Élégies et poésies nouvelles/Le Retour à Bordeaux

POÉSIES DIVERSES.



LE RETOUR À BORDEAUX.


Salut ! rivage aimé de ma timide enfance,
Où de ma vie en fleur le songe a commencé :
Je t’aborde, et je sens ma première espérance
Me réunir tremblante à mon bonheur passé.

Quel doux ravissement se glisse dans mes larmes ?
Quelle main me caresse et s’arrête à mon cœur ?
Quelle secrète voix, relevant ma langueur,

Et m’appelle, et m’attire où la vie a des charmes ?
Parle-moi, je t’écoute, éloquent souvenir !
Qui ne s’est détourné d’un trompeur avenir,
Pour chercher dans le fond de son âme attendrie,
Tes regrets, tes leçons, ta tristesse chérie :
Ce tableau vague et doux qui repose les yeux,
Qui nous rend l’innocence et le pardon des cieux.
Ne m’en détournez pas, j’y retrouve ma mère !
Laissez-moi regarder ma mère et mes beaux jours :
Je les perdis si jeune : il veut rêver toujours,
Celui dont le bonheur n’est plus qu’une chimère.

Ingrate ! et sur qui donc se repose ma main ?
N’ai-je pas un ami qui partage ma joie ?
Sommes-nous pas ensemble où le ciel nous envoie ?
N’est-ce pas le bonheur qui m’arrête en chemin ?

Ne parle-t-on jamais que des saisons passées ?
Mon sommeil si souvent se peint de leurs couleurs !
Pour rafraîchir mes yeux lassés de tant de pleurs,
L’avenir m’a promis de riantes pensées.
Je le sens, c’est ici que j’en dois recueillir ;
C’est ici que l’exil a perdu sa tristesse.
Beau rivage ! au refus de la fière Lutèce,
Pour la seconde fois tu veux donc m’accueillir !
Comme on voit vers le soir, dans la rade tranquille,
Au milieu des vaisseaux prêts à franchir le port,
Glisser sans bruit la barque agile,
Bornant sa course à l’autre bord,
Ma voile n’ira plus follement égarée,
Affronter les lointaines mers ;
Non ! je ne veux courir que sur l’onde azurée,
Dont les flots ne sont point amers.

À travers les vieux pins qui peuplent la campagne,
Des pas qu’on n’entend plus sont restés imprimés :
Je crois suivre les pas du paisible Montagne,
Je crois saisir dans l’air ses accens ranimés.
Aux lèvres des vieillards je cherche son sourire,
Sa railleuse vertu, sa facile pitié,
Ces préceptes du cœur que son cœur sut écrire,
Et son amour pour l’amitié :
Que ce livre est beau ! que je l’aime !
Le monde y paraît devant moi :
L’indigent, l’esclave, le roi,
J’y vois tout ; je m’y vois moi-même.
Bords heureux ! de sa cendre il vous légua l’honneur.
Tout ce qu’il cultiva nous instruit, nous attire,
Et les fruits que l’on en retire,
Ont un goût de sagesse, un parfum de bonheur.

Il est doux, en passant un moment sur la terre,
D’effleurer les sentiers où le sage est venu ;
D’entretenir tout bas son malheur solitaire,
Des discours d’un ami qu’on pense avoir connu.
Ainsi, comme une fleur pour l’avenir semée,
Ô Montesquieu ! ta grâce a consolé mon sort,
Et je garde en mon âme, à jamais imprimée,
Cette plainte où ton âme a coulé sans effort :
« Puisque je suis heureux, qu’importe que je pleure ! »
Dans mon ravissement je l’ai dit tout à l’heure.
Hélas ! je vis d’aimer, il me faut donc souffrir :
J’y consens, je suis faible et ne veux point haïr,
Je ne veux pas des maux que la sagesse ignore :
Trahie et sans espoir, je me tais, j’aime encore ;
Je n’use point ma vie en longs ressentimens :
Si l’amour a des pleurs, la haine à des tourmens.

Mais quelle voix plus tendre
S’exhale au fond des bois ?
Cotin, je crois entendre
Ta gémissante voix :
Non, c’est la tourterelle,
Qui pleure ses amours :
Tu fus triste comme elle,
On te plaindra toujours !

Les bords de ce rivage,
Émus de tes douleurs,
Disent que ton bel âge
Y languit sur des fleurs :
De tes plaintes chéries,
On trouva le trésor :

Les fleurs se sont flétries ;
Tes pleurs brillent encor.

Malvina, de tes larmes,
Raconte les secrets.
Mathilde, dans ses charmes,
Garde tes doux attraits :
Là, ta grâce craintive,
Qu’on ne fit qu’entrevoir,
Se réfléchit pensive,
Comme au fond d’un miroir.

Et déja tu sommeilles ;
Tes tendres yeux fermés,
De leurs brûlantes veilles,
Sont déja consumés.

Il est doux de connaître
Un cœur comme le tien :
Il est cruel, peut-être,
De l’entendre trop bien !

Aux coteaux de l’Ormont dansent-elles encore,
Les Muses que j’adore ?
Leurs pas mystérieux… est-ce le bruit léger
Que m’apporte le vent dans son vol passager ?
Est-ce leur chant du soir qui frémit sur la rive,
Où le printemps arrive ?
Dieu ! qu’il verse de fleurs au bord des flots charmés !
D’un ciel rempli d’amour que ces lieux sont aimés !
Que l’heure qui m’amène est belle dans ma vie !
Temps ! donne lui des sœurs qui soient belles encor :
De ces lieux enchantés ne bannis plus mon sort ;

Que j’y vive mes jours, c’est tout ce que j’envie.

Salut, belle Aquitaine ! En parcourant le sol,
Doux sol où s’éveilla l’ame de ton Orphée[1],
Je demande aux Échos l’harmonieuse Fée,
Qui souffla dans son sein la voix d’un rossignol.
Est-ce aux peupliers verts qui bordent cette eau vive
Que son berceau fut suspendu ?
Des flots mélodieux la cadence plaintive,
Le rappelle à mon cœur qui l’a bien entendu :
Est-ce au brillant sommet des collines fleuries,
Où se parfume, et vole, et languit le zéphyr ?
Est-ce au vallon sonore, aux riantes prairies,

Où le papillon brûle et meurt dans le plaisir ?
Est-ce au roc libre et fier que la vague menace,
Avec un bruit pareil aux Autans orageux,
Qu’il puisa son génie, et sa tranquille audace,
Et sa liberté noble, et ses chants courageux ?
N’y trouverai-je point sa tombe recueillie ?
Non, la cité lointaine en est enorgueillie :
Mais son ombre parfois glissera sur les eaux,
Comme un doux Alcyon dans son nid de roseaux.
Cette lyre vivante, hélas ! où donc est-elle ?
Oh ! qui n’eût souhaité qu’elle fût immortelle !
Mon cœur inoccupé, trop jeune pour l’amour,
Sentit en l’écoutant qu’il aimerait un jour.
Un bel enfant dès-lors troubla ma rêverie ;
Je le baisai distraite, et ce baiser fut doux :
J’en entretins long-temps ma mémoire attendrie ;

Il me l’a bien rendu, car il est mon époux.
À tes enchantemens c’est lui qui me ramène,
Fleuve où mon souvenir s’éveille et se promène ;
L’hirondelle en avril t’effleure comme moi ;
Je voyage comme elle, et je chante pour toi :

Salut ! rivage aimé de ma timide enfance,
Où de ma vie en fleur le songe a commencé :
Je t’aborde, et je sens ma première espérance
Me réunir tremblante à mon bonheur passé.


  1. Garat.