Élégies et Épigrammes (Doublet-1559)
AV LECTEVR.
e ne fai doute, Lecteur debonnaire, que pluſieurs graues & vertueus perſonnages, & bien doctes ne trouuent mauuais en la plus part de mes rimes ce ſuget d’Amour, lequel aiant empeſché pieça toutes les preſſes de France, ſ’eſt fait appeler par quelcun aſsés ironiquemẽt Francoiſe filoſofie, & aucunemẽt ſuis-ie bien de leur auis. Mais il te plaira cõſiderer que l’aueuglée ardeur de ieuneſſe, aiant pris, malgré toutes mes raiſons, le frein aus dens, m’emporta par force en ce champ de ſon plaiſir. Dans lequel errant en depit de moy, ne ſauoi, pour vn peu me deſennuyer, autre choſe faire que rediger aucunefois par écris quelques miẽnes fantaſies, en termes & propos conuenans tant à mon age qu’a ma fortune. Ce qui m’a, peut eſtre, diuerti de plus facheus maus. Toutefois en ce faiſant ie ne crein auoir beaucoup tranſgreſsé les bornes de modeſtie : aiant touſiours euité comme vn rocher toute cete deshonneſte laſciueté, laquelle vſurpée impudemmẽt par quelques antiques Elegiaques, les a rẽdus moins recommandables aus chaſtes oreilles, & a fait grand tort au reſte, de leurs doctes & ingenieuſes inuentions : Là ou, ſ’ils euſſent mieus aimé tirer quelque peu, que du tout lacher la bride à leurs eſpris, on ne leur auroit reproché peut-eſtre les ébas de leur ieuneſſe, non plus qu’à Platon : lequel, ſelon Aule Gelle, aiant peu après a traiter tãt de diuine & humaine ſapiẽce, ſe ioua d’epigrammes amoureus en ſon premier age. Car telle imperfection ne merite moins eſtre excuſee en vn homme ieune, que la verdeur & ſurté en vn fruit non mur. Quant à cete nouuelle cõpoſition de Frãcoiſes Elegies, à la miẽne volonté que quelque eſprit plus eureus ſ’y fut bien emploié deuant moy, lequel auroit, peut eſtre, inuẽté quelque vers & nombre plus propre & mieus raportãt au diſthique elegiaque. Car, quant à moy, voiãt la facon vulgaire de nos vers eſtre plus courte que l’exametre & pentametre, & la dificulté de meſurer deux lignes Francoiſes capables de ſentence entiere & parfaite, ainſi que ſe trouue ordinairement le ſens clos en vn diſthique : Ie confeſſe que mes dois n’ont ſceu, pour cete heure, tordre fil plus propre à lier & aſſembler fleurs elegiaques que ces petis quatreins de vers inegaus.
ELEGIE DE I. D.
A meſme main, qui ſoubs l’art de ſa mere
L’horreur des vẽs violente apaiſoit,
Et auec Apollon ſon pere
Vanter vn Orphée faiſoit.
Deſſoubs ſa harpe alors induſtrieuſe
Trainoit ſonnant vne douce chanſon,
(Choſe ſemble bien merueilleuſe)
Les rochers & cheſnes au ſon.
Cheſnes & rocs eſtoient la ſotte trouppe,
Le peuple ſot ſautelant alentour,
Qui ne veit onc la double crouppe,
Ou les neuf ſeurs font leur ſeiour.
C’eſtoit la gent des ſiecles miſerables,
Qui de douceur iamais rien ne ſongea,
Ne ſe plaiſant qu’en mille fables
Que ſoi meſme elle ſe forgea.
Or ta douceur à nulle autre ſeconde,
En mille vers attiquement ſucrés
Nous redonne la grand’ faconde
Et des vieus Latins & des Grécs.
Non pour tromper (choſe facile a faire)
Deſſoubs vn vers plus grauement batti
Le ſens d’vn ignare vulgaire,
Ou d’vn populaire abétti :
Mais pour rauir les ſauantes oreilles
D’vn ſaint trouppeau non iamais ſe ſaoullant
D’ouir les nombreuſes merueilles
Qu’en tes vers tu nous va coullant.
Soit qu’en ton vers Sibille ſe demeine,
Quand ſa rigueur langoureus tu deſcris,
On te voit endurer la peine,
On voit tes plaincts, larmes, & cris.
Soit que plus dous ta parolle fillée
Chante ſes ieus, ſa beauté, ſa vertu,
La grace des cieus eſt pillée
Et ſon chef en eſt reueſtu.
Soit qu’il te plaiſe abaiſſer le tien ſtille
À déplorer la mort d’vn perroquet,
Vn dous ſucre, ſemble, diſtille
De ſon induſtrieux caquet.
Ton vers encor, bien qu’en moi il propoſe
Plus la moitie que ie n’i ſai de bien,
Me fait promettre quelque choſe
De moimeſme qui ne ſuis rien.
Certes, Doublet, ni le harpeur de Thrace
Trainant les bois, ni le Thebain auſsi
N’eurent iamais autant de grace,
Comme tu en reſpans ici :
Ni ceſtui la dont la harpe ſucrée
Par le peril des ondes euité,
A ſa Methimne conſacrée
Aus piés de l’immortalité.
Bref, ceus qui ont autrefois pris la peine
De veoir Parnaſſe ou Pinde decouuers,
Recongnoiſſent vn’Hippocrene
Dedans le ſucre de tes vers.
Auſsi ta Dieppe, horreur de l’Angleterre,
En ton honneur ia te dreſſe vn autel,
Et toute la Normande terre
Te voüe vn renom immortel.
La France auſsi ce grand treſor ne cele :
Mais ie la voi, & point ne te deçois,
Ie la voi deſia qui t’appelle
Son premier Ouide François.
À LVIMESMES
Ô bien heureus & bien heureus encore
Diuin Doublet, bien heureuſe cent fois.
Ceſte douceur, ce miel, & ceſte vois,
Dont le hault ciel heureuſemẽt t’honnore.
Sibille heureuſe, en celui, qui t’adore,
Qui deploiant ſes bien eſcriuans dois,
Dit la beauté dont heureus le deçois
Et ta vertu, qui ſe ſiecle redore.
Ie voi deſia ſoubs ta Muſe diuine.
Viure Amarille, & renaiſtre Corinne,
Et leurs amans de vos gloires troublés,
Rougir honteus, vous donnans la couronne
Du vert Laurier, qui vos chefs enuironne,
Et voz honneurs par trois fois redoublés.
ELEGIES DE IAN DOUBLET
E diſcouroy mille hautes penſées,
Et ia mes mos riẽ qu’ẽflé ne ſõnoiẽt,
Iliades & Odiſsées
En mes maĩs nuit & iour tournoiẽt.
Pour entonner par meſures égales
Sur vn vers graue & d’eroïque pois,
Ces cheres victoires nauales,
De nos demibrulés Dieppoys.
Mes couſins mors, & mon ébraſsé frere,
Ia bien auant au combat m’auoient mis,
Et la Muſe non trop contraire
Mille clairons m’auoit promis.
Tout alloit bien : Amour s’en prit à rire.
Et de mes vers, qu’egaus il vit marcher,
Leur coupant vn pié ſans mot dire,
Toute vne moitié fit clocher.
Qui t’a donné, faus garſon plein de ruſes,
Tant de pouuoir ſur ce qui n’eſt point tien,
Nous & nos vers ſommes aus Muſes,
Petit Larron, tu n’i as rien.
Et tout cela, & autre iniure meinte,
Libre & hautain, comme i’etoye alors,
Oſai bien lui dire ſans feinte,
Dédaignant vn ſi petit cors.
Mais, l’afetté, plus i’uſoi de colére,
Plus il rioit : Il tira ce pendant,
Et ſenti ſa fléche legere
Ains que l’euſſe apperceu bendant.
Pren, Cupidon, pren de mes vers la reſte,
Trenche-les tous, longs ou cours à ton gré,
Pourueu qu’vn peu moins me moleſte
Ce fer chaut dans mon cueur ancré.
Or m’eſcuſés, fontes vomiſſes flammes,
Chateaus flotans, & gendarmes nageurs,
Excuſés moi vaillantes ames,
Qui vos cors laiſſates veinqueurs.
À dieu vous di, ia trop ſuis vain & bléme,
Pour aſsés haut voz prouëſſes corner.
Chanter me conuieint pour moi méme,
Ains mes chans en larmes tourner.
Si quelque vois, bien que foible & chetiue,
Encor ſe peut de mes poumons tirer,
I’ay dequoy, contre Amour pleintiue,
La faire à iamais ſoupirer.
Mais l’oncle mien, ce Mifant docte-ſage,
Qui mieus defend ſa conſtance que moy,
Et onq’à ce tiran volage
N’obligea le neu de ſa foy.
Cetui pourra trompeter vos fais d’armes,
Dieppoys guerriers, ſi que nul autre mieus.
Et tandis ce friant de larmes
Se baignera deſſous mes yeus.
I tous les Turs, ni l’archere Angleterre,
Comme ie croi, tant de fleches n’ont pas,
Comme ſur moy ſeul en deſſerre
Vn archerot non iamais las.
Et perce tout. De quelles doubles mailles,
De quel acier couurir donques me pui
Quand le Dieu mémes des batailles
Se rend & ſes armes à lui ?
Quand i’aperceu que de ſon arc abile,
Il m’aguignoit, ie m’en alay leger
Blotir derriere ma Sibille,
Et la preſentoie au danger.
Mais comme font quelques foudres legeres,
Quoy que touſiours ie la tinſſe au deuant,
Les trais, ſans l’ateindre, ou non gueres,
Me vindrent percer bien auant.
Caché me ſuis entre ces neuf brunettes,
Qu’il creint, dit-on : Son arc me trouua la.
Plongé me ſuis dans leurs eaus nettes,
Son trait iuſqu’au fons deuala.
Ie pren, la courſe, à vol il me deuance :
Ie fuy ſans ceſſe, il me ſuit ſans repos :
Et iamais qu’au cœur ne me lance,
Quoy que ie luy tourne le dos.
Sur mon cueur donc ſans ceſſe pleut & grelle
Du fer pointu. C’eſt grand cas toutefois,
Encor vit ce cors poure & fraile
Qui mort deut eſtre mille fois.
Car ceſt archer dans l’Hydre Lernienne
Ne va pas querre vn pront venin mortel,
Mais, dans la forge Lemnienne,
Beaucoup pis, vn feu immortel.
L’eſpert boiteus qui ſon pere ſe cuide
Luy bat des fers dont le coup porte feu,
Et d’eſprit tout ſoudain, nous vide,
Mais n’occit, las, que peu à peu.
Or ie m’arreſte : il vault mieus me ſubmettre,
Ie veus l’atendre, & plus ne reculer.
Car ce feu moins ardra peut-eſtre,
Le laiſſant à ſon gré bruler.
Torches ainſi, plus de branle on leur donne,
Plus ardent fort : & ſe voit meint flambeau,
Sans eſtre touché de perſonne,
S’en aller éteignant tout beau.
Vn ieune beuf, ſ’il reſtiue & ne vueille
Du neuf collier, plus eſt batu beaucoup
Qu’vn aprenti de bonne vueille,
Et qui tire du premier coup.
Vn caualin, ſ’il eſt dur & farouche,
Maint rude mors ſouuent le fachera :
S’il preſte à toutes mains la bouche,
Rien qu’vn dous fil ne machera.
Amour, peut-eſtre, à ceus qui luy reſtiuent,
Plus d’aigre auſsi, plus montre de rigueur,
Qu’aus volontaires qui le ſuiuent,
Et ſe ſubmettent de bon cueur.
Vis qu’amour dõq par force m’a fait rẽdre,
Et mon orgueil ne m’a rien profité,
Il eſt tems d’autre chemin prendre,
Par douceur & humilité.
Tres humble ſerf, maiſtreſſe Damoizelle,
Tien à iamais te plaiſe en gré m’auoir,
Te plaiſe ce mien ardent zelle
À toy dédié receuoir.
Voici vn cueur, qui ſon ame derniere,
Pour ton amour, ſans regret, ſouflera :
Voicy vne foy treſ-entiere,
Qui iamais ne te branlera.
Si tu n’ois point vn long ordre de titres,
Quand on m’apelle, & n’ay qu’vn petit nom,
Si tu vois peintes en mes vitres
Des armes de peu de renom,
Si bien fort loin ſes bornes ne dilate,
Mon petit fons en peu d’acres arté,
Si ſur mule en longue écarlate
Au Palais ie ne ſuis porté,
Phebus pourtant, & ſes neuf doctes filles,
De moi font cõte, & m’aimer deignent bien,
I’ay faueur des graces gentilles,
I’en ay d’Amour, qui me fait tien.
Telle ma foy, telles mes meurs ie vante,
Qu’aus Dieus, ſans plus, en bonté céderont,
Et ma richeſſe plus vaillante
C’eſt ce cueur ouuert, ſimple & ront.
Ce n’eſt pas moy qui ſe plaiſe en plus d’vne,
Ie ne ſuis pas vn iournalier changeur,
Iamais, ou il n’eſt foy aucune,
Soucy que toy n’aura mon cueur.
Puiſsé-ie vſer tout ce que plus me file
La chiche vieille, aupres de toy touiours,
Et entre tes regrés cent mille
Clorre l’eureus bout de mes iours.
Preſente moy, tandis matieres bonnes,
Qu’eureuſement ma Muſe deduira
Car ſi telles tu me les donnes,
Mon vers de meſme ſortira.
Les vers Tuſcans ont fait par tout le monde,
Belle à iamais Angelique voler :
Et ceus d’Ionique faconde
Font encor d’Helene parler.
Cynthie auſsi, & Néméſe & Corine
Viuantes ſont dans noz bouches encor,
Pource que la Muſe latine
Les bieneura de plumes d’or.
Par mes quatreins, nous deus auſsi, peut-eſtre,
De ſiecle nul ne ſerons oubliés :
Et nos noms en bruit pourrai mettre,
Éternellement alliés.
ſon oncle.
V me reprens, quart frere de ma mere,
Cher oncle mien & i’en rougi auſsi,
Que tant vne Muſe legere
M’occupe en l’aueuglé ſouci.
Soit que ie file à trois cordons vne Ode,
Soit que ie cloche en ces quatrains boiteus,
Mon chant n’a iamais qu’vne mode,
Amour le fait gay ou piteus.
Amour touiours, touiours vne Sibille,
De tout mien vers font l’vn ou l’autre bout :
Et ia le caquet de la ville,
M’en tient en ſes fables par tout.
Mais que veus tu ? la Parque filereſſe
Qui de ton ſang me fait eureuſe part,
Peu de ceſte tienne ſageſſe,
Peu de tes vertus me depart.
Des le berceau vn dru eſſein d’Himéte,
Aiant brouté tout le mont des neuf ſeurs,
Aſsis ſur ta tendre bouchete,
T’enyura d’attiques douceurs.
Et peu apres (comme à cete Pandore
Chacun des Dieus, mais par deſtin meilleur)
Chacune fille de Memore
Te donna ſon plus de valeur.
Mais ce mur ſens dont les cieus te comblerent
Auant le poil, ces eſprits ſi raſsis,
Qui n’ayant que vint ans ſemblerent
En auoir plus de trente ſis.
Maiſtres touſiours de ta ieuneſſe ſage,
N’ont permis oncvn ſeul trait de ta main
En choſe laſsiue ou volage
Sur la carte eſtre coulé vain.
Car, ſ’il t’a pleu de ton ancre t’ébatre,
Peignant ou Grec, ou François, ou Latin,
Tu ne t’es point fait Idolatre
D’vn œil brun ni d’vn rond tetin.
Ou l’immortel, en qui ſeul ſe confie
Tout ſage cueur, ton ſuget a eſté,
Ou d’antique filozofie
As défoui quelque ſaint traicté.
Rouan encor en letres d’or conſerue
Les graues chans de doctrine ſucrés,
Que l’enfance de ta Minerue
À la mere vierge a ſacrés.
Les Lis flouris, les Palmes glorieuſes,
En ont eſté hors du Carme couuent,
Par tes Muſes victorieuſes
Iuſqu’icy raportez ſouuent.
Et quantefois tes ſaintes comedies
Ont rauy Dieppe a l’entour ſe foulant,
Mathieu fournier ſes melodies
Si douces y entremélant ?
Telle a eſté l’erbe nouuelle & tendre
Le vert printems de tes eſpris naiſſans :
Mais à quant nous fais tu atendre
Ces fruis derriere meuriſſans ?
Cedés Romains, cedés poëtes d’Ellade,
Cedés Tuſcans, & nos François auſsi :
Ne ſçay quoy plus que l’Iliade
S’en va tot éclorre d’icy.
Et, ce pendant cruellement ſe ioüe
De mes eſpris ce petit Diable-Dieu,
Qu’ores ie blame, ores ie loüe,
Et ne veut ouir mon adieu.
Ses primes ans, ſi vray les liures diſent,
Enamoura le celeſte Platon :
Et de luy encore ſe diſent
Les tranſis baiſers d’Agathon.
Mais tot aprés, volant bien d’autres ailes,
Et d’autre amour aueque l’age épris,
Saillit aus choſes eternelles,
Et en Dieu ferma ſes eſpris.
Virgile auſsi ſa douce Amarilide,
Ieune chanta, & ſon fier Alexis.
Puis deuers la graue Enéide
Tot ſe tourna mur & raſsis.
Mais, las helas, plus fiere deſtinée
Verds & meuris violente mes ans,
Qui dans ceſte flamme oſtinée,
Ia pres de trente ſont cuiſans.
Amour pour moy n’a point l’aile volage,
Amour pour moy n’eſt point vn Dieu leger :
Car pieça ſis en mon courage
Plus n’en peut, ſemble, deloger.
R, ſi tu peus, porte-torche Hymenée,
Excuſe toi, & di, pour ton honneur,
N’auoir ceſte noce menée
Qui me vole tout mon bon heur.
Nie, ô Himen, que la ta flamme pure
Ait éclairé : nul ne te vit benir
Ce lit, qui me couuoit iniure,
Ni le pain, ni le vin tenir.
Ton frere ailé, ta mere Gnidienne
De ce feſtin ſ’écarterent bien loin :
Et Iunon la pronubienne
D’i aſsiſter onques n’eut ſoin.
Car, ce iour la, iour de noire pierrette
Merqué chés moy, iour de gauche corbeau,
Vne innocente pucelette
Paſſoit toute viue au tombeau.
Ô durs amis ! ô cruel parentage !
Qui d’auarice éblouis & troublés,
Ce que nature déparage,
Par force & contre ell’aſſemblés.
Le gai Printems d’vne verte ieuneſſe
Trop mal ſe couple à vn ſterile Yuer,
À vne ſeuere vieilleſſe,
Qui touiours triſte veut réuer.
S’il eſt renté de deus ou trois fois mille,
Si ſon argent vn peu haut l’eleua,
Si en longue houſſe par ville
Sus vn Ane écourté ſ’en va,
Si n’eſſe aſsés à vne vierge gaie,
Qui ce pendant flaitrir ſes roſes ſent :
De belles bagues on la paie,
Mais vne vau droit mieus que cent.
Car, ſufit-il ſi vn procés le ride,
Ou de ſes biens touiours quelque ſouci,
Ou les piés ou les mains lui bride
Quelque neu de goute endurci ?
Tel il iouit, ains le iouir dedaigne,
D’vne beauté, vif ſouuenir des cieus,
Qui trop loiale l’acompaigne,
Mais d’autant chaſte elle apert mieus.
Maudite donq, deus & trois fois maudite,
Maudite encor, ô fortune, ſois tu :
Prodigue à qui ne le merite,
Et touiours écarſe a vertu.
Si des treſors que ce peuplaſſe admire,
Tu m’euſſes fait, ô aueugle, ample don,
I’auroi plus que ie ne deſire,
Et mes amours a l’abandon.
Froit maintenant & ſeulet ie demeure,
Pour tout plaiſir quelques rimes couſant :
Et pour paſſetems de mainte heure,
Mes vices propres ne taiſant.
Or, ieunes gens, finies ces Muſes viles,
Ce vain ſçauoir : & trop mieus ferés vous
Que n’auons fait, nous inutiles,
Nous faineans & poures tous.
N’aprenés rien que l’Âne d’or Bartole,
Parlés ce plaid que ſur la perche on vent,
Et ſurement, de ceſte école
Vous ſuiura du monde le vent.
Grans biens & tot, ceus-la ſans plus aſſemblẽt,
Et ſont d’hõneur, ce ſemble, au grãd chemin :
Et le noble & le vilain tremblent,
Sous leur regne de parchemin.
Mais facent tout, & tout gouuerner puiſſent,
Biens & hõneurs ſoient ſous leur ſeule main,
Et, à leur poſte, peruertiſſent
Tout le droit diuin & humain.
Tant ſeulement vueillent n’auoir enuie
À nos amours deignent nous conceder,
Au moins, qu’vn poure homme, en ſa vie,
En puiſſe quelqu’vne garder.
Ne Sibille en mes yeus la premiere,
Darda du ſang, mais elle méſme auſsi
Bien tot ſe voirra la derniere
Si touiours m’eſt cruelle ainſi.
Cruelle, helas ? ce qu’elle & tout le monde
Croit & appelle honneur & ſainteté,
Faut il qu’en moy ſeul ie me fonde,
Le nommant tort & cruauté ?
Tout ce qu’honneur, le treſor d’vne dame,
Tout ce que peut chaſteté pardonner,
Et ſauf ce ſeul point qui difame
Elle acorde tout me donner.
Que veus-tu plus, ô ma flamme importune ?
Pourquoy plus outre époins tu mon deſir,
À vn bien que pieça fortune
Par autre main a fait ſaiſir ?
Ie ne ſuis pas ce rauiſſeur inſigne,
Qui viola d’Himen le flambeau ſaint,
Aimant ceſte fille du Cigne,
Dont l’Aſie encore ſe plaint.
Ie ne ſuis pas ce mi-cheual mi-homme,
Qui eſpera d’autruy femme iouir,
Hercul’ ne le ſoufrit fouir.
Plutot mourir, que moy perſonne pure,
Moy ſacré prétre à ces neuf chaſtes ſeurs,
Corrompre ou ſouiller ie procure,
Du monde les plus ſaintes meurs.
Ce beau propos, qui m’eſt bien changé ores,
Amour alors, d’auenture écouta,
Et, me trouuant ſi ferme encores,
D’aucune faute ſe douta.
Quoy ? i’auoi fait, dit-il, ſi ample bréche
Sur ce rimeur, & ſur ſa rime auſsi,
Et encor contre moy ſe préche,
Et ne m’a qu’en demi ſouci.
Voions que c’eſt : lui qui rien ne delaie,
Tot pour me voir, eut ſes yeus découuers :
Et ſe blama, non de ma plaie,
Mais de mes yeus laiſsés ouuers.
Qui eſt, dit-il, ce nouueau poëte ſage,
Qui aimer penſe & ſ’aueugler ne veut ?
Et, ce diſant, ſur mon viſage
Son bendeau ſerre tant qu’il peut.
Délors, délors, aueugle iuſqu’en l’ame,
Ne fai qu’errer : Délors me déconnoi :
Délors ni honneur ni difame,
Ni tort ni raiſon ne connoi.
Et, ce pendant, touiours ſage & acorte,
Et clair voiante, & conſtante touiours
D’amour ſe moque tous les iours.
ſon frere
Econd Doublet, non autre que moy méme,
Frere de ſang, frere de cueur auſsi,
Pourquoy me fai-tu triſte & bléme,
Te monſtrant bléme & triſte ainſi ?
Car, ſoit que Mars du Scorpion te darde
Ses fiers deſtins, ſoit que du Bouc cornu
Ce facheus Saturne regarde
L’heure, qu’es ſous le ciel venu,
Oſtinément à tes aſtres conſentent
Les miens pareils : Ton heur & ton malheur
Par méme deſtin me preſentent,
Selon toi, plaiſir ou douleur.
Mais ne croi pas que l’humaine franchiſe
Perde le gré de ſes libres raiſons,
Quelconque Planéte maitriſe
Du Ciel les fatales maiſons.
Nos iours, peut-eſtre, & minutes legeres
Pendent la haut, iuſqu’à la mort contés,
Mais nos bonnes & pires cheres
Sont au franc de nos volontés.
Laiſſe tomber ce front cordé de rides,
Iete ce ſoin qui ton age dément :
Qui menent ton entendement.
N’eſtant ny vieil, ny poure, ny malade,
Malade, poure, & vieil ne ſemble encor :
Connoi le bon heur qui t’œillade
Et ta ſanté, & tes ans d’or.
Ni de l’enfant, qui eſt encore a naiſtre,
Ne pren ſouci : ce pendant qu’il viendra,
À lui quelqu’vn de nous, peut-eſtre.
La vie & la place rendra.
Son monde ainſi conduit Nature ſage,
Qui ront le viel pour le nouueau batir,
Et nous fait ceder à l’autre age
Qui de nous tombés doit ſortir.
Medecin.
E méme Dieu, ceſte alme Medecine,
Cher Deſmireurs, t’inſpire largement,
Qui pour tout partage, m’aſsigne
De ſes Lauriers le rongement.
Reduire au ton les muſiques vitales,
Et nos acors iuſtement égaler :
Et outre les trames fatales,
Du iour à nos ames filer,
C’eſt, Deſmireurs, la fin vtile belle,
C’eſt le cher but de ton art precieus,
Apres mille bien-fais, aus cieus.
Ainſi aquit ce ſerpent d’Epidaure
Auec ſon pere au monde maint autel :
Ainſi, dans le ciel, ce Centaure
Luit encor archer immortel.
Mais nous chetifs, qu’au ſeul ſon d’vne Lire
Tient amuſés ceſt inique Apollon,
Et qui de vaines chanſons dire,
Éternellement r’afollon’.
Ô troppe ſimple, helas, ie nous egale,
Pardonnés moi, ie nous egale, helas,
À la chantereſſe Cigale
Qui l’yuer dur ne préuoit pas.
Sous le dous ciel, qui rouſoiant l’abréuue,
Elle ſans ſoin, criquéte iour & nuit :
Tout autant que la ſaiſon bréue
D’vn clair Eſté ſur elle luit.
Tandis nos iours le Scorpion retire
Au pair des nuis, & tot l’archer des cieus
Vens, neiges, & glaces nous tire,
Et l’yuer griſonne en tous lieus.
Le mal prouide alors eſtre abuſée
Tard ſ’aperçoit, tard acuſe ſes chams :
Plus ne lui tombe ſa rouſée,
Plus rien ne ſe recouure aus chans.
De fain donc meurt, & auec ell’à l’heure,
Mene mourant ſon importun cricri :
Au moins viue ce que i’écri.
Omme ſes yeus, & cõme ſon cueur méme,
Comme ſa vie, & plus que tout ſon or,
Sibille iure qu’elle m’aime,
El’le iure, & en doute encor.
Car au beſoin, d’vn Aquilon la foudre,
Qui ſi ſouuent ceſte Ourſe fait geler,
Plus vite qu’vne vague poudre
Soufle tout ce ſerment en l’air.
Tantot me nuit de l’œil de Dieu la crainte,
Oeil tout voiant : tantot ront mon bon heur
La foi, qu’vn prétre lui fit ſainte :
Tantot cent dangers de l’honneur.
Ô Roi des cieus, ce peu de choſe humaine
Vas-tu guétant de ton œil immortel ?
Ton repos a-il quelque peine
De tout ce deſordre mortel ?
Vn tas de gens nous font par ialouſie,
Croire ici bas qu’on t’ofence d’aimer :
Et, par force, à leur fantaſie,
Cruelles lois en font ſemer.
Or, ces plus vieus, ces ſages teſtes griſes,
Toutes leur loi ſachent de poinct en poinct,
Sachent & les choſes permiſes,
Et qui permiſes ne ſont point.
Mais tous ébas, ma Sibille, conuiennent
À nos ans vers, ans trop bref limités :
Et d’amour en pardon nous viennent
Les aueugles temerités.
Ces Grés menteurs (ſi plus en eſt memoire)
Aprés la mort, ie ne ſçai ou la bas,
Aus bonnes femmes faiſoient croire
L’orreur de mille étranges cas.
Mais Radamant, Cerbere, Tiſifonne,
Stige, Acheron, ſonges d’hommes creintifs
Pieça plus n’éfritent perſonne,
Que quelques enfans bien petis.
Or, dis-tu foi, ce que ton age tendre,
Sous le Latin d’vn vicaire étolé
Te fit promettre, ſans l’entendre,
À qui pieça l’a violé ?
Auant les ans, vne Nonne bigote
Ne peut le monde à iamais abiurer,
Ne peut, de ſon ame deuote,
Sous-age, le long veu iurer.
Auant les ans, ni garſon ni pucelle
Leur propre bien ne peuuent étranger :
Pouuois-tu en chaine éternelle.
Ta ieune franchiſe engager ?
Ce qu’à paſsé la ſimpleſſe ignorante
De l’age moindre, eſt tenu pour non fait :
Et y a loi vous ſecourante,
Qui tout cela caſſe & defait.
Vierge, honteuſe & trop peu ferme encores
Pour reſiſter à tes rudes amis,
Ce que tu contredirois ores,
Lors par force tu le promis.
Ta main trembloit, paſſant ceſte promeſſe,
Et bégaiant ta langue te vendoit,
Car, le cueur, ma ſeule richeſſe,
Touiours mien reſter entendoit.
Amour lui méme ourdit noſtre aliance,
Ains que bien nés le Soleil nous eut veus :
Et par ſa ſure préſcience,
De loin l’vn à l’autre étions deus.
Que vaut ſans lui vne foi contractée ?
Quelle promeſſe, à ton aduis, te tient ?
Amour pour toi la retractée,
Et ceſt homme à tort te detient.
Peus-tu baiſer ce rechigné viſage,
Qui de ſa vie vn ſous-ris ne ſongea ?
Peus-tu embraſſer ce vieil age
Sepulture & terre deia ?
Et moy ton cueur (ſi fauſſe tu ne iures)
Moy ſi diſpos, moy de trois fois neuf ans,
Moy coïfé des ſaintes verdures,
Qui couronnent les frons ſauans,
En vain ie cours, ia deus Olimpiades,
Tiers de mes ans, apres tes rares pas :
Chante en vain Sonnets & Ballades,
Et oubli’ repos & repas.
Que di-tu plus ? quelle excuſe, Sibille,
Peut maintenant tes rigueurs pallier ?
I’enten bien, dangers plus de mille
Te font de l’honneur ſoucier.
Ô que de nuit, & tenébres épeſſes
Dans nos eſpris ! ô aueugle fouci !
Ô honneur ! comme tu t’abaiſſes,
Las ! & qui te meſure ainſi ?
Tel cuide donc te chercher, qui t’éuite,
Car, ſans nos vers, tu ne tiens que trois iours,
Et l’honneur, qui les ans d’épite
Par nos mains paſſer doit touiours.
Ton Pélignois t’a-il deshonnorée
Douce Corinne ? es-tu infame donc,
Viuant’ par ſa plume dorée,
La plus heureuſe qui fut onc ?
Tant que douceurs, tant que durer au monde
Graces, Amours & neuf Muſes pourront,
Touiours, par vne main faconde,
Délie & Néméze viuront.
Mais la Deéſſe auecques Mars ſurpriſe
Au dur filé de ſon cocu boiteus,
Corrompt ceſte braue entrepriſe
Dans ton cueur, peut-eſtre, douteus,
L’alme Venus, ſ’il faut croire ce conte,
Par ce malheur trop plus fine deuint,
Et voulut qu’vne telle honte
Plus onc à ſes amis n’auint.
Délors donna ces ruſes mille & mille,
Ces tours ſutils aus ſeruiteurs vaillans,
Pour tromper la garde inutile
Que font des ialous trop veillans.
Ell’enſeigna deuant les maris dire
Tout-ce qu’on veut, auec ſignes diſcrets,
Montra chifres obſcurs écrire
Et deuiſer iargons ſecrets.
De fauſes clés, de legeres échelles,
De pain aus chiens les amans auiſa,
De feutre mol feit des ſemelles,
Et tous huis verueus apaiſa.
Bref iuſqu’au lit elle méme nous meine,
Dans la ruelle, & de ſa propre main,
Tient le ſoupir de noſtre aleine,
Tant que ſ’endorme le vilain.
Que veut-on plus ? ſi les chiens par fortune
Ont abaié au bruit d’vn huis malin,
C’eſtoit vn Lémure nocturne,
Quelque rauaudeur Gobelin.
Car, croi-tu pas ces vieilles mentereſſes,
Qui tous cornus les ont veu tracaſſer ?
Et faut au ſaint eſprit des meſſes,
Qui loin de la les veut chaſſer.
I’auoi tout dit. L’vnique à mes yeus belle,
Auec deus mos me repaſma tout coi.
Ie t’aime plus que moy, dit-elle,
Mais Dieu ſeul plus que toi & moy.
la precedente.
Ere des dieus, humble te remercie,
I’ai deuant toi quelque vergoigne encor :
Et ne ſ’eſt au vice endurcie
Mon ame, qui ſe repent or.
De mille abus mes poures yeus coupables
N’oſent honteus vers ton ciel ſe dreſſer,
Ni ma langue, nourrie en fables,
À tes oreilles ſ’adreſſer.
I’ai tant de nuis en vanité paſsees,
I’ai tant de iours en vice dépendus,
Tes ſaintes lois tant tréſpaſsées,
Tes dons & graces tant perdus.
I’ai tant peché, tant & tant, ie l’acorde :
Mais, ô ſeigneur, tu vois que ſans ce poinct,
Ton immenſe miſericorde
Lieu à ſ’étendre n’auroit point.
Indigne ſuis de ta clemence, pere,
Indigne ſuis de ta promte merci.
Mais, qui tes graces deſeſpere,
Cetui ſeul te trouue endurci.
Voi, pere, voi comme eſt forte & friande
La fauce glus de ce monde pipeur :
De quel ſucre il nous afriande,
Au tour de ſon piege attrapeur.
Aus vns hautains des hauteſſes il offre,
Du dous loiſir aus autres, ocieus
D’honneur paiſt les ambitieus.
Mais quant à moy, ni ſes dignités vaines,
Ne m’ont charmé, ni ſon venteus orgueil,
Ni ſes loin étendus dommaines,
Ni de ſes écus le recueil.
Mon ame, ô Dieu, ne ſ’eſt point détournée,
Pour rien tant vil, du train de ſon ſalut :
Autre choſe trop mieus ornée,
À me ſeduire, helas, valut.
Vne beauté, chef d’euure de nature,
Tu le ſais bien, au monde me lia :
Et là ma poure ame en torture
Son dieu & ſoi méme oublia.
Choſe ſi rare & perfection telle
Portoit plutot du ciel vn ſouuenir,
Eſtant, d’elle en autre, vne échelle,
Pour iuſqu’aus ſources paruenir.
Et, à vrai dire, ainſi ſa méme bouche
Le me chantoit, mais par ieuneſſe, lors,
Mon eſprit encore farouche
N’entendoit qu’à ce terreus cors.
Qu’euſsé-ie fait ? des l’œillade premiere,
Vn ſang ardant mes feneſtres perça,
Et tout mon bon ſens en arriere,
Sous le blanc palefroi verſa.
Délors, mon Dieu, ſi quelque reſte encore
Me demeuroit, de tant peu de ſauoir
Chanter vn iour à mon pouuoir :
Tout l’emploiai en rimaille impudique,
Vain que i’étoie, enſorceler cuidant
Ceſte belle, ceſte pudique,
Qu’encor ton eſprit va guidant.
Et tant alla ma mechanceté folle,
Que ce tien œil qui nuit & iour nous voit,
Iurai eſtre vn ſonge friuolle,
Pource que cieinte elle en auoit.
Iurai Enfer & ſa noire canaille,
De tes haineurs l’éternelle priſon,
N’eſtre que vaine épouuantaille,
Aus petis enfans ſans raiſon.
Ô Dieu ſeigneur, pourquoi tãt nous delaiſſes ?
Couler ſi bas pourquoi nous ſoufres tu ?
Eſſe, que tes mains ſauuereſſes
Dautant plus montrent ta vertu ?
Or te mercie, & graces immortelles,
Sauueur puiſſant, à ta bonté ie doi :
Car échapé des rets mortelles
Encor ſous ta garde me voi.
Tu as permis qu’après ce beau viſaige,
Que, maugré lui, dis ans ai adoré,
De l’eſprit, trop plus bel image,
En fin me ſuis enamouré.
C’eſt ceſtui-la, qui mes fables laſciues,
Si ſaintement confuſes rabatoit,
D’vne ſeule tienne matoit.
Ah, fol Amour, que nous contrains-tu dire !
Que loin fai-tu nôtre ſens foruoier !
Mais heureus qui ſauf ſ’en retire,
Et te peut d’vn dédit paier.
La plume donc, pour amende ſoit arſe,
Qui ſous ma main, helas, tant blafema :
Et la carte en cendres éparſe,
Ou telle lettre ſe ſema.
de Rouen, en paſſant par ſa maiſon de Gaillon,
à ſon retour de Rome, mois de Sept. 1555.
auquel an les vignes furent gelées.
nq’, ſi ie pui, mon Prelat, ne ſe face,
Que ce Dieppoys qui n’a que toi ſeigneur,
Deuant ton ſacré chateau paſſe,
Sans rien laiſſer à ton honneur.
Celer ne doi, ſans mille & mille blames,
De mes quatreins les douces liaizons,
Au ſoigneus paſteur de nos ames,
Et vrai ſeigneur de nos maiſons.
Or, en bon heur, puiſſe ta Normandie
T’auoir reueu noble ſang de nos Rois,
Qu’arreſtoit dure maladie,
Trop loin de tes plus chers endrois.
Vn peu trop cher nous couſtẽt ces ſains peres,
À Rome élus, grans porte-cléfs des cieus,
Dont ſi ſouuent les lons miſteres,
Nous priuent de l’heur de tes yeus.
Comme en nos ports, la bonne mere pleure,
Quand ſon cher fils, abſent apres dis mois,
Par les vens contraires, demeure
Au neuf pais du rouge bois :
Elle ſe voue à Cleri, & à Diue,
Et brulle cire, & omone deniets,
Et touiours guéte ſur la riue,
Et interroge mariniers.
Ainſi, Prelat, ton Normant diocéze
S’eſl angoiſsé de toi ſon pere abſent,
Et vn iour lui en ſembloit ſeize,
Par l’ennui qu’vn tel deſir ſent.
Auſsi ton œil vn Soleil ſe peut dire,
Car, ce pendant qu’abſent il a eſté,
(La vigne ne m’en peut dédire)
Nous n’auons point ſenti d’Eſté.
Or, tes païs, ſur qui bien loin proiete,
D’vn œil hautain, Gaillon ſes raions d’or,
De beau tems n’auront plus ſoufrete,
Puis que tu les reuois encor.
Gaillon, Louuiers, & du Roule les coſtes,
Aiant ſenti ce Soleil reuenu,
Ia déia preſentent aus hotes
Le raiſin tout mur deuenu.
Bref, ton retour, Sacré-cramoiſi prince,
Depuis Pontoize à nos plus ſalés bors,
Ramene en toute ta prouince
L’heur, qui comme toi en fut hors.
Ô trop heureus, trop & par trop encore,
Heureus Gallion, ſeul quaſi poſſeſſeur
Du prelat que ce Nort adore,
Pour ſon plus noble deffenſeur.
N’aurons-nous point nous autre ceſte grace,
Qu’vn iour vn iour te puiſsions voir auſsi,
Sur nos bors que la mer embraſſe,
Venir relacher ton ſouci ?
Tu y verras quell’eau borne ta terre,
Et de ton port le calme & ample ſein,
Tenant mille vaiſſeaus de guerre,
Qui ſ’arment à plus d’vn deſſein.
Les vns d’amont le blont Flamen menaſſent,
Autres d’aual au noir Espagnol vont,
Aucuns à nos marchans qui paſſent
Scorte ſure & fidelle font.
Tu y verras auſsi ces Hourques fieres,
Pour qui ſembloient nos haures trop petis,
Et en cent honteuſes banieres,
Leurs Aigles vaincus & captifs.
Leurs gros canons, à ta venue heureuſe,
De nos rampars, iuſqu’au ciel tonneront,
Mais d’autre vois plus amoureuſe,
Mes Muſes ton nom ſonneront.
Visqu’il t’a plu, ma douce ame Sibille,
Puisqu’il t’a plu, mes vers te nommeront :
Mes vers plus de cent fois cent mille,
Sous ton nom ſe renommeront.
Si iuſqu’ici mes Muſes en enfance
Ont ſoupiré François, Grec ou Latin,
Le lecteur n’a eu connoiſſance
Sinon d’vne feinte Catin.
Ainſi Lesbie à ſon docte Catulle
Maint vers onzein fauſſement rempliſſoit :
Ainſi Néméſe au dous Tibulle
Maint fluant couple fourniſſoit.
Or cetui la de vray nommer rougiſſe,
Qui ſon amour peu néte ſentira ;
Car la noſtre pure & ſans vice
Moins deſormais y mentira.
L’amant Tuſcan que fit ſa flamme ſainte
Tant ſoupirer a l’entour d’Auignon,
N’vſa point de lointaine feinte
À déguiſer vn diuin nom.
Diuin vraiment, fut le nom de la ſienne,
Et d’Apollon & des Muſes aimé :
Mais dis fois le nom de la mienne,
A eſté diuin eſtimé.
Pardonnés moi Cumane & Erithrée,
Vous autres huit auſsi pardonnez moi,
Qu’a toutes preferer ie doi.
Ar les ſablons, par les roches deſertes,
Dont les os durs ces chateaus ont murés,
Par les hautes étables vertes,
Des cerfs, du vilain aſſeurés,
Maigre, ennuié, laſsé me reproméne,
Chargé du ſoin qu’a nos Dieppoys ie doi,
Mais, ſurtout, me poiſe la péne
D’eſtre, Sibille, loin de toi.
Ni les iardins, ni la fontaine viue,
Nommant ce lieu du nom de ſa bell’eau,
Ni l’Eſtan, ni ſa fraiche riue,
Ni des pauillons le plus beau,
Ni les couleurs des longues galeries,
Qui, la vois prés, montrent vn monde vif,
Ni les riches tapiſſeries,
Ni bronze, ni marbre naïf,
A eus mon œil tellement ne rauiſſent,
Qu’a toi touiours ne ſoupire mon cueur :
Ains à chaque pas rafraichiſſent
Les memores de ma langueur.
Soir & matin, que ces bois ie trépaſſe,
Ô Ninfes, di-ie, & Satires pelus,
Qui ci dans mainte foſſe baſſe
Couplés vos amours diſſolus,
Peuſſé-ie, au moĩs, main en maĩ, ſous céte õbre,
Quelques cent pas auec madame aller,
Peuſiõs nous, bouche à bouche, vn nombre
D’honneſtes parolles méller.
Voiant bondir ces ſources eternelles
Du roc mouſſu, qui pas ne ſemble feint,
Ah, di-ie, lors combien de telles,
Ce mien feu n’auroient pas eſteint.
Voiant partout la deuiſe roiale,
Ceſte Salmandre au feu ſe nourriſſant,
Ie penſe à la flamme loiale
Seule, ta merci, me paiſſant.
En bronze ai veu l’Egiptienne dame,
Antique piece, & parlai en ce poinct,
Ce Serpent, Reine, au bras t’entame,
Et Cupidon au cueur me poinct.
Bref, viſitant tailles, boſſes, peintures,
Quelconque part m’en aille regardant,
Amour vient en mille figures,
Nouuelles fléches me dardant.
Mais, plus que tout, ces Sibilles m’affollent,
Peintes partout pour leur diuin renom,
Deſirant que mes vers t’enrollent
L’onzième de ce ſacré nom.
Emi cueur mien, douce part de mon ame,
Trécher couſin, que demanderoit mieus,
Pour ſon dous enfançon aus Dieus ?
À te regir, ceſte prudence mure,
À t’exprimer, tu as ce parler dous.
Tes biens croiſſent, ta ſanté dure,
Et te ſuit la faueur de tous :
Car cil tu n’es qui ſon or miſerable
De mois en mois ſ’en va proſtituant,
Pour auoir d’vſure execrable
L’enfantement continuant.
Ni cil auſsi, que la mer dépitée
Géne de peur, & tient de ſommeiller,
Doutant de ſa nef agitée,
Qui l’or d’Eſpaigne va piller.
Les Muſes ſeurs, des ton enfance tendre
Dans leurs ſecrets te tiennent enchanté,
Et ſur toi plus ne peut deſcendre
Souci que de leur ſainteté.
Ore t’endort de la Pouille le Cigne,
Ore t’émeut le Mantuan clairon :
Tantot Seneque t’endoctrine,
Tantot t’emmielle Ciceron.
Tu ſçais les tons qui de ton petit monde,
Sous quatre humeurs temperent les acors,
Tu entens & ce qui abonde,
Et ce qui manque au foible cors.
Les lois auſsi, non pas ces glozes dures,
Ni ce vil plait que la perche reuent
Ton eſprit exercent ſouuent.
Tandis reluit ta maiſon claire & nette,
Ta table eſt miſe ou n’a ni trop ni peu,
Tu n’es à blanche ni brunete
Ataché d’inſoluble neu.
Or, quel palais, qu’ell’ardente écarlate,
Quel banc d’azur, peint des roiales fleurs,
Quell’humble ſuite, qui les flate
Par preſens, prieres & pleurs ?
Quel vain honneur, ſuiui touiours d’enuie,
Charmer pourroit iuſque la ta raiſon,
À laiſſer ce miel de ta vie,
Pour tel fart, qui n’eſt que poiſon ?
De meigre ennui, d’auarice affamée,
D’œil enuieus, ni d’amour inſenſé,
Ni d’ambition enflammée
Le palais n’eſt point diſpenſé.
Cuiſans ſoucis, & angoiſſeuſes creintes,
Y entrent bien, mille ennemis ſecréts,
Mille amitiés fauſes & feintes
En montent bien les haus degrés.
Viuons, ami, viuons ce que nous ſommes,
Viuons mortels, viuons ce peu de iour :
Tantot vient éteindre les hommes
Vne nuit d’éternel ſeiour.
Eger aneau, qui de madamoiſelle
Vas, ſ’il lui plait, le petit doit lier,
Aneau, qu’on doit, du ſeul bon zéle
De qui te donne, aprecier.
Va t’en heureus, ceſte chair blanche ceindre,
Que de mes bras, bien fier, toute ceindroi’,
Va t’en à ceſte beauté ioindre,
À qui trop mieus ie me ioindroi’.
Mais ne ſai quoi, ſeul trouble de ma vie,
Certain honneur qu’ell’ ſ’oſtine garder,
Et le malin plait de l’enuie,
Ne lui ſoufrent rien hazarder.
Or, ſur ton rond, par le dehors, tu portes
Ceſt œil d’azur, apres les ſiens taillé,
Mais di lui qu’autres mains plus fortes,
Le vif ſemblant m’en ont baillé.
Car ſes deus yeus, & mille éſclers d’œillades,
Deſſus mon cueur, que bien dur il trouua,
Amour, à mille poinçonnades,
Lui-méme par neuf ans graua.
Et au dedans de ton cercle ai fait mettre
Vn cueur ſecret, que ne connoiſſe aucun :
Cache auſsi ceſte bréue lettre,
l’œil à tovs soit, le cvevr à vn.
L’œil à tous ſoit, il faut qu’vn Soleil luiſe,
Et ne ſe peut telle clarté cacher :
Au mien ſeul vueille ſ’atacher.
L’aneau de fer au doit de Prométhée,
Ramenteuoit les durs & peſans fers,
Que pour peu de flamme empruntée,
Il auoit ſur le mont ſoufers.
Mais cétui d’or, en ton doit, ſoit vn ſigne
Des liens d’or, liens dous & eureus,
Qu’épris de ta flamme diuine,
Porte ce mien cueur amoureus.
Or t’en va donq lui porter ma penſée,
Baguete d’or, mais d’or a peu conté,
Si auec lui n’eſt balancée
La bonne & riche volonté.
Que fuſſes tu de ce Tiran de Sardes,
L’aneau charmé qui ſon maiſtre cela,
Car, maugré les langues bauardes,
I’iroi’ moy méme iuſques la.
I’iroi’ moy-méme, & parleroi’ moy-méme :
Fi de papier, fi de rimes auſsi :
Voir lui feroi’ ma face bléme,
Et, au long, ouir mon ſouci.
Et qui gardroit ceſte d’eſtre inuiſible,
(Non le Réaume ains la Reine affectant)
D’enuoier au monde paiſible,
Les teſtes qui me nuiſent tant ?
Mais ie m’oubly : quels chateaus en Eſpaigne,
Quels ſonges vains, quels ſouhets fai-ie ici ?
Auecques toi, ma foi auſsi.
Vtre que moi, pour les gras benefices,
Suiue la mule aus prelats cramoiſis :
Autre que moy coure aus offices,
À force de Soleils choiſis.
Ce n’eſt pas moy, qui pour faus hõneur vende
Ma toute d’or, ma chère liberté,
Ou pour vne oiſiue prebende,
Entre les ânes ſoye arté.
En pais ie tien de iuſte patrimoine,
Non loin borné, vn peu de fons Normant,
Qui ſans rien faire, comme vn moine,
Me nourrit, ſi ie veus, dormant.
Là, pour tout ſoin, ie plante à droites lignes,
Maint grand iardin de freres arbriſſeaus,
Eſperant, car ce ſont nos vignes,
Vandanger leurs iaunes monceaus.
Et, niuelant, ſi bien ie les compaſſe,
Que de tout ſens, les ordres infinis,
Touiours d’vne pareille eſpace
Entr’eus ſe trouuent difinis.
Pour leur abry contre ce froit Borée,
Les cheſnes fors, & les ormes épés,
De maint reng à chacune orée,
Les ceignent comme enuelopés.
Le long louchet, ou la courte faucille,
Entre mes mains ne me fait honte lors,
Ni ce lou velu qui m’abille,
Ni les ſouliers ſales & ors.
De la charue aucunefois, peut-eſtre,
Les mancherons moy-méme guiderai,
Et du foüet, ſonné en maiſtre,
Les iumens laſſes haſterai.
L’eur de ma main fera voir dans nos grãches,
Les purs fromens, iuſqu’aus tuiles taſsés,
Et, du dous reuenu des branches,
Nos celiers iuſqu’à l’arc preſsés.
Car deuot ſuis : & la dime, ſans faute,
De tous mes fruits noſtre curé reçoit :
Et n’eſt feſte baſſe ni haute,
Donc le iour chommé ne me ſoit.
Le bon patron de ce poure village,
Qui n’eſt qu’vn ſaint des plus groſſes façons,
Vn rude bois & lourd image,
Toutefois nous nous y paſſons,
Voit chacun an, auec maint feu de cire,
Tout ſon autel de mes bons fruits couuert,
Et du prime épi ie lui tire
Vn chapeau mi-iaune mi-vert.
Son guet auſsi (croiés peuple) me garde,
Et mon bétail ſi ſurement maintient,
Que nul larron ne ſ’i hazarde,
Et le lou même ſ’en abſtient.
Lous & larrons (propice ainſi la Lune
Touiours vous ſoit) n’aiés point apétit,
De vous acquerir proie aucune,
Sur ce mien troppelet petit.
Maint riche parc ſera plus conuenable
À vos aguets : la ne vous feignés point,
Grand nombre eſt volontiers prenable,
Et vient aus larcins mieus a point.
Pour le marché mes beſtes ie n’engréſſe,
Ie ne ba point pour la hale mes blés,
Ni n’aten des chertés la préſſe,
Epargnant les greniers comblés.
Ie vi, ſans plus : &, euſt ſa corne pleine
Toute verſée Abondance chés moi,
Par les derniers fruis, à grand peine,
Conduit iuſqu’aus nouueaus me voi.
Les dieus auſsi plus outre ie n’inuoque :
Car, aſſuré de mon annuel pain,
Des grans richeſſes ie me moque,
Ie me moque auſsi de la fain.
Et me ſufit, au loin de toute enuie,
Sans plus de biens, ſans plus d’honneurs auſsi,
Dans ceſte mediocre vie,
Borner le vol de tout ſouci.
Ere Apollon, (car en ta ſainte garde,
Et tiennes ſon les Sibilles auſsi)
Regarde, ô Pæan ceſte-ci.
Ne ſoufre pas ceſte onzieme Sibille,
Pour qui louer m’as donné tant de vers,
Eſtre vendangée inutile,
Des le printems de ſes ans vers.
Ou eſt déia ceſte clarté iumelle,
Qui ton rayon dans ſes yeus égaloit ?
Ou eſt l’ardeur douce cruelle,
Qui ſi viue en étinceloit ?
Qui à ſa ioue, helas, decolorée ?
Qui de ſon teint à ce beau pourpre éſclus,
Y eſtant par tout demeurée
Vne blanche nege ſans plus ?
Or éſanqué ce rond bort de ſa bouche,
Corail non plus, mais cire diroit on :
Et tout ſon chef pent & ſe couche,
Comm’vn demi trenché bouton.
Car la voila, laſſe, gelée & pale,
Sans cueur, ſans force, vne marbrine mort :
Puis, apres ce bref interualle,
Toute rebrulera plus fort.
Comm’vn brandon qui deuore ſa méche,
Et iuſqu’au bout, de l’vſer n’a repos,
Ainſi ce feu fieureus la ſeiche,
Boit ſon ſang & vide ſes os.
Plus propre, helas, vne fieure amoureuſe
Ceſte ieuneſſe en ſoupirs bruleroit,
D’autre accès la regéleroit.
Paciemment, & ſans regret, malades
Soient tous ceus-la, qui, chargés des vieus ans
Mi-morts, tremblans, pales & fades,
Ne ſont plus qu’au monde nuiſans.
Mais ceſte fleur, à peine écloze encore,
Ce digne ni des petis ailés Dieus,
Languir deia ne doit pas ore,
Sur la ſaiſon de tout ſon mieus.
Comme au coucher de tes lumières laſſes,
Tout ſe noircit d’vne fraieuſe nuit,
Et chacun, les horribles faces,
Des Larues vagabondes, fuit :
Ainſi, clair Dieu, ceſte étoile luiſante,
Qui tous mes ſens, par ce monde, guidoit,
Auiourdui baſſe & languiſſante,
Troubler bien fort, bien fort me doit.
Tout me fait peur, & crein mon ombre méme,
Car, à tout pas, vn mort, ce m’eſt auis,
Au moins ne ſai quel’ombre bléme,
Se preſente à moy vis à vis.
Mais, ô Phebus, ſi pour vn de tes cignes
Tu m’as élu, ſi m’eleuer en l’air,
Si entre tes vierges diuines
Tu veus ſur Pinde m’appeller,
Preſſ’, ô Pæan ceſte herbe vertueuſe,
Dont ſceut ton fils ſi bien celui guerir,
Dédeigna d’amour ſecourir.
Et, épreignant quelque ius ſalutaire,
Dieu gueriſſeur, vien toucher ceſte-ci,
Pour a laquelle ſeule plaire
Me plait des vers le dous ſouci.
Car, comm’en vain vn clauier iaune foulent,
Leger-trotans les organiſtes dois,
Si les vens derriere ne coulent,
Pour animer les douces vois :
En vain auſsi toute la vierge troppe,
Son miel ſur moy & ſon ſucre perdroit,
En vain de la iumelle croppe
La ſource toute ſ’épandroit.
Si ie ne ſens ces raions de madame,
Dis mille eſpris ſur ma teſte tirer,
Qui ſeuls, peuuent la vie & l’ame
À mes Eléges inſpirer.
Fieureus Démon, ſoit qu’vne main ſorciére,
Par charme exprés, & orrible oraiſon,
Pour de madame eſtre murtriére,
Te commande ici ta maiſon,
Soit que toi-méme, enclin à toute iniure,
Faiſant ce mal, ton naturel tu fuis,
Par les Muſes ie te coniure,
Et par ce Parnaſſe ou ie ſuis,
Par Apollon, qui tous vous extermine,
Par les Amours, par les Graces trois ſeurs,
Par les Beautés & les Douceurs,
Vide d’ici : Tiſifonne cruelle,
Que grondes- tu ? ô monſtre ſtigien !
Priſon te plairoit eternelle,
D’vn ſi beau, ſi heureus lien.
Va, vide, fui : va, fieure d’élogée
Faire bien loin quelque vieille trembler,
Et iamais plus ne ſois logée,
Ou l’amour tu puiſſes troubler :
Veus-tu logis ? entre, ie te commande,
Dans ces ialous, & les mene à la mort :
De la, bien feront ta viande,
Tant de langues qui nous font tort.
Pour ceſte cure, ô ſeul luſtre du monde
Pieça déia ie te médite vn chant,
De la Ciclade vagabonde
Qui receut Latone acouchant.
Ie dirai, comme onque puis non bougée,
Se ferma là, comme encor tetant,
Tu rendis ta mere vangée,
Du monſtre la perſecutant.
Et n’oublirai la touiours verte fueille,
Dont tes cheueus aiment ce rond lien,
Ni, ce ſanglant pris, la dépeulle
Du temeraire Phrigien.
’En ſai bien vne, vne eſperte flanniere,
Et n’aille aucun en rechercher plus loin,
Ie ſai d’amours vne courtiere,
Vne maquerelle au beſoin.
Toutes les nuits, vaudoiſe abominée,
(Tel eſt le bruit) greſſe ſon cors ridé,
Et paſſe par la cheminée,
Sur le dos d’vn balai bridé.
Pluſieurs ont creu qu’a ces charmes arriue
Humble & tremblant, le noir peuple d’Enfer,
Et que d’humain ſang elle écriue
Ne ſai quels mots à Lucifer.
Sans nulle peur, és croizés cemetieres
Paſſe les nuits, entre les pales corps,
Qui, par ſes oraiſons ſorcieres,
À elle reparlent tout morts.
Ell’fait que vaut, en ſa toille nouuelle,
Dans vne nois, l’araigne enſeuelir,
Et que vaut ſeiche la ceruelle
Que d’vne chate on peut cueillir.
Or, tout ainſi que ſa chaude ieuneſſe
Sans nulle honte en luxure brula,
Auiourdui, non mieus, en vieilleſſe,
Autre feu d’auarice elle a
Vn promt babil, vne ruze aſſurée,
Front impudent, ongles lons & ſutils,
Sont les meilleurs de ſes outils.
Pour ſon métier, toutes bendes frequente,
Mais, tant que peut, ſ’acoſte iour & nuit,
De ceſte ieuneſſe opulente,
Qui bien cher peu de plaiſir ſuit.
Là elle regne, elle fait les parties :
Quelque ſimplette ell’préche ce pendant,
D’aucunes, par plait conuerties,
Les bons mariages vendant.
Car el’n’eſt pas de ces vieilles publiques,
Qui, pourement vn écu pratiquant,
De quelques clauſtra les reliques,
Sur le ſoir ſe vont trafiquant.
Braue de ſoie, & le velours en teſte,
Les bons endrois, impudente, ne fuit,
Ains ſ’egale à la plus honneſte,
Et de ſa nobleſſe fait bruit.
Mais ce pendant, pour ſa proie, elle guette
Si quelque riche eſt a pouruoir encor,
Ou, ſi quelque vêfue eſt ieunette,
Car peſcher y veut chaine d’or.
Aiant oui par les bruits de la ville,
Qui peu à peu doublant courent touiours,
Que le mari d’vne Sibille,
Bien riche auoit fini tes iours :
À elle vint, & me ſembla ſa langue,
Pour beaucoup nuire eſtre diſerte aſſés,
Entre-deus huis ſur moy pouſſés.
Apres vn mil de ces vulgaires plaintes
Que volontiers tel exorde contient,
Et vn fleuue de larmes feintes,
Qu’à ſa poſte el’lache & retient :
Mais quel profit, dit-el’, quelle reſource
De tous nos pleurs ? que vaut ce dur remors ?
Dieu de tant de vain pleur ſe cource,
Et ne ſeruent larmes aus mors.
Tel long ennui, Sibillette mamie.
Ne fait qu’eſteindre, en ceſte ieune fleur,
Voſtre beauté déia blémie
Qui ſ’ecouleroit toute en pleur.
Dieu, ſ’il lui plait, puis que d’vn il vous priue,
Qui fut, vrai-eſt, vn peu foible & agé
Pour vous, (car voſtre feu arriue,
Et le ſien étoit délogé)
Vous pouruoira, par ſa grace benigne,
D’autre moitié à vous égale mieus,
Car, vraiment, vous en eſtes digne,
Et aués bon bruit en tous lieus.
Renon aués de ménagere bonne,
Et, Dieu merci, vos biens ſont de bon pris,
Et déia plus d’vne perſonne
De vôtre beauté ſ’eſt épris.
I’en ſai bien vn, mais quoi ? ie ſuis bien neuue,
Il n’eſt pas tems. Toutefois, pourquoi non ?
Il le faut prendre, ce dit-on.
Occaſion, la deéſſe volage,
Telle ſe peint, ſi i’ai bien retenu,
Tout ſon poil pend ſur le viſage
Le derriere eſt chauue & tout nu.
Arriuant donc, doit au poil eſtre priſe,
Car elle ſ’offre, & ſ’offrant touiours fuit,
Puis, n’aiant plus au dos de priſe
Se moque du ſot qui la ſuit.
Cil que ie di, qui vôtre ſe ſouhéte,
S’il faut aus biens & honneurs ſ’arreſter,
N’eſtoit que premier vous appéte,
Première deuſsiés l’appeter.
Et n’eſt pas lourd, comme il ſemble, peut-eſtre,
Dur, ni groſsier : mais telle office veut
Qu’on ſe face graue apparoiſtre,
Et le plus ſeuére qu’on peut.
Vn autre en ſai qui ia preſqu’en rafolle,
D’age moien, & riche & ſain & fort,
Quoi qu’vn malin bruit de verolle,
Ait menti ſur lui à grand tort.
I’en ſai encor, les voulés vous d’eſpée,
Ou financiers ? à Rouen ou Paris ?
Éliſés, pour n’eſtre trompée,
Ie vous baille au chois cent maris.
Mais à vrai dire, &, en loiauté pure,
Pour le conſeil qu’aus ieunes puis deuoir,
Beaucoup de choſes m’a fait voir)
Il n’eſt que trop, de ces muguéts qui balent,
De ces iolis, qui ſur eus portent tout :
Mais ceus, qui pour épouzer valent,
Se choiſiſſent par autre bout.
Épouzés moy quelque aſſeuré riche homme,
D’vn haut eſtat, ſi pouués honnoré,
Tel que celui que ie ne nomme,
Mais premier vous l’ai figuré.
Apres ſa mort vos douaires augmentent,
Et, lui viuant, faute vous n’aués point,
D’autres mille gentils, qui tentent
Vous donner leur ſeruice a point.
Qu’aues vous peur ? le ſaint cornu Moyſe
À mort iadis tel esbat condamnoit :
Auiourdui, par nos gens d’Egliſe,
Autre doctrine ſe connoit.
En ce tems-ci, pour pudique i’auoüe,
Celles, ſans plus, que nul onq’ne requit.
Gentille n’eſt qui ne ſe ioüe,
Et toute belle en doit l’aquit.
Le tems volage à pas larron ſe gliſſe,
Et ſans mot dire, helas, trompe noſtre œil,
Et comme vn courſier en la liſſe,
Nos ans décochent au cercueil.
Tandis qu’aués la claire matinée
De vos beautés, n’en épargnés l’ébat,
Quoi qu’vn ſoir toutes les abat.
Vn bon habit demande qu’on le porte,
Et tout metal au ſeruir ſ’eclarcit,
Et maiſon qui n’ouure ſa porte,
Deſerte, tantot ſe moizit.
Beauté auſsi moins ſert, & plus ſ’empire,
Plus on l’esbat plus claire ſe fait voir,
Et croiés que pour y ſuffire,
Il en faut plus d’vn ſeul auoir.
Penſes, ma fille, à ce plus riche donques,
Qui vos eſtas vous acroiſtra touiours,
Et, chés qui, faute n’aurés onques
De mille commodes amours.
Ie ne creu pas vne langue puante,
Qui contoit hier, & ie ſoutin que non,
Que ia de vôtre foi ſe vante,
Ne ſai quel ieune homme ſans nom :
Pour toute choſe, vn poëte aſſés abile,
Enfant de Dieppe aus riues de la mer,
Si fol d’vne étude inutile
Qu’autre choſe ne veut aimer.
Quand ce ſeroit Clément Maraut lui-méme,
(Ay-ie failli ? Marot dire voulois)
Ou ne ſai quel Ronſard de méme
Qui ſe dit Pindare Gaulois,
D’eus ni de lui, qu’auriés-vous autre choſe
Qu’vne Balade, vn Rondeau ? voila tout :
Que mille rimes ſans vn ſout.
Tels, ni amis, ni maris ne faut faire,
Car publier tantot leur dame font,
Et de leur femme le douaire,
Se prent ſur Parnaſſe le mont.
Deuant Dieu ſoit de l’hõneſte homme l’ame,
Votre mari, ce renom il auoit,
Que de procés, comme ſa game,
Toute la pratique il ſauoit.
Et outre encor ſes biens, dont prou vous laiſſe,
(Qui bien vous eſt en méchef vn bon eur)
Il étoit extrait de nobleſſe,
Dont auſsi vous reſte l’honneur :
Combien facheus, & cõbien (ce vous ſemble)
Fort a porter ,& dur a voir ſeroit
À nous tous vos amis enſemble,
Qu’ainſi tant d’eur vous periroit ?
Aprés Rouen, ô ſeiour bien étrange
Dans telles eaus, en cet air marinier :
Ô de maris different change !
Aprés vn Eueſque vn Mounier.
Ainſi filoit la langue ſerpentine
Son dous venin, quand ie fu découuert,
Au ſoruenir d’vne voiſine,
Par l’vn de mes huis mi-ouuert.
Mes mains à peine à peine ſe garderent,
Qu’aus rares creins, aus plourars chaſsieus,
Leurs ongles alors furieus.
Dieu, pour loyer, te doint, vielle dannée,
Sans feu, ſans vin, le reſte de tes iours,
Rien qu’yuer par toute l’année,
Et goſier alteré touiours.
Ille enuieus, douce chere Sibille,
Graces à Dieu, n’õt ſceu q̃ mordre en moi,
Sinon cete étude tranquile
Que ie ſui pour l’amour de toi.
Ce dous loiſir à grand vice m’imputent,
Trop, ce leur ſemble, aus hommes mal ſéant :
Et ce train des Muſes reputent
Euure d’vn eſprit faineant.
Veulent-ils point qu’en la perche criarde
Mon plait ie vende ? ou que moy-méme aſsis,
Oyant vn auocat qui farde,
Ie dure cinq heures ou ſis ?
Veulent-ils point qu’a mes coſtés ie métte
D’art Milanoiſe, eſpée & dague auſsi,
Et ſur ma teſte, vne plumette,
Pour eſtre bien plus noble ainſi ?
I’aurois du Roi les gaiges d’vn gendarme,
Au reng vaillant de ces hardis iureurs,
Qui ne donnerent onq alarme
Qu’aus poules des bons laboureurs.
Ou bien, plairoi-ie, en miſte courte robe
Treſorillon, vn de ces courtiſans,
Qui, de ce que leur chifre robe,
Peu ne rendent gorge en dis ans ?
Ô poures gens, ce que leurs cueurs deſirent
N’eſt que caduc, paſſager & iournel :
Et mes deſirs hautains aſpirent
Au point de renom eternel.
Toute leur peine vne glore pouréte,
Vn faus honneur ne ceſſe pourchaſſant,
Et d’écus, outre leur ſoufréte,
Sommes oiſiues amaſſant.
Mais, non pluſtard, par les cloches funebres,
Leur dernier bruit ſonné leur ſera tout,
Et leur nom, ſous mémes tenebres,
Auec leurs torches aura bout.
Ce mien loiſir, ce tant d’heures oiſiues,
Tous leurs trauaus, tandis, ſurmontera :
Car, par euures à iamais viues,
Nos noms à la mort oſtera.
Tant qu’aura france vne cheſtienne teſte,
Tant y viuront les Pſalmes de Cahors,
Et Noel n’i ſera plus feſte
Quand Deniſot en ſera hors.
Plutot ſaint Marc perdre lairra ſa ville,
Quelle ſon Bembe : & lors ce reioindra
Ce bout d’Italie à Sicille,
Quand Sannazar ſ’i eſteindra.
Quand ieunes ans fuiront amours & armes,
Lors Arioſte chantera bien peu,
Et quand amans viuront ſans larmes,
Petrarque ſera mis au feu.
Tant que ſoit Grece & d’Ilion la place,
Tant en ce monde Homere demourra,
Quand troupeaus paitront ſur la glace,
L’Arétuzain berger mourra.
Quand nous verrons d’Amour la trouſſe vide,
Et de ſa mère eſteint l’ardant flambeau,
Les couples onze-piés d’Ouide
Ne ſembleront plus rien de beau.
Les marbres donc, & d’acier dures l’ames,
Trouuent leur fin : le tems les ronge & mord :
Mais nos liures ont quelques ames
Qui les exentent de la Mort.
Ce peuple vil les choſes viles ſuiue,
Seul ſes honneurs, ſeul tienne bien ſon or :
Pourueu qu’à iamais reſte viue
De moi tant bonne part encor.
Il me ſufit que mainte vierge mure,
Me chante vn iour à ſon raui brument,
Et maint garçon, parauenture,
Vienne ici lire ſon tourment.
Sur les viuans, ſans plus, broute l’enuie,
Et les defuns plus ne deigne aſſaillir.
Apres donq cete courte vie
Noſtre honneur ne nous peut faillir.
Visque l’Enuie encore donq ſ’afile,
Pour de nos cueurs le ferme neu trencher,
Blamant cete petite ville,
Que pour moy tu veus raprocher,
Ie ſuis ingrat, mon cueur, ma Sibillette,
Si, de ma plume, au moins ie ne ſoutien
La patrie & douce villette
Mere de mon ſang & du tien.
Ce ſalé bort de noſtre onde écumeuſe,
Ceſt air marin, dont ils parlent ſi mal,
Vaut mieus que leur riue fumeuſe,
Leur touiours tied’humide val.
Onq, que ie croi, l’aube teinte de roſes,
Ne les ſeut voir : &, auant le mi-iour,
À peine l’œil de toutes choſes
Rayonne en leur auſtral ſeiour.
À qui plaira le vent des pompes vaines,
Le bruit des plaids, l’écarlate des cours,
Soit ſeur, que ſes raiſons mondaines
Dedans vn Rouen auront cours.
La donq ſe tienne, &, ſ’il peut, y vieilliſſe,
Mol, langoureus & de goutes noué :
Et les Medecins enrichiſſe,
Auquels tout Rouen eſt voué.
Nótre Dieppétte, au moins plus ſaine & viue,
Voit, d’un coſté, quelle l’Aurore ſort,
Par l’alaine ſeiche du Nort.
Car du Su moite vn haut mont nous deliure,
Et en Iſland ſ’enfuit par deſſus nous,
Si bien que voions ſ’entre-ſuiure
L’yuer ſec, l’Eſté frais & dous.
Auſsi, pour vrai, vn air tiede & mollace,
N’eut rien valu pour engendrer des cueurs
Qui fuſſent, ſur l’onde fallace,
De tout autre peuple vainqueurs.
Ni tant d’eſpris que Pallas y auoue,
Deus Mifans mors, & deus mors Parmentiers,
Et deus, que viuans moins ie loue,
Terrien & ce Mifant tiers.
Le bon Crignon, auec ſi peu de lettre
Si ſauant homme, a bien naguére appris,
Et méme en ſon fils fait connoiſtre,
Combien ceſt air vaut aus eſpris.
Quoi ? la commune & multitude vile,
Y ſemble née a deſcrire les cieus,
Peindre terres, mers & tout ile,
Partir vens & meſurer lieus.
Quand aus plaiſirs, nos grans peres honneſtes,
De main en main mille esbas ont laiſſés,
Mille banquéts, dances & feſtes,
Et de ieus & maſques aſſés.
L’éleué bort de noſtre immenſe plaine
Cler, ſec & droit, nous eſt vn pourmenoir,
Leur pont auant la nuit tout noir.
Quand le Soleil, à ſon coucher ſe baigne,
Ô dous regard, voir, au tour de ce Dieu :
Tant de criſtaline campaigne,
Et le bout du ciel, tout en feu.
N’eſſe plaiſir tant de vaiſſeaus de guerre
Voir phalerés ſur leur plaine voler ?
Et, d’vn ſalut, tant de tonnerre
De leurs flans ſoufle-feus rouler ?
De cheſne dur, ſalubre maiſonage,
Voiſins du ciel nos logis ſon dreſſés,
Entaillés de diuers ouurage,
Peins, batus d’or, & lambriſsés.
Et quelle ville vne plus belle rue,
Plus large & longue auoir peut nullement,
Ni d’vn gentil peuple plus drue,
Ni plus nette de pauement ?
Par les carfours, fontaines eternelles,
(Que nos ayeuls encor n’auoient ſceu voir)
Bondiſſantes claires & belles,
Ne ceſſent fin argent plouuoir.
Si tout cela, ſi mieus n’i eſt encore,
Ton ſang au moins, tes deus freres y ſont,
I’y ſuis, quoi que mes eſpris ores,
Dans tes yeus leur demeure font.
Tes bons ayeuls, ſi c’eſt plus quelque choſe,
Sous ample cuiure ont leurs cendres ici :
Et ta mere & ta ſeur auſsi.
Reuien hanter leurs tombes honnorables,
Et, aupres d’eus (mais bien tart plaiſe à Dieu)
Rendre aus deſtins inexorables,
Les beautés priſes en ce lieu.
l’Aſſomption à Dieppe, l’an 1556 lequel
n’eſtant ordinairement que de quatre
pris, fut augmenté de deus.
Vi de fin or, qui d’Indiennes pierres,
Vos frõs vainqueurs voudrés enuirõner,
Non pas de ces poures lierres
Que le viel tems ſouloit donner :
Cines ſacrés, ſoit que vos plumes blanches,
Sur l’enflé L’oire ou ſur le ſucré Loir :
Errant, portent vos gorges franches,
Qui nótre ſiecle font valoir :
Soit que de Seine à l’vne & l’autre riue,
Paris raui admire vos douceurs,
Soit que par voſtre vois naïue
À Rouen parlent les neuf ſeurs :
Tous leués vous ſur vos ailes hautaines,
Et deignés tant par le vide ramer,
Que veniés fondre dans nos plaines,
À ce calme ſein de la mer.
Droit à ſon front la mutine Angleterre
Tremblant, nous voit le long du ſalé bort,
Que nos ayeuls vindrent conquerre,
Ces blons ſoudars du gelé Nort.
L’Eſpaigne ſobre & la Flandre iuroigneſſe,
Qui ça & là nos eaus vouloient tenir,
Ont ſenti de quelle ieuneſſe
Vn port de Dieppe peut fournir.
Mais maintenant, puisque tréue paiſible,
Iuſqu’à cinq ans a reſtuyé nos dars
Puisque chanter nous eſt loiſible,
Ce pendant que dormira Mars,
Nos deſtres mains, en lieu de lance fiere,
La plume douce à l’ennui meneront,
Et, en lieu de trompe guerriere,
Les Muſes deuant ſonneront.
Phebus touiours ſon arc doré n’entéze :
Touiours ne fait Mars ſa pique branler,
L’vn quelque fois ſa Venus baiſe,
L’autre ſa lire fait parler.
Aſsés Neptune & ſon écaillé gerre,
Sous nos canons dans leur fons ont tremblé,
Aſsés nos mers teintes de guerre
La rouge d’Egipte ont ſemblé.
Douze deus fois ces grans hourques dépites,
N’i a qu’vn an, en maint captif eſcu,
Contre peu de nos naus petites,
Perdirent leur Aigle vaincu.
Mainte foreſt dans l’eau méme en fut arſe,
Maint Eſpagnol & maint Flamen rótis,
Et mainte ame en ſon ſang eparſe,
Sur l’azuré champ de Tetis :
Or, à ſon tour, Apollon nous récrée :
Tout lui voüons ce bien eureus loiſir :
Toute ceſte tréue eſt ſacrée
À ſon dous-honneſte plaiſir.
Et toutefois,ni les trauaus d’Alcide,
Ni d’Amphion les haus murs enchantés,
Ni l’ainé, ni le ieune Atride,
Ici ne ſeront point chantés.
La vieille Gréce en fables abuzée,
Et ſans raiſon tels monſtres ſe forgeant,
Son Hipocréne a toute vſée
En bourdes qu’elle alloit ſongeant.
Mais nous, ô Dieu, nous ta gent reconnue,
Nous par ta grace aſſeurés d’vne foi,
Fondés en ta vérité nue,
Chanter ne deuons rien que toi.
Auſsi, Seigneur, toute la France eſt pleine
De ton ſeul nom, & de tés ſaints aimez :
L’vn à te pſalmoder met peine,
L’autre tes martirs a nommés.
L’vn mieus l’honneur de ton Iſraël corne,
Que du fin Grec ſon aueugle n’écrit,
L’autre tout l’Ercule retorne
Aus ſacrés geſtes de ton Chriſt.
Et nous Dieppoys la feconde pucelle
Ou ſ’encorſa ce Dieu homme ton fils
Elizons matiere eternelle,
De nos vers, & ſeul but prefis.
Soit que trés-pur ſon natal ſe ramene,
Ou qu’en ſa mort lui ſoient les cieus ouuers,
Neptune n’a ſous lui d’aréne
Tant que lors elle a de nos vers.
Car elle méme, ô merueille bien rare,
Haute aparut ſur nos murs aſsiegés,
Repouſſant dans le camp barbare
Les boulés ſur nous déchargés.
Et au ſeul bruit de ſa feſte ſonnée
Par nos clohers, l’Anglois troublé d’effroi,
(Ici digne foi ſoit donnée)
Fut défait par l’ainé du Roi.
Braue Talbot, la fortune meilleure
Ne te fut onc, t’aiant fait répaſſer
De ce ſiege en ton ile a l’eure
Pour nouueau ſecours amaſſer.
Ce fier Anglois vne puiſſance armée
Vers le leuant,ſur nos crouppes logea,
Qui, d’vn large foſſé fermée,
Nous batoit par neuf mois déia.
Tout nótre mur n’étoit plus qu’vne bréche,
Et, de tous coins, en maiſons et môutiers
Tomboient le boulet & la fléche,
Ni reſtant que les cueurs entiers.
Quãd, de tous maus, des Charles ce ſettiéme,
Qui des Anglois fit en france la fin,
(Il étoit d’Aout le quatorziéme)
Nous deliura par ſon Daufin.
Sous le bon eur d’vn ſi noble gendarme,
Les aſsiegeurs eus mémes aſsiegés,
Iuſqu’en leur fort eurent l’alarme
Par nos bourgeois encouragés.
Sur le foſſé maint pont de bois habile
Outre-ieté, nous ioignoit main a main :
Canons tonnoient, & ceus de l’ile
Ne ſe defendoient pas en vain.
Déia Moüy, & déia Hercelaines,
(Couple vaillant) bien que vengés aſſés,
Soufloient leurs dernieres aleines,
(Groſſe perte) aus fons des foſſés :
Et Mars égal la victoire en balance
Tenoit encor, un midi ia bien prés,
Quand le deuot ainé de France,
Se tourna vers nos lieus ſacrés.
Et, haut les mains contre ſa lance iointes,
Dame, dit il, ô vierge Mere Dieu,
Qui dois demain tes feſtes ſaintes
Voir celebrer par tout ce lieu :
Ne ſoufre pas ce barbare inſulaire,
Venir ainſi ton riche autel piller,
Troubler ta feſte anniuerſaire,
Et ton cors méme dépouiller.
Tes ſeruiteurs, qu’ici tous ſommes, garde,
Ie te promés, aiant veincu ici,
D’argent vne image, regarde,
Auſsi grande que me voici.
À tant ſe tait : & voila tous enſemble,
Nos hauts clochers leurs creus ærein ſonner,
Et bonne réponſe, ce ſemble,
À ſa iuſte oraiſon donner.
L’Anglois (miracle) à l’heure à l’heure méme,
Cede, recule, & non veincu ſe rend,
Tant, a ce ſon, vn effroi bléme,
La force & le ſens lui ſurprend.
Leur fort eſt pris, on les tue, on les lie,
Nous deliurés au ciel graces rendons,
Et Louys, qui ſon veu n’oublie,
Y adiouſte cent riches dons.
Nos graues chants, nos balades legeres,
Le dous rondeau à demi-ligne clos,
Sont encor les rimes premieres,
Qui ſonnerent ce diuin los.
Leurs pris auſsi, chapeau, bagues, couronne,
De Diamans, de Perles, de fin Or,
À qui mieus mieus, mieus & mieus ſonne,
Richement ſ’expoſent encor.
Mais, de plus neuf, aus Dircéennes odes,
Dignes honneurs, & aus Tuſcans ſonnéts,
Entre nos Muſes Palinodes
Auons voulu eſtre ordonnés.
Qui mieus ſuiui aura le Thebein cine,
Qui mieus ſuiui le Florentin auſsi,
L’vne & l’autre auec pris condigne
Trouuera ſon honneur ici.
Haſtés vous donq, trop aus Muſes ſacrée,
Gaigner nos pris, & vous ouurir le ciel,
À pointe de plume ſucrée,
Qui peu doiue à l’Attique miel.
Duc d’Eſtouteuile, Conte d’Anguien,
qui fut tué le iour S. Lorans, 1557.
& git à Vallemont.
e noble cors qui ci deſſous ſ’empoudre,
François paſſans, ne mourut pas ici :
Ains dans ceſte ſanglante poudre
Ou fut ſurpris Montmorenci.
La trop auant, aueques lance & maſſe,
De rouges crois ſon gite il ſe paua,
Tant vn ſouuenir de ſa race
Loin de nos bendes l’enleua.
Quand il fut las, les plus hardis d’Eſpaigne,
Tremblans encor, de loing lui crioient fort,
Voi que le grand nombre te gaigne,
Ren toi, Bourbon, ou tu es mort.
Au Roi, dit-il, & à ma France aimée
Ie ren la vie, & mon eſprit à Dieu,
Ie la quite aus vers en ce lieu.
Délors mourut : mais encor creinte telle
Ce petit cors tout roide leur faiſoit,
Que main nagueres ſi cruelle,
Le plus fier regarder n’oſoit.
Tel ennemi iamais ne nous auienne,
Dirent-ils tous : &, tout mort qu’il ſoit or,
Rien deuers nous ne ſ’en retienne,
Car les os feroient peur encor.
Si l’ont rendu ; & ſa France éplorée,
Qui de tel ſang trop peu reſter ſe vit,
Sur la ſepulture honnorée
Ce ſien regret lui écriuit.
Si me naurer tu auois en penſée,
Mars defectif, au moins pouuoit ton dart
M’auoir non au cueur offencée,
Et en moins precieuſe part.
Tu me voiois quaſi toute entrepriſe,
D’humeur étrange, & membres ſuperflus :
Pourquoi, les laiſſant, m’as tu priſe
Au bon ſang dont n’ai tantot plus ?
Adieu le ſang de ma veine meilleure,
Trop tot tiré : Adieu, fleur de mes fleurs,
Vengeance vous ferai quelque heure,
Mais tandis, helas, rien que pleurs.
auec la Reine d’Ecoſſe en
Auril, 1558.
Oici ton mois, ô fille de l’écume,
Bell’Aphrodite, & le celeſte Tor,
Ia tout ce monde te r’alume,
Faiſant flamber ſes cornes d’or.
Le ciel te rit, &, a l’enui, la terre
Point ne te ceſſe herbes & fleurs tirer,
Et la Mer qui ſemble de verre,
Te prie en elle te mirer.
Ne tarde plus. Laiſſe, à bride aualée
Ramer deça tes cines attelez,
La ou Seine a Marne mélée
Entourne le roial palais.
Auecques toi pren ce chois de tes filles,
Trois cors tout nus ſ’entretenans touiours,
Les Graces, ces trois ſeurs gentilles,
Et l’vn, ſans plus, de tes amours.
Au lieu de l’autre, ô Himen himenée,
Vien, chaſte Dieu, ta mere acompaigner :
Nulle amour d’honneſteté née
Ne doit ta torche dédaigner,
Et quel des dieus, par nous race mortelle,
Eſtre deuroit plus que toi honnoré ?
Et quel, par vn amant fidelle,
Plus deuotement adoré ?
Pour ſes enfans, en grand ſoin, mainte mere
Déia touſſant t’adreſſe mille veus,
Et ſeul, femmes, ſans vitupere,
Rendre les pucelles tu peus,
Par ton moien la vierge vn peu ia mure,
Tres-volontiers pere & mere laiſſant,
Dens les mains ſe liurer endure
D’vn ieune homme la rauiſſant.
Par ton ſaint feu les heritiers ſuccedent,
Éterniſés en ce gerre mortel,
Et, quoi que mortels ils decedent,
Tu gardes leur ſang immortel.
Haſte toi donq, & douce mariolaine
Front & cheueus te ceigne tout au tour,
Et luiſe en ta deſtre hautaine
Le ſaint flambeau de chaſte amour.
Voi, ſi matin, de mille fleurs ornée
L’aube déia, Phebus tout d’or auſsi,
Qui n’ouurirent onques iournée,
Plus eureuſe que ceſte-ci.
Pieça déia tout le monde réueillent
Dous violons & perce-cieus cornéts,
Et ia les prétres appareillent
Leurs temples richement ornés.
Car auiourdui la couronne Écoſſoiſe
Qui de Marie eſtreint le chef roial,
Sera faite à iamais Francoiſe,
Si tu fermes ce neu loial.
François Daufin, & d’Écoſſe la Reine,
Se vont ſous toi & leurs peuples vnir :
Fai leur, ô Himen, vne cheine,
Qui les puiſſe à iamais tenir.
Enlaſſe-les, eſtrein-les & conferme,
D’vn neu de fer, & Gordien cent fois,
D’vn neu à toutes preuues ferme,
Rare chef d’œuure de tes dois.
Comme des cors, fai des deus ames vne,
Des deus cueurs vn, vn deſir, vn ſouci :
Et quoi qu’entre deus ſoit Neptune,
Conioin les peuples tout ainſi.
Ia Lile-bourg dedens Paris ſe trouue,
Et ſon Lion entre nos fleurs lui plait,
Ia le ſang d’Eſtuard nous preuue
La grand nobleſſe d’ou il eſt.
Es-tu boiteus, Himen ? que veus tu dire ?
La vierge Reine eſt ia pleine d’ennui,
Et, de trop atendre, ſoupire,
Craignant que tu n’i ſois meshui.
Comme défait la roſe Ciprienne
Des moindres fleurs, tout à l’entour, le teint,
Comme la claire Délienne
Les étoiles proches eſteint,
Marie aſsiſe entre mille pucelles,
Qui dens le cueur, te ſont auſsi maint veu,
Raionnant ſa beauté ſur élles,
Leur laiſſe de luſtre bien peu.
Telle ta mere eſt maintefois allée
Ou Adonis, ou Anchiſe tenter,
Telle, en la Troienne vallée,
Au iuge alla ſe preſenter.
L’épous auſsi, premier eſpoir de France,
De l’autre part bien matin éueillé,
Se plaint qu’en trop longue eſperance,
Par ta pareſſe, eſt trauaillé.
Ne pouuoit donq, ô prince, te ſufire
Ce Gaulois ſceptre infallible & certain ?
À quantes couronnes aſpire
Ce chef ſi roial & hautain ?
Apres Écoſſe & la Gallique terre,
Ioindre y pourras (& ce t’eſt deu des cieus)
Le branlant ſceptre d’Angleterre,
Et de Naples les plaiſans lieus.
Voire trop plus : mais tinſſes-tu du monde,
La plus grand part humble ſous toi déia.
Priſe plus ceſte Ninfe blonde,
Que ce qu’Alexandre rengea.
Pour ton amour, ſa patrie & ſa mere,
Et, ſans regret, ſes hommes a laiſſés,
Et, ſur vne fraile Galere,
Les grans flots d’Océan paſſés.
Pour ton amour ſon langage d’Écoſſe,
Ell’oublia, & le tien elle aprit :
Et bref, par ceſte heureuſe noce
T’ofre ſceptre, cors, & eſprit.
Heureus mari, voici bien pour toi ores,
Le plus beau iour qui iamais éclaira,
Mais la nuit, toute noire, encores
Trop plus belle te ſemblera.
Pour ce iourdui laiſſe au grand Roi ton pere
Les ieus de Mars, la lice & le tournoi,
Car la patronne de Cithere
Autres combats dreſſe pour toi.
Trop eſt ta gauche a bien volter connue,
Ta deſtre auſsi à toute arme porter,
Mais garde qu’vne vierge nue
Trop tot ne te puiſſe matter.
Quoi ? ia déia me ſemble ouir les ailes
Des cines blans : voici la coche d’or :
Et qui eſt ce plein d’étincelles,
Ce voleur qui les paſſe encor ?
Ie le connoi, il a deus yeus en teſte :
Bien ſois venu, Amour honneſte & ſaint :
Mais tres-loin ſoit de noſtre feſte,
L’aueugle, vicieus & feint.
Fai fondre ici, Venus, tes cines vites,
Dans la cité de ton iuge Paris :
Deſcen auecques tes Charites
Sur ces celeſtes lis flouris.
Ô de Cithére & de Cypre l’idole,
Mere du monde, à ce coup puiſſes-tu
En ces deus perles qu’on acole,
Montrer ta feconde vertu.
Vien, il eſt tems, nótre vierge connoitre,
Vien l’inſpirer : ton œil ſ’ébahira,
Et vn peu de ton front, peut-eſtre,
(Ne te déplaiſe) en rougira.
Mais ceſt honneur, pour ceſte heure, Déeſſe,
Pardonne lui : car pas ne peut flourir
Touiour ceſte ſienne ieuneſſe,
Ni iamais la tienne perir.
Fai, deuant toi, ce tien fils Himenée
Marcher armé de ſon pudique feu,
Thalie, Aglæe, Euphroſinée,
Ioignent l’indiſſoluble neu.
Que fai-tu plus ſur nótre demi monde
Tardif Soleil ? deſcendras-tu iamais ?
Plonge toi vitement en l’onde,
Car la nuit vaut mieus deſormais.
Paſſe leger, pique aual, pique, pique,
Découure nous la peinture des cieus,
Tu fais tort à ta ſeur vnique,
Car ſon croiſſant eſt de nos dieus.
De ta nuit, donq, tot nos yeus renuelope,
Blanche Diane, ainſi puiſſe donter
Ton grand Henri toute l’Europe,
Et bien haut par tout te planter.
Ia ſes couleurs toute choſe a perdues,
Ie ſuis oui, rien que le ciel ne luit :
Tenebres ſe ſont épandues,
Et voici l’amoureuſe nuit.
Ceſſez le bal, ceſſez le bal mes dames,
C’eſt trop tenu d’attente languiſſant,
En l’ardeur de ſes chaſtes flammes,
Ce ieune mari periſſant.
L’heure ſ’enfuit, par vous ſoit emmenée
La Ninfe ſage : helas, elle rougit :
Ô douce vergoigne bien née,
Que de modeſtie en toi git.
Va hardiment, va Reine bien heureuſe,
C’eſt à ton Roi, ton mari, que tu vas :
Dequoi, pucelle, es tu peureuſe ?
C’eſt le ſeul ami que tu as.
Ce ſeul ami mille parens ſurpaſſe,
Ce ſeul ami mille reaumes vaut,
Iamais ſa foi ne verras laſſe,
Ni ſon cueur d’autre flamme chaut.
Roi Écoſſois, des François l’eſperance,
La nuit échape, & ie t’amuſe ici :
Or t’en va prendre iouiſſance,
Or t’en va la donner auſsi.
Or vous iouéz, or commencéz à viure,
Paiſséz vos yeus, beuéz mille plaiſirs,
Chacun de l’vn l’autre ſ’en-yure,
Et immortels ſoient vos deſirs.
L’arbre acolé & le rampant Lierre
Plus fort que vous ne ſoient entr’embraſséz,
Ni la vigne haute de terre
Et l’orme mieus entrelaſsés.
Tu cueilliras la demimure roſe,
La fraiche fleur, fille du point du iour,
Pour toi ſeul ſi vermeille écloſe
Dans le flouri iardin d’Amour.
Et dont la tige, entre tes mains feconde,
Iettonnera mille ſcions diuers,
Qui doiuent iuſqu’aus fins du monde
Eſtendre vn iour leurs rameaus vers.
Ie di tes fils, qui, tout tels que leur pere,
Au trais ſans plus, connus enfans du Roi,
De la chaſteté de leur mere,
Par le viſage feront foi.
Or, chaſte lit, puiſſe ta molle plume
De paix & ioye vn ni touiours couuer.
Iamais ſoupir ne ſ’y allume,
Ne pleur n’i vienne rien lauer.
Il faut ſortir, fermés l’huis damoiſelles,
La nuit ſe pert, viués amans, viués :
Ô que de garſons & pucelles
Deſirent l’eur que vous aués :
i le treſsor des Pindoiſes déeſſes,
À peu de gens chichement departi,
M’auoit de ſes douces richeſſes
Otroié quelque bon parti,
Si i’auois beu de l’heureuſe fontaine,
Qui fait du miel dans les goſiers ſacrés,
Qui les bors du Loir a ſucréts :
Pieça, Fourdin, pieça bien empennée
Par mes eſcris, ta glore voleroit,
Et la plume à Vendome née
Son Dorat mieus n’extoleroit.
Douze Apollons, cent Muſes ie ſouhéte,
Non pour rebatre, ou le ſac d’Ilion,
Ou la riche toiſon d’æéte,
Ou le fier Néméan lion.
Mille menteurs, voulans d’vne fumée
Faire du plomb, ont reuomi ſans fruit
Toute l’Aganippe humée
Pour telles bourdes mettre en bruit.
Mais tout le don qu’en ce lieu ie demande,
Seroit, ſans plus, pour au vrai t’exprimer,
Combien la part eſt belle & grande
Qu’en moi tu dois tienne eſtimer.
Foie & poumons, cueur & teſte ie t’ofre,
À éplucher : ſonne moi, touche moi,
Tu as en ton Doublet vn cofre,
D’entier amour & pure foi.
Car, au laiſſer de mes nois pueriles,
Tu me receus blanc & vierge tableau,
Sur qui, des lors, tes dois habiles
Menerent le premier pinceau.
Tu me montras de quel charme de langue
Vn Arpinois toute Rome enchantoit,
Démoſténe vn Roi combatoit.
Ie vi la ville auec ſon Hector morte,
Qui mille naus plus de neuf ans ſoutint,
I’oui mentir de langue acorte,
Ce Grec que Calipſon retint.
Ie vi ænée & Turne ſ’entrebattre,
Ie m’endormi au lut Auſonien,
Et, ſis fois, me tint au theatre
Le Comique Sidonien.
Par tous ceus-la, Fourdin, tu mis grand peine
À me létrer, & ma langue embellir,
Mais c’eſt toute peinture vaine,
Qui l’ame auſsi ne veut pollir.
Tres-clair miroer de vie entiere & ſainte,
Tes chaſtes meurs a nous touiours ſ’ofroient,
Et, nous bridant de douce creinte,
Rien voir méchant ne nous ſoufroient.
Te ſouuient-il de cent douces fineſſes,
Dont, tout iouant, tromper nous ſoulois tu,
Alléchant nos tendres ieuneſſes
Aus lettres & à la vertu ?
Mais, ſi n’a ſceu à tes labeurs répondre,
Ce mien eſprit à peu de glore né,
(Car tu t’eforçois le ſemondre
À plus haut qu’il n’eſt déſtiné)
Ne vois tu pas ſur vne méme croppe,
Maint chéne droit iuſqu’au ciel ſe porter,
Maleureuſement auorter ?
Le laboureur ſ’étonne que deuiennent,
Tant d’autres grains qu’il auoit épandus,
Car les vns, ſans plus, lui paruiénnent,
Les autres demeurent perdus.
Ainſi, Fourdin, ſi toute ta ſemence
Sur ce Doublet n’a rendu dine fuit,
Vn Daniel (grand recompenſe)
Plus heureuſement as inſtruit.
Ie voi déia qu’vn dru tout blanc pennage,
Plume de cine, ailer lui vient le dos,
Et ſa bouche, par ton ménage,
Boit vn fleuue de ſucrez mots.
Ceſtui ſeul donc (pardonne m’en l’enuie)
Pourra ton nom du ſourd oubli ſauuer,
Et a perpetuelle vie,
Aueques le ſien, éleuer.
Ous admirons mille metamorphoſes
Du tems des dieus, age trop récité :
Mais ce ſiecle, en pareilles choſes,
Ne doit rien à l’antiquité.
En peu de rime & groſsiere écriture,
Vous peindrai ci d’vn trait de mon lourdois,
Vne fort nouuelle auenture,
Digne de plus habiles dois.
Belle ſans pair, d’vn forgeron la femme,
Naguére oſa d’elle tant preſumer
Que d’vn chacun, la bonne dame,
Se faiſoit Venus ſurnommer.
Le bon mari, bien laid, comme lon conte,
Touiours ſuant, touiours tout potelé,
N’auoit pas lui-méme de honte
D’eſtre auſsi Vulcan appellé.
Mais ce pendant la reine de Cithére,
Des diuins noms tel emprunt n’endura,
Ains pour vengeance tres-ſéuere
Voici qu’elle en délibéra.
Toi qui Venus, dit-elle, oſes te faire,
Sois donc Venus, de nom, d’eſprit auſsi :
Et toi, Vulcan : &, pour parfaire,
Aiez méme ce Mars ici.
La choſe eſt dite, & faite tout enſemble,
Vn gras Prieur en eſt le braue Mars :
Et ceſte ci, qui Venus ſemble,
Se preſte à lui de toutes pars.
Tant qu’vne fois, par ſecréte pipée,
Le noir Vulcan les ſurprent embraſséz,
Et tous deus d’vne longue épée,
Les euſt à l’heure outre-percéz.
Mais, par pitié miſericordieuſe,
Les dieus benins (comme iadis ſouuent
En l’antiquité fabuleuſe)
Mirent leur puiſſance au deuant.
La poure femme eſt louue deuenue,
Gloute de proie : & ſon lou la rauit :
Car en lou, tout d’vne venue,
Le moine auſsi tourné ſe vit.
Le forgeron, a qui ſa femme on ote,
Mué ſe trouue en l’oiſeau mal plaiſant,
Qui touiours touiours vne note
Au mois de Mai va rediſant.
i tu perméts, Pere treſ-debonnaire,
À toi parler, qui ſais ſans nótre vois,
Mieus que nous mémes nótre afaire,
Car le fons de nos cueurs tu vois.
Deigne, Seigneur, qu’à ta grandeur i’adreſſe
Vn peu de mos, quelques ſoupirs auſsi :
Car pitié du monde me preſſe,
Et de ta glore le ſouci.
Voi tout puiſſant, voi, mes alége enſemble,
Ton poure peuple, aſsés aſsés puni :
Voici tant de maus, ce me ſemble,
Que rien ne t’y reſte impuni.
Ceus qui d’argent auoient leur force faite,
Vont mẽdiant, ceus qui creuoient d’orgueil,
Ont veu leur fortune défaite,
Et or leur ſouuient du cercueil.
Le citoien, loin de ſa cité, pleure,
Meurtri, brulé, pillé, banni, tout nu,
Seigneur par force deuenu.
Le laboureur voit l’eſpoir de ſa peine
Par main étrange, auant l’Aout moiſſonné,
Voit ſes beufs qu’vn barbare emmeine,
Et ſon chome à Vulcan donné
Que veus-tu plus ? les grãs monarques mémes,
Quand il t’a pleu leur calme vn peu troubler,
Ont ſenti ſur leurs teſtes blémes,
Leurs triples couronnes trembler.
Qu’eſt-il beſoin toutes les verges dire
Dont ta vengeance, ô Dieu nous a touchés !
Douce toutesfois eſt ton ire,
Et trop moindre que nos pechés.
Pour nous, ſeigneur, de trop pl’ de mal dignes.
Chetifs hommeaus, race deüe à la mort,
Ne difére pas nos ruines,
Si pitié ia ne t’en remord.
Mais qui ſera-ce en ceſt éfroi des armes,
Qui chantera les louanges de Dieu ?
En ceſte tempeſte d’alarmes
Tes cantiques auront-ils lieu ?
Quelque vaincu, rendant l’ame, peut-eſtre,
Aucuns ſoupirs, bien tard, t’adreſſera :
Mais le vainqueur, ſans te connoitre,
Sa ſeule glore penſera.
Ou eſt le Prince a la main non ſouillée,
Qui dine ſoit de ton temple batir,
Vient à ta verité ſentir ?
Nos grãs ſeigneurs dreſſent des cãps cõtraires,
Non pour l’Aurore à ta foi conquerir,
Ains freres le ſang de leur freres,
Par tout outrage vont querir.
Et qui vit onq vne beſte ſauuage,
Once tachée, ou Tigre au pié leger,
Venir à ceſte extréme rage
De ſa propre eſpece outrager ?
Le Turc ſuperbe en va rendre la grace
Au ſourd tombeau en Méque idolatré,
Priant qu’en ta chrétienne race
Décord immortel ſoit entré.
Et ce pendant deſſous le mui demeure,
Ton feu celé : on te ſupprime ainſi,
Et tes vrais teſmoins pour ceſte heure
N’ont lieu ni audience ici
Or, fai Seigneur, ſur l’enclume remettre
Ces dars ſanglans, & tant de fer polu,
Qui tout en bons picquois deut eſtre,
Faus & faucillons remoulu.
Tous ces couteaus que l’vn ſur l’autre on rue,
Commande donq qu’au feu ſoient repurgés,
Et pour l’innocente charrue,
En maint coutre & ſoc reforgés.
N’endure plus ces horribles ſerpentes
Goſiers-d’ærein, tes foudres imiter,
Au fons de la mer fai ieter.
Et, pour ton nom, que ſeul toute la terre
Deut retentir, ſeul tout homme ſonner
Deigne à ton cher r’achaté gerre,
Pere de paix, ta paix donner.
EPIGRAMMES,
ET DIVERSES RIMES
Imitation d’Anacreon.
ionville ie veus dire,
Calais chanter ie deſire,
Mais ſonner onc ne voulut
Que d’amourétes mon lut.
Changé l’ai de façon toute,
De nerfs, de table & de coute,
Moy-méme rien n’y chantant
Que ce Henri tout domptant,
Mais touiours mes cordeletes
Me répondent d’amourétes.
Adieu donques deſormais,
Guerres & hommes armés,
Adieu vos glores hautaines,
Vaillans Rois & capitaines,
Car ce mien lut oſtiné,
N’eſt qu’aus amours deſtiné.
Vr les heures de minuit,
Lors que pieça tourne & luit
Ceſte lente chariote,
Que conduit l’enfant Boote,
Et laſſés les hommes tous,
S’étendent au ſomme dous,
Amour d’vne fauſſe ſorte
Vint martéler à ma porte.
Qui frape, di-ie, la bas ?
Vous me troublerés, helas,
Ce dous ſonge qui m’embraſſe.
N’ayés peur, ouurés, de graſſe,
Répont-il, ouurés moy l’huis,
Vn petit enfant ie ſuis,
L’eau me perce, on ne voit goute,
Et ne ſçai ou ie me boute.
I’eu pitié quant l’écoutai,
Et d’allumer me hatai,
I’ouure, & eſt vrai que i’auiſe
D’vn petit enfant la guiſe,
Mais il portoit arc turquois,
Longues ailes & carquois.
Ie l’améne, ie le chaufe,
Ses mains des miennes rechaufe,
Et ſes creins moites pignant,
N’en ceſſoi’l'eau épréignant.
Et l’humeur fut ſeiche toute :
Ça, dit-il, faiſons l’eſſai
De ce petit arc que i’ai :
Voyons ſi l’eau de l’orage
A ma corde à fait dommage.
Il bende, &, d’vn trait adroit,
Au milieu du cueur tout droit,
Comme vn Tan poignant m’afolle,
Puis me gaudiſſant ſ’enuole.
Adieu, dit-il, adieu donq
Mon ote, ie ne vi onq
Ceſte corde eſtre meilleure,
Mais plaie au cueur t’en demeure.
e leger enfant Amour,
Cueillant des roſes vn iour,
N’aperceut point vne abeille
Dormant’en la plus vermeille,
Qui d’aguillion inhumain,
Au bout d’vn doit de la main
Lui lança pointure amere :
Il ſ’écrie, & en Cithére
A l’heure à l’heure volé,
Or ſuis-ie, mere, afollé,
Afollé ſuis-ie a ceſte heure,
Dit-il, & faut que i’en meure.
Vn petit ſerpent volant,
(Ces ruraus vont l’appellant
Mouche à miel, ô fauſſe mouche)
M’a donné ceſte écarmouche.
Venus ſouriant adonq,
Si telle pointure donq,
Si attainte, ſi dépite,
Vient d’vne mouche petite,
Quel mal, mon fis, cuides-tu
Face ton long trait pointu ?
Elle qui tient ma foi
Ne doit pas creindre,
Qu’autre iamais en moy
Se puiſſe empraindre.
Son image ſi bien
Y eſt grauée,
Qu’elle n’en peut pour rien
Eſtre leuée.
Amour, mon cueur n’eſt pas
De cire tendre,
Car cent cous tu frapas
Ains qu’i rien prendre.
Lors qu’il laiſſas en fin
De ta main forte,
Ce viſage diuin
Qu’au vif ie porte.
auquel vne belette coupa
la gorge.
Lorés mignardes amourétes,
Dames blanches, dames brunetes,
Et tous mignons d’Amour auſsi
Acompaignés ce dueil ici.
L’oizelet de madamoiſelle,
L’ébat & les delices d’elle,
L’honneur des petis perroqués,
Et dont les grans furent moqués,
Ores, par vne dent traiteſſe,
Parti de ſa douce maitreſſe,
À Proſerpine las, helas,
S’en eſt allé parler la bas.
Reſte, ſans plus, de ſi grand perte,
La plume iaune, rouge, verte :
Falloit-il encor, ô maleur,
Y voir de ſon ſang la couleur ?
Ces douceurs, las, meritoiẽt-elles
De Progné les taches cruelles ?
Maudit ſois tu, maudit cent fois
Muſeau cruel, ou que tu ſois :
Fauſſe meurtriére belléte,
Qui cete douce gorgeléte
De ta dent as oſé trencher :
Tant ton repas nous couſte cher.
La nuit déia plus que demie
Tenoit toute choſe endormie,
Chacun repoſoit ſans ſouci,
Et le bon oiſelét auſsi,
Quand, toi ſeule par les tenébres,
Nous braſſant ces regrés funebres,
Vins adreſſer ton traitre pas
Au flair du precieus repas,
Et oſas, rauiſante beſte,
Meurtrir vne ſi chere teſte :
Il cria qu’on le ſecourut,
Mais parlant enſemble mourut.
Enſemble trépaſſe & ſ’éueille,
Leue enſemble & rabat l’oreille,
Et ſi treſ-piteus ſe rendort
Qu’on voit bien qu’il ronfle à la mort.
Plorés mignardes amouretes,
Dames blances, dames brunetes,
Et tous mignons d’Amour auſsi
Acompaignez ce dueil ici.
Ah, qui lors ſa maiſtreſſe eut veue,
Venir au ſecours demi nue
Se tourmenter, ſe ſammeſter,
Ses femmes à l’aide appeller,
On l’auroit certes comparée
À la Ciprienne éplorée
Quand du lit on la vit courir
Au tendron qu’vn porc fit mourir.
La mort ſur l’oiſeau ia trop fiére,
Lui batoit l’aleine derniere,
De ſon bec la terre il mordoit,
Et les ailes roides tordoit,
Quand elle bien tard arriuée
Sentant la chaleur deriuée,
Et du cueur méme peu à peu
Fuir bondiſſant le dernier feu :
Dens l’yuoire de ſes mains cloſes,
L’étuue, & veut par mille choſes,
R’allumer les petis eſpris
Ia par trop de glace ſurpris :
Dans ſon lit plourante le porte
Et ores de mots le conforte,
Qui charmer deuſſent vn Enfer :
Ores l’eſpére rechaufer
Entre les deus pommes iumelles,
Ses deus reflotantes mamelles,
Qui, bien haut, ſous ceſt apre dueil
Bondir faiſoient leur dous orgueil.
Mais, ſurtout, le petit bec croche
Contre ſes leures elle approche :
Et comme nagueres ſouloit.
Baiſotant, donner lui vouloit
La douce liqueur de ſa bouche,
Mais, ce bien peu auant le touche.
Pour tout cela l’horrible mort
Qui le haſte & preſſe trop fort,
D’vn ſeul ſoupir ne lui pardonne :
Ia l’ame extréme l’abandonne,
Ia ſont les yeus clos & ſellés,
Et les petis membres gélés.
Plorés mignardes amouretes,
Dames blanches dames brunetes,
Et tous mignons d’Amour auſsi,
Acompaignés ce dueil ici.
Ou es tu diſerte languette,
Ou es tu clere paroléte,
Et vous, helas, ou eſtes vous
Petit mignon, mignon ſi dous ?
Qui ſera Roi en voſtre place
Perroquet ? qui aura la grace
De dire ſi bien à ſon tour,
À madamoiſélle bon iour ?
Et toi cleret, par qui tout tourne,
Deuant l’œil de qui ſ’en atourne,
Qui te chantera deſormais
Mieus que lui, qui n’en beut iamais ?
Car de l’eau pure étoit contente
Sa petite gorge excellente.
Bien que quelquefois mignotant,
Sa maiſtreſſe, & la baiſotant
L’afeté, oſoit bien pour boire,
Fretiller ſa languete noire
Entre ce franc coral iumeau,
Y ſuſſant, qui le faiſait beau,
Vn miel, vn bame, vne eau de vie,
Donc nous tous lui portions ennie.
Et ſ’il ſe ſentoit nullement
Auoir fait choſe rudement,
Fut de ſon bec, fut de ſa pate,
Dieu ſait comme il auoit grand hate
S’étendre, de peur tout tranſi,
Humble, à l’enuers, criant merci.
Mais, helas, ou eſt le merite
De ces douceurs ? que lui profite
Ce goſier, qui fut ſi diſpos
À reparler tous nos propos ?
Que lui vaut, ni maitreſſe honneſte,
Ni ce pourpre peignant ſa teſte,
Ceſt or, ceſt azur, ce vert gai,
Vert éfaçant le mois de mai ?
Il meurt, helas, auant ſon heure,
Et maint villain corbeau demeure.
Ce paſſetems on nous rauit,
Et l’ecouſte, pour nuire, vit.
Bonnes choſes ſont coutumiéres,
De faillir touiours les premiéres :
Et les pires, tout au rebours,
Volontiers fourniſſent leur cours.
Ainſi du bon Protheſilée
L’ame ieune fut exilée.
Le vil Therſite demeura,
Et ainſi Hector moins dura
Que Paris ſon feminin frere,
L’vn vaillant, & l’autre au contraire.
Que dirai-ie des ſaints priez,
Tous l’vn apres l’autre criez ?
Ni pour eus, ni pour le bon zelle,
Des veus que fit madamoiſelle,
Na ſceu, des ſtigiennes eaus
Reuenir l’honneur des oiſeaus.
Plorés mignardes amouretes,
Dames blanches, dames brunetes,
Et tous mignons d’Amour auſsi
Acompaignés ce dueil ici.
Sous les collines Elizées,
(Lieu des ames fauoriſées)
Y a, qu’a peine lon peut voir,
Vne forét d’Ebéne noir :
Dont la terre, que Léthe inonde,
Touiours d’vne herbe brune abonde.
La (ſi mainte doute lon croit)
S’en vont les bons oiſeaus tout droit :
Mais des autres ors & infames,
(Comme on dit) n’i entrent les ames
Là les blans cines ont leurs nis :
La vole l’vnique Phenis.
La le Pan étend ſa richeſſe.
La l’amant Roſignol ne ceſſe.
La fuit la Teurtre ſon épous.
La ſe baiſent les Pigeons dous.
Ceſte troppe, legeres ombres,
Iuſqu’au pas de leus bornes ſombres,
Sont venus humbles au deuant
Receuoir l’oiſelet ſauant,
Qui a pris ſa place eternelle,
De tout ce beau parc la plus belle,
Or eſſe-la comme ie croi,
Que vraiment Perroquet eſt Roi.
Roſſe de moi, a trois deuins ma mére
S’en enqueroit : l’vn vn fis annonça,
Par l’autre vne fille elle eſpere,
Le tiers, neutre me prononça.
Et tout fut vrai, car ie vins Androgine :
Puis, ſur ma mort : l’vn que pendu ſerai,
L’autre qu’vn glaiue eſt ma ruine,
Le tiers dit que ie me noiray.
Nul ne mentit. Eſtant monté à peine
Deſſus vn arbre au bort de l’eau tout pres,
I’auoie épée, ell’ſe dégaine,
Et ie tombe ſur elle apres,
La teſte en l’eau : mais venir n’i ſeut onques,
L’vn de mes piés aus branches acroché :
Ainſi, fils, fille, & neutre donques,
Ie fus noyé, tué, branché.
n pere douze enfans porte,
Qui en ont trente chacun,
Tous de diferente ſorte,
Si l’vn eſt blanc, l’autre eſt brun.
On les voit tous vn à vn,
Iamais deus ni trois enſemble,
Et ſans qu’il en meure aucun,
Tous les iours meurent, ce ſemble.
n amant, pour gaigner
Ce qu’il deſire,
Iure ſans épargner,
Promet, ſoupire.
Puis quand il a trouué
Qui le contente,
Et tantot abreué
Sa ſoif ardente,
Adieu la foi, adieu,
Au vent promeſſe,
Autant en autre lieu,
Changeons ſans ceſſe.
De ces dous iouuenceaus
Guetés vous, dames,
Qui, ſur leurs ans nouueaus,
Sont pleins de flammes.
Plutot que paille au feu
D’ardeur ſ’ateignent,
Mais, durans auſsi peu,
Tantot ſ’éteignent.
Comme amont & aual,
Soit chaut, ſoit glace,
Le veneur matinal
Vn liéure chaſſe :
Et puis, quand pris il eſt,
Bien peu le priſe,
Car la chaſſe lui plait
Mieus que la priſe.
Ainſi ces ieunes cueurs
Bien fort vous preſſent,
Mais rien que vos rigueurs
Ils ne careſſent.
Car, moins les accoſtés,
Plus vous pourſuiuent,
Et tant leur reſiſtés,
Tant vous captiuent.
Mais ſi tot que ſur vous
Leur point ils gaignent
Vous étes miſes ſous,
Et vous dédaignent.
Et, par qui humblement
Futes ſeruies,
Vous pleignés durement
Eſtre aſſeruies.
Tantot leur feu leger
Ailleurs va luire :
Glore font de changer,
Et tout ſeduire.
Non pas qu’à n’aimer point
Ie vous exorte,
Et pitié, de tout point
Doiue eſtre morte.
Car, dames ſans ami
De rien n’eſt dame,
Et ſon cors endormi
Lui rabat l’ame.
C’eſt la vigne ſans pal
Laiſsée en friche,
Non ſoignée à l’egal
De ſon fruit riche.
Ce poil folet ſans plus,
Age trop tendre,
De conſtance eſtre exclus
Deués entendre.
Cueillés la grappe ainſi,
Non verte ou dure
Ni flaitriſſant auſsi,
Comme trop mure.
e Soleil reculant
Nos iours nous rongne,
Et auec lui coulant
L’Eſté ſ’eloigne.
Les vens troublent la mer,
Branlent la terre.
Neige ſe voit ſemer,
Glace tout ſerre.
Il n’eſt plus d’oiſeau dous,
Qui chanter vueille,
Et plus ne voions nous
Ni fleur ni fueille
Ainſi ma vie en dueil
Toute ſe tourne,
Quand, mon Soleil, ton œil
Ailleurs ſeiourne.
Plus ne voi que langueur :
Et mille doutes
Viénent glacer mon cueur
Sans raiſon toutes.
L’Aout à beau arriuer
Car, toi abſente,
Touiours ce triſte iuer
Faut que ie ſente.
Atin mes eſpris me volle,
Et de ſes yeus, peu à peu
Me fait fondre, comme au feu
S’écoule vne cire molle.
S’ell’ eſt brune, moins vaut-elle ?
Vn charbon eſt bien tout noir.
Mais quand il ard, ſemble à voir
L’œil d’vne roſe nouuelle.
Ntre les léures de Catin
Vn moite baiſer ai emblé.
Plus dous, plus fort, plus chaut que vin,
De ſucre & canelle comblé.
Et ce Nectar tel m’a ſemblé
Coulant par ma bouche rauie,
Qu’a ſentir mon cerueau troublé,
D’amour ſuis yure pour ma vie.
des Epigrammes.
Ar ton ſaint nom, Venus, ie le confeſſe,
Colérement ai iuré ce matin,
Que d’vn mois (ô Dieus combien eſſe !)
Ie ne viſiterai Catin.
Mais, ô deéſſe, helas, ie lui pardonne :
S’il te plait donc, pardonne moi auſsi.
Car midi à grand peine ſonne,
Et ia demi mort ſuis ici.
Or, Aquilons, tout ce qu’vn amant iure
Souflés le au Su : quant à moy, i’aime mieus,
Prés d’elle m’éiouir pariure,
Que languir ſuperſtitieus.
Ve vaut, Catin, ceſte fuite friuole,
Eſſe qu’Amour ne te puiſſe attraper ?
Tu es de pié, & ce Dieu vole,
Comme penſes-tu échaper ?
tre l’homme.
Es ceſte heure, auecque toi,
Cher Serpent, pour vne pomme,
Ie coniure contre l’homme,
Et fauſſe à iamais ma foi.
Par ce, que toute femelle,
D’vne malice éternelle,
Fera touiours comme moy.
Emme ne ſont que tourment,
Aumoins, iamais les meilleures,
Neurent que deus bonnes heures,
La noce & l’enterrement.
’il eſt quelcun qui deſire,
Sans nul repos ſ’empécher,
Deus choſes lui faut chercher,
Vne femme & vn nauire.
epigramme Grec.
Vcian qui fit ceci,
Aiant connu toutes choſes,
Folles & ſages auſsi.
Car ce qu’vn homme bien fin,
Eſtime eſtre grand prudence,
Tout autrement qu’il ne penſe
N’eſt que follie en la fin.
Bref, en ce monde incertain,
Nul ne peut penſer ne dire
Rien qui puiſſe a tous ſufire
Ne parfaictement certain.
Ains, ce qui te ſemblera
Choſe grande & admirable,
Moquerie & vaine fable
Au ſens d’vn autre ſera.
gramme Latin.
Stranger qui viens, bon homme,
À Rome, pour Rome voir,
Et ne peus, méme dans Rome
Rien de Rome aperceuoir,
Voi des murailles les maſſes,
Voi les marbres démolis
Et les grans deſertes places
Des théatres abolis.
Voi-la Rome : conſidere,
Comme, morte qu’ell’ſoit or,
Semble menaſſer encor.
Ell’a vaincu terre & onde,
Puis ell’ ſ’eſt veincue auſsi,
Afin qu’à veincre, du monde
Ne lui reſtat rien ainſi.
Or, ſous ceſte Rome eſclaue,
Rome la maitreſſe git,
Et l’aſſeruie & la braue
Dorment en ce meſme lit.
Le Tibre, d’entiere marque,
Reſte ſeul au nom Romain,
Et encor, ſous mainte barque,
À la mer file ſoudain.
Voi, combien peut la fortune,
Ce qui ne bougeoit vient bas ;
Et ce qui n’a ceſſe aucune
Demeure, & ne ſe pert pas.
gramme Grec, qui ſe commence,
Ἀγρὸς Ἀχαιμενΐδου.
’Etoie au François vn iour,
À l’Eſpagnol ie ſuis ores,
Vn autre & vn autre encores
Y pourront faire leur tour.
Sienne me croit cetui ci,
L’autre auſsi me cuidoit ſienne,
Et quiconque apres y vienne
Il cuidera tout ainſi.
A qui, a qui ſuis-ie donq ?
C’eſt ici, ſans doute aucune,
Le roiaume de fortune,
Que garder nul ne peut onq.
e viue que i’étoi’, les dieus
Me feirent pierre par enuie :
Or Praxitel, faiſant trop mieus,
De pierre m’a remiſe en vie.
Octe Docteur, touiours tu nous viens dire
La lettre occit, tu n’as que ce propos,
La lettre occit : tant le redire ?
Tu nous occis de ces deus mos :
Mais, quant à toi, tu as donné bon ordre,
Que nulle lettre occir onq’ ne te vint :
Lettres n’ont garde de te mordre,
Car te voir onq’ ne leur auint.
Si n’eſſe à tort que tu creins, teſte ſote,
D’en eſtre occis : bien t’en dois ſoucier :
Car tu n’as d’eſprit vne iote,
Qui te puiſſe viuifier.
e Iupiter, des antiques l’idole,
(Si telle fable a quelque foi encor)
Abuza vne Europe folle
Sous le cornu maſque d’vn tor.
Mais auiourdui, & ce ne ſont plus fables,
Sous humbles peaus d’aignelés innocens,
Mille ſortes de maſqués Diables
Mettent la nótre hors du ſens.
de ian dovblet
Dieppoys.
L eſt permis à Charles Langelier Libraire iuré de l’Vniuerſité de Paris, de faire imprimer & mettre en vẽte vn petit liure, intitulé Elegies de Ian Doublet Dieppoys, Et auons inhibé & defendu à tous Imprimeurs & Libraires, & autres marchans quelz qu’ilz ſoyent, d’en imprimer ou faire imprimer, vendre ne diſtribuer, autres que ledict Langelier aura faict imprimer, iuſques à ſix ans prochainement venans, à conter du iour que leſdictes Elegies auront eſtez acheuées d’imprimer. Et ce ſur peine de confiſcation deſdictz liures & d’amende arbitraire, ainſi qu’il eſt plus amplement contenu en ſes lettres de priuilege. Donné à Paris, le ſeizieſme iour de Ianvier, l’an de grace mil cinq cens cinquantehuict.
- Et de noſtre regne le douzieſme,
- Par le conſeil.
- Par le conſeil.
- Et de noſtre regne le douzieſme,