Élégies, Marie et romances/Élégies

MARIE.  ►

ÉLÉGIES.


L’INQUIÉTUDE.


Qu’est-ce donc qui me trouble et qu’est-ce que j’attends ?
Je suis triste à la ville, et m’ennuie au village ;
Les plaisirs de mon âge
Ne peuvent me sauver de la longueur du temps.
Autrefois l’amitié, les charmes de l’étude,
Remplissaient sans efforts mes paisibles loisirs :
Ô quel est donc l’objet de mes vagues désirs ?
Je l’ignore, et le cherche avec inquiétude.
Si pour moi le bonheur n’était pas la gaîté,
Je ne le trouve plus dans ma mélancolie ;
Mais si je crains les pleurs autant que la folie,
Où trouver la félicité ?
Et vous qui me rendiez heureuse,
Avez-vous résolu de me fuir sans retour ?
Répondez, ma raison ;… incertaine et trompeuse,
M’abandonnerez-vous au pouvoir de l’Amour !…
Hélas ! voilà le nom que je tremblais d’entendre :
Mais l’effroi qu’il inspire est un effroi si doux…
Raison ! vous n’avez plus de secret à m’apprendre,
Et ce nom, je le sens, m’en a dit plus que vous.


L’ADIEU DU SOIR.


Dieu ! qu’il est tard !… quelle surprise !
Le temps a fui comme un éclair !
Douze fois l’heure a frappé l’air,
Et près de toi je suis encore assise ;
Et, loin de pressentir le moment du sommeil,
Je croyais voir encore un rayon de soleil.
Se peut-il que déjà l’oiseau dorme au bocage !
Ah ! pour dormir, il fait si beau !
Les étoiles en feu brillent dans le ruisseau,
Et le ciel n’a pas un nuage :
On dirait que c’est pour l’Amour
Qu’une si belle nuit a remplacé le jour.
Mais il le faut, regagne ta chaumière ;
Garde-toi d’éveiller notre chien endormi :
Il méconnaîtrait son ami,
Et de mon imprudence il instruirait ma mère.
Tu ne me réponds pas ; tu détournes les yeux.
Hélas ! tu veux en vain me cacher ta tristesse,
Tout ce qui manque à ta tendresse
Ne manque-t-il pas à mes vœux ?…

De te quitter donne-moi le courage ;
Écoute la raison, va-t-en, laisse ma main !
Il est minuit, tout repose au village,
Et nous voilà presqu’à demain !
Écoute ! si le soir nous cause un mal extrême,
Bientôt le jour saura nous réunir ;
Et le bonheur du souvenir
Va se confondre encore avec le bonheur même.
Mais, je le sens, j’ai beau compter sur ton retour,
En te disant adieu chaque soir je soupire ;
Ah ! puissions-nous bientôt désaprendre à le dire !
Ce mot, ce triste mot n’est pas fait pour l’Amour.




L’ORAGE.


Oh ! quelle accablante chaleur !
On dirait que le ciel va toucher la montagne :
Vois ce nuage en feu qui rougit la campagne ;
Quels éclairs ! quel bruit sourd !… ne t’en va pas, j’ai peur !
Les cris aigus de l’hirondelle
Annoncent le danger qui règne autour de nous ;
Son amant effrayé la poursuit et l’appelle :
Pauvres petits oiseaux ! vous retrouverez-vous !
Reste, mon bien aimé, reste, je t’en conjure ;
Le ciel va s’entr’ouvrir :
De l’orage, sans moi tu veux braver l’injure ;
Cruel ! en me quittant, tu me verrais mourir.
Ce nuage embrasé qui promène la foudre,
Vois-tu bien, s’il éclate, il te réduit en poudre !…
Encourage mon cœur, il palpite pour toi…
Ta main tremble, Olivier ! as-tu peur comme moi ?
Tu t’éloignes… tu crains un danger que j’ignore :
En est-il un plus grand que d’exposer tes jours ?
Je donnerais pour toi ma vie et nos amours ;
Si j’avais d’autres biens, tu les aurais encore.

En cédant à tes vœux, j’ai trahi mon devoir ;
Mais, ne m’en punis pas ! Elle est loin ta chaumière !
Pour nous parler d’amour, tu demandais le soir…
Eh bien ! pour te sauver, prends la nuit toute entière.
Mais ne m’en parle plus de ce cruel amour ;
Je vais l’offrir à Dieu, dans ma tristesse extrême :
C’est en priant pour ce que j’aime,
Que j’attendrai le jour.
Sur nos champs inondés tourne un moment la vue.
Réponds ! malgré mes pleurs, veux-tu partir encor ?
Méchant, ne souris plus de me voir trop émue ;
Peut-on ne pas trembler en quittant son trésor ?
Je vais me réunir à ma sœur endormie :
Adieu ! laisse gronder et gémir l’aquilon ;
Quand il aura cessé d’attrister le vallon,
Tu pourras t’éloigner du toit de ton amie.
Mais quel nouveau malheur ! qu’allons-nous devenir ?
N’entends-tu pas la voix de mon vieux père ?
Ne vois-tu pas une faible lumière ?…
De ce côté, Dieu ! s’il allait venir ?
Pour une faute, Olivier, que d’allarmes !
Laisse-moi seule au moins supporter son courroux,
Puis tu viendras embrasser ses genoux,
Quand je l’aurai désarmé par mes larmes.
Non ! la porte entr’ouverte a causé ma frayeur :
On tremble au moindre bruit lorsque l’on est coupable.

Laisse-moi respirer du trouble qui m’accable,
Laisse-moi retrouver mon cœur !
Séparons-nous, je suis trop attendrie :
Sur ce cœur agité ne pose plus ta main.
Va ! si le ciel entend ma prière chérie,
Il sera plus heureux et plus calme demain.
Demain, au point du jour, j’irai trouver mon père ;
Sa bonté préviendra mes timides aveux ;
De nos tendres amours pardonnant le mystère,
Il ne t’appellera que pour combler tes vœux…
Déjà le vent rapide emporte le nuage ;
La lune nous ramène un doux rayon d’espoir.
Adieu ! je ne crains plus d’oublier mon devoir ;
Ô mon cher Olivier ! j’ai trop peur de l’orage.




LE CONCERT.


Quelle soirée ! ô Dieu ! que j’ai souffert !
Dans un trouble charmant je suivais l’Espérance ;
Elle enchantait pour moi les apprêts du concert ;
Et je devais y pleurer ton absence !
Dans la foule, cent fois j’ai cru t’apercevoir ;
Mes vœux toujours trahis n’embrassaient que ton ombre ;
L’Amour me la laissait doucement entrevoir,
Pour l’entraîner bientôt vers le lieu le plus sombre.
Séduite par mon cœur toujours plus agité,
Je voyais dans le vague errer ta douce image,
Comme un astre chéri qu’enveloppe un nuage,
Par des rayons douteux perce l’obscurité.
Pour la première fois insensible à tes charmes,
Art d’Orphée ! art du cœur, j’ai méconnu ta loi :
J’étais toute à l’Amour, lui seul régnait sur moi,
Et le cruel faisait couler mes larmes !
D’un chant divin goûte-t-on la douceur,
Lorsqu’on attend la voix de celui que l’on aime ?…
Je craignais ton charme suprême,
Il nourrissait trop ma langueur ;

Les sons d’une harpe plaintive,
En frappant sur mon sein, le faisaient tressaillir ;
Ils fatiguaient mon oreille attentive,
Et je me sentais défaillir…
Que faisais-tu, mon idole chérie,
Quand ton absence éternisait le jour ?
Quand je donnais tout mon être à l’amour,
M’as-tu donné ta rêverie ?
As-tu gémi de la longueur du temps ?
D’un soir… d’un siècle écoulé pour attendre ?
Non ! son poids douloureux accable le plus tendre ;
Seule, j’en ai compté les heures, les instans !
J’ai langui sans bonheur, de moi-même arrachée ;
Et toi ! tu ne m’as point cherchée !…
Mais quoi ! l’impatience a soulevé mon sein,
Et, lasse de rougir de ma tendre infortune,
Je me dérobe à ce bruyant essaim
Des papillons du soir, dont l’hommage importune.
L’heure aujourd’hui si lente à s’écouler pour moi,
Ne marche pas encore avec plus de vîtesse ;
Mais je suis seule, au moins, seule avec ma tristesse,
Et je trace, en rêvant, cette lettre pour toi…
Pour toi que j’espérais, que j’accuse, que j’aime !
Pour toi, mon seul désir, mon tourment, mon bonheur !
Mais je ne veux la livrer qu’à toi-même,
Et tu la liras sur mon cœur !


PRIÈRE AUX MUSES.


Votre empire a troublé mon bonheur le plus doux.
Muses ! rendez-moi ce que j’aime !
L’Amour était son maître, et son maître suprême ;
Il n’en a plus d’autre que vous.
Ce n’est plus pour moi qu’il délire ;
Il a banni mon nom de ses écrits touchans :
Ô Muses ! loin de lui sourire,
Par pitié pour l’Amour, n’écoutez plus ses chants !
Cette fièvre qui le dévore,
En rêvant, le transporte à vos divins concerts ;
Et, doucement pressé sur le cœur qui l’adore,
Je l’entends murmurer des vers.
Que cherche-t-il ? Est-ce la gloire ?
Il la plaçait dans mon amour :
Les aveux d’un tendre retour
Étaient sa plus douce victoire.
Pensive et seule au rendez-vous,
Que devient sa jeune maîtresse ?
Elle est muette en sa tristesse,
Quand l’ingrat chante à vos genoux !

Que sert de lui donner ma vie,
S’il est heureux sans moi ?
Que deviendra l’amour dans mon ame asservie,
Si, pour vous suivre, il échappe à sa loi ?
Cette loi si simple, si tendre,
Quand je l’apprenais dans ses yeux,
Ses yeux alors me la faisaient comprendre
Bien mieux qu’Ovide en ses chants amoureux !
Sans définir l’amour, notre ame le devine :
L’art n’apprend pas le sentiment…
Il est gravé pour moi, par une main divine,
Dans le regard de mon amant !
Où donc est-il ce regard plein d’ivresse ?
Il brûle encor, mais c’est d’une autre ardeur !
J’ai donné toute ma tendresse.
Cœur partagé peut-il payer mon cœur ?…
Mais si d’une brillante et trompeuse chimère
L’ambitieux est épris pour jamais ;
Si vous rejetez ma prière,
Muses ! qu’il soit heureux, du moins par vos bienfaits !
Heureux sans moi !… je fuirai son exemple ;
Trop faible en le suivant, je pourrais m’égarer ;
Livrez-lui vos trésors, ouvrez-lui votre temple,
À celui de l’Amour, seule, j’irai pleurer.
L’obscurité que le sort me destine,
M’éloigne d’un mortel ivre de vos faveurs…

Eh bien ! j’irai l’attendre au pied de la colline
Qu’il gravira par un sentier de fleurs.
Si quelquefois la romance attristée
Peint mon ennui, le trouble de mes sens ;
Inspirée au village, elle y sera chantée ;
Et les bergers naïfs rediront mes accens.
Adieu, Muses ! la gloire est trop peu pour mon ame ;
L’amour sera ma seule erreur ;
Et pour la peindre en traits de flamme,
Je n’ai besoin que de mon cœur !




L’IMPRUDENCE.


Comme une fleur, méchamment effeuillée,
Pâlit, tombe et s’efface une brillante erreur.
Ivre de toi, je rêvais le bonheur,
Je rêvais !… tu m’as éveillée !
Que ce réveil va me coûter de pleurs !
Dans le sein de l’Amour pourrai-je les répandre ?
Il m’enchaînait à toi par des liens de fleurs ;
Tu me forces à les lui rendre.
Un seul mot à nos yeux découvre l’avenir ;
Un reproche souvent attriste l’espérance…
Hélas ! s’il faut rougir d’une tendre imprudence,
Toi, qui la partageas, devais-tu m’en punir ?
Loin de moi, va chercher un plus doux esclavage.
Va ! j’ai voulu, peut-être, assurer ton bonheur :
Eh bien ! pour t’en venger, tu m’as rendu mon cœur,
Et tu me l’as rendu brûlant de ton image !
Je le reprends ce cœur blessé par toi ;
Ne me reproche plus ma folle imprévoyance ;
Je lui dois ton indifférence,
Que te faut-il encor pour te venger de moi ?


Desenne.del. Johannot.sc.
Me voici devant la chapelle
Où mon cœur sans détour jura ses premiers vœux…


LE RETOUR AUX CHAMPS.


Que ce lieu me semble attristé !
Tout a changé dans la nature :
Le printemps n’a plus de verdure,
Le bocage est désenchanté !
Autrefois, l’onde fugitive
Arrosait, en courant, les cailloux et les fleurs :
Je ne vois qu’un roseau languissant sur la rive,
Et mes yeux se couvrent de pleurs !…
Hélas ! on a changé ta course,
Ruisseau ! de l’inconstance on te fait une loi ;
Et je n’espère plus retrouver à ta source
Les sermens emportés par toi.
Ah ! si pour rafraîchir une ame désolée
Il suffit d’un doux souvenir,
Ruisseau, pour ranimer l’herbe de la vallée,
Parfois n’y peux-tu revenir ?…
J’entends du vieux berger la plaintive musette ;
Mais qu’est devenu le troupeau ?
Sous l’empire de sa houlette
Il n’a plus même un innocent agneau.
Tout en rêvant il gravit la montagne ;

Il traîne avec effort son âge et son ennui :
Les moutons ont quitté la stérile campagne,
Le chien est resté près de lui.
Mais que sa peine est facile et légère !
Du bonheur qui n’est plus il n’a point à rougir :
Sans trouble, sur un lit de mousse ou de fougère,
Quand la nuit vient, il peut dormir.
Que de riches pasteurs lui porteraient envie !
Combien voudraient donner les plus nombreux troupeaux,
La houlette, la bergerie,
Pour une nuit d’un doux repos !
Et moi, d’amis aussi je fus environnée ;
Mon avenir alors était brillant et sûr :
Vieux berger, comme toi je suis abandonnée ;
Le songe est dissipé… mais le réveil est pur.
Me voici devant la chapelle
Où mon cœur sans détour jura ses premiers vœux :
Déjà mon cœur n’est plus heureux ;
Mais à ses vœux trahis il est encor fidèle.
J’y déposai, l’autre printemps,
Une fraîche couronne, aujourd’hui desséchée…
Cette chapelle, hélas ! dans les ronces cachée,
N’est-elle plus l’amour des simples habitans ?
Seule, j’y ferai ma prière :
Mon sort, je le sais trop, me défend d’espérer :
Eh bien ! sans espérance, à genoux sur la pierre,
J’aurai du moins la douceur de pleurer.


LE RUBAN.


Cette couleur, autrefois adorée,
Ne doit plus être ma couleur ;
Elle blesse mes yeux, elle attriste mon cœur,
En retraçant l’espoir qui m’avait égarée.
Pour un objet plus frivole que moi,
Reprenez ce lien qui n’a rien de durable :
Celui qui m’enchaîna longtemps sous votre loi,
Ne me parut que trop aimable !
Il est brisé par vous, et brisé sans retour ;
Faut-il en rappeler le souvenir pénible ?
Oubliez que je fus sensible,
Je l’oublîrai peut-être un jour !
Je pardonne à votre inconstance
Les maux qu’elle m’a fait souffrir ;
Leur excès m’en a su guérir :
C’est à votre abandon que je dois l’existence.
J’ai repris le serment d’être à vous pour toujours ;
Mais mon ame un instant fut unie à la vôtre,
Et je le sens, jamais un autre
N’aura mes vœux, ne fera mes beaux jours ;

Ces jours consacrés à vous plaire,
Ces vœux si tendres et si doux,
Et toujours inspirés par vous,
Désormais qu’en pourrai-je faire ?
Aime-t-on dès qu’on veut aimer ?
Si je trouve un amant plus fidèle et plus tendre,
Mieux que vous il saura m’entendre,
Mais comme vous saura-t-il me charmer ?
Pourquoi feignez-vous de le croire ?
Vous offensez l’amour, en accusant mon cœur ;
Ah ! cet amour eût fait ma gloire,
S’il avait fait votre bonheur !
Votre bonheur, hélas ! sera d’être volage,
Vous séduirez encor dès qu’on vous entendra,
Vous ferez le tourment de qui vous aimera ;
Et déjà dans mes vers j’ai tracé votre image :

« Aussi léger que prompt à s’enflammer,
» De l’amour en riant il inspire l’ivresse ;
» Mais pourquoi, quand son amour cesse,
» Ne cesse-t-on pas de l’aimer ? »




LE BILLET.


Message inattendu, cache-toi sur mon cœur !
Cache-toi !… je n’ose te lire !
Tu m’apportes l’espoir : ne fût-il qu’un délire,
Je te devrai du moins l’ombre de mon bonheur !
Prolonge dans mon sein ma tendre inquiétude,
Je désire à-la-fois et crains la vérité :
On souffre de l’incertitude,
On meurt de la réalité !
Recevoir un billet du volage qu’on aime,
C’est presque le revoir lui-même.
En te pressant j’ai cru presser sa main,
En te baignant de pleurs, j’ai pleuré sur son sein ;
Et si le repentir y parle en traits de flamme,
En lisant cet écrit je lirai dans son ame.
J’entendrai le serment qu’il a fait tant de fois ;
Et j’y reconnaîtrai jusqu’au son de sa voix !
Sous cette enveloppe fragile
L’Amour a renfermé mon sort…
Ah ! le courage est difficile,
Quand on attend d’un mot ou la vie ou la mort !

Mystérieux cachet, qui m’offres sa devise,
En te brisant, rassure-moi !
Non ! le détour cruel d’une affreuse surprise
Ne peut être scellé par toi,
Au temps de nos amours je t’ai choisi moi-même ;
Tu servis les aveux d’une timide ardeur ;
Et sous le plus touchant emblême
Je vais retrouver le bonheur…
Mais, si tu dois détruire un espoir que j’adore,
Amour ! de ce billet détourne ton flambeau ;
Par pitié, sur mes yeux attache ton bandeau,
Et laisse-moi douter quelques momens encore !




L’INSOMNIE.


Je ne veux pas dormir ; oh ! ma chère insomnie,
Quel sommeil aurait ta douceur !
L’ivresse qu’il accorde est souvent une erreur ;
Et la tienne est réelle, ineffable, infinie !
Quel calme ajouterait au calme que je sens ?
Quel repos plus profond guérirait ma blessure ?
Je n’ose pas dormir ! non, ma joie est trop pure…
Un rêve en distrairait mes sens !
Il me rappellerait peut-être cet orage
Dont tu sais enchanter jusques au souvenir :
Il me rendrait l’effroi d’un douteux avenir ;
Et je dois à ma veille une si douce image !
Un bienfait de l’Amour a changé mon destin :
Oh ! qu’il m’a révélé de touchantes nouvelles !
Son message est rempli, je n’entends plus ses ailes ;
J’entends encor : demain ! demain !
Berce mon ame en son absence,
Douce insomnie, et que l’Amour,
Demain, me trouve, à son retour,
Riante comme l’Espérance !

Pour éclairer l’écrit qu’il laissa sur mon cœur,
Sur ce cœur qui tressaille encore,
Ma lampe a ranimé sa propice lueur,
Et ne s’éteindra qu’à l’aurore.
Laisse à mes yeux ravis briller la vérité :
Écarte le sommeil ; défends-moi de tout songe :
Il m’aime, il m’aime encore !… ô Dieu ! pour quel mensonge
Voudrais-je me soustraire à la réalité !




SON IMAGE.


Elle avait fui de mon ame offensée ;
Bien loin de moi je crus l’avoir chassée ;
Toute tremblante, un jour, elle arriva,
Sa douce image, et dans mon cœur rentra.
Point n’eus le temps de me mettre en colère ;
Point ne savais ce qu’elle voulait faire…
Un peu trop tard mon cœur le devina.
Sans prévenir, elle dit : « Me voilà !
» Ce cœur m’attend. Par l’Amour, que j’implore,
» Comme autrefois j’y vais régner encore. »
Au nom d’Amour ma raison se troubla :
Je voulus fuir, et tout mon corps trembla.
Je bégayai des plaintes au perfide ;
Pour me toucher il prit un air timide,
Puis en pleurant à mes pieds il tomba…
J’oubliai tout lorsque l’Amour pleura.




LES DEUX AMOURS.


Je m’ignorais encor : je n’avais pas aimé…
Ô dieu ! si ce n’est toi, qui pouvait me l’apprendre ?
À quinze ans, j’entrevis un enfant désarmé ;
Il me parut alors plus folâtre que tendre ;
D’un trait sans force il effleura mon cœur ;
Il fut léger comme un riant mensonge ;
Il offrait le plaisir, sans donner le bonheur ;
Un jour, il s’envola… Je ne perdis qu’un songe.
Je l’ai vu dans tes yeux cet invincible Amour,
Dont le premier regard trouble, saisit, enflamme,
Qui commande à nos sens, qui s’attache à notre ame,
Et qui l’asservit sans retour.
Cette félicité suprême,
Cet entier oubli de soi-même,
Ce besoin d’aimer pour aimer,
Et que le mot amour semble à peine exprimer ;
Ton cœur seul le renferme, et le mien le devine ;
Je sens, à tes transports, à ma fidélité,
Qu’il veut dire à-la-fois, bonheur, éternité !…
Et que sa puissance est divine.


LES DEUX AMITIÉS.


À MON AMIE, ALBERTINE GANTIER.


Il est deux Amitiés comme il est deux Amours ;
L’une ressemble à l’Imprudence :
Faite pour l’âge heureux dont elle a l’ignorance,
C’est un enfant qui rit toujours.
Bruyante, naïve, légère,
Elle éclate en transports joyeux :
Aux préjugés du monde, indocile, étrangère,
Elle confond les rangs et folâtre avec eux.
L’instinct du cœur est sa science,
Et son guide est la confiance.
Un enfant ne sait point haïr,
Il ignore qu’on peut trahir.
Si l’ennui dans ses yeux (on l’éprouve à tout âge)
Fait rouler quelques pleurs,
L’Amitié les arrête, et couvre ce nuage
D’un nuage de fleurs.
On la voit s’élancer près de l’enfant qu’elle aime,
Caresser la douleur sans la comprendre encor,

Lui jeter des bouquets moins rians qu’elle-même,
L’obliger à la fuite, et reprendre l’essor.
C’est elle, ô ma première amie,
Dont la chaîne s’étend pour nous unir toujours.
Elle embellit par toi l’aurore de ma vie,
Elle en doit embellir encor les derniers jours.
Oh ! que son empire est aimable !
Qu’il répand un charme ineffable
Sur la jeunesse et l’avenir,
Ce doux reflet du souvenir !
Ce rêve pur de notre enfance
En a prolongé l’innocence :
L’amour, le temps, l’absence, le malheur
Semblent le respecter dans le fond de mon cœur.
Il traverse avec nous la saison des orages,
Comme un rayon du ciel qui nous guide et nous luit ;
C’est, ma chère, un jour sans nuages,
Qui prépare une douce nuit.
L’autre Amitié, plus grave, plus austère
Se donne avec lenteur, choisit avec mystère ;
Elle observe en silence, et craint de s’avancer ;
Elle écarte les fleurs, de peur de s’y blesser ;
Choisissant la Raison pour conseil et pour guide,
Elle voit par ses yeux, et marche sur ses pas :
Son abord est craintif, son regard est timide ;
Elle attend, et ne prévient pas.


LA NUIT D’HIVER.


Qui m’appelle à cette heure, et par le temps qu’il fait ?
C’est une douce voix, c’est la voix d’une fille…
Ah ! je te reconnais ! c’est toi, Muse gentille,
Ton souvenir est un bienfait.
Inespéré retour ! aimable fantaisie !
Après un an d’exil qui t’amène vers moi ?
Je ne t’attendais plus, aimable Poésie,
Je ne t’attendais plus, mais je rêvais à toi.
Loin du réduit obscur où tu viens de descendre,
L’amitié, le bonheur, la gaîté, tout a fui.
Ô ma Muse ! est-ce toi que j’y devais attendre ?
Il est fait pour les pleurs, et voilé par l’ennui.
Ce triste balancier, dans son bruit monotone,
Marque d’un temps perdu l’inutile lenteur ;
Et j’ai cru vivre un siècle, hélas ! quand l’heure sonne
Vuide d’espoir et de bonheur…
L’hiver est tout entier dans ma sombre retraite :
Quel temps as-tu daigné choisir !
Que doucement par toi j’en suis distraite !
Oh ! quand il nous surprend, qu’il est beau le plaisir !

D’un foyer presque éteint la flamme salutaire
Par intervalle encor trompe l’obscurité ;
Si tu veux écouter ma plainte solitaire,
Nous causerons à sa clarté.
Petite Muse, autrefois vive et tendre,
Dont j’ai perdu la trace au temps de mes malheurs,
As-tu quelque secret pour calmer les douleurs ?
Viens, nul autre que toi n’a daigné me l’apprendre.
Écoute ! nous voilà seules dans l’univers,
Naïvement je vais tout dire :
J’ai rencontré l’Amour, il a brisé ma lyre ;
Jaloux d’un peu de gloire, il a brûlé mes vers.
« Je t’ai chanté, lui dis-je, et ma voix faible encore,
Dans ses premiers accens parut juste et sonore ;
Pourquoi briser ma lyre ? Elle essayait ta loi.
Pourquoi brûler mes vers ? Je les ai faits pour toi.
Si des jeunes amans tu troubles le délire,
Cruel, tu n’auras plus de fleurs dans ton empire ;
Il en faut à mon âge, et je voulais, un jour,
M’en parer pour te plaire, et te les rendre, Amour.
Déjà je te formais une simple couronne,
Fraîche, douce en parfums ; quand un cœur pur la donne,
Peux-tu la dédaigner ? je te l’offre à genoux ;
Souris à mon orgueil, et n’en sois point jaloux.
Je n’ai jamais senti cet orgueil pour moi-même ;
Mais il dit mon secret, mais il prouve que j’aime :

Hé bien ! fais le partage, en généreux vainqueur ;
Amour, pour toi la gloire, et pour moi le bonheur.
C’est un bonheur d’aimer, c’en est un de le dire.
Amour, prends ma couronne, et laisse-moi ma lyre ;
Prends mes vœux, prends ma vie… Hélas ! prends tout, cruel ;
Mais laisse-moi chanter au pied de ton autel ! » —
« Non, dit l’Amour : ta prière me blesse ;
Dans le silence, obéis à ma loi :
Tes yeux en pleurs, plus éloquens que toi,
Révèleront assez ma force et ta faiblesse. »
Muse ! voilà le ton de ce maître si doux.
Je n’osai lui répondre, et je versai des larmes ;
Je sentis ma faiblesse, et je maudis ses armes.
Pauvre lyre ! je fus muette comme vous.
L’ingrat ! il a puni jusques à mon silence.
Lassée enfin de sa puissance,
Je te rends, ô ma Muse, et mes vœux et mes chants.
Viens leur prêter ta grace, et rends-les plus touchans…
Mais tu pâlis, ma chère, et le froid t’a saisie !
C’est l’hiver qui t’opprime et ternit tes couleurs !
Je ne puis t’arrêter, charmante Poésie,
Adieu ! tu reviendras dans la saison des fleurs.




CONTE

IMITÉ DE L’ARABE.


C’était jadis. Pour un peu d’or,
Un fou quitta ses amours, sa patrie.
De nos jours, cette soif ne paraît point tarie :
J’en connais qu’elle brûle encor.
Courageux, il s’embarque ; et, surpris par l’orage,
Demi-mort de frayeur, il échappe au naufrage.
La fatigue d’abord lui donna le sommeil,
Puis enfin, l’appétit provoqua son réveil.
Au rivage où jamais n’aborda l’Espérance,
Il cherche, mais en vain, quelque fruit savoureux.
Du sable, un rocher nud s’offrent seuls à ses yeux :
Sur la vague en fureur il voit fuir l’existence.
L’ame en deuil, le cœur froid, le corps appesanti,
L’œil fixé sur les flots qui mugissent encore,
Sentant croître et crier la faim qui le dévore,
Dans un morne silence il reste anéanti.
La mer, qui par degrés se calme et se retire,
Laisse au pied du rocher les débris du vaisseau ;
L’infortuné vers lui lentement les attire,
S’y couche, se résigne, et s’apprête un tombeau.

Tout-à-coup il tressaille, il revoit l’Espérance,
Lui tend les bras, l’atteint, sourit, tombe à genoux.
D’un secours imprévu bénir la Providence,
Est de tous les besoins, le plus grand, le plus doux !
Puis, en tremblant, sa main avide
Soulève un petit sac qu’il sent encore humide,
Le presse… en interroge et la forme et le poids ;
Y sent rouler des fruits,… des noisettes,… des noix,…
« Des noix ! dit-il : Des noix ! quel trésor plein de charmes ! »
Il déchire la toile !… ô surprise ! ô tourmens !
« Hélas ! dit-il, en versant quelques larmes,
Ce ne sont que des diamans ! »




L’ORPHELINE.


Ô Lise ! préférez le berger qui vous aime
Au prince, au roi qui ne vous aime pas.
L’amour est tout, lui seul a des appas :
Il est si doux d’être aimé pour soi-même !
Ce bonheur au hameau peut encor se trouver ;
Lise ! par un exemple il faut vous le prouver.

Un seigneur d’aimable figure,
Brillant d’esprit, et brillant de parure,
Prestiges tout puissans sur la simplicité,
Voulut séduire une jeune beauté.
Sans appui dans le monde, elle était orpheline,
Et se nommait Pauline.
Pauline, hélas ! a perdu le repos ;
De vifs regards, de séduisans propos,
Troublent la paix de cette ame ingénue ;
Elle aime enfin, et son heure est venue.
Pour un ingrat devait-elle sonner ?
Mais pour craindre cette heure, il faut la deviner ;
Et l’orpheline, en sa première flamme,
Rêve un amour aussi pur que son ame.


Son œil mourant s’entr’ouvre à la lumière…
L’ange est Edmond à genoux sur la pierre,
Qui plein d’effroi, soutient, d’un bras tremblant
Ce corps glacé qu’il réchauffe en pleurant.

Six mois ainsi coulent rapidement :
Tout est bonheur, ivresse, enchantement.
Un villageois, qui soupirait pour elle,
Renferme alors sa tendresse fidelle,
Ne la suit plus, et cache à tous les yeux
Son humble hommage et ses timides vœux.
Sans le vouloir, Pauline a su lui plaire ;
Edmond n’a su que l’aimer et se taire.
L’amour modeste est souvent méconnu…
Il parle bas. — L’autre est mieux entendu.
Sans s’occuper d’un amant qu’elle ignore,
Pauline est toute à celui qu’elle adore.
Elle ne voit encor dans l’avenir
Que le moment où l’ingrat doit venir ;
Et respectant le séducteur qu’elle aime,
Croit n’adorer que la sagesse même.
Enfin, guidé par un coupable espoir,
Pensive et seule, il la surprend un soir :
L’Amour, la nuit, la crainte, le silence,
Tout est d’accord pour perdre l’innocence.
Les yeux baissés, d’un air naïf et doux,
Elle pleure en voyant son seigneur à genoux ;
Riant tout bas de ses tendres alarmes,
À peine il voit sa pâleur et ses larmes.
Sans deviner qu’on lui vole un plaisir,
Pauline, hélas ! en eut le repentir !

Le lendemain, dans sa simple demeure,
Avec l’Amour elle attendit en vain.
Elle attendit encor le lendemain,
Le mois entier, chaque jour, à toute heure !…
Par le remords lentement déchiré,
D’un sombre ennui son cœur est dévoré.
Elle offre à Dieu cet amour qui l’opprime :
Puisqu’il fait tant de mal, il faut qu’il soit un crime !
Mais ne vivant que par le souvenir,
Le passé la poursuit jusques dans l’avenir.
Plus de sommeil, Pauline en vain l’appelle ;
Pour le malheur il est sourd et rebelle.
Plus de vertu, plus d’amis, plus d’amant.
Tout est perdu pour l’erreur d’un moment.
C’est la fleur du vallon sur sa tige abattue
Par le frimat qui l’effeuille et la tue !
C’était l’hiver : la saison de l’amour
Semblait avoir disparu sans retour.
Assise, un soir, au bord de sa chaumière,
Pleurant sa honte, et fuyant la lumière,
Un bruit soudain fait tressaillir son cœur ;
Un char léger ramène son vainqueur…
C’est lui ! grand dieu ! c’est la voix qu’elle adore !
C’est lui ! dit-elle, il vient ! il m’aime encore !…
Mais un regard fait tout évanouir,
L’espoir s’enfuit… Pauline va mourir !

Oui ! c’est l’ingrat qu’elle attend et qu’elle aime ;
Mais peignez-vous son désespoir extrême !
Il n’est pas seul ! il entraîne, à son tour,
L’objet nouveau de son volage amour !
À cette vue, immobile et glacée,
Le cœur saisi d’une affreuse pensée,
Pauline au ciel jette un cri douloureux,
Tombe à genoux, et détourne les yeux…
Le froid du soir circule dans ses veines,
Son ame s’engourdit dans l’oubli de ses peines ;
Et, prenant par degrés le sommeil pour la mort,
En embrassant la terre, elle pleure… et s’endort.
Le ciel touché l’enveloppe d’un songe.
Lise ! écoutez ce bienfaisant mensonge :
Elle croit voir un ange protecteur
La ranimer doucement sur son cœur ;
Presser sa main, l’observer en silence,
Les yeux mouillés des pleurs de l’indulgence.
« Dieu vous a-t-il envoyé près de moi,
» Lui dit Pauline, et suivez-vous sa loi ?
» Si la vertu vient essuyer mes larmes,
» Parlez ! sa voix aura pour moi des charmes.
» Voyez mon sort ! voyez mon repentir !… »
Pour sa réponse elle entend un soupir ;
Son œil mourant s’entr’ouvre à la lumière…
L’ange est Edmond à genoux sur la pierre,

Qui, plein d’effroi, soutient, d’un bras tremblant,
Ce corps glacé qu’il réchauffe en pleurant.
Ainsi, loin du malheur l’Amour rit et s’envole,
La Pitié reste, elle pleure et console.
« Sans défiance appuyez-vous sur moi,
» Quittez ces lieux, et calmez votre effroi,
» Dit le berger ; venez près de ma mère ;
» Soyez sa fille ; et moi !… je serai votre frère ! »
« Hélas ! dit-elle avec même douceur,
» Soyez mon frère, et sauvez votre sœur ! »

Ô Lise ! vous avez les attraits de Pauline ;
Souvenez-vous du sort de la jeune orpheline !
Sans peine, hélas ! on trouve un séducteur ;
Mais un Edmond !… Ah ! fuyez un seigneur,
Et préférez le berger qui vous aime :
Il est si doux d’être aimé pour soi-même !




À MA FAUVETTE.


Adieu fauvette ! adieu ton chant plein de douceur !
Il ne charmera plus ma triste rêverie,
En pénétrant jusqu’à mon cœur.
Adieu ma compagne chérie !
Je ne l’entendrai plus, ce doux accent d’amour,
Et cette rapide cadence,
Légère comme l’espérance,
Qui m’échappe aussi sans retour.
Oh ! ma fauvette ! en ces lieux adorée,
Puisses-tu trouver le bonheur !
Il n’est trop souvent qu’une erreur ;
Mais qui peut plus que toi compter sur sa durée ?
De t’entendre toujours n’a-t-on pas le désir ?
Le méchant qui t’écoute a-t-il encor des armes ?
Et lorsqu’en triomphant tu chantes le plaisir,
Par ta voix célébré, n’a-t-il pas plus de charmes ?
Tu n’as point à prévoir un triste changement :
De tes succès l’aimable enchantement
D’un vain orgueil ne t’a point enivrée ;
Et je te vois, d’hommages entourée,
Sensible aux maux de l’amitié,
Ne pouvant les guérir, en prendre la moitié.

Laisse ta compagne plaintive,
Sans espérance et sans bonheur,
Au fond d’un bois, seule et pensive,
Exhaler sa vaine douleur !
Quelques feuilles bientôt y couvriront ma tombe.
Sans le haïr, je fuis le monde,
En le fuyant j’obéis à sa loi.
Ô ma fauvette ! il fut trop cruel envers moi !
J’ai tout perdu : la solitude
Me promet un triste repos :
Ta compagne blessée y cachera ses maux,
Et du chant des regrets reprendra l’habitude.
Ce monde indifférent n’aura pas mes adieux ;
C’est à toi seule, à toi de les entendre ;
Il rit des plaintes d’un cœur tendre,
Et repousse les malheureux ;
Pour le charmer, conserve ton ramage :
Plus heureuse que moi, fauvette, sois plus sage !
Maîtresse de ton sort et libre de choisir,
Sous un ciel toujours pur va chercher un asile :
Le froid climat où l’on m’exile,
Serait pour toi le tombeau du plaisir.
Ce plaisir qui t’appelle en un brillant parterre,
T’y prépare déjà ses riantes couleurs ;
Il sait que la fauvette, et joyeuse et légère,
Doit chanter au milieu des fleurs.


LE SOUVENIR.


À MONSIEUR ***.


Votre main bienfaisante et sure
A fermé plus d’une blessure.
Partout votre art consolateur
Semble porter la vie et chasser la douleur…
Hélas ! il en est une à vos secours rebelle,
Et je dois mourir avec elle.
Je n’ai pas d’autre mal ; mais il fera mon sort.
Jugez si ce mal est extrême !
Je le crois, pour votre art lui-même,
Plus invincible que la mort.
Son empire est au cœur, ses tourmens sont à l’ame ;
Ses effets sont des pleurs, sa cause est une flamme
Qui dévore en secret l’espoir de l’avenir…
Et ce mal… est le souvenir.




L’INCONSTANCE.


Inconstance ! affreux sentiment !
Je t’implorais… je te déteste.
Si d’un nouvel amour tu me fais un tourment,
N’est-ce pas ajouter au tourment qui me reste ?
Pour me venger d’un cruel abandon,
Offre un autre secours à ma fierté confuse ;
Tu flattes mon ennui, tu séduis ma raison ;
Mais mon cœur échappe à ta ruse.
Oui, prête à m’engager en de nouveaux liens,
Je tremble d’être heureuse, et je verse des larmes ;
Oui ! je sens que mes pleurs avaient pour moi des charmes,
Et que mes maux étaient mes biens !
Si tu veux m’égarer dans l’amour que j’inspire,
Si tu ne veux changer ton ivresse en remords,
Arrache donc mon ame à ses premiers transports,
À ce tourment aimé que rien ne peut décrire.
Me sera-t-il payé, même par le bonheur ?
Pour le goûter jamais mon ame est trop sensible ;
Je la donne au plaisir ;… une pente invincible
La ramène vers la douleur.

Comme un rêve mélancolique,
Le souvenir de mes amours
Trouble mes nuits, voile mes jours.
Il est éteint ce feu, ce charme unique !
Éteint par toi, cruel !… En vain, à mes genoux,
Tu promets d’enchaîner un amant plus aimable ;
Ce cœur blessé, dont l’amour est jaloux,
Donne encore un regret, un soupir au coupable.
Qu’il m’était cher ! que je l’aimais !
Que par un doux empire il m’avait asservie !
Ah ! je devais l’aimer toute ma vie,
Ou ne le voir jamais !
Que méchamment il m’a trompée !
Se peut-il que son ame en fût préoccupée
Quand je donnais à son bonheur
Tous les battemens de mon cœur !
Dieu ! comment se peut-il qu’une bouche si tendre
Par un charme imposteur égare la vertu ?
Si ce n’est dans l’amour, où pouvait-il le prendre,
Quand il disait je t’aime, m’aimes-tu ?…
Ô fatale Inconstance ! ô tourment de mon ame !
Qu’as-tu fait de la sienne, et qu’as-tu fait de moi ?
Non, ce n’est pas l’Amour !… ce n’est pas lui ! c’est toi
Qui de nos jours heureux a désuni la flamme.
Je ne pouvais le croire : un triste étonnement
Au cœur le plus sensible ôtait le sentiment.

Mes pleurs se desséchaient à leur source brûlante,
Mon sang ne coulait plus, j’étais pâle, mourante ;
Mes yeux désenchantés repoussaient l’avenir…
Tout semblait m’échapper… tout ! jusqu’au souvenir !
Mais il revient ! rien ne l’efface ;
La douleur en fuyant laisse encore une trace !
Si tu m’as vue un jour me troubler à ta voix,
C’est que tu l’embellis d’un accent que j’adore.
Oui ! cet accent me trouble encore,
Et mon cœur fut créé pour n’aimer qu’une fois !




À DÉLIE.

I.


Par un badinage enchanteur,
Vous aussi, vous m’avez trompée !
Vous m’avez fait embrasser une erreur ;
Légère comme vous, elle s’est échappée.
Pour me guérir du mal qu’Amour m’a fait,
Vous avez abusé de votre esprit aimable ;
Et je vous trouverais coupable
Si je pouvais en vous trouver rien d’imparfait.
Je l’ai vu cet amant si discret et si tendre ;
J’ai suivi son maintien, son silence, sa voix…
Ai-je pu m’abuser sur l’objet de son choix ?
Ses regards vous parlaient, et j’ai su les entendre.
Mon cœur est éclairé, mais il n’est point jaloux.
J’ai lu ces vers charmans où son ame respire ;
C’est l’Amour qui l’inspire,
Et l’inspire pour vous…
Pour vous aussi je veux être la même.
Non ! vous n’inspirez pas un sentiment léger :
Que ce soit d’amitié, d’amour que l’on vous aime,
Le cœur qui vous aima ne peut jamais changer.

Laissez-moi ma mélancolie,
Je la préfère à l’ivresse d’un jour :
On peut rire avec la Folie,
Mais il n’est pas prudent de rire avec l’Amour.
Laissez-moi fuir un danger plein de charmes ;
Ne m’offrez plus un cœur qui n’est qu’à vous :
Le badinage le plus doux
Finit quelquefois par des larmes…
Mais je n’ai rien perdu. La tranquille Amitié
Redeviendra bientôt le charme de ma vie ;
Je renonce à l’amant, et je garde une amie :
C’est du bonheur la plus douce moitié.




À DÉLIE.

II.


Du goût des vers pourquoi me faire un crime ?
Leur prestige est si doux pour un cœur attristé !
Il ôte un poids au malheur qui m’opprime ;
Comme une erreur plus tendre, il a sa volupté.
Légère, libre encor, d’hommages entourée,
Dans les plaisirs coulent vos heureux jours ;
Et paisiblement adorée,
Vous riez avec les Amours.
Ah ! loin de la troubler, qu’ils charment votre vie !
Que pour vous le printemps soit prodigue de fleurs !
Que tout prenne à vos yeux ses brillantes couleurs !
Riez, riez toujours, ô volage Délie !
Abandonnez vos nuits aux songes les plus doux ;
Qu’ils soient de vos beaux jours une glace fidelle !
À force de bonheur soyez encor plus belle,
Et qu’au réveil, l’Amour vous le dise à genoux !
Mais quoi ! si vous trouviez un rebelle à vos charmes,
Après mille sermens, s’il trahissait vos vœux,
La douce flamme de vos yeux
S’éteindrait bientôt dans les larmes.

Vous sentiriez alors le besoin de rêver ;
De livrer au hasard votre marche incertaine ;
De suspendre vos pas, au bruit d’une fontaine,
Et d’y pleurer les maux que je viens d’éprouver !
N’enviez plus à votre amie
Un plaisir aussi douloureux :
Ravir la plainte aux malheureux,
C’est leur dire : Quittez la vie.
Quand je vous vois disputer au miroir
De fraîcheur et de grace avec les fleurs que j’aime ;
Quand je vous y vois prendre en secret pour vous-même
Tout le plaisir que l’on goûte à vous voir ;
M’entendez-vous, ô ma chère Délie,
Vous reprocher un passe-temps si doux ?…
Non ! je deviens moins sombre en vous voyant jolie ;
Je pardonne à l’Amour, je lui souris pour vous.
Mais si de la gaîté la parure est l’emblême,
Elle donne un éclat plus triste à la pâleur :
À la beauté brillante il faut un diadême,
Il faut un voile à la douleur.
De ce lis embaumé, qui pour vous vient d’éclore,
Couronnez votre front charmant ;
Mon front, que l’ennui décolore,
Doit se pencher sans ornement.
Du sort qui m’enchantait la fatale inconstance
De ma jeunesse a flétri l’espérance :

Un orage a courbé le rameau délicat,
Et mes vingt ans passeront sans éclat ;
Je les donne à la solitude ;
Je donne aux Muses mes loisirs.
L’art de plaire fait votre étude,
L’art d’aimer fera mes plaisirs…
Mais non ! je l’oublirai cet art, ce don funeste,
Qui servit à l’Amour quand il forma mon cœur.
Non ! ce présent des cieux ne fait pas le bonheur ;
C’est pourtant le seul qui me reste !
Le monde où vous régnez me repoussa toujours ;
Il méconnut mon ame à-la-fois douce et fière ;
Et d’un froid préjugé l’invincible barrière
Au froid isolement condamna mes beaux jours.
L’infortune m’ouvrit le temple de Thalie ;
L’Espoir m’y prodigua ses riantes erreurs ;
Mais je sentis parfois couler mes pleurs
Sous le bandeau de la Folie.
Dans ces jeux où l’esprit nous apprend à charmer,
Le cœur doit apprendre à se taire ;
Et lorsque tout nous ordonne de plaire,
Tout nous défend d’aimer…
Ô des erreurs du monde inexplicable exemple !
Charmante Muse ! objet de mépris et d’amour,
Le soir, on vous honore au temple,
Et l’on vous dédaigne au grand jour.

Je n’ai pu supporter ce bizarre mélange
De triomphe et d’obscurité,
Où l’orgueil insultant nous punit et se venge
D’un éclair de célébrité.
Trop sensible au mépris, de gloire peu jalouse,
Blessée au cœur d’un trait dont je ne puis guérir,
Sans prétendre aux doux noms et de mère et d’épouse,
Il me faut donc mourir !
Mais vous, qui connaissez mon ame toujours pure
Qui gémissez pour moi des caprices du sort,
Vous qui savez, hélas ! qu’en ma retraite obscure
Il me poursuit encor ;
Faites grâce, du moins, à l’innocent délire
Qui m’apprend sans effort à moduler des vers.
Je suis moins seule avec ma lyre,
Quelqu’un m’entend, me plaint dans l’univers !




À DÉLIE.

III.


Oui ! cette plainte échappe à ma douleur :
Je le sens, vous m’avez perdue !
Vous avez, malgré moi, disposé de mon cœur,
Et ce cœur s’égara dès qu’il vous eut connue.
Ah ! que vous me faites haïr
Cette feinte amitié qui coûte tant de larmes !
Je n’étais point jalouse de vos charmes,
Cruelle ! de quoi donc vouliez-vous me punir ?
Vos succès me rendaient heureuse ;
Votre bonheur me tenait lieu du mien ;
Et quand je vous voyais attristée ou rêveuse,
Pour charmer votre ennui, j’oubliais mon chagrin !
Mais ce perfide amant dont j’évitais l’empire,
Que vous avez instruit dans l’art de me séduire,
Qui trompa ma raison par des accens si doux…
Je le hais encor plus que vous !
Par quelle cruauté me l’avoir fait connaître ?
Par quel affreux orgueil voulut-il me charmer ?
Ah ! si l’ingrat ne peut aimer,
À quoi sert l’amour qu’il fait naître ?…

Je l’ai prévu… j’ai voulu fuir :
L’Amour jamais n’eut de moi que des larmes :
Vous avez ri de mes allarmes,
Et vous riez encor quand je me sens mourir…
Grâce à vous, j’ai perdu le repos de ma vie :
Votre imprudence a causé mon malheur,
Et vous m’avez ravi jusques à la douceur
De pleurer avec mon amie !
Laissez-moi seule avec mon désespoir :
Vous ne pouvez me plaindre ni m’entendre :
Vous causez la douleur sans même la comprendre ;
À quoi me servirait de vous la laisser voir ?
Victime d’un amant, par vous-même trahie,
J’abhore l’Amitié… je la fuis sans retour ;
Et je vois, à sa perfidie,
Que l’ingrate est sœur de l’Amour !


LA SÉPARATION.


Il est fini ce long supplice !
Tu m’as rendu mes sermens et ma foi ;
Je t’ai rendu ton cœur, je n’ai plus rien à toi !
Quel douloureux effort ! quel entier sacrifice !
Mais en brisant les plus aimables nœuds,
Nos cœurs toujours unis semblent toujours s’entendre ;
On ne saura jamais lequel fut le plus tendre
Ou le plus malheureux.
À t’oublier c’est l’honneur qui m’engage ;
Tu t’y soumets… je n’ai plus d’autre loi.
Ô toi qui m’as donné l’exemple du courage,
Aimais-tu moins que moi ?
Va, je te plains autant que je t’adore :
Je t’ai permis de trahir tes amours ;
Mais moi, pour t’adorer je serai libre encore…
Je veux l’être toujours.
Je l’ai promis, je vivrai pour ta gloire.
Cher objet de mon souvenir,
Sois le charme de ma mémoire,
Et l’espoir de mon avenir !

Si jamais, dans ma solitude,
Ton nom, pour toujours adoré,
Vient frapper mon cœur déchiré,
Qu’il adoucisse au moins ma tendre inquiétude !
Que l’on me dise : il est heureux :
Oui, sois heureux, ou du moins plus paisible,
Malgré l’amour, et le sort inflexible
Qui m’enlève à tes vœux !
Adieu… mon ame se déchire !
Ce mot que dans mes pleurs je n’ai pu prononcer,
Adieu… ma bouche encor n’oserait te le dire…
Et ma main vient de le tracer !




ADIEU, MES FIDÈLES AMOURS !


Adieu, mes fidèles amours !
Adieu, le charme de ma vie !
Notre félicité d’amertume est suivie,
Et nous avons payé bien cher quelques beaux jours !
Mais le remords ne trouble point notre ame ;
Et comme toi fidelle en mes douleurs,
Contre tous les plaisirs d’une nouvelle flamme
Je n’échangerais pas mes pleurs.
Pendant le jour écartant ton image,
Mes souvenirs et mes vœux superflus,
Je supporte mon sort ; et, presqu’avec courage,
Je me dis : il ne viendra plus !
Le soir, en ma douleur et plus faible et plus tendre,
Oubliant que pour nous il n’est plus d’avenir,
Je me laisse entraîner au bonheur de t’attendre,
Et je me dis : il va venir !…
Mais quand l’heure a détruit cet espoir plein de charmes,
Je plains, sans l’accuser, un amant si parfait :
Je regarde le ciel, en essuyant mes larmes,
Et je me dis : il a bien fait !

Oui, de trop de regrets l’espérance est suivie :
Je renonce au bonheur, j’ai perdu mes beaux jours.
Adieu, le charme de ma vie !
Adieu, mes fidèles amours !




LE PRESSENTIMENT.


C’est en vain que l’on nomme erreur,
Cette secrète intelligence,
Qui, portant la lumière au fond de notre cœur,
Sur des maux ignorés nous fait gémir d’avance.
C’est l’adieu d’un bonheur prêt à s’évanouir ;
C’est un subit effroi dans une ame paisible ;
Enfin, c’est, pour l’être sensible,
Le fantôme de l’avenir.
Pressentiment, dont j’éprouvai l’empire,
Oh ! qui peut résister à tes vagues douleurs ?
Encore enfant, tu m’as coûté des pleurs,
Et de mon front joyeux tu chassas le sourire.
Oui, je t’ai vu couvert d’un voile noir,
Aux plus beaux jours de mon jeune âge :
Tu formas le premier nuage
Qui d’un lointain bonheur enveloppa l’espoir.
Tout m’agitait encor d’une innocente ivresse,
Tout brillait à mes yeux des plus vives couleurs ;
Et je voyais la riante Jeunesse
Accourir en dansant pour me jeter des fleurs.

Au sein de mes chères compagnes,
Courant dans les vertes campagnes,
Frappant l’air de nos doux accens,
Qui pouvait attrister mes sens ?
Comme les fauvettes légères
Se rassemblent dans les bruyères,
La saison des fleurs et des jeux
Rassemblait notre essaim joyeux.
Un jour, dans ces jeux pleins de charmes,
Je cessai tout-à-coup de trouver le bonheur ;
J’ignorais qu’il fût une erreur,
Et pourtant, je versai des larmes…
En revenant, je ralentis mes pas ;
Je remarquai du jour le feu prêt à s’éteindre,
Sa chute à l’horizon qu’il regrettait d’atteindre ;
Mes compagnes dansaient… moi… je ne dansai pas.
Un mois après j’errai dans ce lieu solitaire ;
Hélas ! ce n’était plus pour y chercher des fleurs :
La Mort m’avait appris le secret de mes pleurs,
Et j’étais seule au tombeau de ma mère !




LA DOULEUR.


Sombre douleur, dégoût du monde,
Fruit amer de l’adversité,
Où l’ame anéantie, en sa chute profonde,
Rêve à peine à l’éternité !
Soulève ton poids qui m’opprime :
Dieu l’ordonne… un moment laisse-moi respirer !
Ah ! si le désespoir à ses yeux est un crime,
Laisse-moi donc la force d’espérer !
Si dès mes jeunes ans j’ai repoussé la vie ;
Si la mélancolie enveloppa mes jours ;
Si l’Amitié, la Gloire, les Amours,
Ont attristé mon ame à leur culte asservie ;
Si déjà mon printemps n’est qu’un froid souvenir ;
Si la Mort sur l’objet que ma douleur célèbre
A baissé son rideau funèbre ;
Laisse-moi vivre au moins dans un autre avenir !
Et si pendant cinq ans cet objet adorable
De mes jours languissans ranima le flambeau ;
Si sa beauté, si sa grace ineffable
Est aujourd’hui la proie et l’orgueil du tombeau…

Laisse-moi respirer, désespoir d’une mère !
Dieu l’ordonne… Dieu parle à mon cœur éperdu.
« Suis mon arrêt, dit-il ! reste encor sur la terre. »
S’il ne venait de Dieu, serait-il entendu ?….
Mais, vers l’éternité quand mon ame brûlante
S’envolera, baignée encor de pleurs,
Délivrée à jamais d’une chaîne accablante,
Je reverrai mon fils !… Quel prix de mes douleurs !
Éternité ! consolante, et terrible !
Pour le méchant, c’est l’enfer, c’est son cœur !
Mais pour l’être innocent ; malheureux et sensible,
C’est le repos ! c’est le bonheur !…
Ô Dieu ! quand de mon fils sonna l’heure suprême,
Un doute affreux ne m’a pas fait frémir.
Non, cet être charmant, au sein de la mort même,
N’a fait que s’endormir !
Ô tendresse, ô douleur !… ô sublime mélange !…
Ses yeux remplis d’amour se ferment sur mes yeux…
Je m’attache à son corps… Ce n’était plus qu’un ange
Qui s’envolait aux cieux !




Chasselat Lecerf
Courez, petit enfant, vous jeter dans son sein !
Ce jour est sans nuage… ah ! passez-le près d’elle !
Un beau soir a souvent un affreux lendemain !…


LES DEUX MÈRES.


N’approchez pas d’une mère affligée,
Petit enfant, je ne sourirai plus.
Vos jeux naïfs, vos soins sont superflus,
Et ma douleur n’en sera pas changée.
Laissez-moi seule à l’ennui de mon sort ;
Quand la vie à vos yeux s’ouvre avec tous ses charmes,
Petit enfant, plaindriez-vous mes larmes ?
Vous ne comprenez pas la mort.
La mort !… ce mot qui glace l’espérance,
Ne touche pas votre heureuse ignorance :
Au séjour du repos, où s’ouvre l’avenir,
Vous entrez en riant… et moi j’y viens mourir !
De ces noirs arbrisseaux l’immobile feuillage,
Des pieuses douleurs les simples monumens,
D’un champ vaste, morne et sauvage,
Sont les seuls ornemens.
L’écho de cette enceinte est une plainte amère.
Qu’y venez-vous chercher ?… courez vers votre mère ;
Portez-lui votre amour, vos baisers et vos fleurs ;
Ces trésors sont pour elle, et pour moi sont les pleurs.

Sur l’autre rive elle s’est arrêtée ;
Abandonnez vos fleurs au courant du ruisseau ;
Doucement entraîné par l’eau,
Qu’un bouquet vous annonce à son ame enchantée !
Vous la verrez sourire en attirant des yeux
Ce don simple apporté par le flot du rivage ;
Pensive, et caressant votre riante image,
Tressaillir à vos cris joyeux.
Je l’aurais vue au temps où j’excitais l’envie,
Même en vous caressant, rêver à mon bonheur…
Cette suave joie où se plongeait mon cœur,
N’est plus qu’un poison lent distillé sur ma vie.
Mon triomphe est passé : le sien croît avec vous ;
C’est à moi de rêver à son bonheur suprême :
Elle est mère, et je pleure… ô sentiment jaloux !
On peut donc vous connaître au sein de la mort même !
Mais pour un cœur flétri les pleurs sont un bienfait ;
Le mien a respiré du poids qui l’étouffait.
Celui de votre mère en tremblant vous appelle ;
Courez, petit enfant, vous jeter dans son sein.
Ce jour est sans nuage : oh ! passez-le près d’elle !
Un beau jour a souvent un affreux lendemain…
Ne foulez plus cette herbe où se cache une tombe ;
D’un ange vous troublez le tranquille sommeil ;
Dieu ne m’a promis son réveil,
Qu’en arrachant mon ame à mon corps qui succombe.

Dans cet enclos désert, dans ce triste jardin,
Tout semble m’annoncer ce repos que j’implore,
Et, sous un froid cyprès, mon sang qui brûle encore,
Sera calme demain !
Ô douce plante ensevelie !
Sur un sol immortel tes rameaux gracieux
Couvriront ma mélancolie
D’un ombrage délicieux :
Ta tige élevée et superbe
Ne craindra plus le ver rongeur
Qui veut la dévorer sous l’herbe,
Comme il a dévoré ta fleur :
Cette fleur au temps échappée,
D’un rayon pur enveloppée,
Reprendra toute sa beauté :
Son doux éclat fera ma gloire ;
Et le tourment de ma mémoire
En sera la félicité !…
Mais la voix d’un enfant trouble encor ma prière,
Et m’arrache au bonheur que je viens d’entrevoir :
Tout-à-coup ramenée aux songes de la terre,
J’ai tressailli… j’ai cru le voir !
Oui, j’ai cru te revoir, idole de mon ame !
Lorsqu’avec tant d’amour tu t’élançais vers moi :
D’un flambeau consumé rallume-t-on la flamme ?
Non ! sa clarté trop vive est éteinte avec toi…

Et vous qui m’attristez, vous n’avez en partage
Sa beauté, ni sa grace où brillait sa candeur :
Oh non, petit enfant, mais vous avez son âge ;
C’en est assez pour déchirer mon cœur !…



FIN DES ÉLÉGIES.

TABLE.


L’Inquiétude. 
 11
L’Adieu du soir. 
 12
L’Orage. 
 14
Le Concert. 
 17
Prière aux Muses. 
 19
L’Imprudence. 
 22
Le Retour aux champs. 
 23
Le Ruban. 
 25
Le Billet. 
 27
L’Insomnie. 
 29
Son Image. 
 31
Les deux Amours. 
 32
Les deux Amitiés. 
 33
La Nuit d’hiver. 
 35
Conte imité de l’arabe. 
 38
L’Orpheline. 
 40
À ma Fauvette. 
 45
Le Souvenir. 
 47
L’inconstance. 
 48
À Délie. 
 51
À la même. 
 53
À la même. 
 57
La Séparation. 
 59
Adieu, mes fidèles Amours ! 
 61
Le Pressentiment. 
 63
La Douleur. 
 65
Les deux Mères. 
 67
 1
Le Soir. 
 3
À toi. 
 5
L’Aveu permis. 
 7
Mon Bouquet. 
 8
Le Portrait. 
 9
Le Réveil. 
 10
Je veux t’aimer toujours. 
 11
Le Billet. 
 13
Les trois Heures du jour. 
 14
Reprends ton bien. 
 15
À la poésie. 
 17
Le Souvenir. 
 19
Le Pardon. 
 20
Médor. 
 21
Il va parler. 
 22
L’Espérance. 
 23
À la Seine. 
 25
Le Troubadour en voyage. 
 27
C’est le bonheur, c’est toi. 
 30
Le Sommeil de Julien. 
 31
À la nuit. 
 33
Clémentine à Marie. 
 35
L’Écho. 
 37
L’Exilé. 
 39
La Pastourelle. 
 41
La Pélerine. 
 43
Chanson créole. 
 45
Même romance. 
 46
Jone et Sophie. 
 49
Le Regard. 
 51
Le premier Amour. 
 52