Égypte. Population, impôts et revenus


ÉGYPTE.




POPULATION, IMPÔTS ET REVENUS.


La basse Égypte forme avec le Delta, un triangle de terres cultivables jusqu’au Caire, où commence le Kattan, à l’est, et la chaîne Lybique, à l’ouest. Là, les terres renfermées entre ces montagnes présentent, jusqu’au tropique, une vallée étroite qui, dans sa plus grande largeur, n’a guère que cinq lieues communes. Ces montagnes se resserrant de plus en plus, terminent cette vallée à Syene, où elles ne laissent entre elles que le passage du Nil, et c’est là que se trouve la grande cataracte.

On peut hardiment évaluer à dix millions de feddans actuels les terres de l’Égypte susceptibles d’être inondées périodiquement par le Nil, d’après le cadastre qui en fit Sélim le Conquérant, en 1517 ou 1518, et qui donna pour résultat sept millions deux cent mille feddans. Le feddan avait alors 400 perches, et la perche contenait 12 pieds ; aujourd’hui il est réduit à 333 perches et un tiers, et la perche à 10 pieds. Les révolutions qui déchirèrent ce beau pays, jointes à l’ineptie et au despotisme dévorant des divers gouvernemens qui s’y sont succédés, ont dû nécessairement obliger les habitans des campagnes à se retirer dans les villes, ou à émigrer en Syrie, tant pour leur propre sûreté que pour se soustraire aux vexations auxquelles ils étaient journellement exposés. Ainsi, la plus grande partie des terres cultivables fut abandonnée, et les traces de toute végétation ayant disparu, on confondit par la suite ces terres avec les déserts. Aujourd’hui, à peine quatre millions de feddans sont cultivés, tandis qu’un gouvernement qui, dans son propre intérêt autant que dans celui des habitans, accorderait une protection puissante à l’agriculture, mettrait aisément en valeur dix millions de feddans, en creusant de nouveau les anciens canaux qui répandaient partout autrefois les eaux bienfaisantes du Nil.

Le dernier dénombrement fait en 1827, par ordre de Méhémet-Ali, a présenté un total de 780,000 familles. En estimant donc la population au terme moyen de cinq individus par famille, elle serait d’environ quatre millions d’habitans, nombre très-faible comparé à l’étendue et à la fertilité du terrain, et qui pourrait doubler en peu d’années, sous une administration capable de rattacher sa puissance et ses revenus au bien-être des sujets. L’Égypte se trouve aujourd’hui divisée en 14 provinces, ayant chacune 365 villes ou villages. La ville du Caire, la plus grande et la plus peuplée, compte 250 à 260 mille ames.

Les principales maladies qui affligent l’Égypte, sont l’ophtalmie, la peste et la petite vérole. La première n’existe que dans les villes ; les campagnes en sont exemptes, ce qui semble établir qu’avec plus de propreté dans l’intérieur des villes, on diminuerait beaucoup les effets de cette maladie. Contre la peste, il faudrait établir trois lazarets : un à Alexandrie, un à Damiette, le troisième à Catie, dans les déserts qui conduisent en Syrie. On pourrait alors l’empêcher de s’introduire en Égypte ; car il n’y a aucun exemple qu’elle soit venue de l’Arabie, de la Barbarie ou de l’Éthiopie. Ce mal est apporté généralement de la Turquie et de la Syrie. Quant à la petite vérole, la vaccine, répandue par quelques médecins qui seraient chargés de cette mission, et encouragée chez les habitans par le gouvernement qui attacherait dans les commencemens une légère récompense à leur docilité, en arrêterait promptement les ravages.

Le climat en Égypte est sain et agréable. Les vents du nord-ouest qui portent avec eux une douce fraîcheur, y règnent pendant les grandes chaleurs, c’est-à-dire depuis le mois de mai, jusqu’à la fin d’août. Pour être à même de juger de la bonté de ce climat, il faudrait parcourir les campagnes où on verrait que les habitans, presque sans vétemens, et n’ayant qu’une misérable nourriture, jouissent d’une santé brillante et conservent leurs forces jusqu’à l’âge le plus avancé.

Le moyen d’établir les résultats que les améliorations du système administratif pourraient produire en Égypte sous les deux rapports si intimement liés de la culture et des revenus du gouvernement, est de fixer avec autant de précision que possible, leur état actuel. Les évaluations suivantes reposent sur des bases dont la source donne lieu de les croire exactes. On a beaucoup exagéré en plus comme en moins le montant des revenus du vice-roi. On se tromperait si on jugeait de sa richesse par les dépenses énormes qu’il a faites depuis quelques années ; et on se tromperait également en accueillant légèrement le bruit d’un déficit dans la situation du trésor. Au reste, si Mehemet-Ali a pu jusqu’à ce jour couvrir, ou à peu près, en épuisant toutes ses ressources, ce développement fastueux qui appartient presque à un état du premier ordre, il ne pourrait le soutenir long-temps encore sans dépasser de beaucoup ses moyens financiers, tels que nous les estimons aujourd’hui.


Recettes du gouvernement égyptien, calculées année commune.


Droits territoriaux sur 4 millions de feddans, à raison de 2 talaris d’Espagne[1].
10,666,666 tal.
Droit de captation par tête et maison sur 780,000 familles, à raison de 8 tal. par famille.
6,240,000
Droits sur les dattiers, de 20 paras jusqu’à 60, calculés au terme moyen d’une piastre sur 6 millions de pieds d’arbres.
400,000
Douane du Caire, Suez, Cossir, Damiette, Alexandrie, et de l’intérieur.
1,500,000 tal.
Apalthes[2] du Caire et de toute l’Égypte, y compris la pêche des lacs Mouzalet, Broulos, Heckat et du Fayoume[3].
3,333,334
Bénéfice sur la fabrication de la monnaie.
500,000
Id. sur le riz dont la récolte est calculée à 150,000 ardebs[4] à 5 talaris.
750,000
Id. sur 100,000 ardebs, graine de lin, à 3 tal.
300,000
Id. sur le lin fabriqué en toile pour la consommation du pays et l’exportation.
1,000,000
Id. sur le lin en balles pour l’étranger.
250,000

Bénéfices sur les cotons, récolte calculée à 50,000 quint., à 5 tal.
1,500,000
Id. sur la semence dite jugéoline, propre à faire de l’huile, récolte calculée à 50,000 ardebs, à 3 tal.
150,000
Id. sur l’encens, les dents d’éléphant, les gommes, les sucres, les safranums, les laines, la soie, l’indigo, et différens autres produits, environ.
1,000,000
Id. sur les nattes, couffes, et tout ce qui tient à cette branche.
450,000
Id. sur 500,000 ardebs de comestibles, tels que fèves, orge, blés, maïs, etc., qui sortent d’Alexandrie pour l’étranger, au compte du commerce ou celui du vice-roi, en plus ou en moins, suivant les demandes de l’extérieur, à 2 tal.
1,000,000
Id. sur les mêmes comestibles qui sortent de l’Égypte pour l’Arabie, par le port de Cossir, quantité évaluée à 250,000 ardebs, à 5 tal.
1,250,000
Total des recettes
30,290,000 tal.[5]


Les dépenses que le vice-roi doit faire pour réunir et emmagasiner les comestibles, cotons, laines, etc., sont couvertes, et au-delà par le bénéfice de 12 à 15 pour cent, résultant de la manière dont les agens du gouvernement pèsent et mesurent ces divers produits lorsqu’ils leur sont délivrés par les cultivateurs.


  1. Piastre forte d’Espagne, 5 fr. 30. c.
  2. Les apalthes sont le débit exclusif de certains produits qu’on afferme à des particuliers, moyennant un prix fixe. Cette institution, qui existe dans tout l’empire ottoman, répond exactement à celle des fermes de France, avant la révolution.
  3. Parmi les objets soumis aux apalthes, se trouvent le droit sur les filles publiques, et celui sur les matières fécales pétries en formes de galettes auxquelles on donne le nom de ghille, et séchées au soleil pour faire du feu.
  4. L’ardeb produit en poids 165 oques. L’oque égale 1 ¼ kil. de Paris
  5. Environ 160 millions de francs. — La différence dans le chiffre du bénéfice provenant des exportations par les deux ports résulte de ce que le vice-roi, soit qu’il vende ses comestibles à Alexandrie, soit qu’il les envoie sur les places de la Méditerranée, est obligé de se conformer aux prix variables de ces places, d’où il suit qu’on ne peut évaluer le bénéfice qu’à moyen terme de 2 tal., tandis que pour l’exportation en Arabie, il est le seul maître du marché, et établit un prix qui lui donne un bénéfice net de 5 tal. par ardeb.