Écrits de jeunesse (Marcel Schwob)/Faust
Faust
(fragments)
PROLOGUE (42)
Ô Temps, je viens à toi, humble dans la poussière,
Te demander ton appui,
Demander le bonheur à ta puissance altière
Je veux être heureux, si je puis.
J’ai si souvent rêvé devant les fleurs fanées,
Devant les portraits jaunis,
Que je viens pour revoir les anciennes années,
Les vieux hommes tous réunis.
Je veux filer au feu les fuseaux des grand’mères
Qui sont mortes aujourd’hui,
Je veux boire au calice des douleurs amères
Du vieux siècle qui s’est enfui.
Prête-moi ta grand’barbe et ta faux désolée,
Va te reposer au ciel.
Lorsque je reviendrai, tu prendras ta volée,
Gorgé de nectar et de miel !
Cercle vicieux qui m’emporte sans cesse
Ne vas-tu pas t’arrêter avec moi !
Dans mon cerveau ta volonté me presse,
Je voudrais être en mon royaume roi.
Tu n’es qu’une équation à racine infinie,
Une courbe qu’on voit et qu’on ne saisit pas,
Et je parcours toujours une route finie,
Et, voyageur lassé, je reviens sur mes pas.
Je voudrais être hors du Temps et de l’Espace,
Et hors de mon cerveau — hors de moi-même, enfin
Le repos éternel, de ne plus voir ma trace —
Et de me perdre dans l’infini de ma fin !
Je hais mon propre moi, je voudrais être un autre,
Ou m’abîmer au fond d’un abîme géant :
Je voudrais être fou — je voudrais être apôtre —
Et croire — car on ne peut pas croire au Néant.
Et je suis fatigué ! je suis las à mourir !
Venez à moi, visions veules !
Je voudrais être mort, au cercueil, et pourrir,
Et vous seriez avec moi seules !
J’ai voulu voir la science et j’ai vu le néant ;
J’ai plongé mes regards dans le gouffre béant
Qui vous ouvre ses mille gueules,
Et je suis revenu du voyage, très las,
J’ai battu du tambour, j’ai sonné des flas-flas :
L’univers m’a broyé sous ses meules.
Lorsque j’étais petit je jouais au soleil,
J’aimais courir dans la montagne,
Et j’aimais le matin entendre à mon réveil
Le chant du coq dans la campagne.
Mais plus tard j’ai hanté les héros des romans,
Pas à pas je les accompagne,
Et j’ai rêvé des vœux, j’ai forgé des serments
Pour une idéale compagne.
J’ai couru par le monde, et j’ai frôlé la mort,
J’ai frôlé le bonheur qui passe,
Et j’ai repris la mer quand je voyais le port
Et j’ai voulu franchir l’impasse,
Pour trouver mon beau rêve, en faire mon trésor,
Le cacher à la mort rapace —
Et je n’ai rien trouvé — je le poursuis encor —
Mais la vieillesse me terrasse ;
Et je suis sombre et vieux et je suis endêvé,
Et je suis las de tout, pour avoir tout rêvé.
Vraiment vous êtes étrange,
Mon cher maître, et je vous plains,
Vous voudriez être un ange,
Vous n’êtes qu’un paquet de crins.
Écoute, je suis un bon diable
Et je ne t’en veux pas,
Je me sens encore capable
De suivre tous tes pas,
De te guider, pauvre aveugle.
Et lorsque viendront les coups,
Ce sera moi qui te beugle
À l’oreille casse-cou.
Ainsi, tu crois donc vivre,
Et souffrir, pauvre fou,
Parce qu’appuyé sur un livre,
Médiocre garde-fou,
Tu regardes l’univers, ivre,
Et qu’il ne te semble pas saoul.
Et de là, tu l’injuries,
Tu veux lui cracher au front,
Tu l’abreuves de tes furies,
Tu l’étouffes sous ton affront.
Mais l’univers impassible,
Ne se tourne pas vers toi —
Et prenant le ciel pour cible,
Tu le cribles de ton toit.
Tu voudrais en faire les voiles
Qui cachent la face des Dieux ;
Tu voudrais faire des étoiles
Les yeux bleus des bienheureux.
Les étoiles restent étoiles,
Le ciel reste ciel bleu :
Et c’est en vain que tu dévoiles
Le mystère de Dieu.
Écoute. Il fut un temps où, voulant te charmer,
Je te rajeunissais et te faisais aimer.
Mais ce temps est passé. Sans doute Marguerite
Paraîtrait d’un blond fade ou serait trop petite.
Tu te souviens qu’alors ton âme m’appartint.
L’enfer n’a guère fait que te brunir le teint.
Ma foi, je n’aime pas garder les philosophes,
Les poëtes non plus — Ils récitent des strophes.
Je t’ai donc revomi sur la terre — et d’abord
Tu commences la vie en demandant la mort.
Écoute — tu sais tout — tu veux toucher ton songe —
C’est l’ennui qui te mord — c’est l’ennui qui te ronge,
Parce que tout n’est pas comme tu l’as rêvé —
Tu t’embêtes chez toi comme un vieux chien crevé.
Au-dessus du réel, c’est ton esprit qui plane —
Tu veux voir un pur-sang sous la peau de ton âne,
Tu veux voir un château dans ta pauvre maison
Et voyant ton erreur, tu maudis ta raison.
Et cependant tu n’es qu’un homme
En y réfléchissant ;
Tu n’es pas davantage, en somme,
Qu’un pauvre mendiant.
Mais ton orgueil t’a dit que tu créas la science,
Que tu sais distinguer, et le bien et le mal,
Que toi seul, parmi tous, possèdes la conscience,
Et que tu n’es pas fait comme un autre animal.
À ton aise !
À Dieu ne plaise
Que le diable dise non !
Car au fond de sa fournaise,
Parmi les âmes qu’il braise,
Il reconnaîtra ton nom.
Faust, écoute ma parole,
Prends garde à toi.
Le démon commence son rôle,
Le tentateur est sous ton toit.
Dieu veut te remettre à l’épreuve,
Il t’a fait sortir de l’enfer,
Et tu retombes dans le fleuve
De feu, de sang, de fer.
Faust, je donne tout, la jeunesse et la science.
Pour te sauver, je vais entrer dans ta conscience.
Assez, je vous connais. Je n’ai pas peur.
Pourtant l’un est le vrai, l’autre est trompeur.
J’ai cherché le bonheur dans mon dernier voyage,
J’ai lutté pour aimer avec folie et rage,
Je me fiais au Diable seul.
Désormais je me fie à ma volonté même,
Je prendrai seulement mon orgueil pour diadème,
Ou mon désespoir pour linceul.
Ha, ha, ha, ha, ha (la voix va en s’affaiblissant).
Pourquoi ris-tu ? je veux.
Oui, je saurai saisir l’occasion aux cheveux,
Et la tenir sous ma toute-puissance.
Faust, souviens-toi de l’orgueil !
Le monde est en deuil,
Je suis ta conscience…
Dans les caves du château. Devant un feu de soufre.
Faust évoque le diable.
Maître, que me veux-tu ?
Esprit têtu,
Je t’appelle,
Notre pacte n’est pas rompu,
Je veux l’existence nouvelle.
C’est bien. Je te la donnerai,
Je te montrerai l’existence,
Et puis je t’abandonnerai
À ta propre subsistance.
Mais je ne veux plus me laisser conduire,
Je veux vivre et pleurer et souffrir et puis rire,
Et trouver le bonheur au bout ;
Et lorsque j’aurai vu les hommes sur la terre,
Je veux voir les amours et je veux voir la guerre
Des esprits dansant leur raout.
C’est bon, tu verras tout.
Ho, la danse des esprits,
Hourvari,
Je donnerai le prix
À qui t’aura surpris,
Ho, la danse des esprits,
Hourvari.
Voupdivoup, nous arrivons,
Soufflons sur la terre —
Nous soufflons et nous crevons,
Voilà notre grand-père !
Scène des Esprits et Sarabande
Je suis le Temps, à travers les vieux âges,
Longtemps j’ai couru ;
Dans ma course j’ai vu bien des sombres visages
Et maint sourcil bourru.
J’allais bien lentement
Au commencement ;
Mais à la fin,
Comme j’ai faim,
Je vais très vite,
Je précipite
Ma fuite.
À travers le monde
Je vais à la ronde,
Je lutte et je tombe :
Je vois tout — j’ai tout vu.
Mais les spectres me grondent
Et les lynx leur répondent :
Va-t-en dans la tombe
Danser ton chahut !
Marchons en cadence :
Ho, la nuit s’avance,
À bientôt la danse,
Adieu !
Hou, quelle frimousse !
Hou, ta barbe rousse !
Hola, ne me trousse
Pas, vieux !
Je suis le Temps, à travers les vieux âges,
Longtemps j’ai couru ;
Dans ma course j’ai vu bien des sombres visages
Et maint sourcil bourru.
Marchons en cadence :
Ho, la nuit s’avance,
À bientôt la danse,
Adieu !
Le ciel est bleu
Et tout plein d’yeux ;
Pourtant le vieux
Ne voit rien.
Avance donc,
Tire, laridon !
Ho, tiens-toi donc !
C’est bien !
J’allais bien lentement
Au commencement ;
Mais à la fin,
Comme j’ai faim,
Je vais très vite,
Je précipite
Ma fuite !
Je suis le Vampire,
Je suce le sang,
Et puis j’aime à rire
En le suçant.
Vois, minette,
Clac, clac,
Mariette,
Clac, clac,
Joliette,
Clac, clac,
Les squelettes,
Clac, clac,
Jouant des castagnettes,
Clac,
Donnant des pichenettes,
Clac,
Et lançant leurs raquettes,
Clac,
Avec leurs vieux os grêles !
Voyez-vous,
Hou-hou,
Le hibou,
Hou-hou,
Sortant du trou
Hou-hou,
Tournant en roue,
Hou-hou,
Faisant la moue,
Hou-hou,
Couvert de boue,
Hou-hou,
Et flaquant dans les mares ses ailes !
Marchons en cadence :
Ho, la nuit s’avance,
À bientôt la danse,
Adieu !
Houp, houp,
Monte en croupe,
Nous allons bien vite aux champs,
Houp, houp,
Monte en croupe,
Sautons dans les champs !
Hop, sous les grands arbres verts,
Hop, à la feuillée,
Sous la grêle qui résonne,
Sous l’orage qui détonne,
Voguons sous les cieux ouverts,
Sur l’herbe mouillée.
Hop, les grands esprits du Nord,
Sautons dans les lianes !
Voilà le vent qui bourdonne,
Pleurant comme une madone !
C’est le Damné qui l’ordonne,
L’âpre bise pique et mord ;
Sautons dans les lianes !
Hop, à travers les taillis,
Courons dans la brume !
Voici la cloche qui sonne
Et le vieux moine ronchonne ;
Tandis que le vent ballonne
Sa brune robe de cretonne :
Hop, à travers les taillis,
Courons dans la brume !
Hop, hop, dans nos galops fous,
Dans la danse échevelée,
Chantons notre chanson bouffonne,
Soiffons l’hydromel à la tonne.
Le vent dans les feuilles frissonne,
Tandis que le tonnerre tonne,
Sur le cheval on s’abandonne,
Hop, hop, dans les galops fous !
Dans la danse échevelée.
Marchons en cadence :
Ho, la nuit s’avance,
Entre dans la danse,
Mon vieux !
:Je suis le Temps : à travers les vieux âges,
Longtemps j’ai couru ;
Dans ma course j’ai vu bien des sombres visages
Et maint sourcil bourru.
Nous allons au galop à travers les champs,
En hurlant à tue-tête nos plus fiers chants :
Vive le sang !
Nous rasons en passant les épis des rizières,
Nous menons les chariots au profond des ornières,
En hurlant :
En avant, au galop, en avant, hourrah !
Ami, tu pourras
Sur les gerbes de blé violer toutes les vierges ;
Nous les égorgerons : elles auront pour cierges
Nos lances aux bras !
À travers le monde
Je vais à la ronde,
Je lutte et je tombe :
Je vois tout — j’ai tout vu,
Mais les spectres me grondent
Et les lynx leur répondent :
Va-t-en dans la tombe
Danser ton chahut !
Le vent gémit dans les pins morts,
Hou, hou, hou hou, hou hou.
La peur me prend à ses accords,
Rahou, rahou, rahou.
J’entends crier tous mes remords,
Hou hou, hou hou, hou hou.
J’entends sonner la charge des cors,
Rahou, rahou, rahou.
La charge sonne et sonne très fort,
Hou hou, hou hou, hou hou.
Le vent qui souffle souffle du nord,
Rahou, rahou, rahou.
L’ouragan passe et repasse et se tord,
Hou hou, hou hou, hou hou.
Je sens monter dans mon âme la Mort,
Rahou, rahou, rahou.
Ah ! tomber mort dans un coin où l’on dort,
Hou hou ! Hou hou ! Hou hou !
Margouillis, Margouillat,
Les filles nous ramènent,
Margouillis, Margouillat,
Nous mènent au sabbat.
Nous marchons, nous peinons. Pourquoi ? Au bout de notre route une montée s’ouvre devant nous ; nous la gravissons, il faut la redescendre. Prenons les sentiers de traverse : nous tomberons dans un précipice.
Et ne marchons-nous pas, n’avançons-nous pas ? Pour ceux qui tombent lassés, et qui meurent, épuisés ; pour ceux qui s’égarent dans les voyettes fleuries ou dans les sentiers abrupts ; pour ceux qui se précipitent dans les gouffres où ils se fracassent, n’y en a-t-il pas qui touchent au terme ?
Sont-ils revenus pour le dire ? Pas un. Qui sait si après cette première étape, une autre plus longue ne s’est pas présentée à eux, et qui sait si dans celle-là, ils n’abandonneront pas la partie ? Crois-moi, Faust : marcher jusqu’au bout ne sert à rien ; mieux vaut se reposer sur les bords de la route. Nous cueillerons des fraises. Et si la sombre nuit nous surprend étendus et nous endort, nous dirons en nous livrant au sommeil : du moins j’ai joui.
Mais, j’ai là, quand je veux m’attarder, une voix qui me crie : pas là — plus loin. Ne t’oublie pas ici : ce n’est pas là le bonheur. Tu le trouveras à la prochaine auberge. Vois donc tout ce qui te manque.
Et tu ne t’aperçois pas, mon pauvre ami, que c’est l’Espérance funeste qui, de promesse en promesse, vient t’entraîner jusqu’au bout ?
Et sur cette pente sans fin je roule, roule, roule sans m’arrêter — vivant sans vivre — mourant sans mourir. M’étendre sur les prés verts — boire le soleil à pleine gorge — dormir vautré dans les bouses — quel rêve ! Humer la brume du matin dans la campagne — les vapeurs sortant de la vallée — à mi-colline — les clochettes des moutons qui tintent — l’odeur familière de la chaumière.
T’y voici.
J’y suis. Arrière, démons, esprits diaboliques.
Je veux vivre et souffrir et pleurer et puis rire
Et trouver le bonheur au bout.
D’où viens-tu ? Où vas-tu ?
Je vais à la lumière. Je viens de la nuit.
Que veux-tu dire, Français, je ne te comprends pas ?
La jeunesse devant moi — la vieillesse derrière. Tu es jeune — tu es belle — aimons-nous.
Ah mais, pas comme cela — Si vite, — je ne vous ai pas regardé.
Viens — viens, — le bonheur est là. Nous aurons ici une chaumine — une petite chaumine ; j’irai chasser dans la montagne — le matin — et le jour nous nous aimerons ici, dans la liberté, dans la solitude — sans diable pour nous voir — sans démons pour nous épier. Quel âge as-tu ?
Dix-sept ans. Et vous, seigneur ?
Celui que tu voudras. Que tu es belle, que tes cheveux sont longs et soyeux — comme le bleu de tes yeux est profond. — Tu ressembles…
À Marguerite.
Dieu du ciel, c’est vrai ! Tout s’évanouit.
Une lande sombre. Au fond, des pins. Une clairière dans la forêt des pins.
Tu me pousses, tu me traînes depuis si longtemps. Et je n’ai encore rien trouvé. La vie est encore devant moi comme un tunnel sombre ; la lumière n’est pas venue jusqu’à nous.
Je ne t’ai jamais promis de transformer le monde pour te plaire. Et, d’ailleurs, puis-je changer ta pensée ? Crois-tu que ce que tu vois, ce n’est pas toi qui le vois ?
Je ne te comprends pas — ou plutôt j’ai peur de te comprendre. Veux-tu dire que mes impressions transforment tout ? — Veux-tu dire que je porte l’univers en moi ?
Ce que tu voudras. Mais viens — marchons toujours. Tu ne te fatigueras pas avec moi. Avoue que je te donne tout de même un bon coup d’épaule de temps en temps. Mais voilà, tu es né sur la terre.
Et toi tu es né au ciel. Tu possèdes ce que je cherche et tu me le caches à tout jamais.
Va, il y a beau temps que je te connais. Tu n’es jamais mort — et depuis que le monde est monde, tu es là — et moi aussi. Nous avons toujours été camarades ensemble — te souviens-tu ?
Que veux-tu dire, Protée aux paroles ondoyantes ? Ai-je vécu déjà aussi misérablement ? Il me semble vraiment bien souvent que je suis vieux et que je te connais. Mais je crois que ce sont mes rêves qui sont vieux et la réalité que je connais.
La réalité ! Voilà encore un de ces mots vides que vous ne cesserez pas de prononcer, vous autres hommes ? Est-ce que tu connais autre chose que la réalité ? Est-ce que tes rêves ne sont pas issus du monde de tes sens ? — Fou — triple fou — va donc construire avec des morceaux d’hommes un Inconnu que tu ne peux pas connaître !
Je ne peux pas — ce n’est pas là ce que tu m’as promis.
Non — mille fois non ! — je ne mourrai pas — et si le Sphinx voulait m’interroger, je lui répondrais. Mais le Sphinx se dérobe devant mes pas — c’est toi qui me le caches !
Il ne se dérobe pas : il est partout, devant toi. Mais tu as des yeux pour ne pas le voir et des oreilles pour ne pas entendre ses questions pressantes.
Je le trouverai et je le combattrai, car quelque chose de divin que j’ai là me dit que je mourrai dans cette lutte !
Divin ? — toi ? — Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! Il disparaît dans la brume sombre où son rire va s’éteignant jusqu’à ce que le silence retombe pesamment sur les marais déserts.
Grinchin ? Oui, par la fi de chien, si tu veux. FAUST Et où irons-nous pour cela ?
Où — partout. Barbotter, pistonner — ce que tu voudras, mon c… Mais hein ? pas de taf — pas de largue qui se f… dans nos guibolles. Et si t’as des brinde-zingues — sors-les. La marmite ne travaille pas — faut de la braise.
Prends garde à ta tronche,
La dure vous attend,
Lirlonfa,
La dure vous attend.
Si tu vois qu’il bronche,
Eschique en brouant,
Tirlonfa,
Eschique en brouant.
Passe ma dingue : le dogue est là. Il est chicmuche.
N. d. D. ! nous sommes f… — Allons, ninar, crampe-toi. Plus vite que ça. Et les enfants — filons, hein ?
C’est la tine
Qui rouscline,
O Dab,
Il lansquine
Ou jaspine,
C’est le Cab.
Mirlababi, surlababo,
Mirliton ribouribette ;
Sarlababi, mirlababo,
Mirliton ribouribo.
Chut. Un panthe qui aboule.
Lui, le Fruc — Tu traques, sacrée tante — et tu veux ton fade ? Allons, pousse-le et gentiment.
Vas-y donc. As-tu peur ? Faust poignarde le passant enveloppé d’un manteau. La porte s’ouvre. Invasion d’agents armés. — Fanfare.
Toujours nous bissons
Timaloumisaine,
Au mât de misaine.
Timoulamison.
Nous nous accrochons,
Timaloumisaine,
Après la carène.
Timoulamison.
Toujours nous voguons,
Timaloumisaine,
Sans le capitaine.
Timoulamison.
Souvent nous tirons,
Timaloumisaine,
Sur la lourde senne.
Timoulamison.
Au mât d’artimon,
Timaloumisaine,
Nous grimpons en peine.
Timoulamison.
Méphisto reprend :
Et quand nous mourons,
Timaloumisaine,
La vague nous traîne.
Timoulamison.
Bibi reprend :
Mirlababi surlababo,
Mirliton ribouribette,
Surlababi mirlababo,
Mirliton ribouribo !
Et quand nous mourons, maluré,
Timaloumisaine,
La vague nous traîne, maluré,
Timoulamison.
Les ondulations des hanches et des cuisses,
Les soubresauts craintifs des boutons de nos seins,
Les yeux à moitié clos, les lèvres qui pâlissent,
Les gorges qui s’enflaient au milieu des délices,
Les belles aux yeux noirs savantes en tous vices,
Qui faisaient ondoyer le satin de leurs reins.
As-tu tout oublié dans tes réflexions noires,
Ô roi qui détruisis le peuple le plus fier,
Tes satins et ta pourpre et ta soie et tes moires,
Et tes lambris dorés et tes fauteuils d’ivoire,
Et tes vases sculptés qu’il faut pencher pour boire,
Ô toi qui m’aimais tant encor, le soir, hier ?
Veux-tu, viens nous coucher, tout nus, sur tes fourrures,
Serre-moi dans tes bras, je plierai comme un jonc,
Si tu veux, je mettrai mes plus belles parures, —
Ou veux-tu m’avoir nue, et sans fard, sans dorures —
L’eunuque fermera les verrous aux serrures
Et nous ne garderons ici que mon pigeon.
Il sera seul témoin de nos baisers avides,
De la pâmoison lente et des douleurs du corps —
Le soleil tombe à pic sur tes plaines arides.
Laisse donc galoper tes farouches Numides,
Viens me baiser à nu de tes lèvres humides,
M’embrasser, me serrer, et me baiser encor !
Ô femme, laisse-moi plongé dans ma misère.
Je ne veux plus de toi ; je ne veux plus d’amour.
Nous avions l’idéal — c’était une chimère —
L’existence ici-bas n’est qu’un chagrin sévère.
J’ai cru que je t’aimais comme une idole chère,
Et m’étant dégoûté, je suis las pour toujours.
les cheveux noirs un peu défaits — la figure pâle — les pieds nonchalamment passés dans des mules brodées avec lesquelles elle joue, sortant son pied de la pantoufle et l’y remettant.
Qu’avez-vous à me regarder ?
Tiens, je suis si heureuse que je m’endors. Viens te mettre à côté de moi.
S’étendant près d’elle, lui baise les pieds, les genoux, les mains, les seins à travers la chemise. Connais-tu la croix de Malte ?
Non, qu’est-ce que c’est, dis ?
Sans répondre, lui baise le front, les deux yeux, le nez, la bouche, les deux joues, et le menton. Pris d’un tremblement nerveux, il reste étendu sans parler. Marion le baise longuement sur la bouche, lui mordillant les lèvres doucement de ses dents blanches et fines, passant le bout de sa langue rouge entre les lèvres de Faust.
Faust, la serrant transporté dans ses bras, la baise au cou et lui mordille l’oreille, prenant ses cheveux entre les lèvres.
Marion, songeant, étendue, secoue la tête d’un air triste, comme pour dire : non.
Le manuscrit est très irrégulier. C’est nous qui avons restitué l’ordre possible des fragments. Ils datent de 1883 à 1886. Les vers sont souvent scandés à l’antique. Quelques notes de musique et des indications de mouvement indiquent qu’il s’agit d’une sorte d’oratorio. Mais ce sont surtout les parties en prose, la richesse et la hardiesse de la pensée, qui nous ont déterminé à publier ces fragments de jeunesse, une sorte de mystère.
Le Prologue était commun à Prométhée, dont Faust, dans la pensée de l’adolescent, formait la suite.
- ↑ Indication du mouvement : crescendo, allegro, poco à poco, diminuendo et molto ralentando.