Élégies et Sonnets/Quand vous lirez, ô Dames Lionnoises

III


Qvand lirez, ô Dames Lionnoises,
Ces miens escrits pleins d’amoureuses noises,
Quand mes regrets, ennuis, despirs et larmes
M’orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez point condamner ma simplesse,
Et ieune erreur de ma fole ieunesse,
Si c’est erreur : mais qui dessous les Cieus
Se peut vanter de n’estre vicieus ?
L’un n’est content de sa sorte de vie,
Et toujours porte à ses voisins enuie :
L’un forcenant de voir la paix en terre,
Par tous moyens tache y mettre la guerre :

L’autre croyant pureté estre vice,
À autre Dieu qu’Or, ne fait sacrifice :
L’autre sa foy pariure il emploira
À deceuoir quelcun qui le croira :
L’un en mentant de sa langue lezarde,
Mile brocars sur l’un et l’autre darde :
Ie ne suis point sous ces planettes nee,
Qui m’ussent pù tant faire infortunee.
Onques ne fut mon œil marri, de voir
Chez mon voisin mieux que chez moi pleuuoir.
Onq ne mis noise ou discord entre amis :
À faire gain iamais ne me soumis.
Mentir, tromper, et abuser autrui,
Tant m’a desplu, que mesdire de lui.
Mais si en moy rien y ha d’imparfait,
Qu’on blame Amour : c’est lui seul qui l’a fait.
Sur mon verd aage en ses laqs il me prit,
Lors qu’exerçoi mon corps et mon esprit
En mile et mile euures ingenieuses,
Qu’en peu de tems me rendit ennuieuses.
Pour bien sauoir avec l’esguille peindre
I’eusse entrepris la renommee esteindre

De celle là, qui plus docte que sage,
Auec Pallas comparoit son ouvrage.
Qui m’ust vu lors en armes fiere aller,
Porter la lance et bois faire voler,
Le deuoir faire en l’estour furieus,
Piquer, volter le cheval glorieus,
Pour Bradamante, ou la haute Marphise,
Seur de Roger, il m’ust, possible, prise.
Mais quoy ? Amour ne put longuement voir.
Mon cœur n’aymant que Mars et le sauoir :
En me voulant donner autre souci.
En souriant, il me disoit ainsi :
Tu penses donq, ô Lionnaise Dame,
Pouuoir fuir par ce moyen ma flame :
Mais non feras, i’ai subiugué les Dieus
Es bas Enfers, en la Mer et es Cieus.
Et penses tu que n’aye tel pouuoir
Sur les humeins, de leur faire savoir
Qu’il n’y ha rien qui de ma main eschape ?
Plus fort se pense et plus tot ie le frape.
De me blamer quelquefois tu n’as honte.
En te fiant en Mars, dont tu fais conte :

Mais meintenant, voy si pour persister
En le suiuant me pourras resister.
Ainsi parloit, et tout eschaufé d’ire
Hors de sa trousse une sagette il tire,
Et decochant de son extrême force,
Droit la tira contre ma tendre escorce :
Foible harnois, pour bien couurir le cœur,
Contre l’Archer qui toujours est vainqueur.
La bresche faite, entre Amour en la place,
Dont le repos premierement il chasse :
Et de trauail qui me donne sans cesse,
Boire, manger, et dormir ne me laisse.
Il ne me chaut de soleil ne d’ombrage :
Ie n’ay qu’Amour et feu en mon courage,
Qui me desguise, et fait autre paroitre,
Tant que ne peu moymesme me connoitre.
Ie n’auois vu encore seize Hivers,
Lors que i’entray en ces ennuis diuers :
Et ià voici le treiziéme Esté
Que mon cœur fut par Amour arresté.
Le tems met fin aus hautes Pyramides,
Le tems met fin ans fonteines humides :

Il ne pardonne aus braues Colisees,
Il met à fin les viles plus prisees :
Finir aussi il ha acoutumé
Le feu d’Amour tant soit il allumé :
Mais, las ! en moy il semble qu’il augmente
Avec le tems, et que plus me tourmente.
Paris ayma Oenone ardamment,
Mais son amour ne dura longuement :
Medee fut aymee de Iason,
Qui tôt après la mit hors sa maison.
Si meritoient elles estre estimees,
Et pour aymer leurs Amis, estre aymees.
S’estant aymé on peut Amour laisser,
N’est il raison, ne l’estant, se lasser ?
N’est il raison te prier de permettre.
Amour, que puisse à mes tourmens fin mettre ?
Ne permets point que de Mort face espreuue,
Et plus que toy pitoyable la treuue :
Mais si tu veus que i’ayme iusqu’au bout,
Fay que celui que i’estime mon tout,
Qui seul me peut faire plorer et rire,
Et pour lequel si souuent ie soupire,

Sente en ses os, en son sang, en son ame,
Ou plus ardente, ou bien égale flame
Alors ton faix plus aisé me sera,
Quand auec moy quelcun le portera.


FIN DES ÉLÉGIES.