Traduction par Pierre de Nolhac.
Garnier-Flammarion (p. 27-28).

XVII. — L’homme, cependant, étant né pour gouverner les choses, aurait dû recevoir plus qu’une petite once de raison. Jupiter me consulta sur ce point comme sur les autres, et je lui donnai un conseil digne de moi : celui d’adjoindre la femme à l’homme. Ce serait en effet, disais-je, un animal délicieux, fol et déraisonnable, mais plaisant en même temps, qui, dans la vie domestique, mêlerait sa folie au sérieux de son partenaire et en atténuerait les inconvénients. Bien entendu, lorsque Platon semble hésiter à classer la femme parmi les êtres doués de raison, il ne veut pas signifier autre chose que l’insigne folie de ce sexe. Qu’une femme, par hasard, ait envie de passer pour sage, elle ne fait que redoubler sa folie. Va-t-on oindre un bœuf pour la palestre, et Minerve le permettrait-elle ? N’allons pas contre la nature ; on aggrave son vice à le recouvrir de vertu et à forcer son talent. « Le singe est toujours singe, dit l’adage grec, même sous un habit de pourpre. » Pareillement, la femme a beau mettre un masque, elle reste toujours femme, c’est-à-dire folle.

Les femmes pourraient-elles m’en vouloir de leur attribuer la folie, à moi qui suis femme et la Folie elle-même ? Assurément non. À y regarder de près, c’est ce don de folie qui leur permet d’être à beaucoup d’égards plus heureuses que les hommes. Elles ont sur eux, d’abord l’avantage de la beauté, qu’elles mettent très justement au-dessus de tout et qui leur sert à tyranniser les tyrans eux-mêmes. L’homme a les traits rudes, la peau rugueuse, une barbe touffue qui le vieillit, et tout cela signifie la sagesse ; les femmes, avec leurs joues toujours lisses, leur voix toujours douce, leur tendre peau, ont pour elles les attributs de l’éternelle jeunesse. D’ailleurs, que cherchent-elles en cette vie, sinon plaire aux hommes le plus possible ? N’est-ce pas la raison de tant de toilettes, de fards, de bains, de coiffures, d’onguents et de parfums, de tout cet art de s’arranger, de se peindre, de se faire le visage, les yeux et le teint ? Et n’est-ce pas la Folie qui leur amène le mieux les hommes ? Ils leur promettent tout, et en échange de quoi ? Du plaisir. Mais elles ne le donnent que par la Folie. C’est de toute évidence, si vous songez aux niaiseries que l’homme conte à la femme, aux sottises qu’il fait pour elle, chaque fois qu’il s’est mis en tête de prendre son plaisir.

Vous savez maintenant quel est le premier, le plus grand agrément de la vie, et d’où il découle.