Renault et Cie (Tome IIp. 79-82).
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CONCLUSION


C’est avec effort que je respectai les intentions d’Édouard, et que j’observai la parole que je lui avais donnée de ne pas chercher à le voir le reste du jour. L’amitié reconnaît difficilement son insuffisance ; elle croit pouvoir consoler, et ne sait pas que l’ami dont elle partage les maux n’est dans ses bras qu’un vain simulacre privé de sentiment et de vie. Je préparais cependant une consolation à Édouard : c’était de parler avec lui de madame de Nevers. Je la connaissais et je savais combien elle était digne de la passion qu’elle avait su inspirer. Je passai la nuit à réfléchir au sort d’Édouard, à cette fatalité dont il était la victime, à la bizarrerie de l’ordre social, à ce malheur indépendant des hommes, et cependant créé par eux. Je cherchais des remèdes à la situation de mon malheureux ami, et j’étais forcé de m’avouer avec douleur qu’elle n’en offrait aucun d’efficace. Le lendemain de bonne heure, j’entrai dans la chambre d’Édouard, elle était déserte. J’aperçus sur sa table quelques journaux qui venaient d’arriver de France. Personne ne l’avait vu sortir. Comme je savais qu’on devait attaquer, ce matin même, le camp anglais, l’inquiétude me prit, je me fis donner un cheval, et je courus, encore très-faible, sur les traces de l’armée. En arrivant je trouvai une canonnade violente engagée pour une position dont il paraissait presque impossible de chasser l’ennemi. Je distinguai Édouard au premier rang, et j’arrivai pour le voir tomber couvert de blessures. Je le reçus dans mes bras ; son sang coulait à gros bouillons ; je voulus essayer de l’arrêter, il s’y opposa. « Laissez-moi mourir, me dit-il, et ne me plaignez pas ; la mesure est comblée, la vie m’est odieuse ; j’ai tout perdu. Ah ! dit-il, la mort vient trop tard. » Il expira, sa tête pencha sur moi ; je reçus son dernier soupir. Je revins dans un désespoir dont je ne me croyais plus capable.

Les gazettes contenaient cet article :

« Hier, 26 août, à onze heures du matin, on a célébré, en l’église et paroisse de Saint-Sulpice, les obsèques et funérailles de T. H. et T. P. dame madame Louise-Adélaïde-Henriette-Natalie d’Olonne, veuve de T. H., T. P. et T. Ill. seigneur, monseigneur le duc de Nevers, prince de Châtillon, marquis de Souvigny, etc., etc., décédée en son hôtel, rue de Bourbon, à l’âge de vingt-un ans, par suite d’une maladie de langueur. Après la cérémonie, le convoi s’est mis en marche pour le Limousin, où madame la duchesse de Nevers a témoigné le désir d’être enterrée. On la conduit en la baronnie de Faverange, bailliage de***, généralité de***, où elle reposera au caveau de ses ancêtres, en l’église et chapitre abbatial du dit Faverange, etc. »

Vers la fin de cette même année, la paix me permit de repasser en France ; je ramenai avec moi le corps de mon malheureux ami. Je demandai et j’obtins de M. le maréchal d’Olonne la permission de le déposer dans ce caveau qui contenait l’autre moitié de lui-même. Je le fis placer au pied du cercueil de madame de Nevers, et alors seulement je sentis le premier soulagement à ma douleur.

M. le maréchal d’Olonne avait quitté le monde et la cour. Il habita Faverange jusqu’à la fin de sa vie, qu’il consacra à la bienfaisance la plus active et la plus éclairée ; mais quoique sa carrière ait été longue, et en apparence paisible, il conserva toujours une profonde tristesse.

Il disait bien souvent qu’il s’était trompé en croyant qu’il y avait dans la vie deux manières d’être heureux.