement exclus de tous les postes publics. Ici l’on nomme un fermier général, là un ex-secrétaire de l’archevêque de Sens ; plus loin un grand seigneur, ou même un procureur ; et puis des journalistes les louent et disent que tout est bien ; il ne faut désespérer de rien ; incessamment ces messieurs auront recouvré tout ce qu’ils avaient perdu et tout ira le mieux du monde, dans le meilleur des mondes possibles. »

Mais après avoir engagé le peuple à réclamer ses droits, il ne lui permet pas d’oublier ses devoirs. Les ouvriers de Paris demandent-ils, par exemple, le renvoi des Savoyards ? Voici ce qu’objecte notre publiciste au nom du bon sens et de l’équité :

« Lorsqu’on réclame la liberté, il semble qu’il conviendrait aussi de laisser la concurrence. Que diraient les domestiques si l’on renvoyait tous ceux qui ne sont pas de Paris ? Que diraient les Français, si tous les Français épars dans l’univers étaient forcés de se réfugier dans leur patrie ? »

No VIII. (Du 29 août au 5 septembre.) — Les aristocrates, un moment découragés par l’éclatante victoire du peuple, commencent à relever la tête ; mais le vaillant journaliste révolutionnaire suit des yeux les intrigues de la réaction, et il avertit les citoyens de se tenir en garde contre leurs ennemis séculaires. Il ne laisse pas les vainqueurs de la Bastille s’endormir sur leurs lauriers ; il montre aux patriotes les royalistes prêts à ressaisir le pouvoir, et cet avertissement se termine par un véritable cri de guerre.

« Nous avons passé rapidement de l’esclavage à la liberté ; nous marchons plus rapidement encore de la liberté à l’esclavage : on endort le peuple au bruit des louanges qu’on lui prodigue sur ses exploits, ou on l’amuse par des fêtes, des processions et des épaulettes.

« On a prononcé dans ce mois, à Paris, plus de deux mille compliments, tous prolixes, dans lesquels les Français sont élevés bien au-dessus des peuples de la Grèce et de Rome. Vils adulateurs, vous verrez, avant trois mois, quel sera l’effet de vos louanges.

« Une foule d’homme, aux gages de l’aristocratie, a senti de bonne heure que le pouvoir allait lui échapper ; ils l’ont abandonnée, ils se sont couverts du masque de la popularité, pour établir une aristocratie nouvelle sur les débris de l’ancienne. Inactifs tant que la patrie a été en danger et que la Révolution s’est opérée, ils veulent tout faire depuis qu’il y a des places à remplir, et que l’autorité semble devoir appartenir à celui qui aura, non pas le courage, mais l’adresse de s’en emparer.

« Cette cohorte d’ambitieux est composée principalement de gens de robe, de financiers et de censeurs royaux. Nous observons leur marche en silence ; nous pesons leurs projets avec circonspection ; mais lorsque le temps en sera venu, nous vous jurons, Français, de ne pas manquer de courage pour les dévoiler… Nous jurons une haine irréconciliable aux oppresseurs et aux ambitieux, quels qu’ils soient ; nous les prévenons que la crainte et l’intérêt ne peuvent rien sur nous ; que nous dénoncerons à l’opinion publique toutes les atteintes qui seront portées à la liberté publique, civile et de la presse, soit à notre préjudice, soit à celui du dernier des citoyens. Nous les prévenons qu’ils tenteraient vainement contre nous l’épreuve de la persécution ; que nous nous expatrierons, s’il le faut, pour être vrais, et que si la violence nous en ôtait la faculté, le tyran qui aurait osé l’employer n’aurait qu’un moyen de nous réduire au silence, celui de nous arracher la langue. »

Cette semaine est marquée par une grande agitation dans Paris. La question du veto passionne tous les esprits. Les rues, les places publiques sont transformées en clubs. Dans le jardin du Palais-Royal, devant le café Foy, les orateurs se succèdent sans interruption ; on propose d’envoyer à l’Assemblée de Versailles dés députations de citoyens pour faire connaître aux représentants patriotes les sentiments de la population parisienne.

« Il semble que l’on veuille nous faire haïr la liberté. La disette naissant des spéculations avides, les travaux suspendus, le commerce languissant, les troubles successifs, les ligues secrètes de nos ennemis, tout nous afflige et nous effraye. Ce matin, il se répand des bruits alarmants ;… des membres de l’Assemblée nationale ont osé hier, au milieu de ce sénat auguste, demander que le roi possédât le veto absolu sur la nation. Cet étrange paradoxe, qui nous rejetterait dans les chaînes de l’esclavage, il faut en convenir, n’a pu être proposé par des hommes libres ; l’aveugle et sordide intérêt est seul capable de produire de tels égarements, et nous supprimons par pudeur les noms des membres qui ont exposé ces misérables sophismes ! Notre sentiment a été celui de tous les amis de la liberté, celui de l’invincible Mirabeau[1], et la séance d’hier a été des plus orageuses. »

D’après Michelet (tome I, page 290), Loustallot aurait lui-même fait au Palais-Royal la motion d’envoyer à l’Hôtel de ville un groupe de citoyens pour demander la convocation des districts. Cette démarche était légale ! il valait mieux réclamer la dissolution de l’Assemblée devant les districts qu’à l’Assemblée elle-même. Loustallot fut désigné pour porter les plaintes des patriotes à l’assemblée de la Commune : elle répondit par une fin de non-recevoir.

L’éminent publiciste ne se découragea pas ; il écrivait le surlendemain :

« L’on ne s’occupe sans cesse que du veto et l’on conçoit, malgré les atroces calomnies répandues sur les patriotes du Palais-Royal, que leur alarme était fondée. Les paradoxes récoltants débités par les esclaves partisans du veto en sont de fidèles preuves. En effet, comment se peut-il que, sans corruption, un citoyen puisse demander le veto ? Quoi ! le pouvoir exécutif possédera encore la majeure prérogative du pouvoir législatif ? Quoi ! un seul homme pourra suspendre et enchaîner la volonté de la nation ? Mais l’aristocratie des représentants, dites-vous, qui l’empêchera s’il n’y a point de veto ? Qui l’empêchera, Français ! Que dites-vous ? Bailliages et communes, écoutez-moi : dès qu’un de vos représentants vous paraîtra infidèle ou incapable, dès qu’il ne suivra point vos vœux, brisez-le. Voilà le vrai moyen de ne pas redouter l’aristocratie. Français, si une partie de vos représentants est corrompue, créez-en d’autres c’est là que sera votre salut et votre seule ressource. »

C’était bien comprendre l’importance capitale de la discussion du veto. Le veto royal, comme le dit Michelet, était la seule ancre de salut qui restât aux privilégiés. L’Assemblée ne voyait dans ces débats qu’une discussion de système, indifférente au fond. Le peuple, lui, ne s’y méprit pas : il s’agissait pour la monarchie d’une question de vie ou de mort. La gloire d’avoir ouvert les yeux au peuple revient au jeune rédacteur des Révolutions de Paris.

  1. Mirabeau avait en réalité défendu le veto absolu ; mais son discours, fait par un nommé Cazeaux, lui parut si mauvais quand il le lut à la tribune, qu’il en eut une sueur froide ; il en passa la moitié, à ce que rapporte Étienne Dumont dans ses Souvenirs (p. 155). Le soir, au Palais-Royal, les amis du grand orateur affirmèrent qu’il avait combattu le veto. Loustallot s’y trompa.