Élégies et poésies nouvelles/À ma Sœur 2

À MA SŒUR.

Qu’ai-je appris, le sais-tu ? Sa vie est menacée,
On tremble pour ses jours.
J’ai couru… je suis morte, et ma langue glacée,
Peut à peine… Ma sœur, je l’aime donc toujours !
Quel aveu, quel effroi, quelle triste lumière.
Eh quoi ! ce n’est pas moi qui mourrai la première,
Moi qu’il abandonna, moi qu’il a pu trahir,
Moi, qui fus malheureuse au point de le haïr,
Qui l’essayai du moins. C’est moi qui vis encore !
Et j’apprends qu’il se meurt, j’apprends que je l’adore,
Le voile se déchire en ces momens affreux :

Comment ne plus l’aimer quand il n’est plus heureux !

Viens, ma sœur… de ses torts tu m’as crue incapable,
Et moi, je ne sais plus qui des deux fut coupable :
C’est moi, mon Dieu ! c’est moi si vous devez punir ;
Oubliez le passé, je prends son avenir :
Dans la tombe qui s’ouvre, ah ! laissez-moi l’attendre !
Qu’il m’y retrouve un jour calmée et toujours tendre ;
Que ma main le rassure en le guidant vers vous ;
Que je lui dise : « Viens ! plus d’absence entre nous,
« Viens ! j’expiai pour toi ton infidèle flamme. »
Il me reconnaîtra. Saisi d’un doux remords
Il ne verra plus que mon âme,
Il me trouvera belle alors.
Dieu ! couvrez-le des fleurs qu’en silence il cultive ;
Le monde est beau pour lui, l’amour l’attend… qu’il vive !
Donnez-lui tous les biens qui me furent promis ;
Rendez sa jeune gloire à ses jeunes amis ;

Qu’ils marchent tous ensemble, et qu’il les guide encore,
Vers ces lauriers lointains que le bel âge adore.
Cette foule riante à l’aspect d’un cercueil,
Allez-vous la changer en cortège de deuil ?
N’achèveront-ils pas leur veille harmonieuse ?
En exilerez-vous sa voix mélodieuse ?
Le départ d’un ami rompt souvent tous les jeux ;
C’est un anneau brisé qui déjoint d’autres nœuds :
Ah ! laissez-les chanter ! et que sa rêverie
Porte un jour quelques fleurs à ma cendre flétrie ;
Que des parfums si doux consolent mes cyprès,
Qu’il vive de ma vie et je meurs sans regrets !
Ma vie hélas, c’est peu, mais il souffre et j’implore.
Jetez, jetez sur moi ce mal qui le dévore,
Qu’il vive enfin… (Cruel, juge si je t’aimais !)
Qu’il vive pour un autre et m’oublie à jamais.

Dis, crois-tu que le ciel m’exauce et lui pardonne,

Ma sœur, ou que le ciel comme lui m’abandonne ?
Qu’il rejette ma vie en le privant du jour,
Et punisse la haine où se cachait l’amour ?…
Tu fais bien d’écouter sans répondre à mes plaintes ;
J’aime mieux ton silence et tes pieuses craintes ;
Ta tristesse m’aide à souffrir ;
Peux-tu me consoler ma sœur, il va mourir !

Priez pour lui, moi je succombe :
La porte s’ouvre, — elle retombe,
Ah !… que ce bruit sourd m’a fait peur !
On dirait que la mort passe auprès de mon cœur.

Voyez-vous ses amis ? ciel ! quel silence horrible !
Allons au-devant d’eux, parlez, demandez-leur…
Non, la force me manque et je crains le malheur,
Hélas ! si tu savais, que son poids est terrible !
Que nous répondraient-ils !… mais ils sont déja loin :

De m’arracher le cœur nul ne prendra le soin ;
J’ignorerai son sort, on m’y croit étrangère ;
Et près de sa demeure, et si triste, et si chère,
Personne, excepté vous, n’aurait guidé mes pas ;
Quand j’expire à sa porte, on ne m’y connaît pas.

Pourquoi souffriraient-ils de ma lente agonie.
Dans la foule perdus, oh ! ma chère Eugénie,
Nous croyons l’univers instruit de nos douleurs,
Et même aux cœurs heureux nous demandons des pleurs.

Laissez-moi seule, allez, retournez la première.
Voyez, le ciel se couvre, et le jour va finir ;
Voyez sous ces rideaux trembler une lumière ;
C’est là peut-être… et moi, que vais-je devenir !
On ferme lentement ; il semble que l’on pleure :
Oh ! que je voudrais voir !
Écoutez cette cloche… Ah ! sans doute, c’est l’heure,

Enfin, c’est la prière, et c’est encor l’espoir !
Priez pour lui, priez ! laissez… quittez l’envie
De rappeler le temps où j’ai cru le haïr :
Ma sœur, obtiens des cieux qu’ils lui rendent la vie,
Après, tu me diras qu’il faut encor le fuir.