CHAPITRE PREMIER.

Exorde.


Ô Montmartre ! ô ma Patrie ![1] jusqu’à quand seras-tu l’objet du mépris et de la risée des Babyloniens ? Jusqu’à quand ces frivoles habitants de la capitale du plus bel empire du monde, seront-ils les vils esclaves d’une injuste prévention qui te déshonore ? Quoi ma Patrie ! parce que tu nourris dans ton sein une foule d’utiles habitants, on te raille, on te méprise ! Non, non, je ne souffrirai point qu’on te fasse impunément cette injure. Ta cause est la mienne ; je suis ton fils ; c’est aux enfants à défendre leur mère.

Tremblez, Babyloniens, tremblez ; l’auguste vérité va paraître, vous serez confondus : et vous paisibles animaux, utiles baudets, réjouissez-vous ; j’entreprends aujourd’hui votre éloge : je veux prouver aux trop fiers habitants de Babylone, qu’il n’y a point dans l’univers d’animal qui vous soit comparable ; qu’eux-mêmes sont au-dessous de vous : vous seuls vous réunissez toutes les vertus répandues dans tous les êtres qui existent, et vous n’avez aucuns de leurs défauts : vous êtes les chefs-d’œuvre de la nature, les rois du monde. Réjouissez-vous donc, ô baudets, mes concitoyens, mes amis, réjouissez-vous ; les préjugés vont s’anéantir, vous serez adorés.

Vous qui foulant aux pieds les extravagantes opinions des hommes[2], avez déjà plaidé la cause que je vais soutenir, docte Heinsius, savant Passerat, daignez me servir de guides. Prêtez-moi, un moment, cette clarté, cette précision, ce coloris qui vous sont si naturels : faites que sans être plus profond, je sois aussi agréable que vous : ou plutôt, souffrez que saisissant dans vos écrits, ce qu’il y a de meilleur, je l’emploie à composer, à embellir cet Éloge. Je suis une abeille, soyez mes fleurs.


  1. Montmartre est un village situé à un mille de Babylone, recommandable par la pureté de l’air, et des moulins à vent.
  2. Daniel Heinsius, chevalier de St-Marc, Professeur en Histoire et en Politique dans l’Université de Leyde, mort en 1655, a fait en latin l’éloge de l’âne. Jean Passerat, qui fut Professeur d’éloquence à Paris après l’assassinat de Ramus, était de Troyes en Champagne ; il a fait aussi en latin le panégyrique de l’âne. En 1729, il parut un troisième éloge de l’âne en langue Babylonienne. On concevra aisément que de ces trois éloges, j’en ai pu faire un : ce n’est pas un mystère.