Élégies et poésies nouvelles/Texte entier


ÉLÉGIES
ET
POÉSIES NOUVELLES,
PAR
Mme DESBORDES VALMORE.
PARIS,
CHEZ LADVOCAT, LIBRAIRE.

MDCCCXXV.



ÉLÉGIES.

ÉLÉGIES.


LE PRINTEMPS.

Le printemps est si beau ! Sa chaleur embaumée,
Descend au fond des cœurs réveillés et surpris :
Une voix qui dormait, une ombre accoutumée,
Redemande l’amour à nos sens attendris.
La raison vainement à ce danger s’oppose,
L’image inattendue enivre la raison :
Tel un insecte ailé s’élance sur la rose,
Et la brûle d’un doux poison.
Des jeunes souvenirs la foule caressante,
Accourt, brave la crainte, et l’espace et le temps :

Qui n’a cru respirer dans la fleur renaissante,
Les parfums regrettés de ses premiers printemps ?

Et moi, dans un accent qui trouble et qui captive,
Naguère un charme triste est venu m’attendrir :
L’écouterai-je encor, curieuse et craintive,
Ce doux accent qui fait mourir ?
Ce nom… j’allais le dire ; il m’est donc cher encore ?
Ma frayeur n’a donc plus de force contre lui ?
Toi, qui ne m’entends pas, d’où vient que je t’implore ?
N’es-tu pas loin ? N’ai-je pas fui ?
Reverrai-je tes yeux, dont l’ardente prière,
Obtiendrait tout des cieux ?
Oui, pour ne les plus voir j’abaisse ma paupière,
Je m’enfuis dans mon âme, et j’ai revu tes yeux !

L’oiseau né sous nos toits, dans la saison brûlante,
Tourne autour des maisons qu’il reconnaît toujours,

Effleure de son vol l’ardoise étincelante,
S’y pose, chante, fuit et revient tous les jours :
Ton chant avec le sien se fond dans ma pensée,
Trop de bonheur remplit ma poitrine oppressée ;
Je pâlis de plaisir à ces cris du retour ;
J’ai ressenti ta voix, j’ai reconnu l’amour !

Dans le demi-sommeil où je tombe rêveuse,
Je te crains, je t’espère et je te sens venir ;
Tu parles, mais si bas ! une oreille amoureuse
Peut seule entendre et retenir :
« Veux-tu, mais ne dis pas que l’heure est trop rapide,
« Veux-tu voir la montagne et le courant limpide ?
« Veux-tu venir au pied du grand chêne abattu ? »
Moi, je ne réponds pas pour écouter : « Veux-tu. »
« Veux-tu, mais ne dis pas que la lune est cachée ;
« Veux-tu voir notre image au bord des flots penchée ?
« Ne tremble pas, tout dort ; l’écho même s’est tu. »

Et mon refus se meurt en écoutant : « Veux-tu. »

D’un bouquet ma tristesse hier s’était parée :
Dans l’ombre, tout-à-coup, qui l’ôta de mon sein ?
Ai-je senti le feu de ta main adorée ?
Est-ce toi, mon amour, qui cueillis ce larcin ?
Pourquoi troubler mon sort qui devenait paisible ?
Dans tout ce qui me plaît viens-tu tenter ma foi ?
Dis, pourquoi ta main invisible
Se pose-t-elle encor sur moi ?
Pourquoi ton haleine enflammée,
Soulève-t-elle mes cheveux ?
Pourquoi ce faible écho, craintif comme nos vœux,
Dit-il contre mon cœur : « Bonsoir, ma bien-aimée ? »
Ah ! je t’en prie, il ne faut plus venir
Redemander mon âme presque heureuse :
Je crains de toi jusqu’à ton souvenir ;
Loin du danger je suis encore peureuse…

Je ne t’accuse pas ! Qui sait si le tombeau
Sera froid sur mon corps, si ton souffle l’effleure ?
Je ne t’accuse pas ; je pleure,
Et j’aime le printemps ; le printemps est si beau !


L’ATTENTE.

Il m’aima. C’est alors que sa voix adorée,
M’éveilla tout entière, et m’annonça l’amour :
Comme la vigne aimante en secret attirée
Par l’ormeau caressant, qu’elle embrasse à son tour,
Je l’aimai ! D’un sourire il obtenait mon âme.
Que ses yeux étaient doux ! que j’y lisais d’aveux !
Quand il brûlait mon cœur d’une si tendre flamme,
Comment, sans me parler, me disait-il : « Je veux ! »
Oh ! toi qui m’enchantais, savais-tu ton empire ?
L’éprouvais-tu ce mal, ce bien dont je soupire ?
Je le crois : tu parlais comme on parle en aimant,
Quand ta bouche m’apprit, je ne sais quel serment :

Qu’importe les sermens ! Je n’étais plus moi-même,
J’étais toi. J’écoutais, j’imitais ce que j’aime :
Mes lèvres, loin de toi, retenaient tes accens,
Et ta voix dans ma voix troublait encor mes sens.

Je ne l’imite plus ; je me tais, et les larmes,
De tous mes biens perdus ont expié les charmes.
Attends-moi, m’as-tu dit. J’attends, j’attends toujours !
L’été, j’attends de toi la grâce des beaux jours ;
L’hiver aussi, j’attends ! Fixée à ma fenêtre,
Sur le chemin désert je crois te reconnaître ;
Mais les sentiers rompus ont effrayé tes pas :
Quand ton cœur me cherchait, tu ne les voyais pas !
Ainsi le temps prolonge et nourrit ma souffrance.
Hier, c’est le regret, demain, c’est l’espérance ;
Chaque désir trahi me rend à la douleur,
Et jamais, jamais au bonheur !

Le soir, à l’horizon, où s’égare ma vue,
Tu m’apparais encore, et j’attends malgré moi :
La nuit tombe… ce n’est plus toi ;
Non ! C’est le songe qui me tue.
Il me tue, et je l’aime ! et je veux en gémir.
Mais sur ton cœur jamais ne pourrai-je dormir,
De ce sommeil profond qui rafraîchit la vie ?
Le repos sur ton cœur ! c’est le ciel que j’envie,
Et le ciel irrité met l’absence entre nous.
Ceux qui le font parler me l’ont dit à moi-même,
Il ne veut pas qu’on aime :
Mon Dieu, je n’ose plus aimer qu’à vos genoux ?

Qu’ai-je dit ? Notre amour, c’est le ciel sur la terre.
Il fut, j’en crois mon cœur effrayé d’un remord,
Il fut comme la vie, hélas ! involontaire,
Inévitable aussi comme la mort.

J’ai goûté cet amour ; j’en pleure les délices.
Cher amant ! quand mon sein palpita sous ton sein,
Nos deux âmes étaient complices,
Et tu gardas la mienne, heureuse du larcin :
Oh ! ne me la rends plus ! Que cette âme enchaînée,
Triste et passionnée,
Heureuse de se perdre et d’errer après toi,
Te cherche, te rappelle et t’entraîne vers moi !


L’IMPATIENCE.

Ne viens pas ; non ! Punis ton injuste maîtresse :
Elle a maudit l’amour ; j’en suis tremblante encor.
Elle a maudit ses pleurs, ses tourmens, son ivresse,
Et sa révolte a pris l’essor.
Elle a dit : « J’ai perdu mes songes infidèles.
« Le temps ne marche plus ; la douleur n’a point d’ailes.
« L’amour seul est rapide, ingrat, sans souvenir ;
« Il devance, il dévore, il détruit l’avenir :
« Je déteste l’amour. Je veux aimer la gloire ;
« Elle promet des biens : je tâcherai d’y croire.
« Qu’elle endorme mes maux, si je n’en peux guérir :
« Quand on ne meurt pas toute, on craint moins de mourir. »

Puis, elle a dit : « La gloire est un cercle dans l’onde.
« C’est l’écho de la vie ; il expire à son tour :
« Eh ! que m’importera dans une nuit profonde,
« Ce vain écho d’un jour ?
« Eh bien ! je hais la gloire et l’attente perdue,
« Et l’amour, et l’image à mon cœur suspendue,
« Je hais tout ! » Mais bientôt elle n’eut plus de voix,
Que pour former ton nom, pour t’appeler cent fois ;
Elle cherchait en vain sa colère exhalée :
Oh ! la piquante abeille est moins vite envolée ;
En vain l’écho trompé disait : « Je veux haïr : »
Triste, elle a murmuré : « Ciel ! qu’il tarde à venir ! »

Ne viens pas ! Que la nuit, sans presser sa paupière,
Laisse battre son cœur dans la crainte et l’espoir ;
Qu’une journée encor l’accable tout entière,
Sans la rendre à la vie, au bonheur de te voir :
Une journée… un siècle… auras-tu ce courage ?

Oui, l’homme est courageux. Tu dis qu’il est aimant :
Prouve-le ! Tu le sais, l’amour est un orage ;
Écris ; d’un pur espoir rends-lui l’enchantement.

Écrire !… et le temps vole ; il emporte la vie,
Il s’enfuit escorté des heures et des jours :
Imite sa vitesse, oh ! mon idole, accours ;
Qu’il m’emporte avec toi, c’est tout ce que j’envie !
Oh ! Dieu ! si tu venais… Viens ; je veux te parler ;
J’ai des secrets encor, j’en ai mille à t’apprendre :
Et les tiens, tous les tiens, viens me les révéler,
Viens m’en flatter, viens me les rendre !
Je dirai, Te voilà ! Je dirai… Mon bonheur
Inventera des mots que ma tristesse ignore :
Ne crains pas que j’en trouve un seul pour la douleur ;
Mais ceux qui te plaisaient, je les sais tous encore.

Que de voix… que d’espoir ! Qui sont ceux que j’entends ?

Les voici… Devant eux je demeure glacée,
Je ne les entends plus, je sens fuir ma pensée,
Et je n’ai pas vu ceux qui m’ont parlé longtemps.

Toi, tu ne viens jamais ! Qu’importe que je meure.
Les minutes en vain volent autour de l’heure ;
Et l’heure, en les comptant, fait tomber sans retour
Les mois, les ans, la vie ! et sans toi, sans amour !

L’INDISCRET.

Dans la paix triste et profonde
Où me plongeait ce séjour,
J’ignorais qu’au bruit du monde
On pût oublier l’amour :
Quelle est cette voix cruelle
Qui déja me détrompe avec un ris moqueur ?
Comme une flèche aiguë elle siffle autour d’elle,
Et le trait qu’elle porte a déchiré mon cœur.

Au bord de ma tombe ignorée,
Ciel ! par cette langue acérée,
Faut-il qu’un nom trop cher puisse m’atteindre encor,
Pour m’apprendre (nouvelle affreuse !)

Que j’étais seule malheureuse,
Et qu’on m’oublie avant ma mort !
Du plus sincère amour quel châtiment terrible !
Qu’ai-je fait à celui qui l’inventa pour moi ?
Que mon sort dévoilé m’a fait sentir d’effroi !
Pense-t-il qu’on survive à cette épreuve horrible ?
Non, ce n’est pas lui, non ! — Séparés à jamais,
Vous que je crus aimant, et que j’aimais !
Vous n’auriez pas voulu, troublant ma solitude,
Changer en désespoir ma tendre inquiétude ?
Oh ! non ! ce n’est pas vous. Mes yeux gonflés de pleurs,
Se détournaient en vain de ces lèvres légères,
Dont le souffle éteignait mes erreurs les plus chères,
Et dont le rire affreux outrageait mes malheurs :
Il n’a vu mon effroi ni ma pâleur extrême ;
L’indiscret n’a point d’âme, il ne devine rien :
Du bruit de sa parole il s’étourdit lui-même,
Il s’écoute, il s’admire, il se répond : c’est bien !

Loin de moi… Mais sa voix ! elle me frappe encore,
Son timbre me poursuit et partout il m’attend :
Sait-il que je me meurs ? Sait-il que je l’abhorre ?
Il révèle un secret, il parle, il est content.

Ah ! j’aurais dû crier : c’est moi… je l’aime… arrête.
Par ton Dieu, par ta mère et tes premiers amours,
Dis qu’il n’est point parjure, oh ! dis-le ! je suis prête
À t’entendre, à tout croire, à t’écouter toujours.
Mais non, il n’a pas vu ma main faible et glacée,
Rassembler mes cheveux pour voiler mon affront :
Il n’a pas vu la mort par lui-même tracée,
Sous le bandeau de fleurs qui tremblaient sur mon front.
Aveugle ! il n’a pas vu se troubler et s’éteindre,
Mon œil long-temps fermé :
Quand j’ai dit, Se peut-il !… ma voix n’a pu l’atteindre ;
Il n’a donc rien aimé !

Peut-être qu’en naissant il a perdu sa mère,

Qu’il n’a jamais connu le baiser d’une sœur,
Et qu’à ses premiers cris une dure étrangère,
N’a jamais d’un sourire accordé la douceur,
Mais il nomme un ami : c’est ainsi qu’il appelle
Le seul que dans mon cœur j’osai nommer le mien :
Que ne l’a-t-il pris pour modèle ;
Il serait digne alors d’attester ce lien.
Est-il assez heureux ! peut-il être insensible,
S’il a de ses discours subi l’enchantement :
Quelle oreille inflexible,
L’entendrait vainement ?
Par quelle douce force il commande qu’on l’aime ;
Quelle grâce éloquente embellit sa raison ;
Quel empire modeste, et quel pouvoir suprême !
C’est celui de l’amour, c’est son plus doux poison.
Il avait dit un jour : « Que ne puis-je auprès d’elle, »
(Elle alors c’était moi) « que ne puis-je chercher,
« Ce bonheur entrevu qu’elle veut me cacher :

« Son cœur paraît si tendre ; oh ! s’il était fidèle ! »
Puis, fixant ses regards sur mon front abattu,
Du charme de ses yeux il m’accablait encore,
Et ses yeux que j’adore,
Portaient jusqu’à mon cœur : « Je te parle, entends-tu ? »
Trop bien. A-t-il soumis mes plus jeunes années ?
Je n’y trouve que lui, rien ne me fut si cher :
Et pourtant mes amours, mes heures fortunées,
N’était-ce pas hier ?

Que la vie est rapide et paresseuse ensemble :
Sous ma main qui brûle et qui tremble,
Que sa coupe fragile est lente à se briser :
Ciel ! que j’y bois de pleurs avant de l’épuiser !
Mes inutiles jours tombent comme les feuilles,
Qu’un vent d’automne emporte en murmurant :
Ce n’est plus toi qui les accueilles,
Qu’importe leur sort en mourant ?

Eh bien ! que rien ne les arrête ;
Je les donne au tombeau, je m’y traîne à mon tour,
Et comme on oublie une fête, :
Jeune encor j’oublîrai l’amour.
Pour beaucoup d’avenir j’ai trop peu de courage,
Oui, je le sens au poids de mes jours malheureux,
Ma vie est un orage affreux,
Qui ne peut être au long orage.

J’entends de l’indiscret le rire délateur ;
Il revient insulter au mal qui me dévore.
Il rirait sur ma tombe, il parlerait encore :
C’est l’écho d’un ingrat. Que n’est-ce un imposteur !

Fuis, dépositaire infidèle
Des secrets imprudens confiés à ta foi :
Va ! qui trompe une amante au moins a pitié d’elle,
Tu trahis un méchant, mais il l’est moins que toi.
Sa pudeur, ses remords prenaient soin de ma vie ;

Lui-même il frémira du mal que tu me fais :
Il endormait mon âme aveuglée, asservie,
Il se taisait enfin, et moi… que je le hais.
Pour tromper tant d’amour qu’il s’imposa de peine,
Quelle humiliante pitié !
Mais toi, toi qui pour lui m’apportes tant de haine,
Ah ! prends-en la moitié !
Qu’elle attache à mes pleurs une longue puissance,
Qu’elle effraie à ton nom l’imprudente innocence,
Que ton cœur s’intimide à mes cris douloureux ;
Qu’il devienne sensible, et qu’il soit malheureux.
Oui, puisses-tu brûler, et languir, et déplaire,
Au jeune et froid objet qui saura t’enflammer ;
Ou plutôt… tremble au vœu qu’invente ma colère :
Puisses-tu long-temps vivre, et ne jamais aimer.


LA FÊTE.

Pour la douzième fois, hier, sur ma demeure,
Nuit lente ! tu passais sans jeter de pavots ;
Sur mon cœur malheureux je sentais tomber l’heure,
Et l’écho répétait l’heure avec mes sanglots :
Je regardais, sans voir une lampe inutile,
Dont les rayons brûlaient ma paupière immobile.
Elle s’éteint, disais-je : hélas ! c’étaient mes pleurs,
Qui d’un triste nuage entouraient ses lueurs.

Mais à travers mes pleurs et cette clarté sombre,
J’ai vu paraître une ombre,
Autrefois mon idole, aujourd’hui mon effroi :
Cette ombre était la sienne, elle avançait vers moi.

« Te voilà donc, lui dis-je, on m’a désespérée :
« Mon âme était si tendre, elle s’est égarée.
« On t’a nommé trompeur, et je t’ai cru trompeur :
« Tu ne les démens pas ! tu ris… parle, j’ai peur.
« Tous ont fui, tous vont voir je ne sais quelle fête :
« Moi je mourais. Mais parle, et mon âme s’arrête. »

L’ombre alors me repousse et m’entraîne à-la-fois.
Oubliant ma faiblesse et ma fièvre brûlante,
Partout pour la saisir j’étends ma main tremblante :
Tout est lui, tout m’appelle, et tout a pris sa voix.
J’ai couru, j’ai suivi des sentiers que j’ignore ;
Demi-nue, insensible au souffle de l’hiver,
J’obéissais, mourante, à ce guide si cher :
Il ne m’appelait plus, j’obéissais encore.
La pluie à longs torrens inondait le chemin :
Le vent soufflait : « Demain ! n’attends pas à demain ! »
Et je tombe à sa porte, et presque évanouie,

Par l’éclat des flambeaux je m’arrête éblouie.
Des danses, des parfums, des voix, des chants d’amour,
Remplissaient ce séjour :
Au milieu de l’encens qui formait un nuage,
J’ai vu d’un groupe heureux se balancer l’image ;
La plus belle au plus tendre abandonnait sa main :
C’était… l’ai-je rêvé ! c’était cet inhumain,
Comblé de tous les dons que l’amour nous envoie,
Plus qu’elle encor paré d’espérance et de joie !
Un prestige cruel m’attachait sur le seuil ;
Sous mon voile de deuil,
J’ai murmuré comme eux le chant de l’hyménée ;
Mais il était plus triste à mon âme étonnée,
Que le cri de l’oiseau qu’on entend soupirer,
Quand blessé sur la rive il est près d’expirer.
Dans l’ombre où m’enchaînait ma douleur curieuse,
Froide et silencieuse,
J’ai contemplé long-temps ma mort dans leur bonheur :

Mais les flambeaux éteints m’en ont caché l’horreur.

J’ai dormi, je m’éveille, et ma fièvre est calmée.
Sommeil, affreux miroir !… Je reprends mon bandeau ;
Voici l’aurore enfin ! lentement ranimée,
Je vais, d’un jour encore essayer le fardeau.


L’ISOLEMENT.

Quoi ! ce n’est plus pour lui, ce n’est plus pour l’attendre,
Que je vois arriver ces jours longs et brûlans ;
Ce n’est plus son amour que je cherche à pas lents ;
Ce n’est plus cette voix si puissante, si tendre,
Qui m’implore dans l’ombre, ou que je crois entendre ;
Ce n’est plus rien. Où donc est tout ce que j’aimais ?
Que le monde est désert ! n’y laissa-t-il personne ?
Le temps s’arrête et dort. Jamais l’heure ne sonne.
Toujours vivre, toujours ! on ne meurt donc jamais.
Est-ce l’éternité qui pèse sur mon âme ?
Interminable nuit que tu couvres de flamme !
Comme l’oiseau du soir qu’on n’entend plus gémir,

Auprès des feux éteints que ne puis-je dormir !
Car ce n’est plus pour lui qu’en silence éveillée,
La muse qui me plaint assise sur des fleurs,
M’attire dans les bois, sous l’humide feuillée,
Et répand sur mes vers des parfums et des pleurs.

Il ne lit plus mes chants, il croit mon ame éteinte ;
Jamais son cœur guéri n’a soupçonné ma plainte,
Il n’a pas deviné ce qu’il m’a fait souffrir ;
Qu’importe qu’il l’apprenne, il ne peut me guérir.
J’épargne à son orgueil la volupté cruelle,
De juger dans mes pleurs l’excès de mon amour :
Que devrais-je à mes cris ? Sa frayeur ? son retour ?
Sa pitié ?… C’est la mort que je veux avant elle.
Tout est détruit : lui-même il n’est plus le bonheur.
Il brisa son image en déchirant mon cœur.
Me rapporterait-il ma douce imprévoyance,

Et le prisme charmant de l’inexpérience !
L’amour en s’envolant ne me l’a pas rendu :
Ce qu’on donne à l’amour est à jamais perdu.


L’ACCABLEMENT.

Mes yeux rendus à la lumière,
Mais fatigués de tant de pleurs,
S’offensent des vives couleurs,
Et baissent leur faible paupière.

Les voix n’ont plus leurs doux accens,
Rien ne m’émeut, rien ne m’alarme :
Ah ! si je n’ai plus une larme,
C’est donc le bonheur que je sens ?

Croyons-le. Puisque tout m’éclaire,
C’est le bonheur qui m’est rendu :

Puisque rien ne sait plus me plaire,
C’est le bandeau que j’ai perdu.

Je regarde à présent la vie,
Comme un lieu que j’avais quitté :
Mais une erreur long-temps suivie,
Change jusqu’à la vérité.

Vers sa belle image envolée,
Mon cœur ne retournera plus :
Pour ramener l’onde écoulée,
Tous les efforts sont superflus.

Mais pourquoi, lorsque le jour tombe,
Semble-t-il isoler mon sort,
Comme s’il passait sur la tombe,
De tous ceux qui m’aiment encor ?

Ah ! c’est que mon âme est changée ;
C’est que je suis faible au malheur ;
C’est que j’ai bravé la douleur,
Et que la douleur s’est vengée.

C’est que des jeux le tendre essaim,
Déserte au cri de la souffrance ;
Que tout est froid sans l’espérance ;
Et qu’elle est morte dans mon sein.

Et pour celui qui fit ma peine,
Que ma voix ne sait plus nommer,
Dieu ! qu’il a mérité ma haine :
Que je voudrais ne plus l’aimer !


SOUVENIR.

Quand il pâlit un soir et que sa voix tremblante,
S’éteignit tout à coup dans un mot commencé ;
Quand ses yeux soulevant leur paupière brûlante,
Me blessèrent d’un mal dont je le crus blessé ;
Quand ses traits plus touchans éclairés d’une flamme,
Qui ne s’éteint jamais,
S’imprimèrent vivans dans le fond de mon âme,
Il n’aimait pas, j’aimais !


À Mlle GEORGINA NAIRAC.

Ah ! prends garde à l’amour, il menace ta vie,
Je l’ai vu dans les pleurs que tu verses pour moi.
Prends garde, s’il est temps ! il erre autour de toi,
Et c’est avec des pleurs aussi qu’il m’a suivie.
Retourne vers ta mère et ne la quitte pas.
Va, comme un faible oiseau que menace l’orage,
Contre son sein paisible appuyer ton courage,
Portes-y ta jeunesse, enchaînes-y tes pas.
Plus heureuse que nous, de son printemps calmée,
Laisse-la te soustraire à de vaines douleurs :
Va ! tu me béniras de t’avoir alarmée,
Je fus confiante et je meurs.

Folle sécurité d’une âme qui s’ignore,
C’est donc ainsi toujours que vous devez finir ?
Quand on n’a pas souffert on ne sait rien encore,
On ne veut confier son sort qu’à l’avenir.
Dans l’âge du danger je n’avais plus de mère ;
Déja mon guide arrêté par la mort,
N’entendait plus ma plainte amère,
Déja ses yeux fermés ne suivaient plus mon sort.
Retourne vers ta mère, et que ton innocence,
Prudemment effrayée au tableau de mes jours,
Joigne à mon souvenir, qu’il faut plaindre toujours,
Une longue reconnaissance.

Mais tu n’as pas souffert ? ta tranquille pitié,
Dis-le-moi, n’a donné ses pleurs qu’à l’amitié ?
Non, tu n’as pas senti cette fièvre de l’âme,
Ce frisson douloureux qui passe au fond du cœur :
L’air ne t’a pas semblé comme une molle flamme,

Qui verse dans les sens la soif et la langueur ?
Ce triste isolement, ce tendre ennui, ces larmes,
Ce besoin de presser un cœur semblable au tien,
D’une voix qui poursuit le fidèle entretien,
Rien n’a comblé ton sort d’amertume et de charmes ?
Cet objet souhaité, dans un jour imprévu,
Ne t’a pas sur son sein réunie à toi-même ;
Ce tendre objet qui trompe, et qu’il faut que l’on aime,
Tu ne l’as jamais vu !
Je l’ai vu plein d’amour, et l’amour m’a trompée,
Je ne croyais que lui ! de lui seul occupée,
J’ai perdu mon repos dans sa félicité,
Je l’ai voulu. Mon Dieu ! c’était sa volonté.

Il savait tant de mots pour me rendre sensible,
Pour instruire mon âme ardente à la douleur :
Lui seul a ce pouvoir, cet art, ce don flexible,
Lui seul donne la vie ensemble et le malheur.

Mais le malheur enfin détache de la vie :
Non, je ne veux plus de mon sort,
Je ne veux plus souffrir. Sais-tu ce que j’envie,
Sais-tu ce qu’après lui j’ai souhaité ? la mort.

Son pied ne presse plus le seuil de ma demeure,
Et pour ne la plus voir il invente un chemin :
Sans lui rien demander j’écoute passer l’heure ;
L’heure dit comme lui : « Ni ce soir, ni demain. »
Mais je compte, j’attends que moins inexorable
Une heure, la dernière à mes maux secourable,
Éteigne sur ma cendre un importun flambeau,
Et défende à l’amour de troubler mon tombeau.

Quand celui qui me fuit ne songeait qu’à me suivre,
Le cours de mes beaux ans fut près de se tarir :
Qu’il m’eût alors été doux de mourir
Pour l’amant dont les pleurs me suppliaient de vivre.

« Ne meurs pas, disait-il, ou je meurs avec toi ! »
Et mon âme enchaînée à cette âme amoureuse,
N’osa quitter la terre et combler son effroi.
L’imprudent ! sous ses pleurs j’allais m’éteindre heureuse,
J’allais mourir aimée. Il m’a rendu des jours,
Pour m’apprendre, oh ! douleur ! qu’on n’aime pas toujours.

Une nouvelle voix à son oreille est douce ;
D’autres yeux qu’il entend, désarment son courroux ;
Et ce n’est plus ma main qu’il presse ou qu’il repousse,
Alors qu’il est tendre ou jaloux.
Quoi ! ce n’est plus vers moi qu’il apporte sans crainte,
Son espoir, son désir, son plus secret dessein :
Et s’il est malheureux, s’il exhale une plainte,
Ce n’est plus dans mon sein !

L’ai-je trahi ? Jamais. Il eut mon âme entière.
Hélas ! j’étais étreinte à lui comme le lierre.

Que pour m’en arracher il m’a fallu souffrir !
Dans cet effort cruel je me sentis mourir.
Il détourna les yeux, il n’a pas vu mes larmes ;
Mon reproche jamais n’éveilla ses alarmes ;
Jamais de ses beaux jours je ne ternis un jour ;
Il garda le bonheur ; moi, j’ai gardé l’amour.


SOUVENIR.

Son image comme un songe
Partout s’attache à mon sort.
Dans l’eau pure où je me plonge,
Elle me poursuit encor :
Je me livre en vain tremblante,
À sa mobile fraîcheur ;
L’image toujours brûlante
Se sauve au fond de mon cœur.

Pour respirer de ses charmes,
Si je regarde les cieux,
Entre le ciel et mes larmes,
Elle voltige à mes yeux,

Plus tendre que le perfide,
Dont le volage désir
Fuit comme le flot limpide,
Que ma main n’a pu saisir.


À MA SŒUR.

Que veux-tu, je l’aimais. Lui seul savait me plaire :
Ses traits, sa voix, ses vœux lui soumettaient mes vœux.
Tendre comme l’amour, terrible en sa colère…
(Plains-moi, connais-moi toute à mes derniers aveux)
Je l’aimais ! j’adorais ce tourment de ma vie ;
Ses jalouses erreurs m’attendrissaient encor :
Il me faisait mourir, et je disais, J’ai tort.
À douter de moi-même il m’avait asservie.
Toi ! tu n’aurais pu voir ses pleurs sans me haïr ;
Sans pleurer avec lui tu n’aurais pu l’entendre ;
Oui, j’accusais mon cœur que tu connais si tendre ;
Oui, je disais, J’ai tort, en me sentant mourir.

Ainsi l’humble roseau tourmenté par l’orage,
Sous un ciel menaçant incline son courage,
Et se relève encor d’un souffle ranimé :
Je retrouvais la vie en son regard calmé.
Pas une plainte, alors, de sa voix consolante
N’osait troubler l’accent qui reprenait mon cœur ;
Et comme lui soumise, et ravie et tremblante,
De cet orage éteint j’oubliais la rigueur.
Quel doux saisissement, Dieu ! quel muet délire,
Quand son front se cachait sur ce cœur éperdu,
Qu’il demandait pardon, qu’il m’était tout rendu,
Que je sentais ses pleurs mêlés à mon sourire !
Je n’avais pas souffert, il pleurait. Mais, ma sœur,
Je ne parlerai plus de ses torts, de ses larmes,
Ses torts où tant d’amour répandait tant de charmes :
Je n’ai plus qu’à subir sa tranquille douceur.

Sa douceur, l’inflexible ! oh ! comme il m’a punie,

De l’empire d’un jour,
Où périt mon bonheur, dont la paix fut bannie,
Et qu’irrité de craindre il détruit sans retour.
Sans retour ! le crois-tu ? dis-moi que je m’égare,
Dis qu’il veut m’éprouver, mais qu’il n’est point barbare,
Dis qu’il va revenir, qu’il revient… trompe-moi,
Mais obtiens qu’il me trompe à son tour comme toi.
Va le lui demander, va l’implorer… Demeure :
L’orgueil est entre nous, il glace, il est mortel.
N’est-ce pas qu’il me fuit, et qu’il faut que je meure ?
N’est-ce pas que je souffre, et que l’homme est cruel !
Ne l’accuse jamais. Songe que je l’adore,
Puisque je vis encore :
Avant qu’à le trahir j’accoutume ma voix,
Ma sœur, j’aurai parlé pour la dernière fois.

Tout change, il a changé ; d’où vient que j’en murmure ?
Pourquoi ces pleurs amers dont mon cœur est baigné ?

Que l’amour a de pleurs quand il est dédaigné !
Tout change, il a changé. C’est là sa seule injure.
Et s’il fuit un bonheur qui n’a pu le toucher,
Ce n’est pas à l’amour à le lui reprocher.
Tes yeux seuls pleins de moi, s’il daigne un jour y lire,
Lui diront mes adieux que je n’osai lui dire.
Ton nom comme un écho lui parlera de moi ;
Qu’il soit ton seul reproche en ta douleur modeste ;
Ah ! je l’en défendrais contre tous… contre toi,
Du peu de force qui me reste.
Imite mon silence ; un stérile remord
Ne ralluma jamais une flamme épuisée.
En oubliant qu’il l’a causée,
Dans son étonnement il pleurera ma mort.

Ma sœur, j’ai vu la mort à la triste lumière,
Qui passa tout à coup dans le fond de mon cœur,
Un soir qu’il m’observait, roulant sous sa paupière,

Je ne sais quoi d’amer, de sombre et de moqueur.
Oh ! que l’âme est troublée à l’adieu d’un prestige !
L’épi touché du vent tremble moins sur sa tige,
L’oiseau devant l’éclair est moins saisi d’effroi ;
Je sentis qu’un malheur tournait autour de moi.
Pour la première fois, dans sa cruelle adresse,
Jouant avec mon cœur qu’il déchirait… hélas,
Il parlait de bonheur sans parler de tendresse.
Il parlait d’avenir, et ne me nommait pas !

Sa main qui refusait comme lui de m’entendre,
S’éloigna de ma main :
Ses yeux qui tant de fois me priaient de l’attendre,
Ne disaient plus : demain !
Pâle, presque à genoux, suppliante, craintive,
J’ai dit… je n’ai rien dit, mais on entend les pleurs.
Et ce morne silence où parlent les douleurs,
Ce cri prêt d’entr’ouvrir le sein qui le captive,

Tout en moi, tout parlait : il n’a pas entendu,
C’en était fait, ma sœur. De mes larmes suivie,
Je repris la raison sans reprendre la vie :
J’écoutai… de ses pas le bruit s’était perdu,
J’étais seule. Un enfant qu’abandonne sa mère,
Dont la voix s’est brisée en une plainte amère,
Qui l’attend immobile, interdit, sans couleur,
Trouve un aspect moins triste à son premier malheur ;
Un poids moins douloureux étouffe la pensée,
Dans son âme oppressée ;
Un fantôme moins noir l’épouvante et l’atteint,
Lorsqu’à ses yeux en pleurs l’espoir… le jour s’éteint.

Le voilà donc fini mon court pélerinage.
Ciel ! que le sien plus beau soit ombragé de fleurs ;
Et loin de le punir de mes tendres malheurs,
Qu’un suave laurier couronne son bel âge…

Qui fait fuir dans son nid cet oiseau palpitant ?

De ma dernière nuit c’est l’ombre avant-courrière.
Vois comme en s’élevant de la noire bruyère,
Aux fleurs de ma fenêtre elle monte et s’étend :
Embrasse-moi, ma sœur, car son aile invisible,
M’a touchée et m’entraîne en un sommeil paisible.
Ce rayon qui s’enfuit, non, ce n’est plus le jour,
Ce n’est plus le malheur, non, ce n’est plus l’amour ;
C’est ma dernière nuit. Déja froide comme elle,
Ma mémoire n’est plus qu’un miroir infidèle :
Oui, tout change, ma sœur, tout s’efface, et je sens,
Que la paix… ou la mort a coulé dans mes sens.


À MA SŒUR.

Qu’ai-je appris, le sais-tu ? Sa vie est menacée,
On tremble pour ses jours.
J’ai couru… je suis morte, et ma langue glacée,
Peut à peine… Ma sœur, je l’aime donc toujours !
Quel aveu, quel effroi, quelle triste lumière.
Eh quoi ! ce n’est pas moi qui mourrai la première,
Moi qu’il abandonna, moi qu’il a pu trahir,
Moi, qui fus malheureuse au point de le haïr,
Qui l’essayai du moins. C’est moi qui vis encore !
Et j’apprends qu’il se meurt, j’apprends que je l’adore,
Le voile se déchire en ces momens affreux :

Comment ne plus l’aimer quand il n’est plus heureux !

Viens, ma sœur… de ses torts tu m’as crue incapable,
Et moi, je ne sais plus qui des deux fut coupable :
C’est moi, mon Dieu ! c’est moi si vous devez punir ;
Oubliez le passé, je prends son avenir :
Dans la tombe qui s’ouvre, ah ! laissez-moi l’attendre !
Qu’il m’y retrouve un jour calmée et toujours tendre ;
Que ma main le rassure en le guidant vers vous ;
Que je lui dise : « Viens ! plus d’absence entre nous,
« Viens ! j’expiai pour toi ton infidèle flamme. »
Il me reconnaîtra. Saisi d’un doux remords
Il ne verra plus que mon âme,
Il me trouvera belle alors.
Dieu ! couvrez-le des fleurs qu’en silence il cultive ;
Le monde est beau pour lui, l’amour l’attend… qu’il vive !
Donnez-lui tous les biens qui me furent promis ;
Rendez sa jeune gloire à ses jeunes amis ;

Qu’ils marchent tous ensemble, et qu’il les guide encore,
Vers ces lauriers lointains que le bel âge adore.
Cette foule riante à l’aspect d’un cercueil,
Allez-vous la changer en cortège de deuil ?
N’achèveront-ils pas leur veille harmonieuse ?
En exilerez-vous sa voix mélodieuse ?
Le départ d’un ami rompt souvent tous les jeux ;
C’est un anneau brisé qui déjoint d’autres nœuds :
Ah ! laissez-les chanter ! et que sa rêverie
Porte un jour quelques fleurs à ma cendre flétrie ;
Que des parfums si doux consolent mes cyprès,
Qu’il vive de ma vie et je meurs sans regrets !
Ma vie hélas, c’est peu, mais il souffre et j’implore.
Jetez, jetez sur moi ce mal qui le dévore,
Qu’il vive enfin… (Cruel, juge si je t’aimais !)
Qu’il vive pour un autre et m’oublie à jamais.

Dis, crois-tu que le ciel m’exauce et lui pardonne,

Ma sœur, ou que le ciel comme lui m’abandonne ?
Qu’il rejette ma vie en le privant du jour,
Et punisse la haine où se cachait l’amour ?…
Tu fais bien d’écouter sans répondre à mes plaintes ;
J’aime mieux ton silence et tes pieuses craintes ;
Ta tristesse m’aide à souffrir ;
Peux-tu me consoler ma sœur, il va mourir !

Priez pour lui, moi je succombe :
La porte s’ouvre, — elle retombe,
Ah !… que ce bruit sourd m’a fait peur !
On dirait que la mort passe auprès de mon cœur.

Voyez-vous ses amis ? ciel ! quel silence horrible !
Allons au-devant d’eux, parlez, demandez-leur…
Non, la force me manque et je crains le malheur,
Hélas ! si tu savais, que son poids est terrible !
Que nous répondraient-ils !… mais ils sont déja loin :

De m’arracher le cœur nul ne prendra le soin ;
J’ignorerai son sort, on m’y croit étrangère ;
Et près de sa demeure, et si triste, et si chère,
Personne, excepté vous, n’aurait guidé mes pas ;
Quand j’expire à sa porte, on ne m’y connaît pas.

Pourquoi souffriraient-ils de ma lente agonie.
Dans la foule perdus, oh ! ma chère Eugénie,
Nous croyons l’univers instruit de nos douleurs,
Et même aux cœurs heureux nous demandons des pleurs.

Laissez-moi seule, allez, retournez la première.
Voyez, le ciel se couvre, et le jour va finir ;
Voyez sous ces rideaux trembler une lumière ;
C’est là peut-être… et moi, que vais-je devenir !
On ferme lentement ; il semble que l’on pleure :
Oh ! que je voudrais voir !
Écoutez cette cloche… Ah ! sans doute, c’est l’heure,

Enfin, c’est la prière, et c’est encor l’espoir !
Priez pour lui, priez ! laissez… quittez l’envie
De rappeler le temps où j’ai cru le haïr :
Ma sœur, obtiens des cieux qu’ils lui rendent la vie,
Après, tu me diras qu’il faut encor le fuir.


POINT D’ADIEU.

Vous, dont l’austérité condamne la tendresse,
Vous, dont le froid printemps s’est perdu sans ivresse,
Qui n’offrez à l’amour que des yeux en courroux,
Pardonnez-moi mes vers, s’ils passent devant vous.

Toi, dont l’âme à-la-fois aimante et malheureuse,
D’une âme qui t’entende appelle l’entretien,
Si je puis rencontrer ta paupière rêveuse,
Devine mon secret, devine… c’est le tien.

Presse alors sur ton cœur ces écrits pleins de larmes.
Dis-toi : qu’elle a souffert, que je la plains, quel sort !

Mais d’un bien que j’attends si je goûte les charmes,
Dis-toi : qu’elle est heureuse ! elle est calme, elle dort.

Si je m’éveille, écoute ! une voix consolante
Suivra, sans les troubler, tes pas silencieux,
Et portera ces mots à ta douleur brûlante :
« Viens ! ne crains pas la mort, on aime dans les cieux. »

Viens ! la mort n’est qu’un pas dans l’ombre,
Viens ! l’exil est doux à franchir :
C’est le jour après la nuit sombre,
C’est son Dieu qu’on vient de fléchir.

Oui, le malheur finit. Et moi, je vais t’attendre ;
Mon âme va chercher ce qu’elle osa prévoir :
Point d’adieu, non ! ce mot est l’effroi d’un cœur tendre,
C’est à toi qui m’entends, que je crie : au revoir !


ALBERTINE.

Que j’aimais à te voir, à t’attendre, Albertine !
À te deviner seule en écoutant tes pas ;
Oh ! que j’aimais mon nom dans ta voix argentine ;
Quand je vivrais toujours, je ne t’oublîrais pas.
Comme après un temps triste, une étoile imprévue
Jette sa lueur dans les cieux,
Mon chagrin (j’en mourais) semblait fuir à ta vue,
Et mes yeux consolés ne quittaient plus tes yeux.
Tu chantais comme au temps où petite et joyeuse,
Et sensible et rieuse,
Tu caressais ta mère et m’entraînais aux champs,
Pour chercher des oiseaux, pour imiter leurs chants.

Oui, tu me rappelais ton enfance ingénue ;
Cette grace étrangère et du monde inconnue ;
Cette candeur, soumise à qui peut la trahir !
Qui s’étonne, qui tremble, et pleure sans haïr.
D’où venais-tu, ma chère ? On t’aurait crue heureuse ;
Le sourire toujours surmonta tes douleurs :
Quand ton sein se brisa dans une lutte affreuse,
On ignorait encor qu’il était plein de pleurs.
Albertine, Albertine ! oh ! ma douce compagne !
Tes pas avant les miens se sont donc arrêtés !
Tes cris qui m’appelaient, par l’écho répétés,
Ne m’attireront plus à travers la campagne ;
Oh ! que c’est mourir jeune ! un jour ta faible voix
(Elle devenait faible, et j’en étais troublée),
Ta voix me dit : « Bientôt pour la première fois,
« Je ne guiderai plus ta course désolée :
« Tu viendras seule alors à notre rendez-vous,
« Sous le saule qui pleure au tombeau de mon frère,

« Et de même, et bientôt tu pleureras sur nous ;
« Pour moi, près de Julien, il reste assez de terre.
« J’y songe tous les jours, on est bien dans la mort.
« Va, le sommeil est doux quand il est sans remord. »
Et ta main du repos marquant l’étroit espace,
Y jeta quelques fleurs pour y garder ta place.

Seule au monde aujourd’hui, j’achève mon chemin.
Quand mon cœur est gonflé d’amertume et d’alarmes,
Tendre, tu ne viens plus le presser sous ta main,
Tu n’y viens plus verser de l’espoir ou des larmes :
Personne, quand je suis assise tristement,
Ne vient tout près, tout bas m’appeler son amie ;
Ta seule ombre, épiant ma douleur endormie,
Vient me consoler un moment.

Si je trouve, en suivant quelque route isolée,
Un jeune arbre tombé sous ses premières fleurs,

Je regarde en pitié sa tête échevelée :
Ce qui souffre, c’est toi qui m’arraches des pleurs.

Ainsi, toujours aimante et déçue, ou trahie,
Mes plus doux sentimens se fanent tour à tour ;
Et l’amitié coûte à ma vie
Autant de larmes que l’amour.
Mais je veux te pleurer, toi ! mais je veux entendre
Ta voix, la seule voix qui me fut toujours tendre ;
La seule qui n’a pu me reprocher mon sort ;
Qui ne trouva jamais d’accens que pour me plaindre ;
Qui voulait m’adoucir et ma vie et ta mort,
Et me parlait du ciel sans m’apprendre à le craindre ;
Qui m’a dit, presque éteinte au dernier entretien :
« Adieu ! je vais dormir du sommeil de Julien. »

Oui, tu dors ! et l’enfant dont tu fus tant aimée,
Et le pauvre interdit à ta porte fermée,

Tout s’arrêta pensif, tout pleura sur le seuil,
Tout s’éloigna muet et partagea mon deuil.
Et l’on m’a demandé si de mon Albertine
Le rapide destin fut un moment heureux ;
Hélas ! au souvenir de ta voix argentine,
J’ai puisé ce chant douloureux :

Humble fille de la nature,
Elle aimait la fleur sans culture,
Qui naît et meurt au fond des bois :
Son âme brûlante et craintive,
Aimait l’eau mobile et plaintive,
Qui répond aux plaintives voix.

Comme l’impatiente abeille,
Quitte une rose moins vermeille,
Emportant dans les airs son parfum précieux,

Cette jeune Albertine en silence éveillée,
Quittant avant le soir sa couronne effeuillée,
Vient de s’en retourner aux cieux.


SOUVENIR.

Toujours je pleure au nom de mon enfant.
Sans sa beauté rien n’est beau dans ma vie.
Du monde, et de ses biens, c’est le seul que j’envie,
Mais je ne l’attends plus, la mort me le défend.

Je le revois dans la fleur éphémère ;
Elle apparaît pour sourire et périr :
Comme elle, mon enfant sur le sein de sa mère,
Après avoir souri, se pencha pour mourir.

Je le revois partout où de mon âme
S’attache encor la mourante langueur :

Quand le jour sur mes yeux ne répand plus sa flamme,
Je le revois toujours : n’est-il pas dans mon cœur !

Mon doux enfant ! ma plus vive tendresse !
Quel autre amour me tiendrait lieu de toi ?
De te garder, mon fils, je ne fus pas maîtresse ;
Mais ta fidèle image, oh ! comme elle est à moi !


LE RÊVE DE MON ENFANT.

À MADAME PAULINE DUCHAMBGE.

« Mère ! petite mère ! » Il m’appelait ainsi ;
Et moi, je tressaillais à cet accent si tendre :
Tout mon être agité s’éveillait pour l’entendre ;
Je ne l’entendrai plus. Il ne dort plus ici.

Où retentit sa voix qui calmait ma souffrance,
Comme la voix de l’espérance ;
Formée (on l’aurait dit) de rosée et de miel :
Le ciel en fut jaloux, elle doit être au ciel.
Non, elle est dans mon cœur : je l’y garde enfermée ;
Elle soupire encore, elle parle avec moi.

Durant mes longues nuits, cette voix tant aimée
Me dit : Ne pleure plus ! je prie encor pour toi.

Oh ! moitié de ma vie, à ma vie arrachée !
Viens ! redis-moi ton rêve ; il m’a prédit ton sort.
Que ta plainte, une fois de mon cœur épanchée,
Rappelle un jeune cygne et son doux chant de mort.

Écoute ! m’as-tu dit, écoute mon beau songe.
Le premier… le dernier qui berça ton sommeil.
De ce récit confus, prophétique mensonge,
Cher innocent ! tu vins saluer mon réveil.

« Écoute ! je dormais ; j’avais dit ma prière.
« J’ai vu venir vers moi deux anges : qu’ils sont beaux !
« Je voudrais être un ange. Ils portent des flambeaux,
« Que le vent n’éteint pas. L’un d’eux a dit : Mon frère,
« Nous venons te chercher ; veux-tu nous suivre ? Oh ! oui :
« Je veux vous suivre. On chante ; est-ce fête aujourd’hui ?

— C’est fête. Viens chercher des parures nouvelles.
« Et mes bras s’étendaient pour imiter leurs ailes ;
« Je m’envolais comme eux, je riais… j’avais peur :
« Dieu parlait ! Dieu pour moi montrait une couronne ;
« C’est aux enfans chéris que sa bonté la donne,
« Et Dieu me l’a promise, et Dieu n’est pas trompeur.
« J’irai bientôt le voir. — Oh ! mon enfant, ma vie,

« Où donc étais-je alors ? — Attends… Je ne sais pas…
« Tu pleurais sur la terre, où je t’avais suivie.
— Tu me laissais pleurer ? — Je t’appelais tout bas.
— Tu voulais me revoir ? — Je ne pouvais, ma mère,
« Dieu ne t’appelait pas. » Un froid saisissement
Passa jusqu’à mon cœur, et cet être charmant,
Calme, rêvait encor sa céleste chimère.

Dès lors un mal secret répandit sa pâleur
Sur ce front incliné, qui brûlait sous mes larmes.
Je voyais se détruire avant moi tant de charmes,

Comme un frêle bouton s’effeuille avant la fleur :
Je le voyais ! et moi, rebelle… suppliante,
Je disputais un ange à l’immortel séjour.
Après soixante jours de deuil et d’épouvante,
Je criais vers le ciel : Encore, encore un jour !
Vainement. J’épuisai mon ame tout entière,
À ce berceau plaintif j’enchaînai mes douleurs,
Repoussant le sommeil et m’abreuvant de pleurs,
Je criais à la mort : Frappe-moi la première !
Vainement. Et la mort, froide dans son courroux,
Irritée à l’espoir qu’elle accourait éteindre,
En moissonnant l’enfant, ne daigna pas atteindre
La mère expirante à genoux.

Et quand je reparus morne et découronnée,
Après avoir long-temps craint, jusqu’à l’amitié,
Cette troupe légère, un moment consternée,
Suspendit ses plaisirs, et sentit la pitié.

« D’où viens-tu, m’a-t-on dit, et quels nuages sombres
« Ont environné d’ombres
« Tes yeux brûlés de pleurs ?
« Ton soir est loin encore,
« Et ta paisible aurore
« T’avait promis des fleurs. »

Oui, la rose a brillé sur mon riant voyage ;
Tous les yeux l’admiraient dans son jeune feuillage ;
L’étoile du matin l’aidait à s’entr’ouvrir,
Et l’étoile du soir la regardait mourir.
Vers la terre déja sa tête était penchée ;
L’insecte inaperçu s’y creusait un tombeau ;
Sa feuille murmurait en tombant desséchée :
« Déja la nuit ! déja… Le jour était si beau ! »


LA GUIRLANDE
DE ROSE-MARIE.

Te souvient-il, ma sœur, du rempart solitaire
Qui présentait l’Éden à nos premiers désirs ?
Te souvient-il aussi qu’en passant sur la terre,
Une jeune beauté riait à nos plaisirs ?
Son dixième printemps la couronnait de roses.
Marie était son nom ; Rose y fut ajouté.
Pourquoi ces tendres fleurs, dans leur avril écloses,
Tombent-elles souvent sans atteindre l’été ?

Tu sais, ma sœur, tu sais qu’elle était belle.
Tous les enfans cherchaient à l’embrasser.

Quand son regard venait nous caresser,
Pour la voir plus long-temps nous courions après elle ;
Avec des cris d’amour nous arrêtions ses pas,
Sa fuite dans nos bras n’avait plus de passage ;
Elle disait : « Cessez ! J’aimerai la plus sage. »
Et nous rompions sa chaîne, et nous parlions plus bas.

Bientôt elle eut douze ans : j’étais plus jeune encore,
Quand le malheur entra dans notre humble maison.
J’allai lui dire adieu : sa voix, frêle et sonore,
Du haut du vieux rempart cria deux fois mon nom.
Elle avait dit : Déja ! Sa surprise timide
À ce Déja plaintif n’ajouta qu’un baiser.
Hélas ! elle pleurait ; sa joue était humide,
Et je pleurai long-temps sans vouloir m’apaiser.

C’est que l’exil est triste ; il fait rêver l’enfance.
Le jeune voyageur n’a d’ami que le ciel ;

Il erre sans asyle, il pleure sans défense,
Comme un oiseau perdu loin du nid paternel :
Son ramage se change en plaintes douloureuses ;
Des oiseaux inconnus les cris le font frémir,
Et même en retournant sur des routes heureuses,
S’il veut chanter, long-temps il semble encor gémir.
À ses regrets en vain la patrie est rendue ;
L’orage a dispersé la couvée éperdue :
Ses frères sont partis ; le nid même est tombé :
En s’envolant, peut-être un d’eux a succombé.

Mais je reviens, je vole et je cherche Marie ;
Je cours à son jardin, j’en reconnais les fleurs ;
Rien n’y paraît changé. Cette belle chérie
Comme autrefois, sans doute, y sème leurs couleurs.
Je l’appelle ; j’attends… Sa chambre est entr’ouverte,
Voilà sur son chapeau sa guirlande encor verte,
Joyeuse, je palpite et j’écoute un moment :

Sa mère sur le seuil arrive lentement :
Oh ! comme elle a vieilli ! Que deux ans l’ont courbée !
La vieillesse, vois-tu, traîne tant de regrets !
Elle relève enfin sa paupière absorbée,
Me regarde, et ne peut se rappeler mes traits.
Où donc, lui dis-je, est Rose ? où donc est votre fille ?
A-t-elle aussi quitté sa maison, sa famille ?…
Elle s’est tue encore, et, se cachant les yeux,
D’une main défaillante elle a montré les cieux.
À ses gémissemens ma voix n’a pu répondre.
Le jardin me parut en deuil.
Je sentis mon ame se fondre,
Et mes genoux trembler en repassant le seuil.

J’allais… je demandais… Ta sœur, presque étrangère,
Cherchait seule un objet qu’on avait vu si beau.
Hélas ! les pieds légers évitent la fougère,
Qui croît à l’entour d’un tombeau.

La mort et le malheur épouvantent la vue :
On passe en courant devant eux.
Que devient l’infortune à la fuite imprévue
D’un ami distrait, ou honteux ?
Parmi tous les témoins de ma première aurore,
Le vieux rempart, les champs semblaient m’aimer encore,
Le soleil d’autrefois brillait sur mon chemin :
Mais personne, ma sœur, ne me pressa la main.
Les jeux avaient cessé pour moi, pauvre et craintive ;
Et celle qui pleura de nos premiers adieux,
Qui m’eût tendu les bras dans sa pitié naïve,
Ne vint pas essuyer mes yeux !

J’ai trouvé dans un champ sa nouvelle demeure ;
Je l’ai nommée encore en tombant à genoux.
Oh ! ma sœur ! à douze ans se peut-il que l’on meure !
Quoi ! moins que sa guirlande elle a vécu pour nous !
Nulles fleurs ne couvraient cette vierge endormie :

·

Elle aimait les fleurs autrefois.
Tout est triste au tombeau de notre jeune amie ;
Un chapelet d’ivoire en orne seul la croix.

Comme on nous vit l’attendre au seuil de sa chaumière,
Pour l’entourer de notre amour,
On verra, par mes soins, quelques feuilles de lierre,
De son dernier asyle embrasser le contour.


À MADAME SOPHIE GAY.

Lyon.

Vous dont la voix absente enhardit mon courage,
Vous, qui m’avez cherchée en mon obscur séjour,
Dont le désir charmant de me faire un beau jour,
A ralenti d’un jour le rapide voyage ;
Sophie, éprouvez-vous ce tendre étonnement
 Qui naît d’une amitié nouvelle ?
Votre cœur, moins distrait, sent-il en ce moment
 Qu’un cœur de plus vous nomme et vous appelle ?
De mes regrets nouveaux sentez-vous la moitié ?
Ceux qui vous oppressaient remplissent ma mémoire :
Hélas ! en m’apprenant qu’il n’est plus d’amitié,

D’où vient que vous m’y faisiez croire ?
C’est que vos doux regards étaient fixés sur moi ;
C’est que l’amitié même y versait tant de flamme,
Qu’en y voyant briller quelques pleurs et votre ame,
En m’effrayant un peu vous rengagiez ma foi.
Qui se croirait heureuse et se dirait aimée,
Si vous ne l’étiez pas ?
Si quelque ame volage et désaccoutumée
Oubliait de chercher son bonheur sur vos pas ?
Soyez lente à le croire ; apprenez de moi-même
Qu’on ne change plus quand on aime.
Ces bords, où vos ennuis cherchaient un ciel plus doux,
Ce fleuve enorgueilli d’avoir porté Delphine,
L’écho qui dit encor sa voix jeune et divine,
Ici, tout me ressemble et tout parle de vous.

Dans le trouble riant d’une fête imprévue,
Où parut un moment m’oublier la douleur,

Comme un bel arbrisseau, fier de sa tendre fleur,
N’est-ce donc pas vous que j’ai vue ?
Quoi ! les ai-je rêvés, ces rapides discours,
Cette ombre plus rapide, et belle comme un songe,
Cette amitié promise ?… Ah ! si c’est un mensonge,
Laissez-le me bercer toujours !

Mais le plaisir s’arrête ;
Vous partez : de la fête
L’éclat s’est effacé.
Sous de longs flots d’ébène
La nuit couvre la plaine,
Où Delphine et sa mère et ma joie ont passé.

Pardonnez, si mon ame à son chant monotone
Retourne en voyant fuir les muses et les fleurs :
Vous partez, et voici l’automne ;
On dirait qu’elle attend des pleurs.

L’été vient d’épuiser sa dernière corbeille :
Pour vous revoir sourire il s’est éteint plus tard ;
Et septembre au ciel gris, avec votre départ,
A vu fuir la dernière abeille.
La feuille commence à jaunir,
Les bois vont perdre leur parure :
Déja pour les amours qu’un regret sait punir,
Leur froide retraite est moins sûre.
Quelquefois, sur moi-même arrêtant ma pitié,
Je frémis : je regarde où s’en va l’espérance ;
Elle est loin ; et de l’amitié
J’ai plus que vous peut-être éprouvé l’inconstance !

Mais vous m’avez parlé : captive à votre voix,
Tout ce que vous disiez, j’aurais voulu l’écrire ;
Et tout ce que de vous à présent je reçois,
Oh ! que ne puis-je encor vous entendre le dire !


LE VIEUX
CRIEUR DU RHÔNE.

À M. JARS.

On avait couronné la vierge moissonneuse,
Le village à la ville était joint par des fleurs ;
La jeunesse et l’enfance y mêlaient leurs couleurs,
Et le vieillard riait d’une vendange heureuse.
Tout-à-coup le plaisir cessa,
Comme le feu follet qui s’éteint dès qu’il brille ;
Et dans l’ombre un long cri glaça
Jusqu’au chant de la jeune fille.
« Rendez, rendez l’enfant dans la foule égaré :

« Pour l’appeler encor sa mère a tant pleuré ! »

« Elle n’a plus de voix pour sa douleur amère :
« Sa clameur s’est changée en un silence affreux.
« L’enfant ne dira pas qu’il est bien malheureux ;
« Il ne prononce encor que le nom de sa mère.
« Quoi ! pas une voix ne répond !
« Ne l’avez-vous pas vu jouer sur le rivage ?
« Hélas ! le Rhône est si profond !
« Et l’on est si faible à cet âge !
« Rendez, rendez l’enfant dans la foule égaré :
« Pour l’appeler encor sa mère a tant pleuré ! »

« Ses cheveux du blé mûr ont la couleur dorée,
« Ses yeux sont noirs et doux, ses dents croissent encor
« Ses pas abandonnés n’ont qu’un craintif essor,
« Et de bluets tantôt sa robe était parée.
« Vous pourrez le rencontrer nu,

Car souvent la misère a dépouillé l’enfance :
Vous l’aurez bientôt reconnu,
L’ange qui pleure sans défense.
« Rendez, rendez l’enfant dans la foule égaré :
« Pour l’appeler encor sa mère a tant pleuré ! »

Le vieux crieur se tut : de la morne assemblée
Il attendit long-temps un mot, un seul… en vain.
Les mères enchaînaient leurs enfans sur leur sein,
Et de vagues frayeurs cette nuit fut troublée.
On dit qu’un mendiant passa,
Couvert d’affreux lambeaux, à la marche furtive ;
Et qu’un jeune cri s’élança
Dans l’air avec la voix plaintive :
« Rendez, rendez l’enfant dans la foule égaré :
« Pour l’appeler encor sa mère a tant pleuré ! »


LA SUITE
DU VIEUX CRIEUR DU RHONE.

À M. JARS.

Le vieux crieur allait contant l’histoire
Du faible enfant vers le Rhône égaré :
Un vieux soldat, tout cuirassé de gloire,
En l’écoutant sous son casque a pleuré.

« Ce n’était plus quand l’été se couronne
De rayons d’or, de pampres et de fleurs :
C’était au temps où l’hiver s’environne
De longues nuits et de mornes couleurs.
Ce n’était plus quand ma voix lamentable

Cria partout l’enfant, sans l’obtenir :
Mais aux mères toujours ce triste souvenir
Apparaissait lugubre et redoutable.

« Celle que l’on crut morte en ses cris superflus,
Qu’on emporta le soir, de larmes épuisée…
Elle vit ; mais, semblable à sa plainte brisée,
Sa mémoire au malheur ne se réveille plus.
La moisson, le rivage et le Rhône rapide
Dans ses esprits confus ne viennent plus s’offrir :
Ainsi se trouble une eau limpide,
Dont la source va se tarir.
Ses yeux sans s’étonner ont revu sa demeure,
Où la foule a suivi ses pas ;
On l’entoure, on frémit, on pleure :
Elle seule ne pleure pas.
Dieu la bénit d’un long délire :
Son fils est là, dit-elle… il dort.

Elle a rapporté son sourire
À son fils… que l’on cherche encor !

« Balançant un berceau dans ces nuits rigoureuses,
Seule elle dit encor : Les mères sont heureuses ;
Seule elle ne sait plus son malheur si récent :
Calme, elle n’offre à Dieu qu’un cœur reconnaissant.
À travers le rideau que sa main vient d’étendre,
Elle entend respirer l’enfant dans son sommeil :
Qui voudrait l’arracher à cette erreur si tendre ?
Elle écoute son souffle ; elle attend son réveil.
Ah ! ne soulevez pas ce rideau qui l’enchante,
Pareil au voile épais tombé sur sa raison :
L’enfant, s’il vit encor, est loin de sa maison ;
Et près d’un berceau vide elle prie… elle chante.

« Dans sa vague tristesse on la voit tout le jour,
Et sans nous reconnaître à peine,

Contre son sein bercer une ombre vaine,
Et lui parler avec amour.
Durant la nuit, tranquille et demi-nue
Auprès des feux négligés et mourans,
Elle charme sa veille au berceau retenue,
En regardant courir les nuages errans.

« Un soir, la lune absente abandonne la terre
Au sombre autan qui règne avec fureur :
Des élémens la lutte austère
Glace les sens d’une muette horreur.
On ne voit plus que de faibles lumières ;
Les chiens hurlans menacent les chaumières ;
L’eau dans sa chute entraîne l’arbrisseau :
De cette mère, immobile et charmée,
La faible main s’endort sur le berceau,
Que semble suivre encor sa paupière fermée.

« Paix ! elle dort pour la première fois

Depuis le jour éteint dans sa raison perdue,
Qui la laissa sur la terre étendue,
Sans souvenir, sans larmes et sans voix.
Mais l’ouragan dont gémit la nature
Semble jaloux de cette longue erreur :
Dans son sommeil il souffle la terreur ;
Et de son sein réveillant la torture,
Y jette un cri dès long-temps expiré :
« Rendez, rendez l’enfant dans la foule égaré ! »
Comme l’écho frappé d’une clameur terrible,
Sa raison qui renaît répond au cri d’effroi :
« Rendez, rendez l’enfant ! rendez… » Réveil horrible !
Ce berceau découvert, il est vide, il est froid.

« Pâle, muette, en ses larmes glacée,
Elle repousse et combat sa pensée ;
Puis elle dit, en se cachant les yeux :
« Je reconnais la terre, et j’ai perdu les cieux !

« Dieu des mères ! mon Dieu ! vous savez s’il respire.
« Rendez-le ; guidez-moi… je ne sais où ; j’expire.
« Il n’est plus là… Je n’y puis plus rester.
« Eh bien ! puisque la mort ne veut pas m’arrêter,
« J’irai, par les chemins, traîner, finir ma vie. »

« Et le jour, sur la neige on reconnaît ses pas ;
Elle était douce et faible, on ne l’observait pas,
Et personne ne l’a suivie.
Dans les sentiers déserts Dieu seul l’entend gémir ;
Mais l’aquilon a cessé de frémir.

« Elle marche, elle dit : « Je veux voir la chapelle
« Qu’au temps de la moisson j’embellis une fois,
« Où mon fils… jour trompeur qu’à présent tout rappelle,
« Sur ma voix, qui chantait, voulait former sa voix.
« J’y porte son berceau ; c’est mon dernier hommage,
« Douloureux pour sa mère, inutile pour lui ;

« Ce n’est plus qu’un tombeau que j’y vois aujourd’hui,
« Et dans mon âme en deuil j’offrirai son image.
« Des fleurs… je n’en ai plus… Ah ! j’ai trop peu de temps ;
« On meurt jeune sans l’espérance ;
« Mais tant que je vivrai, fût-ce jusqu’au printemps,
« J’y viendrai cacher ma souffrance ! »

« Alors un saint pasteur, triste de souvenir,
Prend le berceau léger qu’il promet de bénir.

« Une autre femme approche en sa misère errante ;
Sa voix n’a qu’un accent qui murmure : « Donnez ! »
Elle indique un enfant aux regards consternés :
Et cet objet voilé la rend plus déchirante.
« Femme, dit l’autre mère, il faut vous secourir :
« Vous cachez un enfant : sa misère est affreuse !
« Ne souffrez pas pour lui, femme ! Soyez heureuse.
« Moi, je n’ai plus d’enfant… moi, je n’ai qu’à mourir. »

« Un cri perçant rompt cette plainte amère,
Et le lambeau s’agite, et le cri dit : Ma mère !
Et la mère éperdue a saisi son enfant,
Et l’affreuse étrangère à peine le défend ;
Elle fuit, elle roule au bas de la montagne,
Et, comme un noir corbeau, se perd dans la campagne.
La véritable mère écarte les lambeaux ;
Ses yeux long-temps éteints, pareils à deux flambeaux,
S’allument. « C’est mon fils… qu’il est pâle ! » Elle tombe,
Sous l’excès du bonheur la nature succombe ;
« Car on dirait que, créés pour souffrir,
Nous ne pouvons qu’à peine être heureux sans mourir.
Mais l’enfant la caresse ; il la rappelle, il pleure ;
Il arrête son âme aux lèvres qu’il effleure,
Et son corps délicat, par sa mère entouré,
Palpite et tremble encor d’en être séparé.
« Ne tremble plus ; c’est moi. Vois-tu ; je suis ta mère,
« Oh ! mon fils ! C’est mon fils, regardez-le, mon père ;

« C’est mon fils ! Ce n’est plus son fantôme trompeur ;
« C’est mon enfant qui m’aime, et qui vit sur mon cœur. »

« Le pasteur pour le voir se courbe devant elle ;
Il sent couler ses pleurs à son récit fidèle :
Elle dit tout en paroles de feu.
De baisers, de sanglots son récit se compose :
En vain pour sa vengeance elle bégaie un vœu ;
Sortira-t-il du cœur où son fils se repose ?
Sans doute il a souffert, l’enfant infortuné !
Sans doute… il vit encor ; sa mère a pardonné. »



IDYLLES.

IDYLLES.



LA FONTAINE

Et moi je n’aime plus la fontaine d’eau vive,
Dont la fraîcheur m’attirait vers le soir :

Et comme l’autre été, dormeuse sur sa rive,
Je ne vais plus m’asseoir.

Dans les saules émus passe-t-elle affaiblie,
Je fuis vers le sentier qui ramène au hameau,
Sans oser regarder si du plus jeune ormeau
Elle baigne l’écorce, et le nom que j’oublie !
Que son cristal mouvant épure les zéphyrs,
Que la fleur soit contente en s’y voyant éclore,

Qu’un front riant s’admire en son eau qu’il colore,
L’eau ne roulera plus au bruit de mes soupirs.

Je l’aimais l’autre été, j’aimais tout. Simple et tendre,
Je croyais tout sincère à l’égal de mon cœur :
Eh bien ! comme une voix que j’y venais entendre,
À présent tout me semble infidèle et moqueur.

Cette murmurante fontaine,
Appelant un secret qu’elle ne comprend pas,
Semblait me demander ma peine,
Et son charme égarait mes pas !

Elle est douce à l’oreille : oh ! c’est qu’elle est flatteuse.
Une image nouvelle y glisse tous les jours :
Elle parle… elle est libre… hélas ! elle est heureuse ;
Mais libre, elle est ingrate et s’échappe toujours.

Et moi je n’aime plus la fontaine d’eau vive,
Dont la molle fraîcheur m’attirait vers le soir :
Et comme l’autre été, rêveuse, sur sa rive,
Je ne vais plus m’asseoir.


UNE JEUNE FILLE
ET SA MÈRE.

LA JEUNE FILLE.
Ce jour si beau, ma mère, était-ce un jour de fête ?
SA MÈRE.
Quel jour ? dors-tu ? d’où vient que tu n’achèves pas ?
LA JEUNE FILLE.
C’est qu’en le rappelant, ma voix tremble et s’arrête ;

Je cesse d’en parler pour y penser tout bas…
Ce jour donnait des fleurs que je n’avais point vues.
Mille parfums nouveaux sortaient des champs plus verts,
Et pour ces douceurs imprévues,
Les oiseaux plus nombreux inventaient des concerts :

Le soleil répandait comme une autre lumière,
Il embrasait le ciel, il brûlait ma paupière,
Il éclairait ma vie avec d’autres couleurs…

SA MÈRE.
D’où vient qu’un si beau jour te fait verser des pleurs ?

D’où vient que de tes mains s’échappe ton ouvrage ?

LA JEUNE FILLE.
Ma mère, je languis, je n’ai plus de courage.

Si vous saviez mon mal vous pourriez le guérir :
Forcez-moi de parler, car j’ai peur de mourir.

SA MÈRE.
Parle donc ! n’est-ce pas le jour de ta naissance ?

Car c’est la fête aussi du maternel séjour.

LA JEUNE FILLE.
Non. Je plaignais alors ceux qu’afflige l’absence ;

Et Daphnis, au hameau, n’était pas de retour.

SA MÈRE.
Daphnis ! que fait Daphnis à la nature entière ?

De son père, à la ville il conduit les troupeaux :
Il a déja sans doute oublié sa chaumière.

LA JEUNE FILLE.
Non ! ma mère. C’est lui qui fait les jours si beaux !
SA MÈRE.
Je l’ai cru pour six mois absent de la contrée.
LA JEUNE FILLE.
Je le craignais aussi ; mais il m’a rencontrée.

Il arrivait tout seul, j’étais seule à mon tour :
Ma mère, quel bonheur ! Daphnis m’a dit, Bonjour.

SA MÈRE.
Et toi ?
LA JEUNE FILLE.
Et toi ? J’ai dit bonjour, car vous aimez son père.

Il a bien des vertus, n’est-il pas vrai, ma mère ?

SA MÈRE.
Et son fils ?
LA JEUNE FILLE.
Et son fils ? On dirait que c’est son père enfant.

Ce bon vieillard se plaint de n’avoir point de fille.
C’est une fleur, dit-il, qui pare une famille :
Alors, il me regarde et m’embrasse souvent.

SA MÈRE.
Et son fils ?
LA JEUNE FILLE.
Et son fils ? Il soutient que l’absence est cruelle :

Je le savais ! il sait qu’on peut mourir par elle ;
Qu’à chaque instant du jour il faut en soupirer,
Et qu’en chantant surtout on est près de pleurer,
Dans mes ennuis, dit-il, j’ai fait une couronne :
Elle est fanée, hélas ! pourtant je te la donne.
Je l’ai sentie alors descendre sur mes yeux,
Et je n’y voyais plus ; mais sa voix est si tendre !
Et depuis si long-temps je n’avais pu l’entendre !
Et quand on n’y voit plus, ma mère, on entend mieux.

SA MÈRE.
Qu’a-t-il donc ajouté ?
LA JEUNE FILLE.
Qu’a-t-il donc ajouté ? Que son cœur lui conseille

De quitter un vain bruit pour le calme des champs,
Pour nos danses du soir, nos fêtes, nos doux chants,
Pour retrouver ma voix qui manque à son oreille.
Que son père le plaint et le fait revenir :
« Mais, a-t-il dit plus bas, que vais-je devenir ?
« Mon père te connaît, il sait donc que je t’aime ;
« Et moi, je ne sais pas si tu penses de même ? »
Je n’ai pu le lui dire avant de vous parler,
Ma mère, et j’ai senti qu’il fallait m’en aller.

SA MÈRE.
Tu l’as quitté ?
LA JEUNE FILLE.
Tu l’as quitté ?J’étais tremblante,

Je ne pouvais courir. Une joie accablante
Me retenait toujours, toujours je m’arrêtais.

SA MÈRE.
Et que répondais-tu ?
LA JEUNE FILLE.

Et que répondais-tu ?Ma mère, j’écoutais.
Depuis, pour vous parler je reste à la chaumière ;
Daphnis en vain m’attend, je pleure en vain tout bas :
Je ne puis parler la première,
Et vous ne me devinez pas !
Je tremble auprès de lui ; je tremble ici de même :
Nos tourmens ne sont pas finis !
Jamais je n’oserai vous dire que je l’aime…

SA MÈRE.
Eh bien ! je te permets de l’apprendre à Daphnis.


LA VISITE AU HAMEAU.

Eh quoi ! c’est donc ainsi que tu devais m’attendre ?
Dors-tu ? fais-tu semblant de ne pas nous entendre ?
J’accours : mais au signal déja trop attendu,
Ta vigilante mère a seule répondu :
Au songe qui te flatte avec peine arrachée,
De ses vagues erreurs lentement détachée,
Ta paupière savoure un reste de pavots,
Croit prolonger la nuit et s’obstine au repos :
J’attends. Le poids léger de ta seizième année,
Peut-il, quand l’aube arrive, appesantir tes sens ?
Viens ! viens voir avec moi s’éveiller la journée :
Hélas ! qu’on dort bien à seize ans !

Mais ton œil qui s’entr’ouvre a subi la lumière ;
Tes pas qui languissaient se mesurent aux miens.
De la cité qui fuit nous passons la barrière,
Et le songe a brisé ses fragiles liens.

Vois-tu sur la montagne étinceler l’aurore ?
Vois-tu tous ces hameaux dans les plaines épars ?
Le Rhône est à leur pied. Ses liquides remparts
Dans leurs flots agités nous les offrent encore :
Ainsi l’un d’eux, la nuit, se peint dans mon sommeil ;
Comme un jardin en fleurs tu vas le voir paraître :
C’est lui ! mon cœur ému vient de le reconnaître,
Tiens ! le voilà brillant des rayons du soleil.
L’orme et le vieux tilleul versent leur ombre unie,
Sur l’enceinte, où le soir, autour d’un frais ruisseau,
Des anges dans leur vol balancent le berceau
D’une enfant, dont le ciel dans mes pleurs m’a bénie :
C’est mon dernier amour ! viens, car elle rira,

Lorsque sous mes baisers elle s’éveillera.

Du fond de sa chaumière un vieillard me salue ;
C’est l’augure des champs, il protège ces lieux :
Il m’annonce ma joie, et de loin je l’ai lue,
Sur son front satisfait qu’interrogent mes yeux.
Les mères en passant rassurent mon voyage ;
Tout relève mon cœur de crainte combattu :
La beauté de ma fille est l’orgueil du village,
On me nomme comme elle, on en parle, entends-tu ?

Prenons ce vert sentier, car la route est brûlante.
Laisse ces fleurs, là-bas nous allons en cueillir :
À me suivre jamais je ne te vis si lente ;
Avance, avance ! attends… Je me sens défaillir :
Et je tombe, et tu ris ! la chaleur me colore,
Et dans l’eau transparente où je viens de me voir,
Tes regards éblouis cherchent un frais miroir :

Le soleil te fait peur, tu n’es pas mère encore :
Jeune épouse, à ton tour tu presseras mes pas,
Quand pour revoir un fils oubliant ta parure,
Tu seras nonchalante à nouer ta ceinture,
Je dirai : Prends donc garde ; et songe à tes appas !
Je le jure, avant peu tu seras moins dormeuse :
Toi qui cherches déja ton image en tous lieux,
Tu la verras alors mouvante sous tes yeux,
Dans tes bras, sur ton sein : que tu seras heureuse !
Que ce miroir vivant, doux prix de tes douleurs,
Te rendra sans atours, simple et belle, humble et fière !
Comme la vigne enlace et pare un jeune lierre,
Ton appui, tes baisers, ton sourire, tes fleurs,
Tu lui donneras tout. À la tienne mêlée,
Une autre image encore y confondra tes vœux :
C’est ressaisir deux fois son enfance écoulée,
C’est d’une double flamme éterniser les feux !
Ne dis pas non, tais-toi, levons-nous, le temps vole,

Tu penses l’amuser par ta grace frivole,
Mais écoute des bois les nouveaux habitans,
Et demande à ton cœur ce qu’ils font du printemps !
Toi, déja fiancée, écoute leurs cadences ;
Elles font aux passans de douces confidences.
Quelle immuable joie et quel ordre enchanteur !
Quel est donc leur monarque ou leur législateur ?
Ils proclament l’amour jusqu’au ciel qui le donne,
Mais ce n’est qu’au printemps que sa bonté l’ordonne,
Crois-moi, l’amour tardif est un soleil d’hiver,
Jour incomplet, levé tard, couché vite :
Dans la saison dorée imprudent qui l’évite,
Le plus doux fruit s’attache au buisson le plus vert.

On regarde en pitié la plante solitaire,
Qui s’exile et languit au toit de nos maisons ;
Quand sa sœur à ses pieds croît et peuple la terre,
L’autre se déshérite et n’a pas deux saisons :

Sans liens, sans famille elle sèche ignorée,
Et tombe avec la fleur dont elle était parée :
Mais te voilà rêveuse et tu ne réponds pas :
Oui ! bientôt à mon tour j’arrêterai tes pas.

Mais d’amour ! en passant j’adore tes merveilles !
Quand l’humide flambeau se promène et nous luit,
Quelle main diligente ouvre les fleurs vermeilles,
Et prépare au sein de la nuit
Des parfums à nos sens, et du miel aux abeilles ?
Tout veut naître, tout naît : l’été brûle en courant,
La glace qu’il atteint se fond en murmurant ;
Pour aimer, pour braver la saison des orages,
Le papillon, l’oiseau, les roses, les ombrages,
Tout rit, tout vient d’éclore, et… vois sur le chemin
Un enfant accourir en me tendant la main ;
Moins jeune que ma fille, il me cherche, il m’appelle.

Toi que le même lait a rendu beau comme elle,
Enfant, cours à ta mère : heureuse mère, hélas !
Qui fière, sous mes yeux tient ma fille en ses bras,
Qui la berce, l’endort, et depuis sa naissance,
Me condamne, jalouse, à la reconnaissance !

Laisse-moi dire : Un soir… oh ! que n’y suis-je encor !
Quand mon sein palpita sous mon nouveau trésor,
Quand j’entendis souffler sa faible et douce haleine,
Pour veiller son sommeil je respirais à peine :
Mes forces suffisaient à ce facile emploi ;
J’étais assez pour elle, elle était tout à moi !
Pour moi, de mon bonheur, affaiblie, étonnée,
Le passé, du présent n’osait plus me punir ;
Du moins, sa sombre image un moment détournée,
Me laissait regarder ma fille et l’avenir ;
Mais quand ses premiers cris demandèrent la vie,

Moi… ce ne fut plus moi qui la tins sur mon cœur ;
Et peut-être qu’au ciel reprochant ma langueur,
Pour la première fois je devinai l’envie !

Sans la repousser un moment,
Comme un bien préparé pour elle,
Mon enfant épuisa cette coupe nouvelle,
Et changea ma frayeur en doux étonnement.
Ne l’éprouve jamais cette douceur amère,
Toi, que vient d’attrister ma subite pâleur,
Puisses-tu tressaillir au nom sacré de mère,
D’un bonheur aussi grand que le fut ma douleur !

Viens voir ma fille, viens ! la moitié d’une année
Enchaîne les beaux jours dont elle est couronnée ;
Âge muet encor, mais si pur, si joyeux !
Idole d’une mère, amour de tous les yeux !

C’est ici. Quel silence et quel calme autour d’elle !
On entendrait la mouche et le bruit de son aile.
Entrons, viens nous offrir à son naïf transport :
Qui va-t-elle embrasser ?… Ah ! prends garde, elle dort !


LE SOIR D’ÉTÉ.

Venez, mes chers petits ; venez, mes jeunes âmes ;
Sur mes genoux, venez tous les deux vous asseoir.
Au soleil qui se couche il faut dire bonsoir :
Voyez comme il est beau dans ses mourantes flammes !
Sa couronne déja n’a plus qu’un rayon d’or :
Demain, plus radieux vous le verrez encor ;
Car on ne l’a point vu s’enfuir sous un nuage.
La cigale a chanté ; nous n’aurons point d’orage :
Ce soleil mûrira les fruits que vous aimez ;
Il vous rendra vos jeux, vos bouquets parfumés.
Dès qu’il s’éveillera, je vous dirai moi-même :

Allons voir le soleil. Jugez si je vous aime !
Les charmantes heures viendront
Danser autour de la journée,
Et riantes s’envoleront,
Formant avec des fleurs la trame de l’année.
Et vous appellerez le faible agneau qui dort ;
Pour le baigner ce soir il n’est pas assez fort :
Huit jours font tout son âge ; il se soutient à peine,
Et vous le fatiguez à courir dans la plaine.

Venez, il en est temps, vous baigner au ruisseau.
Tout semble se pencher vers son cristal humide :
Le moucheron brûlant y pose un pied timide ;
Et, fatigué du jour, le flexible arbrisseau
Y trace de son front la fugitive empreinte.
À ses flots attiédis confiez-vous sans crainte ;
Je suis là. Voyez-vous ces poissons innocens ?
Ne les effrayez pas ; ils s’enfuiront d’eux-mêmes :

De vos jeunes désirs on dirait les emblêmes ;
Sans les troubler encor ils glissent sur vos sens.
Saluez, mes amours, cette vieille bergère :
Son sourire, aux enfans donne une nuit légère.

Quoi ! vous voulez courir, pauvres petits mouillés ?
Ce papillon tardif que la fraîcheur attire,
Baise dans vos cheveux les lilas effeuillés,
Et, tout en vous bravant, je crois l’entendre rire.
C’est assez le poursuivre et lui jeter des fleurs,
Enfans ; vos cris de joie éveillent la colombe :
Un roseau qui s’incline, une feuille qui tombe,
Rompt le charme léger qui suspend les douleurs.
Écoutez dans son nid s’agiter l’hirondelle :
Tout lui semble un danger ; car elle a des petits.
Peut-être elle a rêvé qu’ils étaient tous partis :
La voilà qui se calme ; elle les sent près d’elle !

Mais la lune se lève, et pâlit mes crayons.
Ne bravez pas dans l’eau ses humides rayons :
Les pavots vont pleuvoir sur sa lente carrière.
Au ciel, qui donne tout, offrez votre prière ;
Elle est pure et charmante, et vous la dites bien.
La voix est faible encor ; mais c’est Dieu qui l’écoute !
Un faible accent vers lui sait trouver une route ;
Il entend un soupir ; il ne dédaigne rien.
Et maintenant dormez. Leurs mains entrelacées
Semblent lier encor leurs naïves pensées.
Hélas ! ces cœurs aimans qu’elles viennent d’unir,
Ne les séparez pas, mon Dieu, dans l’avenir !

Ils dorment. Qu’ils sont beaux ! Que leur mère est heureuse !
Dieu n’a pas oublié ma plainte douloureuse :
Sa pitié m’écouta… Tout ce que j’ai perdu,
Sa pitié, je le sens, me l’a presque rendu !

Sommeil ! ange invisible aux ailes caressantes,

Verse sur mes enfans tes fleurs assoupissantes,
Que ton baiser de miel enveloppe leurs yeux,
Que ton vague miroir réfléchisse leurs jeux.
Au pied de ce berceau, que mon amour balance,
Fais asseoir avec toi l’immobile silence.
Ma prière est sans voix ; mais elle brûle encor.
Dieu ! bénissez ma nuit ; Dieu ! gardez mon trésor !



ROMANCES.

ROMANCES.



LE SECRET.


Dans la foule, Olivier, ne viens plus me surprendre,
Sois là, mais sans parler tâche de me l’apprendre :
Ta voix a des accens qui me font tressaillir !
Ne montre pas l’amour que je ne puis te rendre,
D’autres yeux que les tiens me regardent rougir.

Se chercher, s’entrevoir, n’est-ce pas tout se dire ?
Ne me demande plus par un triste sourire,
Le bouquet qu’en dansant je garde malgré moi :

Il pèse sur mon cœur quand ton cœur le désire,
Et l’on voit dans mes yeux qu’il fut cueilli pour toi.

Lorsque je m’enfuirai, tiens-toi sur mon passage ;
Notre heure pour demain, les fleurs de mon corsage,
Je te donnerai tout avant la fin du jour :
Mais puisqu’on n’aime pas lorsque l’on est bien sage,
Prends garde à mon secret, car j’ai beaucoup d’amour !


LE BEAU JOUR.

J’eus en ma vie un si beau jour,
Qu’il éclaire encore mon âme.
Sur mes nuits il répand sa flamme ;
Il était tout brillant d’amour,
Ce jour plus beau qu’un autre jour :
Partout, je lui donne un sourire,
Mélé de joie et de langueur ;
C’est encor lui que je respire,
C’est l’air pur qui nourrit mon cœur.

Ah ! que je vis dans ses rayons,
Une image riante et claire !
Qu’elle était faite pour me plaire !
Qu’elle apporta d’illusions,
Au milieu de ses doux rayons !
L’instinct, plus prompt que la pensée,
Me dit, Le voilà ton vainqueur ;
Et la vive image empressée,
Passa de mes yeux à mon cœur.

Quand je l’emporte au fond des bois,
Hélas ! qu’elle m’y trouble encore :
Que je l’aime ! que je l’adore !
Comme elle fait trembler ma voix,
Quand je l’emporte au fond des bois !
J’entends son nom, je vois ses charmes,

Dans l’eau qui roule avec lenteur ;
Et j’y laisse tomber les larmes,
Dont l’amour a baigné mon cœur.


LA JALOUSIE.


Qu’as tu fait d’un aveu doux à ton espérance ?
Mes pleurs, qu’en as-tu fait ? ton bonheur d’un moment.
Les secrets de mon âme ont aigri ta souffrance,
Et pour y croire enfin, tu voulus un serment.

Le serment est livré : tu ne crois pas encore,
Tu doutes des parfums en respirant les fleurs.
Tu voudrais ajouter des rayons à l’aurore,
Au soleil des flambeaux, à l’iris des couleurs.

Incrédule, inquiète, ingrate jalousie !
Amour, aveugle amour qui méconnaît l’amour !
Qui regarde un ciel pur, et demande le jour :
Oh ! que je… que je t’aime, aimable frénésie !


LE RENDEZ-VOUS.

Il m’attend : je ne sais quelle mélancolie,
Au trouble de l’amour se mêle en cet instant :
Mon cœur s’est arrêté sous ma main affaiblie ;
L’heure sonne au hameau. Je l’écoute… et pourtant,
Il m’attend.
Il m’attend : d’où vient donc que dans ma chevelure,
Je ne puis enlacer les fleurs qu’il aime tant ?
J’ai commencé deux fois sans finir ma parure,

Je n’ai pas regardé le miroir… et pourtant,
Il m’attend.

Il m’attend : le bonheur recèle-t-il des larmes ?
Que faut-il inventer pour le rendre content ?

Mes bouquets, mes aveux ont-ils perdu leurs charmes ?
Il est triste, il soupire, il se tait… et pourtant,
Il m’attend.

Il m’attend ! au retour serai-je plus heureuse ?
Quelle crainte s’élève en mon sein palpitant !
Ah ! dût-il me trouver moins tendre que peureuse,
Ah ! dussé-je en pleurer, viens, ma mère… et pourtant,
Il m’attend !

LE SOIR.

Seule avec toi dans ce bocage sombre ?
Qu’y ferions-nous ? à peine on peut s’y voir :
Nous sommes bien ! Peux-tu désirer l’ombre ?
Pour se perdre des yeux c’est bien assez du soir !
Auprès de toi, j’adore la lumière :
Et quand tes doux regards ne brillent plus sur moi,
Dès que la nuit a voilé ta chaumière,
Je me retrouve en fermant ma paupière,
Seule avec toi.

Sûr d’être aimé, quel vœu te trouble encore ?
Si près du mien, que désire ton cœur ?
Sans me parler ta tristesse m’implore ;
Ce qu’on voit dans tes yeux n’est donc pas le bonheur ?
Quel vague objet tourmente ton envie ?
N’as-tu pas mon serment dans ton sein renfermé ?
Qui te rendra ta douce paix ravie ?
Dis, quel bonheur peut manquer à ta vie,
Sûr d’être aimé !

Ne parle pas ! je ne veux pas entendre.
Je crains tes yeux, ton silence et ta voix.
N’augmente pas une frayeur si tendre ;
Hélas ! je ne sais plus m’enfuir comme autrefois,
Je sens mon âme à la tienne attachée ;

J’entends battre ton cœur qui m’appelle tout bas :
Heureuse, triste, et sur ton sein penchée,
Ah ! si tu veux m’y retenir cachée,
Ne parle pas !


LES SERMENS.


Hélas que les vieillards savent de tristes choses !
Hier, après la fête, ils riaient des amans ;
Ils riaient ! Leurs sermens, disaient-ils, sont des roses.
En voilà sous nos pieds d’aujourd’hui même écloses :
Pourquoi, mon Olivier, m’as-tu fait des sermens !

J’ai couru vers mes fleurs avec un trouble extrême ;
Je n’en veux plus cueillir même pour me parer.
Mais si de tes amours leur durée est l’emblême,

Tu ne m’aimeras pas long-temps comme je t’aime ;
La dernière s’entr’ouvre… elle m’a fait pleurer.

En vain le grand ruisseau coule au pied du bocage,
Il n’a pu les sauver des mortelles chaleurs.
Les roses, les sermens s’envolaient du rivage,
Tout fuyait comme l’onde où tremblait mon image :
Et tu n’es pas venu pour essuyer mes pleurs !

Du discours des vieillards je demeure oppressée,
Adieu… Non, je ne veux t’écouter ni m’asseoir.
Chaque feuille qui tombe afflige ma pensée ;
Eh quoi ! comme un parfum ma joie est donc passée ?
Plus d’espoir… plus de fleurs… apporte-m’en ce soir !


BONSOIR.

Il a demandé l’heure, oh ! le triste présage !
Autrefois j’étais seule attentive à ce soin :
Qui peut avant le soir l’appeler au village ?
Hélas ! pour me répondre, il est déja si loin !

Je l’ai suivi des yeux pour rencontrer sa vue,
Et sans me regarder il a doublé ses pas.
Il n’a donc pas senti ma douleur imprévue ?
Je le devinais mieux quand il souffrait tout bas !

Eh bien, je ne veux pas lui dire que je l’aime ;

Je ne l’aimerai plus, j’en aurai le pouvoir :
Je l’ai déja ; déja je ne suis plus la même…
Ah ! pour le lui prouver, que je voudrais le voir !

Non, qu’il ne vienne pas, il prévient mon envie,
Bonsoir… pourquoi mes pleurs tombent-ils sur ma main ?
Il m’a repris son cœur, je lui reprends ma vie…
Mais, si je le pensais, vivrais-je encor demain !


L’ORAGE.

Dans sa course brûlante,
Oh ! que la nuit est lente !
De sa lueur tremblante,
Elle attriste l’amour.
J’entends gronder l’orage ;
Il trouble mon courage.
Ne reverront-ils pas le jour,
Mes yeux voilés de pleurs d’amour !

Délire où je me plonge,
Fuyez, jaloux mensonge ;

Pourquoi m’offrir en songe
La douleur dans l’amour ?
Ô moitié de mon âme,
Tes yeux remplis de flamme,
Reviendront-ils avec le jour,
Tarir enfin mes pleurs d’amour !

Mais la tardive aurore
Ne brille pas encore,
Et les yeux que j’adore
Sont fermés à l’amour :
L’orage en feu tourmente,
Et la nuit et l’amante :
Ô toi pour qui j’attends le jour,
Me paîras-tu mes pleurs d’amour ?


QUE JE TE PLAINS !

Le ciel sera-t-il beau demain ?
Demain te verrai-je, ma vie ?
Un beau jour te fait-il envie ?
Tu te tais en quittant ma main…
Le ciel sera triste demain.

Ta gloire te demande un jour :
Hélas ! que ta gloire est heureuse !
Elle rompt ta vie amoureuse.

Pour moi, dans un siècle d’amour,
La gloire n’aurait pas un jour.

Demain, nous ne pouvons nous voir ?
Que n’es-tu dans un sort vulgaire !
Content de m’aimer, de me plaire,
L’amour serait ton seul devoir ;
Et demain, nous pourrions nous voir !

Heureux, dis-tu, qui n’aime pas !
Toi qui fuis, quelles sont tes chaînes ?
Seule dans mes brûlantes peines,
Sais-tu ce que je dis tout bas ?
Que je te plains ! tu n’aimes pas.


LA SÉPARATION.

Il le faut, je renonce à toi.
On le veut, je brise ta chaîne.
Je te rends tes sermens, ta foi ;
Sois heureux, quitte-moi sans peine.
Séparons-nous… attends, hélas !
Mon cœur encor ne se rend pas !

Toi qui fus mes seules amours,
Le charme unique de ma vie,
Une autre fera tes beaux jours,

Et je le verrai, sans envie.
Séparons-nous… attends, hélas !
Mon cœur encor ne se rend pas.

Reprends-le ce portrait charmant
Où l’amour a caché ses armes ;
On n’y verra plus ton serment,
Il est effacé par mes larmes !
Séparons-nous… attends, hélas !
Mon cœur encor ne se rend pas.


C’EST MOI.

Si ta marche attristée
S’égare au fond d’un bois,
Dans la feuille agitée
Reconnais-tu ma voix ?
Et dans la fontaine argentée,
Crois-tu me voir quand tu te vois ?

Qu’une rose s’effeuille,
En roulant sur tes pas,
Si ta pitié la cueille,
Dis ! ne me plains-tu pas ?

Et de ton sein qui la recueille,
Mon nom s’exhale-t-il tout bas ?

Qu’un léger bruit t’éveille,
T’annonce-t-il mes vœux ?
Et si la jeune abeille
Passe devant tes yeux,
N’entends-tu rien à ton oreille ?
N’entends-tu pas ce que je veux !

La feuille frémissante,
L’eau qui parle en courant,
La rose languissante,
Qui te cherche en mourant ;
Prends-y garde, ô ma vie absente !
C’est moi qui t’appelle en pleurant.


UN MOMENT.

Un moment suffira pour payer une année ;
Le regret plus long-temps ne peut nourrir mon sort.
Quoi ! l’amour n’a-t-il pas une heure fortunée,
Pour celle dont, peut-être, il avance la mort !
Une heure, une heure, amour ! une heure sans alarmes,
Avec lui, loin du monde ; après ce long tourment,
Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ;
Et si c’est trop d’une heure… un moment ! un moment !

Vois-tu ces fleurs, amour ? c’est lui qui les envoie,
Brûlantes de son souffle, humides de ses pleurs :

Sèche-les sur mon sein par un rayon de joie ;
Et que je vive assez pour lui rendre ses fleurs.
Une heure, une heure, amour ! une heure sans alarmes,
Avec lui, loin du monde ; après ce long tourment,
Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ;
Et si c’est trop d’une heure… un moment ! un moment.

Rends-moi le son chéri de cette voix fidèle :
Il m’aime, il souffre, il meurt, et tu peux le guérir !
Que je sente sa main, que je dise : c’est elle.
Qu’il me dise : je meurs. Alors, fais-moi mourir.
Une heure, une heure, amour ! une heure sans alarmes,
Avec lui, loin du monde ; après ce long tourment,
Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ;
Et si c’est trop d’une heure… un moment ! un moment !

LA RECONNAISSANCE.

Hélas ! que je dois à vos soins !
Vous m’apprenez qu’il est perfide,
Qu’il trompa mon amour timide :
C’est vous qui le jurez du moins…
Hélas ! que je dois à vos soins !

Pressez votre main sur mon cœur,
Et jouissez de votre ouvrage ;
Le malheur me rend le courage ;
Mais pour juger de sa rigueur,
Pressez votre main sur mon cœur !

Adieu donc ma félicité ;
Adieu sa présence et ma vie.
Oh ! que vous m’avez bien servie,
En me disant la vérité !
Adieu donc ma félicité.

Vous avez voulu me guérir,
Cruelle… Ah ! pardon, je m’égare :
Non, non, vous n’êtes point barbare,
Je le crois, dussé-je mourir…
Vous avez voulu me guérir !


S’IL L’AVAIT SU !

S’il avait su quelle âme il a blessée,
Larmes du cœur, s’il avait pu vous voir,
Ah ! si ce cœur, trop plein de sa pensée,
De l’exprimer eût gardé le pouvoir,
Changer ainsi n’eût pas été possible ;
Fier de nourrir l’espoir qu’il a déçu,
À tant d’amour il eût été sensible,
S’il l’avait su.

S’il avait su tout ce qu’on peut attendre
D’une âme simple, ardente et sans détour,

Il eût voulu la mienne pour l’entendre,
Comme il l’inspire, il eût connu l’amour.
Mes yeux baissés recélaient cette flamme,
Dans leur pudeur n’a-t-il rien aperçu ?
Un tel secret valait toute son âme,
S’il l’avait su.

Si j’avais su, moi-même, à quel empire
On s’abandonne en regardant ses yeux,
Sans le chercher comme l’air qu’on respire,
J’aurais porté mes jours sous d’autres cieux.
Il est trop tard pour renouer ma vie,
Ma vie était un doux espoir déçu :
Diras-tu pas, toi qui me l’as ravie,
Si j’avais su !


ON ME L’A DIT.

Désirer sans espoir,
Regarder sans rien voir,
Se nourrir de ses larmes,
S’en reprocher les charmes,
S’écrier à vingt ans :
« Que j’ai souffert long-temps ! »
Perdre jusqu’à l’envie
De poursuivre la vie :
On me l’a dit un jour,
C’est le vrai mal d’amour.


Dans ses songes secrets,
Revoir les mêmes traits ;
Craindre la ressemblance,
Qu’on appelle en silence ;
En frémissant d’aimer,
Apprendre à l’exprimer ;
Pleurer qu’un si doux songe,
Soit toujours un mensonge :
On me l’a dit un jour,
C’est le vrai mal d’amour.

S’arracher aux accens,
Que l’on écoute absens ;
Mais, en fuyant l’orage,
Détester son courage ;
Trembler de se guérir,

Le promettre… et mourir :
Voilà ce qu’on ignore,
Quand on espère encore :
On me l’a dit un jour,
C’est le vrai mal d’amour.


SANS L’OUBLIER.

Sans l’oublier on peut fuir ce qu'on aime,
On peut bannir son nom de ses discours,
Et de l’absence implorant le secours,
Se dérober à ce maître suprême,
Sans l’oublier !

Sans l’oublier j’ai vu l’eau dans sa course,
Porter au loin la vie à d’autres fleurs :
Fuyant alors le gazon sans couleurs,
J’imitai l’eau fuyant loin de la source,
Sans l’oublier.

Sans oublier une voix triste et tendre,
Oh ! que de jours j’ai vu naître et finir !
Je la redoute encor dans l’avenir :
C’est une voix que l’on cesse d’entendre,
Sans l’oublier !


CELLE QUI NE RIT PAS.

Heureuses pastourelles,
Qui cherchez sous l’ormeau
Des lits de fleurs nouvelles,
Et la fraîcheur de l’eau,
Par vos danses légères,
Appelez-vous mes pas ?
Faites rire, bergères,
Celle qui ne rit pas.

Ruisseaux où mes compagnes
Brûlent de se revoir,

Coulez de nos montagnes,
Rendez-leur un miroir :
Votre onde qui soupire,
Attirera mes pas ;
Ruisseaux, faites sourire
Celle qui ne rit pas.

Comme les hirondelles,
J’ai chanté le printemps ;
Mais je n’aurai point d’ailes,
Quand fuira le beau temps…
Ah ! si ma douce aurore
Revenait sur ses pas,
Elle rirait encore,
Celle qui ne rit pas !


JE NE SAIS PLUS, JE NE VEUX PLUS.

Je ne sais plus d’où naissait ma colère ;
Il a parlé… Ses torts sont disparus,
Ses yeux priaient, sa bouche voulait plaire ;
Où fuyais-tu, ma timide colère ?
Je ne sais plus.

Je ne veux plus regarder ce que j’aime ;
Dès qu’il sourit, tous mes pleurs sont perdus :
En vain par force ou par douceur suprême,
L’amour et lui veulent encor que j’aime :
Je ne veux plus.

Je ne sais plus le fuir en son absence,
Tous mes sermens alors sont superflus.
Sans me trahir j’ai bravé sa présence ;
Mais sans mourir supporter son absence,
Je ne sais plus !


LA VEILLÉE DU NÈGRE.

Le soleil de la nuit éclaire la montagne[1] ;
Sur le sable désert faut-il encor rester ?
Doucement dans mes bras laisse-moi t’emporter,
Bon maître, éveille-toi ! marchons vers la campagne.
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?

L’orage dans son vol a brisé les platanes ;
Le navire sans voile a disparu dans l’eau :

De ton front tout sanglant j’ai lavé le bandeau,
Marchons, les pauvres noirs t’ouvriront leurs cabanes.
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?

Je voudrais deviner ton rêve que j’ignore ;
Oh ! que ce rêve est long ! finira-t-il demain ?
Demain en t’éveillant presseras-tu ma main ?
Oui, je t’appellerai quand j’aurai vu l’aurore.
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?

Mais la lueur du jour s’étend sur le rivage,
Le flot porte sans bruit la barque du pêcheur :
Viens !… Que ton front est froid ! quelle triste blancheur !

Oh ! maître ! que ta voix me rendrait de courage !
Tes yeux sont clos depuis trois jours…
Maître ! dormiras-tu toujours !


À M. DE BÉRANGER.

Bon captif, la fée Urgande
A-t-elle oublié vos chants ?
N’est-elle pas assez grande
Pour désarmer les méchans ?
Vers vous, quoique aussi petite,
Un peu tendre, un peu proscrite,
Et frêle comme un roseau,
Je volerais vite, vite,
Si j’étais petit oiseau !

Où se cache l’espérance,

Que vous attiriez des cieux ?
Long-temps elle a sur la France
Semé vos vers gracieux.
Pour la ramener au gîte
Où le puissant qu’elle irrite
Vous cache sous un réseau,
Je volerais vite, vite,
Si j’étais petit oiseau !

Que dit la belle maîtresse,
Qu’on aime à vous voir aimer ?
Pour l’objet de sa tendresse,
Oh ! qu’elle doit s’alarmer !
Comme au réduit qu’elle habite,
Votre image qui l’agite,

Tourne autour de son fuseau,
Je volerais vite, vite,
Si j’étais petit oiseau !


CHANT

D’UNE JEUNE ESCLAVE.

IMITÉ DE M. MOORE.

IL est un bosquet sombre où se cache la rose,
Et le doux rossignol y va souvent gémir :
Il est un fleuve pur dont le cristal l’arrose ;
Ce fleuve, on l’a nommé le Calme Bendemir.

Dans ma rêveuse enfance où mon cœur se replonge,
Lorsque je ressemblais au mobile roseau,

En glissant sous les fleurs comme au travers d’un songe,
J’écoutais l’eau fuyante et les chants de l’oiseau.

Je n’ai pas oublié cette musique tendre,
Qui remplissait les airs d’un murmure enchanté :
Dans ma chaîne, souvent il m’a semblé l’entendre,
J’ai dit : le rossignol là-bas a-t-il chanté ?

Penchent-elles encor leurs têtes couronnées,
Ces belles fleurs, dans l’eau que j’écoutais gémir ?
Non, elles étaient fleurs ; le temps les a fanées,
Et leur chute a troublé le calme Bendemir.

Mais lorsqu’elles brillaient dans l’éclat de leurs charmes
Avant de s’effeuiller sur l’humide tombeau,

On puisa dans leur sein ces odorantes larmes,
Qui rappellent l’été dont le règne est si beau !

Ainsi le souvenir rend à mes rêveries,
Les chants du rossignol que j’écoutais gémir.
Et ma chaîne s’étend jusqu’aux rives fleuries,
Où je crois voir couler le Calme Bendemir.


UNE REINE.

Un Barde a vu sa reine fugitive :
Il dit qu’un luth, exprimant sa douleur,
De son retour avertissait la rive,
Où la rappelle un trône… ou le malheur.
Lorsque sa voix, et peut-être ses larmes,
Faisaient pleurer les tristes matelots,
Elle n’oppose à de perfides armes,
Que ce murmure apporté par les flots :
« God save the king !

« J’avais quitté les liens de l’enfance,
Pour me parer des chaînes de l’amour :

Aimer son maître est sans doute une offense,
Puisqu’à ma vie il n’a souri qu’un jour.
Lorsque des pleurs roulaient sous ma paupière,
Et retombaient lentement sur mon cœur,
Mon cœur tout bas mêlait à sa prière
Cette prière encor pour mon vainqueur :
God save the king !

« Seule souvent au berceau de ma fille,
Formant des vœux qui n’étaient plus pour moi,
Je lui disais : « À ma noble famille,
« Mon jeune hymen n’offrira-t-il que toi ! »
Cachant alors mes pleurs sous ma couronne,
D’un chant d’amour je berçais son sommeil :
Et de ce chant dont la rive résonne,

Ma voix toujours salua son réveil :
God save the king !

« Sur mon front triste, abattu, mais sans crainte,
On cherche en vain la trace d’un remord ;
Jamais mon front n’en recevra l’empreinte,
Et je la laisse à qui rêve ma mort :
Qu’au moins la mort m’attende à ton rivage,
Ô beau pays qui vis mes plus beaux jours !
En d’autres jours si tu vois mon naufrage,
Dis que ta reine au moins chanta toujours :
God save the king ! »


À MADEMOISELLE MARS.

De Thalie,
Plus jolie,
Quand Mars enchante les jeux,
Cette Muse,
Qui s’amuse,
Semble rire dans ses yeux.

L’Amour même
D’un emblême
Entoure son front charmant ;

Pour couronne,
Il lui donne,
La perle et le diamant.

Sans rivale,
Sans égale,
Elle règne avec douceur.
Une Grâce
Suit sa trace,
Elle croit suivre une sœur.

Comme Aurore
Est encore
Plus belle en versant des pleurs,

Quelques larmes,
Sur ses charmes,
Semblent rouler sur des fleurs.



CONTES.

CONTES.

LE PETIT MENTEUR.

Venez bien près, plus près, qu’on ne puisse m’entendre :
Un bruit vole sur vous, mais qu’il est peu flatteur !
Votre mère en est triste ; elle vous est si tendre !
On dit, mon cher amour, que vous êtes menteur.

Au lieu d’apprendre en paix la leçon qu’on vous donne,
Vous faites le plaintif, vous traînez votre voix,
Et vous criez très-haut : Hé ! ma bonne ! ma bonne !
L’écho, qui me dit tout, m’en a parlé deux fois.

Vous avez effrayé cette bonne attentive,
Et pour vous secourir,
Près de vous, toute pâle, on l’a vue accourir :
Hélas ! vous avez ri de sa bonté craintive,
Enfant ! vous avez ri ! quelle douleur pour nous !
On ne croira donc plus à vos jeunes alarmes ?
Si j’avais eu ce tort, j’irais à deux genoux
Lui demander pardon d’avoir ri de ses larmes,
J’irais… Ne pleurez pas ! causons avant d’agir ;
Écoutez une histoire, et jugez-la vous-même :
Cachez-vous cependant sur ce cœur qui vous aime ;
Je rougis de vous voir rougir.

« Au loup ! au loup ! à moi ! » criait un jeune pâtre :
Et les bergers entre eux suspendaient leurs discours.
Trompé par les clameurs du rustique folâtre,

Tout venait, jusqu’aux chiens, tout volait au secours.
Ayant de tant de cœurs éveillé le courage,
Tirant l’un du sommeil, et l’autre de l’ouvrage,
Il se mettait à rire, il se croyait bien fin :
« Je suis loup, » disait-il. Mais attendez la fin :
Un jour que les bergers, au fond d’une vallée,
Appelant la gaîté sur leurs aigres pipeaux,
Confondaient leurs repas, leurs chansons, leurs troupeaux,
Et de leurs pieds joyeux pressaient l’herbe foulée :
« Au loup ! au loup ! à moi !» dit le jeune garçon,
« Au loup ! » répéta-t-il d’une voix lamentable.
Pas un n’abandonna la danse ni la table :
« Il est loup, dirent-ils ; à d’autres la leçon. »

Et toutefois le loup dévorait la plus belle
De ses belles brebis ;

Et pour punir l’enfant qu’il traitait de rebelle,
Il lui montrait les dents, et rompait ses habits :
Et le pauvre menteur élevant ses prières,
N’attristait que l’écho ; ses cris n’amenaient rien.
Tout riait, tout dansait au loin sur les bruyères :
« Eh quoi ! pas un ami, dit-il, pas même un chien ! »

On ajoute, et vraiment, c’est pitié de le croire,
Qu’il serrait la brebis dans ses deux bras tremblans ;
Et quand il vint en pleurs raconter son histoire,
On vit que ses deux bras étaient nus et sanglans.
« Il ne ment pas, dit-on, il tremble, il saigne ! il pleure !
« Quoi ! c’est donc vrai, Colas ! » Il s’appelait Colas.
« Nous avons bien ri tout à l’heure,
« Et la brebis est morte ! elle est mangée… hélas ! »
On le plaignit. Un rustre insensible à ses larmes,

Lui dit : « Tu fus menteur, tu trompas notre effroi :
« Or, s’il m’avait trompé, le menteur, fût-il roi,
« Me crîrait vainement aux armes. »

Et vous n’êtes pas roi, mon ange, et vous mentez !
Ici, pas un flatteur dont la voix vous abuse ;
Vous n’avez point d’excuse.
Quand vous aurez perdu tous les cœurs révoltés,
Vous ne direz qu’à moi votre souffrance amère,
Car on ne ment pas à sa mère.
Tout s’enfuira de vous, j’en pleurerai tout bas,
Vous n’aurez plus d’amis, je n’aurai plus de joie :
Que ferons-nous alors ? Oh ! ne vous cachez pas !
Prenez un peu courage, enfant, que je vous voie ;
Vous me touchez le cœur, j’y sens votre pardon ;

Allez, petit chéri, ne trompez plus personne :
Soyez sage, aimez Dieu, je crois qu’il vous pardonne :
Il est père, il est bon !


LES DEUX ABEILLES
À MON ONCLE.

Au fond d’une vallée où s’éveillaient les fleurs,
On vit légèrement descendre deux abeilles ;
Elles cherchaient des yeux ces fleurs, tendres merveilles,
Où l’aurore en passant avait laissé des pleurs :
L’herbe brillait de perles arrosée ;
L’horizon bleu, les gouttes de rosée,
Sur la colline une ardente clarté,
Tout annonçait un jour brûlant d’été ;

Tout l’attestait ; car un jardin rustique
Répandait à l’entour des deux errantes sœurs,
De frais parfums, d’attrayantes douceurs,
Et d’un souffle embaumé la langueur sympathique.
Toutes deux ont franchi l’enclos vert du jardin :
« Voyez ! dit la plus vive ; » elle était frêle et blonde :
« Voyez que de trésors ! ce n’est rien que jasmin,
« Lilas, rose, et je crois toutes les fleurs du monde. »
Cette folle suivait son volage désir,
Aux suaves bouquets se suspendait à peine,
Prodiguant ses baisers jusqu’à manquer d’haleine,
Disant : demain le miel, aujourd’hui le plaisir !

L’autre, plus posément, savourait les délices
Du banquet préparé pour les filles de l’air,

Et prévoyante aux besoins de l’hiver,
Pour la ruche épuisée en gardait les premices.
Leurs ailes en tremblaient. Mais un globe fatal,
Suspendu dans les fleurs sous la méridienne,
Semble de l’ambroisie offrir le doux régal,
À la jeune épicurienne.
Sous ce cristal frappé de tous les feux du ciel,
S’échauffe et fermente le miel ;
Innocente liqueur pour l’homme préparée,
Mais qui donne la mort à la mouche dorée ;
Sa force s’y consume, et sa raison s’y perd.
L’abyme transparent par malheur est ouvert,
L’imprudente n’y voit qu’un don de la fortune ;
Sa sœur, qui l’en détourne, est presqu’une importune,
Et, malgré ses conseils, elle court s’y plonger :
Quand on veut le bonheur, en voit-on le danger !

 « Par quel charme imposteur vous êtes asservie,
Dit l’autre en soupirant, vous me faites pitié :
Quittez ce doux breuvage, au nom de l’amitié ;
Peut-être, hélas ! au nom de votre vie !
Vous ne m’écoutez pas. Je reviendrai ce soir ;
Oh ! ma sœur ! le travail est utile à notre âge :
Puissé-je ne pas voir bientôt, chère volage,
Ce que je tremble de prévoir. »

Elle retourne aux fleurs avec inquiétude.
Ce beau jour lui paraît plus lent qu’un autre jour ;
Tout suc lui semble amer, et sa sollicitude
Implore, et croit du soir avancer le retour.
Enfin à l’horizon le soleil va s’éteindre ;
Elle vole à sa sœur, et, tout près de l’atteindre,
L’appelle en la grondant d’un ton craintif et doux :

 « Allons, il se fait tard, me voici, venez-vous ? »

« Il n’est plus temps, ma sœur, je suis trop accablée ;
Je ne puis plus me sauver de ce lieu.
Je vous regarde encor ; mais ma vue est troublée,
Mon corps brûle et languit : venez me dire adieu,
Je ne puis me mouvoir. Un grand feu me dévore ;
Mes ailes, je le sens, ne peuvent m’emporter ;
Voyez comme je suis ! mais soyez bonne encore ;
Si mon crime (il est grand !) ne peut se racheter,
Ne me haïssez pas, je n’étais pas méchante ;
La volupté trompeuse égarait ma raison.
Ce breuvage mortel dont l’ardeur nous enchante,
Que je l’aimais, ma sœur ! et c’était un poison.
Je me repens, et je succombe :
Sous une fleur creusez ma tombe,

Adieu. Pourquoi le ciel créa-t-il le désir,
S’il a caché la mort dans le plaisir ! »

Elle ne parla plus. Ses ailes s’étendirent,
Ses petits pieds doucement se roidirent ;
Et sa sœur gémissante eut peine à s’envoler :
Ce tableau, d’un long deuil accabla sa mémoire ;
Elle fut toujours triste, et jamais, dit l’histoire,
Même au sein du travail ne put se consoler.


LA SOURIS

CHEZ UN JUGE.

Tremblante, prise au piège et respirant à peine,
Sortie imprudemment du maternel séjour,
Rêvant sa dernière heure au seul bruit de sa chaîne,
Une jeune souris voyait tomber le jour.

Dans le grillage étroit qui la tient prisonnière,
A passé d’un flambeau l’éclatante lumière ;
Elle tressaille, écoute : un silence de paix

Succède au mouvement qui la glaçait de crainte ;
Et d’un vieux mur caché sous des lambris épais,
On entendit sortir cette humble et douce plainte :

« Dans ta belle maison, toi qui rentres content,
Quand je me sens mourir de la mort qui m’attend,
Redoutable ennemi de tout ce qui respire,
Oh ! n’étends pas sur moi ton oppressif empire !
Laisse ton cœur s’ouvrir au cri du malheureux :
Hélas, est-on moins grand pour être généreux ?
Laisse-moi boire encor l’air, la douce rosée,
Ce bienfait de la nuit, ce céleste présent,
Dont, par un souffle humide et bienfaisant,
Chaque matin la terre est arrosée.
Juge ! sois juste et rends-moi mes trésors,
Un ciel à contempler, ma liberté native :

Dieu me fit de la vie un plaisir sans remords ;
Toi, tu la rends sombre et captive.

« Je suis une souris née au dernier printemps :
L’été commence. Hélas ! c’est vivre peu de temps !
Viens voir, je porte encor la robe de l’enfance.
Le blé nouveau, le riz friand, les noix,
Disait ma mère, allaient avant deux mois
Enrichir mon adolescence.
Peu m’est assez pourtant ; facile à me nourrir,
Je ne suis pas gourmande et tout sert au ménage ;
Un grain d’orge suffit aux souris de mon âge,
 Pour les empêcher de mourir.

« Ne me fais pas mourir ! suis l’exemple d’un sage :
Les souris sans danger visitaient son séjour ;

Car ce sage disait : « De nos ames un jour
« Le sein des animaux peut-être est le passage :
« Tout est possible à Dieu, l’impossible est son bien ;
« Si par lui l’homme est tout, par lui l’homme n’est rien.
« Grace donc ! criait-il aux hommes en colère,
« Muets pour la clémence et sourds à la prière ;
« Grace ! oubliez un peu les mots, glaives, trépas ;
« Régnez sur le plus faible et ne le tuez pas !
« La colombe au cœur tendre, à la plume argentée,
« Peut-être est une amante aux forêts arrêtée,
« Par le doux souvenir d’un amour malheureux ;
« On croit le deviner à son chant douloureux.
« Qui sait si la souris n’est pas la jeune fille,
« Frappée en folâtrant au sein de sa famille,
« Et qui tombe immobile en courant dans les fleurs :
« Car pour un peu de miel, que d’absinthe et de pleurs ! »

Si le sage a dit vrai, tremble d’être inflexible,
Tremble de tourmenter l’ame errante et sensible
D’une sœur qui t’aima, d’une jeune beauté,
Qui se plaisait, enfant, sur ton sein agité.

« Enfin, si ma part de la vie
N’est que le rayon passager
Du jour que mon cachot me dérobe et m’envie,
Ce don si fugitif, daigne le ménager !
Vivre, c’est vivre enfin, et le néant m’alarme ;
Cette crainte au méchant coûte au moins une larme ;
Juge de son horreur pour un cœur tout amour,
Et si loin de la nuit ne m’éteins pas le jour !
Faut-il te dire tout ? je veux devenir mère.
Laisse-moi donc revoir, dans ma douleur amère,
Un ami de mon âge, imprudent comme moi,

Qui pour me délivrer pleurerait devant toi.
S’il avait de mon sort la triste confidence,
Je lui dirais en vain : sauvez-vous ! il viendrait :
L’amour au désespoir connaît-il la prudence ?
Il rongerait mes fers, ou bien il me suivrait.

« J’ai dit l’amour : tu le connais peut-être ?
Béni soit Dieu ; car l’amour est humain.
Oui, je retrouverai la moitié de mon être,
Et je serai libre demain !
Oui, tu sais que l’amour console la nature,
Qu’il jette au prisonnier des rêves gracieux,
Qu’il souffle à son oreille un chant délicieux,
Et que même au coupable il sauve la torture :
Et je suis à genoux… et je tremble… et j’attends…
Homme ! pour te fléchir qu’il faut parler long-temps !

« Un jour, que cet aveu m’en obtienne la grace,
J’avais salué l’aube et ton premier repas ;
Lorsqu’un bruit plus léger que le bruit de mes pas,
M’avertit qu’en secret quelqu’un cherchait ta trace :
Ta voix devint alors plus douce de moitié ;
Celle qui répondait me parut suppliante,
Et, si je ne m’abuse, à la tendre pitié
Tu donnas plus d’une heure, ou l’heure était bien lente !
Le bruit cessa, j’entrai ; les débris d’un festin
M’invitaient à la table enfin abandonnée ;
Et sur ma vie un moment fortunée,
Je vis pleuvoir les bienfaits du destin.
Dans ces lieux trop aimés qu’à présent je déteste,
J’ai vu, j’ai respecté la boucle de cheveux,
Tombés d’un front charmant pour enchaîner tes vœux ;
Ils ne sont pas les tiens, leur couleur me l’atteste.

Ces liens souples et dorés,
Ces doux aveux, ces feuillets roses,
Les rubans embaumés dont ces lettres sont closes,
N’ont pas séduit mes sens de langueur enivrés.
J’ai respiré de loin la cire parfumée
Qui scella, j’en suis sûre, un secret qui t’est cher :
Le hasard me l’apprit sans m’en être informée ;
Je courais, j’étais libre… hélas ! c’était hier !

« Tu sommeillais peut-être, et plus vive que sage,
Au pied de ces rideaux, que je baigne de pleurs,
J’aperçus, ne crains pas que je le dise ailleurs,
Un soulier trop petit pour être à ton usage :
Je m’y blottis joyeuse et je le fis courir ;
Je traînais en riant cette maison mobile,
Dont les dehors ornés par quelque main habile

M’enflaient d’un peu d’orgueil, et l’orgueil fait mourir :
Car, depuis ce moment, éveillé par la haine,
Tu m’élevas dans l’ombre une affreuse prison :
Innocente souris, pour m’écraser sans peine,
Un homme est descendu jusqu’à la trahison.
Non ! Ne m’écrase pas ! Et si ma peur te touche,
Que l’accent du pardon s’échappe de ta bouche :
Il est dieu, leur dirai-je, il m’a donné des jours !
Ton toit sera béni, ton nom vivra toujours,
Et toujours de beaux yeux aimeront à le lire.
Et si jamais ton cœur brûlé d’un saint délire
A langui pour la liberté,
Qu’elle se donne à toi dans toute sa beauté !
Que sur ta sereine carrière,
Elle épanche à flots purs sa tranquille lumière :
Qu’elle trace à ta vie un facile sentier,

Et te sème de fleurs un siècle tout entier ! »

Elle se tut, le juge dit alors : « Hé ! vite !
Elle est au piège, hâtez-vous d’accourir :
Étouffez-la, cette pauvre petite ;
Je n’aime pas à voir souffrir. »


FABLE

IMITÉE DU RUSSE

D’une sourde blessure encor faible et malade,
Sa liberté trahie, hélas ! son seul amour ;
Des bords désenchantés de sa belle Cyclade,
À la sombre lueur d’une humide pléiade,
Un jeune Grec ailé s’envolait sans retour.
En vain il voit au ciel s’assembler les nuages,
Il emporte sa chaîne, il veut changer son sort ;
Et l’oiseau sans bonheur, qui ne craint plus la mort,
Livre son aile au vent et sa vie aux orages.

Il s’essaie, il retombe, il disparaît enfin :
Un zéphyr le soulève et le prend dans son sein,
Sur un bord moins fatal le souffle et le dépose,
Comme il fit de Psyché dans un jour de terreur,
Comme il fait de l’amour, d’un serment, d’une erreur,
Et comme il ferait d’une rose.

Il est libre, il respire, il regarde les cieux :
Mais quoi ! sauvé tout seul il est silencieux.
Un fardeau pèse encor sur son aile blessée,
Sa liberté naissante en rougit offensée :
Un collier, vainement il est d’ambre et d’or pur,
L’opale aux rayons blancs, la turquoise d’azur,
Vainement de la chaîne ont enrichi l’ouvrage :
Toute chaîne sent l’esclavage ;
Et d’un sérail doré les feux et l’appareil

Plaisent moins aux oiseaux qu’un rayon du soleil.

On l’a vu. D’arbre en arbre un curieux ramage
S’appelle, se répond, s’interroge à la fois :
Toutes les voix ne font plus qu’une voix,
Tous ont dit qu’il est beau ! quel collier ! quel plumage !
Est-ce une fleur qui vole ? il en a les appas.
Il est beau ! je veux voir, dit la jeune hirondelle ;
Son époux doucement la punit d’un coup d’aile,
En murmurant : couvez ! les mères n’iront pas.

Un sansonnet hardi, perroquet sans parure,
Dit : « S’il est mélomane, il va me recevoir,
Il va m’entendre, il va me voir.
Du vif chardonneret je n’ai pas la figure,
Mais je le sais par cœur ; je l’imite si bien,

Que sa maîtresse un soir prit mon chant pour le sien.
On ne sait plus des deux quel est l’écho fidèle ;
Avec lui l’autre jour, je chantais ; mon modèle,
Qui reprenait haleine et voulait respirer,
Se tut, croyant encor s’entendre et s’admirer. »

« Moi, j’y cours, dit l’oiseau qui charme la souffrance ;
Le voyageur est triste, il faut chanter pour lui.
Si ma voix peut encor éveiller l’espérance,
Ah ! je n’aurai jamais chanté mieux qu’aujourdhui ! »
Il vole, son cœur bat, son aile tremble, il chante,
Plaint, et fait tressaillir l’étranger qu’il enchante,
Le plonge en des pensers tristes, délicieux,
L’étonne, le ravit, l’égare dans les cieux.
Par sa molle cadence il attendrit son ame ;
Puis, par un trait brillant qu’il prolonge à son tour,

Il semble de l’espoir tracer l’errante flamme,
Et fait croire au bonheur, même en chantant l’amour !
Mais Dieu ! de quelle ardeur sa poitrine est remplie !
Que cette voix puissante est encore ennoblie,
Quels flots harmonieux en doublent la beauté,
Quand par des sons plus purs il peint la liberté !
Il l’adore, il l’exprime, il en ressent l’ivresse.
À sa joie, on devine, on voit l’enchanteresse,
Espoir, amante, amour, idole des humains,
Charmante ! comme au jour où déployant son aile,
Dieu l’offrit à la terre en sortant de ses mains,
Dans le plus grand excès de son amour pour elle.

« Grace ! dit le blessé, tu me ferais mourir.
Laisse-moi respirer. Laisse-moi te connaître :
Tu n’es donc pas esclave ! Oh ! non ! tu ne peux l’être,

Tu dois chanter libre ou périr.
Oh ! mon ami… pardonne, et rends-moi ce nom tendre :
Celui qui fut esclave est pressé de l’entendre !
Pour épancher mon ame en de si doux accens,
Trop de mélancolie a coulé dans mes sens.
À peine j’ai brisé ma coquille légère,
À peine pour voler mon aile eut un ressort ;
J’ai senti sous le poids d’une force étrangère,
Qu’une grille et des fers avaient borné mon sort.
Vois ma chaîne, elle est belle ; eh bien ! ce don funeste,
Je n’en veux plus, je le déteste.
Imposé par un maître, il a dû m’opprimer ;
Offert par un ami, toi, tu pourras l’aimer :
Prends-le, j’ai trop porté ce bien que l’on m’envie ;
Il dut orner ma mort, qu’il brille sur ta vie.
Mais cet art qui console, et que j’admire en toi,

Cette lyre cachée, ami, donne-la-moi ! »

« Ta bonté te séduit, dit la Muse emplumée.
Dieu versa dans mon sein cette flamme animée ;
Je chante, j’obéis, je ne sais rien de plus :
Ne perdons pas nos biens en efforts superflus ;
Ton collier ferait honte à mon simple plumage ;
Et jamais les oiseaux ne vendent leur ramage :
Toi que l’on dit si beau, quand le jour brillera,
Ton règne va renaître, et le mien s’éteindra ;
La Lune est de mes chants la seule confidente ;
J’aime à suivre des yeux son pâle et doux flambeau :
Il suffit aux amours, à la paix, au tombeau ;
Et l’on ne m’entend pas, d’une voix imprudente,
Défier au grand jour l’envie et les flatteurs ;
Dès qu’ils dorment, je veille en ces bois enchanteurs :

 Dans l’onde, par le feu des étoiles blanchie,
Mon image un peu sombre est assez réfléchie ;
Une gloire me suit, sans orgueil, sans effroi :
Mais délicieuse et cachée,
De l’ambition détachée,
Elle est entre le ciel et moi ! »

« Bon ! dit le sansonnet, la chaîne m’est acquise :
Qu’on fait bien d’écouter au lieu d’aller dormir !
Pour les imiter tous ma méthode est exquise ;
Le rossignol gémit : eh bien ! je vais gémir :
Il cadence à merveille, on verra ma cadence,
J’ai son secret. Demain j’en ferai confidence
À ce jeune rêveur qu’afflige sa beauté ;
Je me fais rossignol, le prix est remporté.»

Préludant sa victoire, au lever de l’aurore,
Il éveille l’écho, qui se taisait encore.
Au Grec, en triomphant, il porte ses leçons,
Et veut du rossignol lui traduire les sons ;
Mais il brise, il détruit, il corrompt l’harmonie,
En croyant imiter les écarts du génie.
Sa plume se hérisse, il s’enroue ; à ses cris,
Les Zéphyrs sous les fleurs se retirent surpris ;
Il semble condamné par un firman suprême,
À s’étrangler lui-même.
Les oiseaux, en désordre à ces accens affreux,
Volent, quittent leurs nids, se rassemblent entre eux,
Croyant que des hibous ont subi la lumière,
Que la railleuse Aurore inonde leur paupière
De ses rayons charmans, pour eux seuls odieux,
Et qu’ils vont se venger d’avoir ouvert les yeux.

On reconnaît l’erreur, on rit. Le faux Linée,
Dit : « Le prix est à moi, la leçon est donnée. »
« M’oses-tu bien parler, vain et stupide oiseau,
Répond le Grec, va-t’en… Mais non, je fuis moi-même,
Je suis sourd, je suis mort : par ton orgueil extrême,
Tu m’as fait regretter les Turcs et mon réseau. »

Tout s’envole, et la Muse avait fui la première.
Sous un palais de feuille elle attend son ami :
Il la trouve cachée au fond de la bruyère ;
Alors, et d’une voix qu’il entend à demi :
« De colliers et d’encens vois comme ils sont avides !
Loin de nos sansonnets, loin des sultans perfides,
Quand la nuit répandra ses flots assoupissans,
Viens ! je te calmerai par mes plus doux accens.
Qui veut garder une ame à la fois libre et tendre,

Ne la révèle pas à qui ne peut l’entendre :
Cachons-nous dans l’espoir. Un jour, jour fortuné !
Un jour te verra libre où tu fus enchaîné :
Car la fille des cieux, la Liberté féconde,
En versant ses bienfaits fera le tour du monde ;
Et quand le monde en paix n’aura plus d’autre amour,
Alors je chanterai mon idole au grand jour.


LA GOUTTE D’EAU.

Il était dans le monde une goutte d’eau pure,
Trésor secret de la nature,
Cachée en un sable brillant,
Sous un ciel toujours calme et toujours bienveillant.

Sur la rive silencieuse,
Une pauvre exilée était venue un jour ;
Là, sa douleur mystérieuse
Expia lentement le crime de l’amour,
Car l’amour est souvent un crime sur la terre :

Dieu seul sait la clémence, il le faut implorer.
Chez les hommes, tout prêts peut-être à s’égarer,
Dieu seul eut un pardon pour la femme adultère.

L’autre femme avait fui. Nul n’entendit sa voix :
On dit qu’elle était morne, inquiète, honteuse,
Et que l’avide écho, l’immortelle écouteuse,
Ne put la trahir une fois.
Que son secret dorme comme elle ;
Coupable elle a passé, ses juges ne sont plus ;
Et peut-être celui qui la fit criminelle,
En garda-t-il à peine un souvenir confus.

Son voile emporté par l’orage,
Apprit à l’autre rive ou sa fuite, ou sa mort :
Personne n’accueillit ce témoin du remord ;

Pour plaindre le malheur il faut tant de courage !
Son cœur las de l’exil dont il allait sortir,
Offrant au ciel sa crainte et ses tendres misères,
Fit tomber de ses yeux sincères
Une larme de repentir :
C’était la goutte d’eau, reçue à sa naissance
Par l’ange qui préside aux dernières douleurs,
Et couronne des mêmes fleurs
Le repentir et l’innocence.

D’un éclat inconnu cette eau brilla long-temps.
Gardée au sein des fleurs, teinte de leurs parures,
Elle allait être perle ; encor quelques instans,
Une larme effaçait les perles les plus pures.
Pourquoi dans les déserts l’homme va-t-il errer ?
Pourquoi son avide imprudence,

Aux secrets de la Providence,
Brûle-t-elle de pénétrer ?
Un homme… le hasard devait-il l’y conduire ?
Errant sur le rivage, un homme va détruire
L’espoir du temps, l’amour des cieux,
Et de l’ange des pleurs le dépôt précieux.

Le voyageur, au sein d’un lotos qui s’entr’ouvre,
Contemple en palpitant ce trésor qu’il découvre ;
Ses mains ont dispersé les voiles superflus :
L’ange effrayé s’envole, et la perle n’est plus !


LE BAL DES CHAMPS,
OU
LA CONVALESCENCE.

Un bruit de fête agitait mes compagnes ;
Sous leurs plus frais atours je les vis accourir ;
Elles criaient : « Viens ! le bal va s’ouvrir ;
Viens ! nous allons au bal, et tu nous accompagnes. »
« Quoi ! dans les champs ? quoi ! dans ce beau jardin,
Plus beau, plus vert, plus bruyant à cette heure,
Si gai le soir, si triste le matin,
Je l’ai vu le matin, et je sais qu’on y pleure !

Quoi ! vous voulez que j’y suive vos pas,
Si faible encore ? oh ! je ne danse pas,
Non, dis-je, non. » Mais elles m’entourèrent,
De fleurs, de nœuds en riant me parèrent,
Et rendue en espoir à l’air pur des vallons,
Riante aussi, je répondis : allons !

Oui ! cette fête avait pour moi des charmes ;
Oui, j’appelais des champs les suaves couleurs ;
Car le zéphyr errant parmi les fleurs,
Est salutaire aux yeux où se cachent des larmes.
Mais je dis mal, non, je ne pleurais plus ;
J’étais, de mille maux, de mille biens perdus,
Trop lentement, mais à jamais guérie.
Hélas ! on meurt long-temps lorsque l’on fut trahie !
Je renaissais, j’osais vivre pour moi,

Pour l’amitié de tes beautés aimantes ;
À me parer j’aidais leurs mains charmantes ;
J’étais mieux. Oui, ma sœur, je le voyais en toi.
Dans tes regards émus qu’il m’était doux de lire,
Quand tu revis des fleurs couronner mes cheveux :
Tes tristes souvenirs, ton vague espoir, tes vœux,
Ma sœur ! je voyais tout à travers ton sourire.
Regardez-la, disais-tu ; qu’elle est bien !
Que manque-t-il à son teint ? quelques roses ;
Et le grand air, le bruit, qui sait ? un rien,
Peut tout à coup les y répandre écloses.

Je t’écoutais : je ne sais quel pouvoir
M’aidait à fuir ma retraite profonde ;
Je devançais l’instant qui me rendait au monde,
À ce monde entrevu, que je voulais revoir.

Et l’heure frappe, et par elle entraînées,
Nous avançons deux à deux enchaînées.
D’harmonieux échos promènent dans les airs
L’enchantement des nocturnes concerts ;
Le jour fuyait, mais mille autres lumières
Sur mes yeux éblouis font baisser mes paupières :
Il me semblait, oh ! quel doux sentiment !
Ciel ! pardonnez à l’orgueil d’un moment :
Il me semblait, dans ma reconnaissance,
Que tout daignait sourire à ma convalescence.
Les yeux fermés j’accueillis cette erreur ;
On me laissait goûter mon innocente ivresse ;
Autour de moi je sentais le bonheur,
Et le bonheur ressemble à la tendresse.

Mais on nous suit… mais j’entends une voix,
Que dans mon cœur j’entendis autrefois :

Je crois rêver, je l’espère… et ma vue
Passe en tremblant sur l’image imprévue.
Aimable sœur ! ce fut encor ta main,

Qui prompte à me sauver, me montra le chemin.
De ta frayeur, de ta grâce attendrie,
J’ai murmuré : Ne suis-je pas guérie ?
Et lui, peut-être, ému quelques instans,
De me revoir languissante et penchée,
Comme une fleur que l’orage a touchée,
Dans ma pâleur il m’observa long-temps.
Mais ma fierté n’en fut point consternée ;
Nul changement n’a paru dans mes traits ;
D’un air indifférent je me suis détournée…
Hélas ! j’ai cru que je mourais !


Séparateur


POÉSIES DIVERSES.

POÉSIES DIVERSES.



LE RETOUR À BORDEAUX.


Salut ! rivage aimé de ma timide enfance,
Où de ma vie en fleur le songe a commencé :
Je t’aborde, et je sens ma première espérance
Me réunir tremblante à mon bonheur passé.

Quel doux ravissement se glisse dans mes larmes ?
Quelle main me caresse et s’arrête à mon cœur ?
Quelle secrète voix, relevant ma langueur,

Et m’appelle, et m’attire où la vie a des charmes ?
Parle-moi, je t’écoute, éloquent souvenir !
Qui ne s’est détourné d’un trompeur avenir,
Pour chercher dans le fond de son âme attendrie,
Tes regrets, tes leçons, ta tristesse chérie :
Ce tableau vague et doux qui repose les yeux,
Qui nous rend l’innocence et le pardon des cieux.
Ne m’en détournez pas, j’y retrouve ma mère !
Laissez-moi regarder ma mère et mes beaux jours :
Je les perdis si jeune : il veut rêver toujours,
Celui dont le bonheur n’est plus qu’une chimère.

Ingrate ! et sur qui donc se repose ma main ?
N’ai-je pas un ami qui partage ma joie ?
Sommes-nous pas ensemble où le ciel nous envoie ?
N’est-ce pas le bonheur qui m’arrête en chemin ?

Ne parle-t-on jamais que des saisons passées ?
Mon sommeil si souvent se peint de leurs couleurs !
Pour rafraîchir mes yeux lassés de tant de pleurs,
L’avenir m’a promis de riantes pensées.
Je le sens, c’est ici que j’en dois recueillir ;
C’est ici que l’exil a perdu sa tristesse.
Beau rivage ! au refus de la fière Lutèce,
Pour la seconde fois tu veux donc m’accueillir !
Comme on voit vers le soir, dans la rade tranquille,
Au milieu des vaisseaux prêts à franchir le port,
Glisser sans bruit la barque agile,
Bornant sa course à l’autre bord,
Ma voile n’ira plus follement égarée,
Affronter les lointaines mers ;
Non ! je ne veux courir que sur l’onde azurée,
Dont les flots ne sont point amers.

À travers les vieux pins qui peuplent la campagne,
Des pas qu’on n’entend plus sont restés imprimés :
Je crois suivre les pas du paisible Montagne,
Je crois saisir dans l’air ses accens ranimés.
Aux lèvres des vieillards je cherche son sourire,
Sa railleuse vertu, sa facile pitié,
Ces préceptes du cœur que son cœur sut écrire,
Et son amour pour l’amitié :
Que ce livre est beau ! que je l’aime !
Le monde y paraît devant moi :
L’indigent, l’esclave, le roi,
J’y vois tout ; je m’y vois moi-même.
Bords heureux ! de sa cendre il vous légua l’honneur.
Tout ce qu’il cultiva nous instruit, nous attire,
Et les fruits que l’on en retire,
Ont un goût de sagesse, un parfum de bonheur.

Il est doux, en passant un moment sur la terre,
D’effleurer les sentiers où le sage est venu ;
D’entretenir tout bas son malheur solitaire,
Des discours d’un ami qu’on pense avoir connu.
Ainsi, comme une fleur pour l’avenir semée,
Ô Montesquieu ! ta grâce a consolé mon sort,
Et je garde en mon âme, à jamais imprimée,
Cette plainte où ton âme a coulé sans effort :
« Puisque je suis heureux, qu’importe que je pleure ! »
Dans mon ravissement je l’ai dit tout à l’heure.
Hélas ! je vis d’aimer, il me faut donc souffrir :
J’y consens, je suis faible et ne veux point haïr,
Je ne veux pas des maux que la sagesse ignore :
Trahie et sans espoir, je me tais, j’aime encore ;
Je n’use point ma vie en longs ressentimens :
Si l’amour a des pleurs, la haine à des tourmens.

Mais quelle voix plus tendre
S’exhale au fond des bois ?
Cotin, je crois entendre
Ta gémissante voix :
Non, c’est la tourterelle,
Qui pleure ses amours :
Tu fus triste comme elle,
On te plaindra toujours !

Les bords de ce rivage,
Émus de tes douleurs,
Disent que ton bel âge
Y languit sur des fleurs :
De tes plaintes chéries,
On trouva le trésor :

Les fleurs se sont flétries ;
Tes pleurs brillent encor.

Malvina, de tes larmes,
Raconte les secrets.
Mathilde, dans ses charmes,
Garde tes doux attraits :
Là, ta grâce craintive,
Qu’on ne fit qu’entrevoir,
Se réfléchit pensive,
Comme au fond d’un miroir.

Et déja tu sommeilles ;
Tes tendres yeux fermés,
De leurs brûlantes veilles,
Sont déja consumés.

Il est doux de connaître
Un cœur comme le tien :
Il est cruel, peut-être,
De l’entendre trop bien !

Aux coteaux de l’Ormont dansent-elles encore,
Les Muses que j’adore ?
Leurs pas mystérieux… est-ce le bruit léger
Que m’apporte le vent dans son vol passager ?
Est-ce leur chant du soir qui frémit sur la rive,
Où le printemps arrive ?
Dieu ! qu’il verse de fleurs au bord des flots charmés !
D’un ciel rempli d’amour que ces lieux sont aimés !
Que l’heure qui m’amène est belle dans ma vie !
Temps ! donne lui des sœurs qui soient belles encor :
De ces lieux enchantés ne bannis plus mon sort ;

Que j’y vive mes jours, c’est tout ce que j’envie.

Salut, belle Aquitaine ! En parcourant le sol,
Doux sol où s’éveilla l’ame de ton Orphée[2],
Je demande aux Échos l’harmonieuse Fée,
Qui souffla dans son sein la voix d’un rossignol.
Est-ce aux peupliers verts qui bordent cette eau vive
Que son berceau fut suspendu ?
Des flots mélodieux la cadence plaintive,
Le rappelle à mon cœur qui l’a bien entendu :
Est-ce au brillant sommet des collines fleuries,
Où se parfume, et vole, et languit le zéphyr ?
Est-ce au vallon sonore, aux riantes prairies,

Où le papillon brûle et meurt dans le plaisir ?
Est-ce au roc libre et fier que la vague menace,
Avec un bruit pareil aux Autans orageux,
Qu’il puisa son génie, et sa tranquille audace,
Et sa liberté noble, et ses chants courageux ?
N’y trouverai-je point sa tombe recueillie ?
Non, la cité lointaine en est enorgueillie :
Mais son ombre parfois glissera sur les eaux,
Comme un doux Alcyon dans son nid de roseaux.
Cette lyre vivante, hélas ! où donc est-elle ?
Oh ! qui n’eût souhaité qu’elle fût immortelle !
Mon cœur inoccupé, trop jeune pour l’amour,
Sentit en l’écoutant qu’il aimerait un jour.
Un bel enfant dès-lors troubla ma rêverie ;
Je le baisai distraite, et ce baiser fut doux :
J’en entretins long-temps ma mémoire attendrie ;

Il me l’a bien rendu, car il est mon époux.
À tes enchantemens c’est lui qui me ramène,
Fleuve où mon souvenir s’éveille et se promène ;
L’hirondelle en avril t’effleure comme moi ;
Je voyage comme elle, et je chante pour toi :

Salut ! rivage aimé de ma timide enfance,
Où de ma vie en fleur le songe a commencé :
Je t’aborde, et je sens ma première espérance
Me réunir tremblante à mon bonheur passé.


LE BILLET D’UNE AMIE.

Oh ! qu’il ne fût, m’écrivait une amie,
Entre nous deux qu’un fleuve à traverser !
J’irais sans peur cette nuit t’embrasser,
Et doucement te surprendre endormie.

Je braverais ce terrible élément ;
Et quelque flot, ému de mon courage,
Me pousserait jusques à ton rivage,
Où l’amitié serait mon seul aimant.

De l’eau qui fuit dans cette nuit obscure,
J’affronterais le roulement grondeur ;
Car de cette eau, froide, limpide et pure,
L’embrassement rafraîchirait mon cœur.

Ce cœur blessé qui ne bat plus qu’à peine,
Respirerait pour s’élancer vers toi.
Il est si doux de soulever sa chaîne,
Et de se dire : on la porte avec moi !

Des flots amers et du bruit de la vie
J’irais sauver ou distraire mon sort,
Et, je le sens ! tenter un vain effort,
Pour retourner à mes fers asservie.

J’irais pleurer à ta porte, où ma voix

T’attirerait courageuse et timide.
En saisissant ma main encore humide,
Tu me plaindrais : je t’ai plainte une fois !

Quand tu partis, oui, j’ai plaint ton courage ;
J’avais tout lu dans tes yeux qui parlaient :
De ta pudeur j’imitai le langage ;
J’étais muette, et mes larmes coulaient.

Tes vœux brisés, ta blessure profonde,
Tous tes ennuis répandus sur mes jours,
Ces maux affreux qui font haïr le monde,
En les fuyant, s’en souvient-on toujours ?

Me rendrais-tu ma paix évanouie ?
Si, dans ton sein gémissante aujourd’hui,

Je m’écriais : ma chère, il m’a trahie ;
Répondrais-tu : pleure, et pardonne-lui !

Comme elle aimait ! quelle ame tendre et pure
M’a révélé ce douloureux transport !
Ah ! si l’amour lui fut vraiment parjure,
Je le déteste… eh quoi ! l’aimais-je encor ?


L’AUTRUCHE ET LE PÉLICAN.

Tout perdu dans le soin de sa jeune famille,
Sur la vague qui passe, et qui roule, et qui brille,
Un Pélican s’incline et saisit les poissons,
Qu’il offre en espérance à ses chers nourrissons.

Sans affaire, et livrée à l’amour d’elle-même,
L’Autruche, en digérant, vient le long du rocher ;
Son repas est fini, qu’aurait-elle à chercher ?
Elle porte tout ce qu’elle aime.

Grand dieu ! d’où venez-vous ? dit-elle au tendre oiseau

Dont la poitrine est ouverte et sanglante.
Sortez-vous d’un combat, d’un piège, d’un réseau ?
Le coup est-il mortel ? j’en suis presque tremblante.
Parlez donc ! quelle flèche ou quel ongle assassin
Vous déchira le sein ?
Vous faites peur. — C’est moi, c’est un peu de ma vie,
Répond le Pélican à sa pêche assidu.
Vous allez me porter envie :
Mes petits avaient faim ; mon sang n’est pas perdu,
Je l’ai versé pour eux. — Quoi ! dit l’autre irritée,
Votre sang… taisez-vous ! on ne peut sans horreur,
Supporter dans l’amour cet excès de fureur ;
Il soulève, il repousse, et j’en suis révoltée.
Vous perdez le bon sens, vos petits vous tueront,
Et les oiseaux riront.
Laissez ces préjugés aux tendres tourterelles.

L’amour est un besoin qu’il est doux d’éprouver ;
Mais je n’aurais point d’œufs s’il les fallait couver.
Quel emploi, quel ennui d’étendre ainsi les ailes,
De garder la maison, d’y mourir de chaleur !
L’hymen n’est donc pour vous qu’un travail, un malheur !
Se torturer le flanc, s’appauvrir l’existence,
Mourir, pour satisfaire à l’importune instance
De petits jeunes dévorans,
Dont les cris déchirans,
Troublent et le somme et la veille !
D’en parler seulement je me blesse l’oreille.
Ce fanatisme fait pitié ;
Toutefois, s’il est temps, écoutez l’amitié.

Mon exemple peut vous instruire.
Loin de couver, de me détruire,

Au hasard je laisse mes œufs :
Le ciel veille sur moi, le ciel veille sur eux.
Je ne me charge pas de ce soin haïssable.
Je suis mère pourtant, je les couvre de sable ;
Si la pluie et l’orage, et les vents tour-à-tour,
Ne les écrasent pas avant de naître au jour,
Si le Milan ne les dévore,
La chaleur du soleil enfin les fait éclore :
La nature en prend soin, et tous les élémens
Composent mieux que moi leurs premiers alimens.
Ils s’envolent alors et vont chercher fortune.
Je n’ai pas supporté leur enfance importune.
Ce qu’ils deviennent, je ne sais :
Je me porte bien, c’est assez.

— Méchante ! ah ! méchante endurcie !

De quel aveuglement ton âme est obscurcie !
Tu n’as donc d’une mère obtenu que le nom ?
Va, tu glaces mon cœur, tu blesses ma raison.
Quoi ! te déshériter des larmes d’une mère !
De ses tourmens délicieux,
De ses plaisirs silencieux,
Où tout est volupté bien que parfois amère !
Quand je sens mes petits s’agiter sous mon sein,
Quand leurs cris me disent : j’ai faim,
Oh ! quel bonheur j’éprouve à leur donner ma vie !
Mais ma douce blessure est promptement guérie :
On dirait que l’extrême amour
Renaît sans cesse de lui-même :
On le prodigue en vain ; comme le feu du jour,
Il se ranime encor pour nourrir ce qu’il aime.
Va chercher tes enfans ; tu me remercîras,

Si tu peux les trouver et devenir sensible :
Ton sort, au milieu d’eux, s’écoulera paisible ;
Va ! ne crains plus la mort ; sois mère, tu vivras !


FIN.
  1. Soleil de la nuit : expression des nègres.
  2. Garat.