Élégies et poésies nouvelles/Le Rêve de mon Enfant

LE RÊVE DE MON ENFANT.

À MADAME PAULINE DUCHAMBGE.

« Mère ! petite mère ! » Il m’appelait ainsi ;
Et moi, je tressaillais à cet accent si tendre :
Tout mon être agité s’éveillait pour l’entendre ;
Je ne l’entendrai plus. Il ne dort plus ici.

Où retentit sa voix qui calmait ma souffrance,
Comme la voix de l’espérance ;
Formée (on l’aurait dit) de rosée et de miel :
Le ciel en fut jaloux, elle doit être au ciel.
Non, elle est dans mon cœur : je l’y garde enfermée ;
Elle soupire encore, elle parle avec moi.

Durant mes longues nuits, cette voix tant aimée
Me dit : Ne pleure plus ! je prie encor pour toi.

Oh ! moitié de ma vie, à ma vie arrachée !
Viens ! redis-moi ton rêve ; il m’a prédit ton sort.
Que ta plainte, une fois de mon cœur épanchée,
Rappelle un jeune cygne et son doux chant de mort.

Écoute ! m’as-tu dit, écoute mon beau songe.
Le premier… le dernier qui berça ton sommeil.
De ce récit confus, prophétique mensonge,
Cher innocent ! tu vins saluer mon réveil.

« Écoute ! je dormais ; j’avais dit ma prière.
« J’ai vu venir vers moi deux anges : qu’ils sont beaux !
« Je voudrais être un ange. Ils portent des flambeaux,
« Que le vent n’éteint pas. L’un d’eux a dit : Mon frère,
« Nous venons te chercher ; veux-tu nous suivre ? Oh ! oui :
« Je veux vous suivre. On chante ; est-ce fête aujourd’hui ?

— C’est fête. Viens chercher des parures nouvelles.
« Et mes bras s’étendaient pour imiter leurs ailes ;
« Je m’envolais comme eux, je riais… j’avais peur :
« Dieu parlait ! Dieu pour moi montrait une couronne ;
« C’est aux enfans chéris que sa bonté la donne,
« Et Dieu me l’a promise, et Dieu n’est pas trompeur.
« J’irai bientôt le voir. — Oh ! mon enfant, ma vie,

« Où donc étais-je alors ? — Attends… Je ne sais pas…
« Tu pleurais sur la terre, où je t’avais suivie.
— Tu me laissais pleurer ? — Je t’appelais tout bas.
— Tu voulais me revoir ? — Je ne pouvais, ma mère,
« Dieu ne t’appelait pas. » Un froid saisissement
Passa jusqu’à mon cœur, et cet être charmant,
Calme, rêvait encor sa céleste chimère.

Dès lors un mal secret répandit sa pâleur
Sur ce front incliné, qui brûlait sous mes larmes.
Je voyais se détruire avant moi tant de charmes,

Comme un frêle bouton s’effeuille avant la fleur :
Je le voyais ! et moi, rebelle… suppliante,
Je disputais un ange à l’immortel séjour.
Après soixante jours de deuil et d’épouvante,
Je criais vers le ciel : Encore, encore un jour !
Vainement. J’épuisai mon ame tout entière,
À ce berceau plaintif j’enchaînai mes douleurs,
Repoussant le sommeil et m’abreuvant de pleurs,
Je criais à la mort : Frappe-moi la première !
Vainement. Et la mort, froide dans son courroux,
Irritée à l’espoir qu’elle accourait éteindre,
En moissonnant l’enfant, ne daigna pas atteindre
La mère expirante à genoux.

Et quand je reparus morne et découronnée,
Après avoir long-temps craint, jusqu’à l’amitié,
Cette troupe légère, un moment consternée,
Suspendit ses plaisirs, et sentit la pitié.

« D’où viens-tu, m’a-t-on dit, et quels nuages sombres
« Ont environné d’ombres
« Tes yeux brûlés de pleurs ?
« Ton soir est loin encore,
« Et ta paisible aurore
« T’avait promis des fleurs. »

Oui, la rose a brillé sur mon riant voyage ;
Tous les yeux l’admiraient dans son jeune feuillage ;
L’étoile du matin l’aidait à s’entr’ouvrir,
Et l’étoile du soir la regardait mourir.
Vers la terre déja sa tête était penchée ;
L’insecte inaperçu s’y creusait un tombeau ;
Sa feuille murmurait en tombant desséchée :
« Déja la nuit ! déja… Le jour était si beau ! »