Économistes contemporains — Léon Faucher

Économistes contemporains — Léon Faucher
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 33 (p. 336-369).


ÉCONOMISTES
CONTEMPORAINS



LÉON FAUCHER.



Œuvres de Léon Faucher. — Études sur l’Angleterre. — Mélanges d’Économie politique et de Finances, 4 vol. in-18 ; Guillaumin.



Les hommes dont j’ai entrepris, dans cette série d’études, de résumer les titres et de classer les travaux ont été élevés à une rude école. Pendant de longues années, ils ont lutté sans la certitude, sans l’espoir du succès. Peu nombreux, ils étaient constamment aux prises avec une légion compacte qui, appuyée sur des intérêts ombrageux et mêlant à propos l’action à l’inertie, dominait l’opinion, les corps constitués et le gouvernement lui-même. Cet isolement n’a ni ébranlé, ni découragé les défenseurs de la doctrine économique ; ils aimaient leur cause et se croyaient assez payés de leurs efforts, pourvu qu’ils y fussent fidèles. La défaite ne les humiliait pas plus que la victoire ne devait les enorgueillir. À une conviction profonde s’unissait chez eux le respect dû aux arrêts des majorités. Ils comprenaient que l’objet de leur poursuite est de ceux qu’on atteint lentement, quand on doit les atteindre, que les matières dont ils s’occupaient, délicates de leur nature et tenant beaucoup de susceptibilités en éveil, rencontreraient, dans des préventions enracinées, dans les habitudes prises, un obstacle que le temps seul et l’expérience pourraient vaincre. C’est sur l’expérience et le temps qu’ils comptaient ; ils voulaient persuader et non s’imposer. De là cette constance qui ne s’est point démentie et ce soin de rappeler sans relâche des principes trop méconnus. Ils espéraient qu’à la longue et à la lumière des faits, des notions plus saines se répandraient dans les esprits, et qu’arrivées à leur pleine maturité, les réformes trouveraient dans l’acquiescement général la sanction qui les justifie et les consacre.

Ce sentiment, personne ne l’a eu avec plus d’évidence que l’économiste dont je m’occupe. Léon Faucher était un de ces esprits droits, résolus, tout d’une pièce, pour employer une expression familière, qui placent au-dessus des chances heureuses ou malheureuses qu’elles peuvent courir leurs convictions laborieusement formées ; il vérifiait les siennes par une étude constante et y tenait en raison de ce qu’elles lui avaient coûté. Par l’ardeur qu’il mettait à les défendre, on peut juger de quel prix le triomphe eût été pour lui : ce triomphe, il ne l’attendait que de la discussion et ne s’y épargnait pas. Quelque part que l’on rompît une lance en faveur de ses doctrines, dans la presse, dans les réunions spéciales, dans les chambres, on était sûr de le voir accourir. Il appartenait à cette phalange d’hommes éprouvés qu’avaient formée vingt-cinq années de libre débat, et dont il est plus aisé de médire que d’effacer le souvenir. Son goût était vif pour ces joutes publiques où les grandes questions de l’état passaient comme dans un creuset, et qui, empruntant leur autorité aux institutions, élevaient à la fois les talens et les caractères. On pourra voir, dans le cours de cette étude, en combien d’occasions et avec quel esprit de suite il se mêla aux affaires et à la politique du temps, choisissant de préférence les sujets qui lui étaient familiers, les finances, l’administration, les problèmes du travail manuel, et y apportant une fermeté de vues et une variété de connaissances auxquelles ses adversaires les plus décidés étaient obligés de rendre justice. Peut-être lui manquait-il un peu de défiance de lui-même et l’habitude de ces formes conciliantes qui, sans faire déroger la vérité, en assurent mieux l’empire ; mais il avait en revanche et à un haut degré deux qualités rares en tout temps et qui s’effacent de plus en plus de la vie publique, le courage et la sincérité.


I

C’est à Limoges, le 8 septembre 1803, que naquit Léon Faucher, et sa triste et laborieuse enfance commença par le spectacle d’un ménage désuni. Son père, qui était dans le commerce, changea plus d’une fois de résidence, et au milieu de chances diverses passa de Limoges à Toulouse et à Bordeaux, pour revenir à Toulouse vers le milieu de 1815. Là, des scènes pénibles, sur lesquelles il convient de jeter l’oubli, ne tardèrent pas à rendre la vie commune intolérable, et une séparation volontaire eut lieu. Quoique bien jeune, Léon Faucher avait pu juger de quel côté étaient les torts ; il prit résolument le parti de sa mère, laissée dans le dénûment et l’abandon. Point de ressources, point d’autres moyens d’existence que quelques travaux d’aiguille poursuivis dans de longues veillées. L’enfant comprit qu’en sa qualité d’aîné les devoirs de chef de famille retombaient en partie sur lui ; il avait quatorze ans quand il accepta cette charge pour la remplir du mieux qu’il put. Tout était précoce chez lui, l’intelligence, la raison et une sorte d’austérité qui de sa physionomie passait dans ses actes. Déjà aussi il était animé de cette passion du travail qui ne devait l’abandonner à aucune époque de sa vie. Comment venir au secours de cette mère qui s’épuisait, pour elle et pour les siens, en efforts presque désespérés ? À son âge, les moyens de se suffire étaient bien bornés ; Léon Faucher en trouva pourtant. Les cours gratuits du collège employaient une partie de son temps ; il disposa du reste et prit sur ses nuits ce que ses jours lui refusaient. Il dessinait avec quelque facilité ; dans ses heures libres, il traça des festons pour les brodeuses et parvint à gagner ainsi jusqu’à 3 francs par jour. Voilà par quel apprentissage il dut passer. La destinée ne lui souriait guère ; il ne connut de l’enfance ni les joies, ni les caresses ; son adolescence allait être un duel opiniâtre contre le besoin. Dans de telles épreuves, les caractères montrent jusqu’où va leur ressort : ou ils fléchissent, ou ils se trempent fortement. Léon Faucher s’en tira à son honneur ; l’impression de ses premières années fut aussi saine que profonde : il y puisa en grande partie le sens moral, la dignité personnelle, l’application soutenue et la vigueur de volonté qui devaient l’élever par degrés de la condition la plus modeste aux positions les plus honorées et les plus enviées.

Malgré ces troubles domestiques et ces déplacemens répétés, l’éducation du jeune Faucher avait suivi son cours, et non sans succès. Le légitime orgueil de bien faire l’animait plus que les remontrances et les conseils ; il sentait d’ailleurs que dans la pénurie commune c’était de là que viendrait le salut. Il prit au collège de Toulouse, et dès le début, un rang qu’il sut maintenir durant toute la période scolaire ; un seul travers s’y mêla, travers singulier pour le futur économiste : à onze ans, il avait la passion des vers. Son père lui rendit au moins le service de l’en guérir en brûlant ses premiers essais. Les humanités furent si solides et si brillantes qu’élève de seconde, Faucher fut admis dans une institution comme répétiteur, et le peu qu’il y gagnait devint une précieuse ressource pour la famille. Ses frères grandissaient ; il fallut être leur directeur et leur soutien, achever leur éducation, leur ouvrir des carrières : embarras successifs auxquels s’ajoutaient les siens propres, et qui souvent le prenaient au dépourvu. C’étaient autant de défis que le sort lui jetait ; il n’en laissa tomber aucun, et fit face à tout à force de courage.

La province avait jusque-là suffi à son ambition ; il s’y était fait un nom par ses succès de collège, et ses professeurs s’accordaient à dire qu’un talent comme le sien serait mieux à sa place sur un théâtre plus élevé. On lui désignait Paris comme point de perspective. Il céda bientôt à ces conseils, peut-être aussi au sentiment de sa force ; cette foi qu’on avait en lui, il la partageait. En 1824, il quitta Toulouse ; il avait alors vingt et un ans. C’était beaucoup oser que de se jeter dans le tourbillon parisien sans appui, sans protecteur, et avec une très petite épargne. Il donna d’abord quelques leçons, s’instruisit en instruisant les autres, se mit en rapport avec les hommes distingués du temps. Des éducations particulières lui ouvrirent des maisons où il put se faire connaître et où on sut l’apprécier. Il ne parlait jamais sans émotion de cette période de sa vie où, au prix d’un travail sans trêve, il assurait le pain de sa mère en se trouvant lui-même transporté au sein d’une aisance à laquelle il n’était point accoutumé. Ce qu’il y avait d’assujettissant dans ses fonctions était tempéré par la dignité et la bonne grâce des procédés. En même temps il se recueillait et cherchait sa voie. Il y avait alors dans l’opinion quelque chose de sain et de vigoureux dont la génération nouvelle pouvait utilement s’inspirer. La France, volontiers changeante, était emportée du côté des idées libérales, et ne craignait pas de les défendre au prix de son repos. Derrière quelques noms illustres ou célèbres se rangeait le gros de la nation avec un sentiment de déférence et un esprit de discipline dont la tradition est désormais perdue. On avait un drapeau et des chefs ; les rôles se distribuaient selon les aptitudes : aux uns l’action, aux autres la parole et la plume. Faucher se rangea parmi ces derniers ; ses relations, ses études prirent cette direction, et comme il n’était pas de ceux qui s’engagent à demi, jusqu’à son dernier jour il y resta fidèle. Il n’ignorait pas que l’exercice de la liberté a ses périls, mais il savait aussi que sans elle il n’y a pour un peuple ni grandeur ni sécurité durables, que l’ordre où elle fait défaut est le pire des désordres, et qu’une décomposition lente atteint tôt ou tard les communautés qu’elle n’anime pas.

Dès qu’une occasion se présenta de faire publiquement ses preuves, Léon Faucher la saisit. L’académie de Lyon avait en 1827 mis au concours la cause des Grecs, qui luttaient héroïquement pour leur indépendance. Il envoya un mémoire et remporta le prix. D’autres travaux classiques suivirent cet heureux début. Quoique enchaîné par des éducations privées, il trouva le temps de traduire en grec une partie du Télémaque et de commencer une traduction d’Aristote. L’œuvre était avancée quand la révolution de 1830 condamna ces projets à un ajournement indéfini. Par l’avènement d’un nouveau régime, la presse politique allait être privée de ses meilleurs soutiens ; les uns entraient dans le gouvernement, les autres, désarmant après la victoire, ne se sentaient pas le goût de combattre ce qu’ils avaient contribué à fonder. Il fallait combler ces vides ; c’était un coup de fortune pour les aspirans, qui abondent en pareil cas. Des ouvertures furent faites à Léon Faucher : il entra dans le journal le Temps, et y eut bientôt marqué sa place. Ses premiers travaux embrassèrent une grande variété de sujets, l’histoire, les beaux-arts, la philosophie ; il y montra un jugement exercé, une érudition choisie, unis à un style ferme, précis et sobre. Quelques excursions dans le domaine de la politique ne furent pas moins goûtées ; il avait le ton, la mesure, la promptitude de coup d’œil qui conviennent. La vocation l’emporta de ce côté ; pendant douze ans, il resta attaché à divers journaux, soit comme rédacteur principal, soit comme rédacteur en chef : fonctions enviées et à un certain degré dignes d’envie, surtout à l’époque où elles échurent à Faucher, mais en même temps bien délicates pour un caractère comme le sien. Il était et voulait rester l’homme de son journal, responsable devant l’opinion, répugnant à s’infliger ces démentis qui sont la monnaie courante de la polémique quotidienne. Si de tels scrupules honorent un homme, ils lui sont en même temps un embarras. Aussi le publiciste eut-il souvent à se défendre contre ses amis et à soutenir ces luttes intestines où l’indépendance d’un organe politique est aux prises avec les influences et les intérêts qui en sont l’appui.

Dans le cours d’une de ces épreuves, il eut une inspiration malheureuse, trop liée au récit de sa vie pour qu’il soit possible de l’en séparer. On y verra ce que c’est qu’une spéculation de presse, même pour un talent aussi avéré que le sien. Il répugnait à Faucher d’être au service et à la merci d’autrui : d’un côté, il ne se sentait pas assez libre ; de l’autre, il ne lui était pas indifférent de faire de sa plume l’instrument de sa propre fortune. Ce calcul le conduisit à fonder une feuille qui fût bien à lui. Ses prétentions ne pouvaient, avec les moyens dont il disposait, s’élever bien haut ; il se contenta d’une périodicité hebdomadaire, dans l’espoir qu’un prix très réduit et un enseignement approprié lui vaudraient la clientèle des classes moyennes. Pour les premiers fonds, il fit un appel à ses amis de Paris et de Toulouse, et malgré l’insuffisance de ces ressources il passa outre : c’était pour lui, comme il le disait dans l’exaltation d’une vanité un peu naïve[1], ce qu’avait été pour César la conquête du Pont ; il s’agissait de vaincre à première vue. L’événement prouva bientôt que des abonnés ne se gagnent pas aussi facilement que des provinces, et que contre leurs résistances passives une campagne ne suffirait pas. De toutes les entreprises, aucune n’est exposée à autant de mécomptes que la création d’un journal ; plus d’un empire a coûté moins de temps et moins d’efforts. Que de bourses se refusent à une dépense purement facultative ! Pour combien c’est un caprice qui ne va pas au-delà d’un essai très limité ! À un mérite soutenu, il faut joindre la variété de plumes et surtout la vertu de la durée. Faucher n’avait pour son œuvre que le premier de ces élémens : il portait seul ou presque seul le poids de la rédaction, et il ne pouvait pas attendre. Sa combinaison le condamnait, sous peine d’échouer, à un succès immédiat. Il échoua après six mois de lutte et de sacrifices : une liquidation eut lieu, et aux désappointemens d’auteur il ajouta de son plein gré des blessures d’argent. Par une délicatesse rare, il ne voulut pas que ses amis portassent la peine de son illusion, et s’infligea le devoir de rembourser sur le produit de son travail le montant des actions qui avaient été souscrites. Cette libération ne s’acheva qu’à la longue, et Dieu sait au prix de quelle gêne ! On en suit les traces dans sa correspondance avec ses amis : « Plusieurs fois, écrit-il à M. Beaufer, je me suis vu réduit aux dernières extrémités ; montre, meubles, j’ai tout vendu. » Et ailleurs : « Il m’arrive de temps à autre d’être obligé d’aller demander à dîner à un ami, de me coucher faute d’huile dans ma lampe, et de jeter mon manteau sur mes épaules pour me tenir lieu pendant mon travail du feu qui ne brûle pas dans ma cheminée. Il a fallu, croyez-le, plus que du courage, avec ma santé délicate et souvent ébranlée, pour persévérer. Je n’ai à me reprocher ni un moment perdu, ni un plaisir pris. Ma vie est austère. » Ces peines ne sont rien auprès de celles qu’éprouve ce cœur fier et loyal à la pensée des délais qu’il est obligé de demander ; il s’en excuse, il veut supporter les intérêts qui courent ; il oublie ses privations pour ne songer qu’à celles dont sa mésaventure est la cause : « Si je m’étais laissé incarcérer à Clichy, s’écrie-t-il avec angoisse, tout serait perdu pour ma mère et pour moi ! » Cet état de crise ne fut pas le tourment d’un jour, ni de quelques mois, il dura plusieurs années ; les affaires de Faucher ne se remirent pas sans peine de cette fâcheuse spéculation.

À dessein j’ai insisté sur cet épisode ; on peut en tirer plus d’une leçon. Dans un temps où l’on dispose de l’argent d’autrui avec une conscience si aguerrie, il est bon de présenter comme contraste la manière dont un homme d’honneur envisageait ses obligations vis-à-vis des personnes qu’il avait engagées à sa suite. Peut-être Faucher poussait-il les choses jusqu’à l’exagération : en prenant toutes les pertes à son compte, il reculait les limites de sa responsabilité ; mais cet excès, si c’en est un, montre de quels sentimens il était animé. Il voulait marcher le front levé et ne se faisait pas à l’idée que ses erreurs de calcul retombassent sur d’autres que lui. De tels exemples n’ont qu’un tort, c’est de n’être pas contagieux. L’autre leçon qui se dégage de ce fait touche à la vie de l’écrivain. Voici un homme qui a un talent réel : il a montré ce qu’il vaut, il le montrera mieux encore ; mais avant d’être publiciste, député, ministre, membre de l’Institut de France, par quelles épreuves lui aura-t-il fallu passer ! Quelle lutte opiniâtre contre le besoin ! quelles longues années de tribulation et de gêne ! Que son courage eût faibli un seul jour, et cette carrière qui devait être bien remplie aurait été brisée dès le début. Faucher dut à la trempe de son caractère, à des principes solides et droits, de sortir entier et de plus en plus affermi de cette période des commencemens qui est recueil de tant de vocations et où s’abîment tant d’espérances. Volontiers la jeunesse jette un regard d’envie sur les hommes qui sont arrivés, il est bon qu’elle sache par quels chemins ils ont passé. Cette vie d’écrivain qui en apparence mène à tout est plus qu’une autre pleine d’avortemens. Le don naturel ne suffit pas, si l’esprit de conduite ne le fortifie et ne le relève. Nulle part l’individu n’est davantage livré à ses inspirations ; pas de cadre, pas de point d’appui, il ne trouve de règle qu’en lui-même. Il est libre de choisir, à la condition de ne pas se tromper dans son choix et de porter seul le poids de ses méprises. Tout est danger pour lui, le succès aussi bien que l’échec : le succès l’enivre, l’échec le décourage ; il a autant à se défendre des défaillances que des éblouissemens, et doit rester maître de lui dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Comment s’étonner que sur tant d’essais il y ait si peu de réussites, et que dans cette route où l’on s’engage par milliers, quelques-uns à peine échappent aux pièges dont elle est semée ?

Pour Léon Faucher, la crise qu’il venait de traverser ne fut que salutaire ; il vit plus clair dans sa position, et jugea mieux l’instrument qu’il avait entre les mains. Désormais il s’en tint à fournir son concours aux organes qui jouissaient de quelque crédit. Il n’avait fait que passer au Constitutionnel, où, comme rédacteur en chef, il courut la chance d’un duel avec Armand Carrel, qui, à l’appui de ses argumens de journaliste, montrait volontiers son ancienne épée de lieutenant. Sa collaboration au Courrier Français fut plus durable et plus assidue ; en 1839, à la mort de Châtelain, il en prit la direction politique. Pour d’autres, cette responsabilité n’était qu’un jeu ; il s’en fit un tourment. Toutes les feuilles obéissaient alors à l’influence d’un nom considérable ; elles attendaient le mot d’ordre et faisaient volontiers l’office d’échos. La prétention de Faucher fut de s’affranchir de cette servitude ; il lui répugnait de revêtir la livrée d’un homme ou d’un parti. Des combats qu’il eut à soutenir, celui-là ne fut ni le moins rude, ni le moins douloureux. Que d’assauts il essuya dans son propre camp tout en tenant tête à ses adversaires ! Un esprit moins opiniâtre y eût succombé ; il résista pourtant, et plutôt que de souffrir un empiétement, il laissa le vide se faire autour de lui. À aucun prix, il n’eût supporté de patronage apparent. Au fond, cette disposition avait quelque chose de louable ; chez Faucher, elle était si naturelle que vainement on eût essayé de l’ébranler. Il est des hommes, même éminens, qui doutent de leur force, réclament les conseils, aiment à vérifier leurs idées par l’expérience d’autrui, ont besoin d’un assentiment pour se confirmer dans leurs opinions, et les modifient de bonne grâce quand un nouveau jour s’y répand. Faucher ne ressentait rien de pareil ; sa conviction n’avait rien de flottant ni d’indécis ; une fois formée, il n’en revenait plus. C’était une confiance absolue qui éclatait jusque dans l’expression. Ces schismes intérieurs aboutirent à un délaissement, qu’aggravait une révolution survenue dans la presse périodique. Depuis quelques années, de nouvelles feuilles à prix réduits minaient l’existence des anciens journaux. Le Courrier Français était au nombre de ces derniers ; sa clientèle allait diminuant ; l’un de ses principaux actionnaires, M. Aguado, venait de mourir. Une vente publique eut lieu, dans laquelle Faucher se porta acquéreur avec la pensée d’introduire dans la feuille, s’il en restait maître, des améliorations et des réformes. Son offre fut dépassée et n’aboutit pas ; quelques instances qu’on y mît, il se retira devant ce changement de propriété.

Ce fut pour lui un grand soulagement, et il s’en ouvrait à ses amis en 1842 en leur annonçant sa retraite. « Il valait mieux pour moi, leur dit-il, ressaisir ma liberté entière ; je l’ai fait. Je ne rentrerai plus dans la politique active que par la chambre. En attendant, j’écrirai des livres et des articles de revue. » Aucun parti n’était plus judicieux. Entre l’improvisation quotidienne et le recueillement qu’exigent des travaux de longue haleine, il y a, quoi qu’on fasse, une sorte d’incompatibilité. Sollicité par le temps et assiégé d’impressions éphémères, l’esprit est rarement libre, les vues sont courtes, le style n’est plus suffisamment châtié, Faucher le comprenait, et au milieu de ses engagemens il avait trouvé la force de poursuivre des études plus sérieuses et plus approfondies, où sa pensée se retrouvait dans son élément naturel. Les principales trouvèrent place dans ce recueil ; il y traita divers sujets de finances, d’économie sociale, d’administration et de politique[2]. Ces morceaux furent remarqués pour la clarté des aperçus, la patience des recherches, le ton ferme de l’écrivain. Des emprunts heureux faits aux sources étrangères en augmentaient l’intérêt et donnaient lieu à des rapprochemens où l’à-propos se mêlait à l’érudition. Çà et là des défauts de jeunesse peuvent se relever ; sur divers points, le jugement de l’auteur est excessif, et n’a pas rencontré la vraie mesure. Ainsi, dans un parallèle entre la presse anglaise et la nôtre, il nous place bien haut et nos voisins bien bas ; il eût été de bon goût de se montrer plus juste. Même alors les nuances que signalait Faucher étaient forcées ; elles le paraissent encore plus aujourd’hui. Peut-être faut-il expliquer cette exagération par les circonstances où il écrivait. Il voyait commencer parmi nous le règne de l’annonce, et, pénétré de ses devoirs d’état, il essayait d’arrêter le journal sur cette pente, qui lui paraissait aboutir au trafic des opinions. De là un tableau de fantaisie qui rendait mieux ses propres impressions que la réalité des faits : pour empêcher la profession de déchoir, il l’entourait d’une auréole et y traçait un modèle.

Des ouvrages plus considérables avaient encore marqué cette période des débuts. L’un d’eux traitait de la Réforme des Prisons ; un autre, sous le titre d’Union du Midi, se rattachait à un plan général de réformes dans notre tarif des douanes. Sans insister sur le premier, on peut dire qu’il résume en quelques pages tout ce que la question pénitentiaire offrait et offre encore de problèmes, d’embarras et de difficultés. Faucher y propose plus d’expédiens que de doctrines, des idées plus ingénieuses que vérifiées, des classemens qui auraient besoin de la sanction de l’expérience, et dont les dépenses d’exécution sont plus manifestes que l’efficacité. Une idée pourtant y est en germe, c’est celle des pénitenciers agricoles, qui ont pris récemment quelque crédit. Si dans tout cela l’homme de bien est toujours en évidence, le criminaliste laisse parfois à désirer. Le second ouvrage est de beaucoup supérieur. L’auteur entre dans un sujet qui allait lui devenir familier, et par des titres solides lui ouvrir les portes de l’Institut. Déjà, par les articles qu’il livrait au courant de la presse, on avait pu juger que la science économique avait peu de secrets pour lui ; il y suivait les voies ouvertes par les maîtres, en connaissait la langue, en professait les principes. L’Union du Midi prouva mieux que cette érudition n’avait rien de superficiel, et qu’au besoin elle irait jusqu’au fond des choses. Faucher ne se résignait pas à voir dans l’économie politique une arme de luxe, destinée à ne pas sortir du fourreau ; il éprouvait quelque impatience à la sentir renfermée dans les écoles ; il lui semblait que, sans cesser d’être spéculative, comme il convient à une science, elle avait tout à gagner à devenir plus expérimentale. Le champ était si vaste et le bienfait si grand pour les peuples qui les premiers s’affranchiraient des entraves d’une législation surannée ! Comment en venir là ? En cherchant des solutions pratiques au lieu de s’enfermer dans les théories. La solution que proposait Faucher ne manquait pas d’originalité. Dans la disposition des esprits, la forteresse des tarifs ne pouvait pas être emportée de front ; il s’ingénia pour la tourner. Justement alors l’Allemagne offrait un curieux spectacle. La plupart de ses petits états, renonçant à une fiscalité hétérogène qui nuisait à l’activité commune, venaient de s’unir à la Prusse dans une confédération des douanes qui est connue, sous le nom de Zollverein. C’est de cet exemple que l’économiste s’inspira. Il conseillait à la France de former, avec la Belgique, l’Espagne et la Suisse, une confédération analogue sous l’empire d’un tarif uniforme. Plusieurs avantages étaient attachés à cette combinaison, et l’auteur les faisait valoir : un marché plus étendu, des frais de perception moindres, enfin, et c’est ce qui le touchait le plus, un retour à des droits plus modérés amené par des convenances réciproques. Des tableaux à l’appui éclairaient et complétaient ce travail. L’effet en fut bon sur les meilleurs juges, bon également sur cette portion du public qui, dégagée de préventions, cherche un enseignement dans des lectures sérieuses ; mais l’accueil fut tout autre de la part de ceux, dont les intérêts s’accommodaient mal d’un changement de régime. Ils étaient les maîtres, et ne se laissaient entamer ni en bloc ni par le détail. Aussi le plan de Faucher fut-il emporté par le flot d’opinion qui en avait emporté tant d’autres. Au fond, même pour un esprit libre, ce plan soulevait plus d’une objection. Il s’agissait d’établir un concert là où régnaient de profondes incompatibilités, par exemple entre l’Espagne et la Suisse, l’une livrée au monopole, l’autre en possession d’une complète franchise. À l’exécution, un échec certain eût attendu les négociateurs. L’auteur sentit ce point faible, et plus tard, en s’amendant à propos, il limitait à la Belgique son projet d’alliance de douanes.

Ces diverses publications, prises sur les heures disponibles que lui laissait le soin de son journal, indiquaient ce que Faucher pourrait faire avec plus de loisir et d’indépendance. Sa position était désormais assurée. Il avait épousé en 1837 Mlle Alexandrine Wolowska, fille d’un ancien député à la diète de Pologne, et sœur de M. Wolowski, qui devint pour lui un frère d’armes, un compagnon et un émule dans les mêmes travaux. Sa mère venait de s’éteindre, entourée de soins, son frère était hors d’embarras. Il avait trouvé dans son mariage, avec une certaine aisance, les joies et les consolations du foyer, et dans la compagne de sa vie les dons de l’esprit unis aux qualités du cœur. Ce fut donc sans trouble qu’il renonça au revenu régulier et important qu’il tirait de sa position dans la presse quotidienne. Il savait qu’il n’en retrouverait pas l’équivalent dans des travaux plus achevés, dont le temps est l’auxiliaire ; il y était résigné : il était de ceux qui préfèrent la considération à la fortune. Fallût-il pour cela souscrire à quelques sacrifices, il y était résolu. Sa correspondance en témoigne. « Nous allons encore faire des réformes, écrivait-il[3], diminuer notre loyer, notre, état de maison, nos dépenses extérieures, et nous réduire au plus strict nécessaire. Nous n’en serons pas plus malheureux. » Son parti une fois arrêté, il se mit à l’œuvre, et commença dans cette Revue la série de ses Études sur l’Angleterre, qui prirent les proportions d’un ouvrage auquel il consacra deux années de recherches et de travaux. Ce n’est pas uniquement dans les livres ni dans les documens officiels qu’il en puisa les élémens ; il voulut s’éclairer par ses yeux, vérifier lui-même jusqu’à quel point étaient fondées les lamentables enquêtes qui se succédaient devant le parlement. Il vit donc avec soin l’Angleterre et Écosse, séjourna dans les grandes villes, parcourut les districts manufacturiers, les ports de commerce, recueillant partout des informations sur les mœurs, les habitudes, les intérêts des diverses classes, surtout de celles qui vivent du salaire et pèsent sur l’économie d’une société par le nombre autant que par les besoins. Cette inspection achevée, il en dégagea pour ainsi dire la substance, classa les témoignages, résuma ses impressions, et les livra à la publicité. Ces Études eurent un succès réel et légitime ; le talent de Faucher s’y montrait dans toute sa maturité, plus contenu dans ses appréciations, moins impétueux dans la forme. La réputation de l’auteur en fut mieux assise, et ce livre est resté le titre le plus saillant, le plus durable auquel il ait attaché son nom.

Aujourd’hui que les Études sur l’Angleterre sont classées et qu’elles ont résisté à l’épreuve du temps, on peut avec une entière liberté d’esprit en signaler les imperfections. L’ouvrage a une date et en porte trop fortement l’empreinte ; il se ressent d’influences accidentelles. Lorsque Faucher visita l’Angleterre en 1843 et 1844, elle était livrée au trouble intérieur qui précède les grandes réformes. Ce trouble avait quelque chose d’artificiel dont un jugement comme le sien aurait dû mieux se défendre. De parti-pris on empirait les faits pour trouver dans l’émotion publique un point d’appui contre les résistances des corps constitués. Ces mises en scène sont fréquentes chez nos voisins, et ils n’épargnent rien pour en grossir l’effet. N’a-t-on pas vu récemment, à propos de la défense des côtes, éclater une panique dont l’imagination faisait les frais, et qui a couru sur tous les comtés, accompagnée d’un long bruissement d’armes ? Il s’agissait de disposer l’opinion à une forte demande d’argent : une fois les millions votés, l’effervescence s’est calmée toute seule, et peut-être en rougit-on maintenant. Le cas était le même quand Faucher débarqua sur le rivage anglais ; l’objet en litige était l’abolition des lois sur les céréales, avec deux camps en présence, celui des propriétaires du sol, celui des grands manufacturiers. De part et d’autre on employait les armes accoutumées, l’exagération des faits et du langage. L’accord existait sur un point, la détresse des ouvriers ; seulement on en tirait des conséquences opposées. Les manufacturiers l’attribuaient au prix des denrées et demandaient la franchise à l’entrée pour tous les produits alimentaires ; les propriétaires l’imputaient à l’abus que les manufacturiers faisaient de leur position et ne voyaient de remède au mal que dans une surveillance plus grande exercée sur le régime des industries et un développement généreux des institutions charitables. La devise des uns était l’aisance dans la liberté, celle des autres l’aumône dans le privilège. On comprend dès lors quel esprit anima les enquêtes qui se multiplièrent pendant les huit années où la question resta en suspens. Les deux partis avaient un intérêt à les rembrunir, soit pour exciter les libéralités volontaires, soit pour arracher au parlement des mesures auxquelles la majorité de ses membres répugnait. Dans tout cela, il y avait un but à emporter, un effet à produire, et en de telles mêlées le regard se trouble, la tête s’enivre, soit qu’on s’y engage comme champion, soit qu’on y assiste comme témoin.

Pour un observateur étranger, ce spectacle, en même temps qu’il éveillait sa curiosité, devait être un motif de réserve. Il fallait juger l’idée fixe du moment, la dominer et ne pas se mettre à sa suite. La ligne de conduite, il est vrai, était difficile à tenir. Comment se garder des pièges ? Même dans les observations personnelles, à quelles mains un étranger était-il livré ? Naturellement aux mains des hommes qui avaient acquis une certaine notoriété au sujet de ces matières. Ils étaient des moniteurs pour ainsi dire désignés et ne pouvaient diriger les recherches que dans le sens de leurs déclarations publiques. Une enquête réduite à ces termes n’était guère que le reflet de leurs opinions. À quel contrôle recourir ? Tous les partis trempaient par calcul dans un système de dénigrement ; tous s’accordaient à présenter les choses sous les couleurs les plus sombres. Faucher vit l’Angleterre comme on la lui montrait, et le tableau qu’il en a tracé n’a rien de flatteur. La civilisation anglaise y est accompagnée d’un tel cortège de misères, qu’en quittant le livre on se prend à plaindre plutôt qu’à envier un peuple qui se résigne à un pareil sort. Çà et là, l’auteur fait bien quelques retours ; à côté de tant d’ombres, il place un peu de lumière, rencontre des peintures vraies, rendues avec un grand bonheur d’expressions, dégage ses lecteurs de cette atmosphère malsaine pour leur faire respirer un air plus pur ; mais l’ensemble n’en est pas moins triste et morose. On va jusqu’au bout, car le récit est attachant et l’intérêt n’y faiblit pas : on en sort le cœur oppressé. On se demande si c’est là qu’aboutissent fatalement les nations qui disposent d’elles-mêmes, et si ces dégradations sont inséparables de l’exercice de la liberté. Tel est recueil et peut-être aussi l’attrait de ces deux volumes. Il y a tant de gens dans le monde qui font profession de croire que l’homme est né pour la dépendance et que les plus heureux sont ceux qui, aliénant leurs droits de bonne grâce, s’affranchissent du souci de chercher leur propre destinée dans des voies laborieuses ! Faucher a ainsi, sans le vouloir, fourni des armes à nos adversaires communs, et c’est un motif de plus pour restituer aux choses leur véritable caractère.

Sans doute la civilisation anglaise, quand l’auteur des Études l’observa, avait des plaies nombreuses, les unes provenant de mauvaises lois, les autres des emportemens et des vicissitudes de l’activité individuelle. Les premières étaient susceptibles de guérison, et devant les réformes récentes beaucoup ont disparu. Les secondes sont malheureusement inhérentes au régime des industries comme à toutes les autres formes du travail humain ; un traitement judicieux peut les atténuer : elles n’en persistent pas moins avec des symptômes divers. Partout où l’homme use librement de ses aptitudes et de ses forces, les inégalités naturelles se réfléchissent mieux dans la différence des conditions. Le classement se fait en raison de l’énergie et de l’habileté ; ceux-ci prennent les devans, ceux-là restent en arrière. Des premiers rangs aux derniers, les distances sont plus grandes. C’est ce qui a lieu en Angleterre. Il y a là plus qu’ailleurs comme un sédiment qu’abandonne dans sa course le flot du travail, et qui se compose de ce qu’il contient de plus impur. Qu’on y porte la loupe et qu’on en fasse l’analyse, soit, mais à la condition que cet examen ne sera pas exagéré au point d’affecter la valeur de l’ensemble. Pour beaucoup d’observateurs, c’est une pierre d’achoppement. La passion du détail les emporte jusqu’à nuire à la rectitude du coup d’œil, et dans la recherche des accidens particuliers ils oublient ou méconnaissent les phénomènes généraux. Ces erreurs sont d’autant plus graves qu’elles sont sincères et empreintes d’une émotion contagieuse. On est touché comme l’auteur, saisi comme lui de cette pitié qui s’attache au spectacle de la misère et de la souffrance. L’impression est produite, peu y résistent, beaucoup n’en reviendront pas ; d’autres s’en serviront comme d’un moyen à leur convenance et y ajouteront leurs commentaires. Il s’ensuit que des faits même vrais se dénaturent à raison du relief qu’on leur donne et du cadre dans lequel on les place. Tôt ou tard l’autorité d’un ouvrage s’en ressent ; le temps par exemple n’a pas épargné les démentis au livre dont nous parlons. L’Angleterre industrielle d’aujourd’hui n’est plus celle que Faucher a décrite ; ces troubles passagers ont en grande partie cédé à la force vitale qui réside dans ses institutions. Qu’a-t-il fallu pour opérer ce changement ? Que le travail d’enfantement dont l’auteur des Études n’a vu que les douleurs arrivât à son terme, et aboutît à une heureuse délivrance. Depuis les réformes introduites dans la législation économique, un soulagement manifeste a eu lieu dans le domaine du travail populaire. Les salaires seront élevés, l’activité s’est soutenue, les crises ont été moins fréquentes et moins graves : les révoltes, les coalitions, les animosités de classes ont désarmé en partie devant les satisfactions données à l’intérêt ; les mœurs enfin, qui répondent à l’état des besoins, ont gagné tout le terrain que laissait libre l’amélioration des moyens d’existence. Il a donc fallu peu d’années pour que les peintures de Faucher aient vieilli, et qu’elles soient reléguées dans l’histoire du passé. Ce n’est pas qu’il n’y ait encore, pour quelques détails, l’équivalent de ce qu’il a vu et observé ; on pourrait, en les isolant, reproduire les teintes trop sombres dont il a souvent chargé sa palette. Ainsi il existait naguère, à Coventry, dans l’industrie des rubans de soie, une détresse aussi profonde qu’aucune de celles dont l’Angleterre ait jamais eu à souffrir. Le traité de commerce, dont une partie est pour nous à longue échéance, a causé chez nos voisins, par une brusque et immédiate application, des dommages partiels auxquels ils ont souscrit pour mettre un grand principe à l’abri et au-dessus de toutes les exceptions. Plus récemment encore, parmi les ouvriers des ports, la misère a sévi à Londres, quand la rivière, prise par les glaces, a laissé les bras sans occupation et les familles sans salaires. Quoi de plus aisé que de prendre à part ces accidens de la vie laborieuse, d’en forcer les termes, d’en charger les couleurs, et de présenter ces tableaux sous un tel jour, que tout le reste s’y absorbe pour ainsi dire et s’y confonde ?

Ce n’est pas ainsi qu’on se fait d’un peuple une idée juste, et saine, qu’on lui assigne son véritable rang. L’objet essentiel est de bien faire sentir ce que vaut la race, ce que valent les institutions qu’elle s’est données. Aucun titre n’est l’équivalent de celui-là, il doit rester présent à l’esprit et dominer les autres. Tant qu’un peuple garde en ses mains l’instrument de guérison, le mal n’est que secondaire ; tout s’amende et se répare grâce au travail constant de l’opinion, que fortifie le combat, qu’éclaire l’expérience. Il n’est plus question en ce cas d’octrois gracieux que peut retirer la main d’où ils sortent, mais de conquêtes raisonnées, d’autant plus durables qu’elles ont plus coûté à obtenir. Ainsi procèdent les états où les citoyens considèrent comme le premier des biens la faculté de se gouverner eux-mêmes, avec l’assurance que les autres biens leur arriveront par surcroît. Libres d’agir, ils ne peuvent ni faillir ni s’abstenir sans engager leur responsabilité ; ils sont incessamment mis en demeure de modifier ce qui gêne, de secourir ce qui souffre, de relever ce qui se dégrade, de préserver et de rehausser la dignité commune. Ces obligations n’ont rien d’arbitraire, elles font partie du droit qu’on exerce, et ne sauraient s’en séparer. Une liberté sérieuse ne se fonde et ne se maintient qu’à la charge de s’étendre et de profiter à tous. Telle est la vue supérieure qui devrait prévaloir quand on parle de la Grande-Bretagne et de la condition de ses habitans. Cette vue n’est pas dans le livre de Faucher suffisamment accusée, et quand elle se montre, elle est submergée dans les détails. Nul plus que l’auteur n’en connaissait le prix ; son caractère en est le garant, et sa vie le prouve. Le temps où il écrivait explique seul cette réticence volontaire. Entre l’Angleterre et nous il n’existait alors que des analogies, et l’on pouvait regarder de moins près à ce que les deux pays empruntent de force et de vertu aux institutions. Depuis que les contrastes ont commencé, il est bon de rappeler, quand l’occasion s’en présente, que dans l’ordre des influences les principes sont seuls déterminans, et que tôt ou tard les faits s’y subordonnent. Les faits passent, les principes persistent, à l’honneur et à l’avantage des peuples qui y sont restés fidèles.


II

On a vu qu’en renonçant à la direction d’un journal, Léon Faucher s’était promis de ne rentrer dans la politique active que par la chambre. Cette ambition n’avait rien d’excessif, soutenu qu’il était par la conscience des services qu’il pourrait rendre ; elle pouvait passer pour prématurée sous le rapport des chances à courir. On n’entrait pas alors de plain-pied dans le monde parlementaire. Il fallait pour en forcer les portes, ou un grand nom que se disputaient tous les collèges, ou une position bien établie dans un collège déterminé. L’appui du gouvernement n’avait qu’une médiocre valeur ; l’appui d’un parti ne se donnait pas à l’aventure et sans conditions. Pour les candidats qui n’avaient ni une autorité acquise, ni une position locale, ni un patronage influent, l’entreprise était pleine de difficultés. Chaque élection demandait à être traitée à part, étudiée dans ses élémens, conduite par des moyens particuliers. Rien n’y ressemblait aux surprises que nous donne le suffrage universel, ce curieux instrument qui, en changeant de mains, passe des mouvemens les plus désordonnés à une précision presque mécanique. On était en présence de censitaires moins nombreux et plus susceptibles qui, dans un mélange d’opinions et de calculs, ne négligeaient pas, il est vrai, ce qu’un député pourrait leur valoir, mais cherchaient surtout et en première ligne à s’assurer de ce qu’il valait par lui-même.

Avec son intrépidité et sa confiance ordinaires, Faucher ne songea point aux risques et ne vit que le but. Dès 1840, il entra en campagne. Le mandat était d’autant plus couru qu’il était plus sérieux ; il menait aux honneurs et à la puissance : aussi ne l’obtenait-on qu’au prix de beaucoup d’efforts. Le candidat en fit l’expérience. Pour ses débuts, il avait accepté, sur les instances de ses amis, une partie presque désespérée. C’était à Corbeil, dans un arrondissement qui envoyait régulièrement à la chambre un des plus riches et des plus honorables propriétaires du ressort, M. Darblay aîné. Certain d’être battu, Faucher n’en fit pas moins bonne contenance. Il avait en face un zélé et habile défenseur des tarifs, un auditoire d’agriculteurs qui n’entendaient pas raillerie sur ce chapitre ; pour un économiste, le cas était embarrassant. Un champion moins résolu eût caché son drapeau ; Faucher tint le sien d’une main ferme, il voulait garder l’estime de ceux dont il n’aurait pas les suffrages. L’échec était prévu, il ne s’en découragea pas et n’en eut que plus de goût pour les émotions de la lutte. Partout où il y avait un vide à remplir, un essai à faire, il n’épargnait pas ses efforts. À Saint-Valéry, en 1842, il arrive trop tard, les voix sont engagées. À Reims, en 1844, la chance est meilleure sans aboutir à un succès. Cette fois ce sont les électeurs de l’opposition qui, d’eux-mêmes, jettent les yeux sur lui, l’envoient chercher en poste et offrent de le porter au siège que la mort de M. Houzeau-Muiron laissait vacant. Il se décide, monte en voiture et trouve sur les lieux un compétiteur redoutable, M. Chaix-d’Est-Ange, qui comptait dans le pays cinq victoires contre une défaite. Les inégalités de ce duel n’ébranlent pas Faucher ; il croise le fer, et s’il tombe, c’est pour se relever dans une revanche. À deux ans de là, en 1846, cette revanche a lieu ; elle a laissé une date dans les éphémérides électorales. Les concurrens se serraient de si près que trois scrutins furent nécessaires pour former une majorité définitive. Faucher l’emporta, mais au prix de quels assauts ! Huit jours entiers il resta sur la brèche pour attaquer ou se défendre. Reims était partagé en deux camps, et une telle agitation y régnait que les premiers transports de la victoire n’eurent pas un caractère moins rude que les fatigues du combat.

Entré à la chambre, le député se montra digne de l’honneur qu’on lui avait fait ; il marqua sur-le-champ parmi les membres les plus laborieux. Ses forces ne le servaient pas toujours au gré de son zèle ; il y suppléa par une énergie vraiment infatigable. Les questions de finances, de douanes, de liberté commerciale, lui appartenaient à plus d’un titre ; il s’en empara dès qu’elles se présentèrent, les agita dans les bureaux avec tact, avec justesse, avec mesure, et trouva ainsi accès dans un grand nombre de commissions. Au besoin, il joignait à la réserve une hardiesse qui devançait les temps. En avril 1847, un projet de loi proposait d’abaisser à 250 francs la coupure du billet de la banque de France ; Faucher demanda par un amendement que cette coupure descendît à 100 francs. Aujourd’hui ces billets nous sont devenus familiers ; c’était alors une grande nouveauté. L’orateur prouva, dans un fort bon discours, que sa limite pouvait être adoptée avec avantage ; il cita l’Angleterre, la Russie, l’Autriche, nos propres banques de départemens, comme des exemples à l’appui. L’amendement fut rejeté, les esprits n’étaient pas mûrs ; il fallut la violente secousse que les événemens allaient imprimer aux institutions de crédit pour emporter un résultat que Faucher voulait obtenir d’un libre consentement. On a pu voir à l’essai combien ses vues étaient justes et quels bénéfices devait recueillir la circulation d’une combinaison aussi commode que profitable, qui a promptement pénétré dans les habitudes. Dans une autre circonstance, il ne montra ni moins de décision ni moins de bon sens. L’insuffisance des récoltes avait renchéri le prix des denrées ; on cherchait des expédiens pour y remédier. Faucher profita de l’occasion pour parler le langage des principes à une chambre qui les tenait pour suspects et poussait les préventions jusqu’à l’intolérance. De concert avec un petit nombre de collègues que n’effrayait pas leur isolement, il demanda que la franchise des droits fût étendue à tous les produits alimentaires. En temps de disette, la prétention n’avait rien d’excessif ; il semblait que pour le soulagement des classes nécessiteuses tous les partis devaient s’y rallier. Elle avorta pourtant devant la coalition permanente des intérêts agricoles et manufacturiers ; la majorité de la chambre n’entendait pas qu’on lui forçât la main ; elle ne cédait aux circonstances, si impérieuses qu’elles fussent, que ce qu’elle n’aurait pu défendre sans danger pour la paix publique ; elle avait cette faiblesse commune à tous les pouvoirs qui ne voient d’autre horizon que le leur, et ne savent ni s’abstenir de ce qui leur convient, ni aller au-devant de ce qui les menace.

Ces travaux parlementaires ne suffisaient pas à l’activité de Faucher ; il était mêlé au dehors à tout ce qui s’agitait dans l’ordre de ses idées. L’association qui s’était formée à Paris pour répandre les notions de la liberté commerciale n’avait pas de plus infatigable athlète ni de défenseur plus dévoué. Dès le début, il entra dans le comité d’exécution, et s’il en sortit pour quelques dissidences de détail, son concours n’en fut pas moins actif pour propager les idées de l’association. On le trouvait toujours prêt à payer de sa personne dès qu’il s’agissait d’un engagement décisif. À diverses reprises, il parut sur l’estrade des réunions publiques qui se tenaient dans la salle Montesquieu, et y aborda avec autant de bonheur que de solidité une grande variété de sujets appropriés à un auditoire qu’il fallait instruire en le captivant. La tâche n’était point aisée. L’économie politique, — c’est un reproche qu’on lui a fait, — n’est pas une science amusante ; on ne lui donne de l’intérêt qu’avec une certaine dextérité dans la parole. Faucher mit cet art au service de la vérité. Il sut écarter les considérations abstraites pour s’en tenir à ce que la doctrine a d’élémentaire, ménagea l’attention des assistans, ne les conduisit pas dans les labyrinthes où l’obscurité commence, ne leur débita, en fait d’argumens et de chiffres, que ce qu’ils pouvaient raisonnablement supporter. Il fut très écouté, très applaudi. Cette chaire pour lui était une sorte de préparation ; il s’y formait pour la tribune. Dès lors on put voir qu’il avait les qualités essentielles de l’orateur. Il se possédait, restait maître de ses émotions, classait bien ses idées, les faisait manœuvrer avec méthode, les revêtait d’une expression concise, régulière et vigoureuse. Une verve soutenue, un tour belliqueux animaient ses discours au point de leur donner, même dans les matières qui le comportaient le moins, les apparences d’un défi. Un peu plus de liant n’en eût que mieux assuré l’effet. Le jeu de la physionomie, le geste même participaient de ces formes rigides ; on eût dit une sorte de violence exercée sur les convictions rebelles. En revanche, ces improvisations ont un mérite qui n’appartient qu’à un petit nombre d’orateurs ; elles soutiennent la lecture. Même à la distance où nous sommes des circonstances qui les ont inspirées, on y retrouve une clarté d’exposition, une abondance de renseignemens qui conservent une partie de leur prix et resteront, pour plusieurs sujets, comme une date à recueillir ou un mémoire à consulter.

Sur ces questions de doctrine, Faucher était libre ou à peu près ; ses électeurs, en le nommant, s’étaient presque désistés. Il est à présumer néanmoins que cette indépendance ne fut pas conquise sans quelques tiraillemens, quelques résistances de l’industrie locale. Le respect des principes ne va jamais, chez les fabricans, jusqu’à l’oubli de leurs intérêts, et, en faisant bon marché d’autrui, ils s’exécutent difficilement pour leur propre compte ; mais les soucis de ce genre n’étaient que secondaires pour le député de Reims : il en eut d’autres beaucoup plus graves. Sa nomination avait surtout un caractère politique, on le lui fit sentir plus d’une fois. Comme d’habitude, ceux qui avaient mené la campagne appartenaient à la partie la plus ardente de l’opposition ; ils avaient été à la peine, ils voulurent être à l’honneur. Leur prétention était que le député de leur choix ne demeurât étranger à rien de ce qui se faisait pour agiter le pays et exciter les passions populaires. Dans leurs correspondances, ils ne ménageaient pas les conseils, penchaient vers les moyens extrêmes, y poussaient à coups d’aiguillon. Au fond, Faucher était un esprit modéré : il avait un goût sincère pour le régime établi ; il entendait le raffermir par des améliorations opportunes et non l’ébranler par des imprudences. Il sentait dans l’air comme un vertige dont il essayait de se défendre, et, s’appuyant sur la liberté de son mandat, il cherchait sa voie entre ceux qui voulaient tout conserver et ceux qui voulaient tout détruire. Aussi résista-t-il souvent à ses amis de la Marne, et dans la chambre il ne suivit pas sans trouble le parti auquel il tenait par une communion d’origine et de sentimens. Deux actes importans entretenaient dans le pays un état de crise, la réforme électorale et les banquets : il se prononça nettement pour la réforme, dans laquelle il voyait un instrument de salut ; il ne s’associa qu’avec répugnance aux banquets, qui lui semblaient être une arme de guerre. S’il en présida un à Reims, il en atténua le caractère hostile en portant lui-même et en première ligne la santé du roi. Cette modération qui tranchait sur les passions du moment ne l’abandonna pas durant toute la période qui précéda l’écroulement de la monarchie. Dans les réunions particulières de l’opposition, il repoussait ce qui pouvait fournir un aliment aux agitations du dehors. Les résolutions une fois prises, il cédait par une faiblesse assez singulière chez un tel caractère ; c’est ainsi qu’il mit sa signature au bas de la demande d’accusation contre le ministère. Malgré eux, sous l’influence extérieure, les esprits s’emportaient, même dans la chambre. Les fautes étaient diverses, le châtiment allait être commun ; les uns furent frappés pour avoir trop résisté, les autres pour avoir trop agi. Pour tous, hors un bien petit nombre, le tocsin de la révolution de février n’eut que des sons lugubres. Léon Faucher assista avec douleur à la séance où le gouvernement représentatif, abandonné par la force armée, succomba devant une poignée de factieux. L’un des derniers, il quitta cette enceinte envahie et rentra chez lui le désespoir et l’humiliation dans l’âme. Il prévoyait où aboutirait le coup sacrilège que la nation s’était porté à elle-même. Ni sa position, ni ses chances personnelles ne le touchaient autant que les destinées publiques, livrées désormais à toutes les expériences. Tomber sans avoir combattu lui était une douleur intolérable.

Dès le lendemain, il se remit en mouvement, courut chez plusieurs de ses collègues, leur proposa de se retirer dans un des forts environnans, d’y rallier les troupes restées fidèles, et d’y créer, avec les débris de la représentation légale, un point d’appui pour la véritable opinion du pays, violentée et surprise. Ce plan reposait sur une illusion, mais c’était une illusion généreuse ; il en coûta beaucoup à Faucher d’y renoncer. Ses devoirs de député avaient cessé, il ne se tint pas pour quitte de ceux de citoyen. Les rues de Paris étaient le siège de désordres menaçans ; il y descendit le fusil à la main sous l’habit de garde national. Le gouvernement provisoire songeait à la revendication des chemins de fer moyennant indemnité ; comme administrateur du chemin de l’Est et comme délégué des autres compagnies, il prit en main la cause du respect des contrats, et vint en aide aux ministres du gouvernement provisoire qui, au milieu de tant de vertiges, avaient conservé l’usage de leur raison. Quand l’empirisme eut ouvert ses chaires au Luxembourg et dans les clubs, entraînant à sa suite des légions d’ouvriers mal conseillés par la misère, il s’attaqua dans la Revue[4] aux systèmes insensés qui, substituant l’état à l’individu dans le domaine du travail, partaient d’une violence pour aboutir à un préjudice et à une injure. Il rappela à cette foule égarée que, partout où s’exerce l’activité de l’homme, la meilleure garantie de la justice est la liberté, qu’il n’y a de contrats sérieux que ceux dont les parties peuvent discuter les termes et qui reposent sur un mutuel consentement, que toutes les combinaisons jetées en pâture à la crédulité populaire promettaient ce qu’elles ne pouvaient tenir, blessaient la dignité des ouvriers autant que leurs intérêts, et, odieuses au plus haut point, avaient encore le tort d’être radicalement impuissantes. À l’appui des principes, il citait des faits, entrait dans la réfutation de systèmes qui n’avaient d’autre consistance que l’émotion dont ils étaient cause et les noms significatifs qui s’y attachaient. Faucher n’y usait pas de ménagemens, il disait avec vigueur et avec courage ce qui était alors dans la conscience de tous les gens de bien. Ces publications répondaient à un besoin si urgent que l’assentiment du public prit la forme la plus immédiate et la plus naturelle. Au mois d’avril 1848, le département de la Marne eut à envoyer des représentans à l’assemblée constituante. Léon Faucher passa en tête de la liste avec 84,000 voix : le mandat dont la force l’avait dépouillé lui était rendu par un libre et presque unanime suffrage. Si l’honneur était grand, les risques ne l’étaient pas moins : jamais assemblée ne se réunit sous l’empire de circonstances plus critiques. Les classes que, par le droit du vote, on avait appelées à participer à l’exercice du pouvoir n’avaient de ce pouvoir ni la notion ni le respect ; elles étaient plus disposées à l’insulter qu’à s’y soumettre. De là ces journées du 15 mai, du 24 juin, qui laisseront des dates ineffaçables dans l’histoire des égaremens populaires. Faucher s’y montra à la hauteur de ses devoirs, ardent pour la lutte et ferme devant le danger ; il s’associa aux efforts de M. de Falloux pour amener le licenciement de cette armée de l’émeute dont sciemment ou involontairement on avait laissé se former les cadres dans les ateliers nationaux. Quand la guerre civile se fut éteinte dans le sang, il fallut reconstituer sur des débris un gouvernement qui donnât aux hommes paisibles quelques garanties, et à l’activité du pays quelque espérance de renaître. Le représentant de la Marne eut sa part dans cette œuvre de réparation, plus lente et plus laborieuse que les revanches de la force. Il s’agissait de reprendre pied à pied le terrain que le désordre avait envahi, de ramener dans un lit nouveau les institutions débordées et d’en assurer le cours par quelques digues. Neuf mois de session permanente, mêlés d’incidens orageux, suffirent à peine à une portion de cette tâche. Faucher ne s’y ménagea point ; il défendit vaillamment nos finances, et contribua à faire écarter tout ce qui leur eût porté une atteinte irréparable, comme l’emprunt forcé et le papier-monnaie. Une chaire d’économie politique, dignement occupée par M. Michel Chevalier, avait été supprimée au Collège de France ; de concert avec MM. Barthélémy Saint-Hilaire et Wolowski, le représentant de la Marne parvint à la faire rétablir. Parmi ses combats de tribune, celui-ci ne fut ni le moins vif, ni le moins hardi ; l’acte d’ostracisme avait, dans la majorité même, des complices et des instigateurs.

Un singulier épisode se rattache à cette période de sa vie. Les membres de la famille Bonaparte, relevés par un vote de la constituante de l’exil qui frappait les autres dynasties, venaient s’asseoir un à un et en vertu de mandats réguliers sur les bancs de l’assemblée. Un jour que Faucher était à sa place absorbé par quelques travaux, une certaine émotion se répand dans l’enceinte, et il entend un nom qui circule de bouche en bouche. — « Ah ! c’est le prince Louis ? dit-il au collègue assis à sa droite. Où est-il donc ? Montrez-le moi. » En même temps il relève la tête, et du banc placé au-dessus du sien il reçoit comme réponse un salut et un sourire. C’était le prince qui allait devenir son voisin. Des relations de politesse naquirent de ce rapprochement fortuit, et peut-être entra-t-il pour quelque part dans un événement qui, peu de mois après, devait mettre l’ambition de Faucher à l’épreuve. Une constitution avait été promulguée et instituait un président de la république, avec des attributions définies ; la nation consultée se prononça pour le prince. À peine nommé, il forma son premier ministère en réservant un portefeuille à son voisin sur les bancs de l’assemblée. Faucher hésita d’abord ; il ne se sentait point préparé à une telle responsabilité, et des motifs personnels lui conseillaient un refus. Ses fonctions d’administrateur du chemin de l’Est étaient incompatibles avec celles de ministre ; il s’agissait de quitter une position sûre pour une position précaire. Il y avait d’ailleurs bien des tempêtes dans l’air ; les pavés tremblaient encore, et rien n’était moins sûr qu’une assemblée ombrageuse qui sentait le pouvoir lui échapper. Peut-être est-ce à ces risques mêmes que Faucher fit le sacrifice de ses intérêts particuliers ; il était belliqueux par tempérament, se jetait volontiers dans la mêlée et cherchait la gloire, fût-ce au prix de quelques blessures. Ce fut d’abord le portefeuille des travaux publics qui lui échut, l’un des moins exposés et en même temps des plus laborieux : ces attributions l’auraient tenu presque à l’écart de la politique militante ; mais la démission de M. de Malleville, causée par quelques scrupules, ayant laissé vacant le portefeuille de l’intérieur, Faucher dut l’accepter sur les instances qu’on lui fit. C’était, en l’état des choses, une charge redoutable. Le trop court passage de M. Dufaure dans ce département n’avait pas suffi pour en épurer les cadres ; la voie était pourtant ouverte, et Faucher n’eut qu’à continuer les traditions d’un ministre intègre, aujourd’hui l’honneur de notre barreau. Les difficultés étaient grandes ; il y avait eu dans les personnes tant de choix malheureux et tant d’abandon dans les affaires. Le nouveau ministre pensa qu’un changement de régime comportait l’emploi de moyens prompts et directs. Il s’inspira d’une idée qui résumait toutes les exigences de la situation, l’apaisement des esprits, et pour l’obtenir il employa l’arme qui lui était familière, la vigueur. On parlait toujours de surprises violentes qui se tramaient dans l’ombre et auxquelles on assignait des dates ; il résolut d’en finir par un coup d’éclat. Le 29 janvier 1849, Paris se réveilla au bruit d’un certain appareil militaire ; les canons roulaient dans les rues, les baïonnettes brillaient le long des boulevards. Le général Changarnier était à la tête des troupes avec ce calme résolu qui sied si bien au commandement. L’objet de ces préparatifs était de contenir une descente des faubourgs mêlés aux débris de la garde mobile ; une loi sur les clubs servait de ralliement et de prétexte aux mécontens. Devant ces mesures prises à propos et avec une fermeté prévoyante, le mouvement avorta sans effusion de sang. L’arrestation de l’un des chefs rendit la leçon complète ; les rassemblemens se dispersèrent, et la loi des clubs fut votée à l’abri de toute émotion extérieure.

Les trois mois qui suivirent furent pour Faucher une suite d’escarmouches qui ne lui laissèrent ni trêve ni repos. Le cabinet dont il était membre essayait de mener à bien la plus rude et la plus délicate des entreprises : c’était de déterminer une assemblée souveraine à se congédier de ses propres mains. Pour beaucoup de membres, ce congé équivalait à une condamnation sans appel ; on les renvoyait devant des électeurs décidés à les exclure. De là bien des chicanes, des pièges tendus et des complots enveloppés de mystère. Aux attaques ouvertes se mêlaient des plans d’usurpation agités dans les conciliabules. La majorité s’était prononcée dans une résolution qui prêtait à l’équivoque ; il s’agissait de donner à cette résolution la valeur d’un acte, d’en fixer les termes, la date, les modes d’exécution, de préparer et d’assurer le périlleux passage d’une constituante à une législative, qui du jour au lendemain devaient se succéder sur les mêmes bancs. L’honneur du cabinet y était attaché, et la tâche fut dignement remplie. Pendant une semaine, l’homme éminent qui présidait ce cabinet, M. Odilon Barrot, occupa la tribune pour ainsi dire en permanence, disputant à force d’éloquence les heures, les minutes aux tronçons de cette assemblée déjà dessaisie et dont l’agonie était menaçante. Faucher eut moins de bonheur ; il resta enseveli dans le triomphe commun. Il avait conduit les élections, et pour combattre le déchaînement des partis, il avait usé d’un moyen d’influence qui aujourd’hui n’amènerait sur les lèvres que le sourire. La veille et le jour du scrutin, il avait, par le télégraphe, communiqué à quelques départemens les résultats d’un vote récemment émis en citant les noms qui avaient pris couleur pour ou contre. Rien de plus légitime et de plus inoffensif ; il en sortit pourtant un orage. La partie ardente de l’assemblée s’empara de ce grief ; la partie modérée déserta le champ de bataille. De telles passions régnaient sur les bancs de la gauche qu’un sacrifice parut nécessaire pour y faire diversion ; Faucher s’était engagé un peu à l’aventure, on l’abandonna comme une victime désignée par la fatalité ; on acheta le salut, public par une injustice. L’homme politique soutint cet isolement avec sa fierté ordinaire ; il fit face à l’ennemi et ne rendit pas les armes sans combat. Au scrutin, 519 voix se prononcèrent contre lui, 5 voix l’appuyèrent, près de 400 s’abstinrent. Il subit tranquillement cet arrêt, et donna sa démission. Cependant le département de la Marne venait de renouveler son mandat et de lui ouvrir les portes de l’assemblée législative. Dès les premiers jours de la session, il voulut que le procès qu’il venait de perdre fût porté devant les seuls juges qui auraient dû en connaître. C’était dans l’Yonne que sa dépêche télégraphique avait causé le plus d’émotion : les 5 et 6 juin 1849, il monta à la tribune pour soutenir la validité des élections de l’Yonne, restitua aux faits leur caractère et présenta sa conduite sous son véritable jour. La réparation fut complète : aux deux tiers de ses voix, la nouvelle assemblée déclara que les mandats étaient réguliers, mettant ainsi à néant et le blâme passé et les conséquences qu’en voulaient tirer les casuistes de la montagne contre l’ensemble des pouvoirs de la législature. Dans ce débat, un fait fut mis en évidence, à la louange du ministre attaqué : c’était la manière discrète dont il avait usé des fonds secrets. Là où M. Ledru-Rollin avait cru pouvoir employer 10,933 fr. par jour, Léon Faucher s’était contenté de 1,637 fr. Ces chiffres, apportés à la tribune, causèrent, même parmi les membres les plus exaltés, un étonnement mêlé d’un certain retour, et l’un d’eux, dans un accès de franchise, ne put s’empêcher de s’écrier : « Le coquin était bien honnête ! » Dans sa forme brutale et familière, le compliment est bon à recueillir : il renferme un hommage dans une insulte ; il dit bien ce qu’était Faucher, un cœur loyal, ennemi des mauvais moyens, aimant à convaincre plus qu’à corrompre, et ne cherchant pas d’autre appui à la fermeté de ses actes que la pureté de ses intentions.

Cette longue lutte avait brisé ses forces ; à peine avait-il pu, avec une voix éteinte, arriver au bout de la discussion. Bon gré, mal gré, il fallait user de ménagemens. Le vaste vaisseau de l’assemblée, que les plus puissans organes n’affrontaient pas impunément, était funeste à cette poitrine délicate. De l’avis des médecins, il demanda et obtint un congé ; on l’envoyait aux Eaux-Bonnes. On lui conseillait en outre d’éviter toutes les occasions de se produire, afin d’arriver à un plus prompt rétablissement. Il n’obéit pas toujours, et de passage à Bordeaux, il accepta un banquet où une médaille d’or lui fut votée. Même au pied des Pyrénées et tout en suivant un traitement, il ne pouvait se détacher des grands intérêts qui tenaient l’attention publique en haleine. Des travaux pour la Revue, des lettres aux journaux de province prouvaient que le soin de sa santé ne l’absorbait pas tout entier, et qu’absent ou présent, il entendait garder sa part d’influence sur les affaires. De retour des eaux, il traversa Limoges et rompit en faveur de sa ville natale un silence qui commençait à lui peser. Elle était sous l’influence d’opinions avancées, et avait envoyé à l’assemblée des représentans d’une nuance très vive ; les corps d’état, les ouvriers des fabriques y vivaient dans la dépendance de quelques chefs de sectes aussi habiles qu’audacieux. Comment se faire écouter d’un semblable auditoire ? Faucher n’en désespéra pas, et deux sentimens le poussaient à l’essayer : ramener au bien des compatriotes, infliger un échec de plus à d’implacables adversaires. Il eut donc une réunion, et y garda longtemps la parole avec des effets que ni ses amis ni lui n’avaient prévus. Il s’attendait à des murmures, il ne recueillit que des applaudissemens. Pourtant il n’avait pas épargné les vérités, même les plus dures, à une foule habituée à l’adulation et au mensonge ; il lui avait montré par quels chemins les conseillers de son choix la conduisaient de la révolte à la ruine, et par suite à la plus triste des égalités, l’égalité dans la misère. Ce langage fut non-seulement supporté, mais accueilli avec chaleur, tant est mobile l’impression de la multitude. En quittant Limoges, Faucher y était presque populaire ; cette popularité, il est vrai, ne survécut guère à son passage, mais il ne l’avait pas achetée du moins en flattant les mauvais instincts ni en déguisant ses opinions.

Rentré à Paris vers le commencement de l’automne, il reprit ses travaux à l’assemblée législative et en fut plusieurs fois nommé l’un des vice-présidens. Le repos lui avait rendu ses impatiences d’activité ; il avait hâte de s’engager avec quelqu’un et sur quelque chose. Justement le budget de 1850 venait d’être présenté par M. Hippolyte Passy ; il était ce que comportait le temps et se mettait péniblement en équilibre. Faucher trouva l’occasion à son gré ; il n’imagina rien de mieux que d’opposer au budget du ministre son propre budget. Donner des leçons était dans ses goûts ; celle-ci s’adressait à un homme pour lequel il aurait dû montrer plus de déférence, ne fût-ce qu’en raison de la communauté des doctrines. Nulle part l’humeur de Faucher ne se montre mieux que dans ce travail[5]. Il n’admet pas que le ministre puisse faire un premier et discret essai de l’impôt sur le revenu, familier à nos voisins, et en même temps il introduit dans son œuvre toute une catégorie de taxes nouvelles, soit temporaires, soit permanentes. C’est ainsi, en supprimant d’une part 145 millions de dépenses et en ajoutant d’autre part 131 millions aux recettes, qu’il arrive non-seulement à rétablir la balance, mais à obtenir un excédant. Il n’a pas d’ailleurs de termes assez délibérés pour parler du budget officiel, ni d’expressions de confiance trop fortes pour le budget qu’il y substitue : on sent un homme pénétré de l’efficacité de ses combinaisons. Il est douteux cependant que ces taxes qui devaient atteindre le sel, le transport des lettres, les journaux, l’enregistrement, le mobilier, les domestiques, les officiers ministériels, les employés, les pensionnaires de l’état, il est douteux, dis-je, que ces taxes eussent rencontré dans une assemblée l’accueil dont se flattait l’auteur. Quoi qu’il en soit, sur un point Faucher eut cause gagnée ; l’impôt du revenu avait été si nettement attaqué et de tant de côtés que le cabinet aima mieux en faire le sacrifice que courir au-devant d’un échec certain.

En combattant cette forme d’impôt, Faucher était l’interprète d’un sentiment presque général. Il avait pour lui de grandes autorités et s’appuyait de motifs dont la solidité ne saurait être méconnue. D’abord ce serait pour nous un impôt nouveau, et en cette matière il faut tant qu’on le peut se garder contre les nouveautés ; puis cet impôt est inséparable de procédés d’inquisition et déchire le voile qui couvre les fortunes privées ; enfin il se prête à la fraude et compte sur une vertu qui est absente de nos mœurs, la sincérité vis-à-vis du fisc. Il a en outre l’inconvénient plus grave d’être ostensible : c’est ce que les administrateurs lui pardonnent le moins. Il s’adresse à la bourse des contribuables ouvertement, nominativement, sans dissimuler ce qu’il est, ni ce qu’il veut. Combien l’impôt indirect est plus habile, et avec quel art il sait se déguiser ! Il ne frappe pas la personne, mais les besoins ; il procède par petites fractions en portant sur de grandes masses, s’incorpore dans les choses et entre sur le marché comme un élément accessoire du prix, s’acquitte insensiblement sans que les contribuables aient la conscience du moment et de la manière dont il se paie. On sait bien ce qu’en tire un état ou une ville, on ignore dans quelle proportion chaque citoyen y contribue. Ces formes tempérées, ce mode presque imperceptible de recouvrement ont mis l’impôt indirect en crédit auprès des hommes versés dans les finances ; il semble être le meilleur, parce qu’il est le moins apparent. Aussi en a-t-on largement usé dans l’assiette des contributions. Tout ce qu’on pouvait y assujettir y a été assujetti, même les denrées les plus nécessaires, par conséquent les moins imposables. N’est-ce pas ainsi que nous voyons la caisse de la boulangerie de Paris, de temporaire qu’elle était, devenir peu à peu permanente ? Le procédé est commode et productif ; avec des centimes on fabrique des millions, et quand on a ainsi battu monnaie, il est difficile de renoncer à une telle pratique sans regret ni sans résistance.

Il y a pourtant, dans cette préférence pour l’impôt indirect, des dangers qu’il est bon de signaler et des préjudices qui, pour n’être pas visibles, n’en sont pas moins réels. L’aisance avec laquelle cet impôt se supporte est précisément ce qui entraîne à en abuser ; on ne se défie pas d’un instrument si léger, si maniable ; on l’applique à toute chose et sans mesure. Nulle forme d’impôt ne se concilie mieux avec des habitudes d’imprévoyance et de prodigalité, nulle ne laisse plus de champ aux aventures, de quelque nom qu’on les couvre, en rendant moins appréciable ce qu’elles doivent coûter. L’impôt direct, s’il est brutal, a du moins le mérite de la franchise ; il réclame une somme, il éveille dans l’esprit de celui qui la paie le désir de savoir ce que cette somme représente. Si c’est une guerre, on la discute ; un embellissement municipal, on en agite l’urgence. L’impôt direct est ainsi une école d’opinion. Chacun sait ou cherche à savoir à quel prix il est citoyen d’un état ou d’une ville. Un contrôle plus général naît de cette disposition des esprits. En outre, quand on compare les deux impôts, on est entraîné à une autre recherche : c’est de savoir à quelles conditions on les perçoit. Telle de nos contributions, les douanes par exemple, n’entre au trésor qu’après avoir laissé, pour frais de recouvrement, le sixième de la recette brute ; les autres, quoique moins chargées, sont dans le même cas, et nos budgets élèvent à 200 millions environ les frais généraux de perception et de régie. C’est, pour l’impôt indirect, une moyenne de 11 à 12 pour 100, tandis que l’impôt direct ne coûte à recouvrer que 3 pour 100. L’écart, on le voit, est considérable, et si, par voie d’hypothèse, on confondait tous les impôts pour les ramener au type des moins coûteux à recueillir, 3 pour 100 par exemple au lieu de 12, on aurait par an 50 millions d’épargnés, et depuis soixante ans qu’existe le grand mécanisme des contributions indirectes, près de 4 milliards avec les intérêts accumulés, c’est-à-dire la moitié environ de notre dette inscrite. Ce sont là, il est vrai, des jeux de chiffres qui n’ont rien de rigoureux : l’unité de l’impôt sera toujours une chimère ; mais il n’en est pas moins constant que, dans bien des cas, les charges de la perception sont hors de proportion avec le revenu net. Le trésor n’est pas seul à en souffrir ; les intérêts et les mœurs s’en ressentent. On tient ainsi sur pied une multitude d’agens armés d’un droit de recherche et qui traitent la population comme une vaste collection de suspects. Ces corps organisés, avec les attributs qui les distinguent et les pouvoirs dont ils disposent, non-seulement entretiennent dans leur sein, mais propagent au dehors des idées de dépendance. Que de gens se trouvent ainsi directement ou indirectement dans les mains de l’état, vivant de services qu’il rétribue ! L’impôt joue un grand rôle dans cet assujettissement. Quand on dit que le meilleur est celui dont on parle le moins, que toute forme est bonne, pourvu qu’elle rende, on oublie l’action morale de l’impôt, son influence politique, la manière dont il agit sur les opinions, les caractères, les habitudes, la disposition des esprits.

Tel est le sentiment auquel ont obéi les hommes d’état qui, en Angleterre, ont attaché leurs noms à un remaniement général de l’impôt. Ils n’y ont pas procédé arbitrairement ; leur méthode se dégage de l’examen des faits. Comme point de départ, ils ont supprimé les taxes qui pesaient sur les matières destinées à recevoir des façons ; c’était ouvrir par le dégrèvement des débouchés nouveaux aux fruits du travail. Ils ont ensuite regardé de près aux taxes de consommation, et, malgré les clameurs, supprimé celles qui affectaient la subsistance du peuple. Ils ont également émondé les tarifs, en n’y laissant que les articles de grand produit, et en leur appliquant des droits si légers, que ces droits ne pouvaient se concilier qu’avec un accroissement notable et probable de la consommation. Ainsi ils diminuaient les frais en simplifiant les formes, écartaient les paperasses, les rigueurs inutiles, la défiance érigée en devoir, détournaient la main du fisc des existences qui en auraient trop souffert pour la diriger vers celles qui pouvaient la supporter avec plus d’aisance. De tout cela il résultait des vides ; il a fallu les combler. C’est alors qu’ils ont donné à l’impôt indirect un rival et un égal dans l’impôt ostensible, où la volonté du redevable se manifeste dans la liberté des déclarations. Il se pouvait que cette expérience fût chanceuse ; elle était digne du moins de ceux qui la tentaient et de ceux auxquels elle s’appliquait. Malgré quelques plaintes, on peut dire qu’elle a réussi. Nous n’en aurons probablement jamais l’équivalent ; nos préjugés sont trop vifs là-dessus. L’impôt est pour nous un ennemi ; plus il se déguisé, mieux il est accepté. Il ne faut pas cependant se montrer injuste envers les peuples qui savent le regarder en face ; ils sont marqués du signe auquel se reconnaissent les civilisations vraiment supérieures, la conscience et la responsabilité des actes.


III

Mais nous touchons à un moment où les événemens nous emporteront avec plus de rapidité. Les questions de détail avaient détourné Faucher de la politique générale ; il y rentra par la loi du 31 mai 1850, dont il fut le rapporteur. On sait quel était le but de cette loi : renfermer le suffrage universel dans certaines limites, définir d’une manière précise les indignités et les incapacités qui fermaient l’accès des listes à ceux qui en étaient frappés. Cette mesure réunissait dans une même entente toutes les fractions du parti modéré ; elle avait l’appui du gouvernement. Le rapporteur la défendit avec courage contre les partisans exaltés du suffrage universel, qui n’entendaient pas qu’on touchât à leur arche sainte. La loi fut votée à une très grande majorité. Les circonstances allaient en faire une lettre morte. Un autre embarras restait à vaincre, et il était plus grave, puisqu’il touchait à un article de la constitution. Par une disposition formelle, le président n’était pas rééligible. Tous les hommes prévoyans sentaient quels périls étaient attachés à cette exclusion ; ils concertèrent leurs efforts pour la faire tomber devant l’expression de l’opinion publique. On peut dire, sans forcer la vérité, que les notabilités de l’assemblée n’avaient là-dessus qu’un sentiment. Des conférences eurent lieu, et il fut arrêté qu’un appel serait adressé au pays pour qu’il se prononçât sur une révision de cette partie de la constitution. Des pétitions circulèrent dans les provinces, et des représentans se chargèrent de les apporter à la tribune, couvertes de signatures. L’intention manifeste de cet acte était de confirmer et d’affermir les pouvoirs dans les mains qui en étaient investies. Faucher ne fut pas l’un des moins ardens à répandre cette idée salutaire ; il y voyait la garantie des institutions ; il y apportait l’intention sincère de donner quelque repos à une nation qui, fatiguée de longs troubles, semblait disposée à s’en affranchir à tout prix. Les pétitions affluèrent : mieux servies par les circonstances, elles auraient pu aboutir à un concert ; dans l’état des esprits, et au milieu du partage des opinions, il n’en sortit que des débats orageux. Pour les uns c’était trop, pour les autres ce n’était point assez. Le temps marchait toujours, montrant en perspective une date et une crise.

À diverses reprises, des propositions avaient été faites à Faucher pour qu’il rentrât dans le cabinet. Il hésitait, éprouvait des scrupules, résistait aux instances, ou se retranchait dans quelques conditions. Le 10 avril 1851, il se décida et accepta de nouveau le portefeuille de l’intérieur. Ce ne fut pas sans émotion qu’il expliqua à l’assemblée les motifs de ce retour ; il ne se dissimulait pas combien sa mission était délicate, et quelle responsabilité y était attachée. « En montant à la tribune, dit-il, et pendant que je parlais, mon front ruisselait ; chaque mot devait être pesé, mesuré. » L’accueil qu’il reçut lui rendit la confiance et le courage ; il se mit à l’œuvre comme si sa présence et son nom eussent suffi pour dissiper ce que les événemens avaient de sombre et de menaçant. Il avait le sentiment de ses devoirs, et savait qu’aucune force humaine ne l’amènerait à les enfreindre. L’influence qu’on lui rendait, il ne voulait l’employer que pour le bien. Ce fut alors qu’il essaya d’une diversion qui, dans une période plus calme, eût certainement réussi. Cette activité exubérante qui, faute d’aliment, se jetait dans les exagérations politiques, ne pouvait-on pas l’appliquer à de grands et utiles travaux ? À l’instant, et sans tenir compte des empêchemens financiers, le ministre de l’intérieur en traça le programme. Il lui donna des proportions de nature à éblouir et à entraîner les esprits. Une reconstruction des halles centrales et le prolongement de la rue de Rivoli jusqu’à l’Hôtel-de-Ville furent mis à l’étude et présentés avec des plans à l’appui. Une somme de 50 millions y était affectée. Ces hardiesses ont été bien dépassées depuis lors. Quand le ministre les soumit à l’épreuve du scrutin, elles étaient une nouveauté et une surprise. Pour trouver un projet analogue, il fallait remonter aux 100 millions que M. Thiers arracha aux chambres après les événemens de 1840. Faucher ne montra pas moins de décision. Dans les préoccupations qui l’assiégeaient, l’assemblée ressentait pour ce qui y était étranger plus que de l’indifférence ; il triompha de ce sentiment, et amena, à travers les épreuves des bureaux et de la tribune, le projet de loi à une sanction définitive. Il fit plus encore, il en commença l’exécution, et, à quelques mois de là, il reçut des mains du président, sur les premières assises des halles nouvelles, la croix de commandeur de la Légion d’honneur.

Toutefois, bien que le ministre de l’intérieur se rejetât à dessein vers la partie tranquille de ses fonctions, qu’il songeât aux fouilles de Ninive, aux tableaux de Géricault et à des fondations de prix pour des œuvres morales, il n’était pas sans comprendre qu’il y avait dans l’air autre chose que ces satisfactions à donner aux arts et aux embellissemens de Paris. Il ne se regardait pas comme parfaitement affermi sur ce terrain qu’ébranlaient de fréquentes secousses. À diverses reprises, il s’était vu interpellé au sujet d’incidens qui relevaient de sa responsabilité. Constamment il avait répondu de la manière la plus catégorique et la plus ferme : « Je ne suis rien, dit-il un jour, que par la tribune et par la presse, et si jamais cette tribune doit être renversée, je resterai enseveli sous ses ruines. » Ces déclarations étaient sincères, et l’assemblée y ajoutait foi ; le ministre répondait de lui-même, il ne pouvait aller au-delà. Dans le cercle où son action s’exerçait, il restait maître de ses mouvemens, ne souffrait rien qui ne fût régulier, et portait la main sur ce qu’il lui était permis d’atteindre. Des problèmes pourtant s’agitaient en dehors de lui, à son insu, et pour ainsi dire par-dessus sa tête. Une guerre d’embûches servait de prélude à la solution d’un grand débat ; l’impatience d’en finir se montrait dans les camps en présence. Le ministre de l’intérieur n’y voyait qu’une agitation artificielle dont l’esprit de conduite triompherait ; il persistait à croire qu’une transaction était possible, et qu’elle s’imposerait d’elle-même. Un acte inattendu lui arracha cette illusion. Le président de la république, ne déguisant plus ses desseins, demanda tout à coup à son ministère de proposer à l’assemblée législative l’abrogation de la loi du 31 mai. Pour Faucher surtout, c’était un point délicat. Il avait été le rapporteur de cette loi ; se prêter à l’abrogation que demandait le président, c’était s’infliger un désaveu. Il donna sa démission, et entraîna celle de tous ses collègues. Il assista dès lors plus qu’il ne se mêla aux incidens qui survinrent, garda la réserve que commandait sa situation, avec plus de résignation que d’espoir, plus de douleur que d’alarme, et le 2 décembre 1851 il se réveilla, comme tous ses collègues, au milieu des surprises d’un coup d’état.

Il était du nombre des hommes publics qui avaient jusqu’au bout usé de ménagemens et pensé que la modération des formes n’était pas incompatible avec la fermeté des principes. Le gouvernement nouveau vit des amis dans ceux qui ne s’étaient pas déclarés ses adversaires ; Faucher fut, à ce titre et à son insu, compris parmi les membres qui composaient la commission consultative instituée après le coup d’état. Il ne voulut point d’équivoque et répondit par un refus. Son intention était de rester désormais étranger aux affaires publiques ; il avait pour les institutions qui venaient de succomber un attachement raisonné et profond ; elles étaient pour ainsi dire la trame de sa vie ; il leur devait ce qu’il était, son nom, sa notoriété ; tous ses travaux, toutes ses études s’y rattachaient ; les renier, c’eût été se renier lui-même ; les sacrifier à ses intérêts lui eût semblé une tache ineffaçable. Là-dessus il n’avait besoin ni de conseils ni d’exemples ; il agissait comme il sentait. Quelle fatalité pourtant que celle dont il était le jouet ! En 1848, il arrivait à peine aux honneurs de la vie publique qu’une révolution éclatait pour la briser. C’était une première épreuve, il en avait triomphé. À l’aide de longs efforts et par une lutte soutenue, il avait pu refaire, affermir, agrandir sa position, et voici qu’elle s’écroulait de nouveau sous le poids d’événemens qu’il n’avait pu ni prévoir ni empêcher. Cette fois il comprenait qu’il ne s’agissait pas d’un éloignement passager, mais d’une retraite définitive. Il s’y résigna néanmoins sans hésitation, si ce n’est sans douleur. Sa vie fut dès ce moment une vie de recueillement et d’étude. Il revint à ses travaux favoris, y chercha l’oubli ou le soulagement de ses regrets. Les témoignages de l’estime publique ne lui manquèrent pas d’ailleurs ; on s’empressait chez lui, il était recherché partout ; on lui demandait des conseils, des règles de conduite. Un instant il eut la pensée de se remettre sur les rangs pour la députation ; quelques électeurs de la Marne l’y invitaient, il avait dans ce département une situation que le courant nouveau des opinions avait affaiblie plutôt que détruite. Quelques chances lui restaient, et les risques ne l’effrayaient pas. La réflexion le guérit de ce retour vers d’anciennes habitudes. Un échec l’eût diminué, et il eût été bien embarrassé d’un triomphe. Quel usage faire d’un mandat mutilé ? Mieux valait se renfermer dans cette protestation silencieuse, qui est la revanche et la dignité des vaincus.

Son activité trouva bientôt d’autres issues. Son beau-frère, M. Wolowski, avait entrepris de donner à une idée dont il était préoccupé la consistance d’une institution ; il voulait introduire en France, en l’appropriant à nos habitudes, une de ces compagnies de crédit foncier qui rendaient de grands services en Allemagne ; il y apportait une notion approfondie des faits, une science et une droiture éprouvées. Faucher s’associa à cet enfantement, y consacra son expérience. L’établissement qui en est issu est inséparable des deux noms qui ont présidé à son origine. Le concours de Faucher ne fut ni moins actif ni moins utile pour l’achèvement du chemin de fer du Midi, qui en était encore à cette période pénible qui précède les exploitations. Il était membre du conseil d’administration ; on songeait à lui en donner la présidence. Ce choix causait quelques ombrages et donna lieu à des négociations délicates. Faucher sentit que son nom était un embarras pour la compagnie : il l’en affranchit en envoyant sa démission. Son indépendance lui était plus chère que ses intérêts : quand elle était en jeu, il ne calculait pas ce qu’il pouvait y gagner ou y perdre. Des études de cabinet remplirent dès lors sa vie. On a vu quel était son goût pour les questions d’économie politique et de finances. Il avait passé en revue les difficultés qu’elles présentent à mesure que l’attention publique en était saisie : les associations, les coalitions d’ouvriers, les règlemens pour les heures de travail, les origines et les fondemens du droit de propriété, l’impôt sur les boissons. Dans les temps de crise, la Banque de France n’avait pas eu de défenseur plus énergique ni plus heureux ; il s’était mêlé à tous les débats où elle était en cause, pour l’émission graduelle de ses billets, les proportions de l’encaisse, le cours forcé, et dans ces difficiles sujets il n’avait commis qu’une erreur, en jugeant comme prématurée la reprise des paiemens en espèces. On a vu que nos lois de finances ne l’avaient jamais trouvé indifférent ; il avait feuilleté tous les budgets, même le budget socialiste, pour en tirer des enseignemens ou en signaler les périls et les vices. Il avait écrit sur le prêt à intérêts un des meilleurs chapitres que ce sujet ait inspirés, et sur la production de l’or des pages sensées et abondantes en recherches. Il avait enfin éclairé le procès de la liberté commerciale par une pièce importante où tous les argumens de ses adversaires étaient passés au crible d’une discussion solide et qui mettait à découvert tout ce que ces argumens avaient d’inexact, de superficiel et d’inconsistant.

Ce fut à ce cadre de travaux qu’il remit la main pour occuper les loisirs que lui laissait la politique. L’Académie des Sciences morales, dont il était membre depuis 1849, reçut plusieurs de ses communications, et les lecteurs de la Revue n’ont pas perdu le souvenir des études qu’il y a publiées. Les finances de l’Angleterre, de la France et de la Russie y étaient examinées avec une sûreté de détails, une vigueur de raisonnement qui témoignaient que cet esprit laborieux se mûrissait par la réflexion et par une surveillance constante sur lui-même. Mais pendant que l’intelligence se fortifiait d’une manière visible, les forces physiques allaient en déclinant. Faucher ne s’était jamais bien remis de cette affection du larynx dont il était allé chercher la guérison aux eaux des Pyrénées. Pour en détruire le germe ou en combattre la marche, il eût fallu plus de repos que n’en comportaient une imagination ardente et un besoin d’agir toujours éveillé ; il eût fallu garder un régime de silence et par-dessus tout une indifférence morale qui étaient incompatibles avec la vivacité de ses impressions. Il vivait par la pensée et pour la pensée ; il devait finir comme il avait vécu. Les vicissitudes de sa destinée ne se séparaient pas dans son esprit de celles de la patrie ; il voyait les choses sous les plus sombres couleurs et s’en affligeait profondément. Qu’on appelle ce mal du nom que l’on voudra, le mal de l’ambition, le mal du pouvoir ; ce mal est de ceux qui peuvent s’avouer. Il lui était cruel de penser qu’après avoir mis au service public toutes les forces de son corps et toutes les facultés de son âme, il n’avait en réalité poursuivi qu’une chimère, et qu’au lieu d’une lumière il n’avait eu devant lui qu’un feu follet pour l’égarer dans son chemin, Il ne s’accoutumait point à l’idée qu’après avoir joué un rôle, rempli de grandes fonctions, servi son pays avec une honnêteté exemplaire, fait quelque bruit et quelque bien, il en fût réduit à voir ces titres frappés de nullité, ce bruit s’éteindre, ce bien rester méconnu, cette position acquise s’en aller en fumée, comme si tous ces accidens de sa carrière n’eussent été qu’une ironie du sort. Il lui en coûtait enfin de parler une langue qu’on ne paraissait plus comprendre, de se sentir étranger au milieu des siens, de garder parmi ses contemporains des sentimens qui semblaient appartenir à un autre âge. Voilà son mal ; qu’on le blâme, si on en a le courage, de l’avoir éprouvé. Ces regrets ne sont pas d’une âme vulgaire, et, dût-on en mourir, ils parent mieux une tombe qu’une résignation servie par la sécheresse du cœur.

Ébranlée à ce point, la santé de Faucher ne pouvait plus se remettre ; trois années suffirent pour ruiner ce qui lui restait de forces. Les voyages n’avaient plus pour lui les vertus d’autrefois ; une tristesse incurable l’accompagnait partout et ne lui laissait pas de relâche. Son seul soulagement était d’exhaler ses plaintes : « Vous faites des livres et des gouvernemens, écrivait-il à M. Grote, tandis que nous démolissons nos illusions. » En avril 1854, sa maladie prit un caractère plus alarmant et dégénéra en pleurésie. Il en réchappa avec peine et alla à Viroflay, chez M. Dailly, dont il avait été le précepteur et dont il restait l’ami, passer le temps de sa convalescence. Une amélioration sensible se déclara ; on lui conseilla une nouvelle saison aux Eaux-Bonnes. Le traitement réussit, l’espoir renaissait dans sa famille ; il parlait de reprendre sa plume et formait des plans ; ce n’était qu’une lueur trompeuse. À peine de retour à Paris et sous l’influence de la saison, il éprouva une rechute ; il lutta d’abord et se remit au travail ; à peine put-il corriger, d’une main affaiblie, les épreuves du dernier article qu’il donna à la Revue sur les ressources financières de la Russie[6]. Ce fut son adieu à la science qu’il avait cultivée. Un voyage en Italie était nécessaire ; l’idée lui en sourit, bientôt il s’en fit une fête. C’était un projet caressé depuis longtemps ; il y apportait les sentimens et les joies d’un artiste. Quand il partit, aucun de ses amis ne s’attendait à une séparation prochaine ; ses médecins mêmes comptaient sur les effets d’un meilleur climat. Une complication qui survint trompa ces espérances ; les fatigues de la route, les rigueurs du temps lui avaient porté le dernier coup. À son arrivée à Marseille, une fièvre typhoïde se déclara ; malgré les soins dont il fut entouré, il s’y éteignit le 14 décembre 1854.

On voit ce qu’était Léon Faucher : il y avait en lui une grande résolution, une généreuse activité d’esprit, unies à une certaine rigidité. Dans l’intimité, cette expression s’effaçait devant une affabilité naturelle. Sur ses traits fatigués, on pouvait lire les labeurs de sa vie, les tristesses de l’enfance, les combats de l’âge mûr. Deux qualités le distinguaient surtout, le sens moral, la fidélité aux croyances ; on peut dire de lui qu’il n’a jamais failli ni à ses devoirs ni à son drapeau. Comme homme politique, il avait, à défaut des grandes inspirations, les facultés sérieuses de l’orateur ; c’était un esprit ordonné, connaissant les affaires, en maniant la langue, soutenu par la conscience et l’amour du travail, qui seuls font le bon administrateur. Comme économiste, ses titres sont nombreux et très réels, quoique disséminés : il n’a pas, à proprement parler, d’œuvre dogmatique formant un corps de doctrines ; en revanche, il se montre en toute occasion le défenseur zélé des principes sur lesquels la science se fonde, la possédant à fond et prompt à la servir, portant dans la controverse une foi raisonnée unie à la notion des faits, à la patience des recherches et à un rare talent d’exposition. Un sentiment domine cet ensemble de facultés, les anime et les inspire : c’est le goût et la passion de la liberté. Faucher appartenait à cette génération qui en a été nourrie et qui s’éteint peu à peu en laissant de rares et généreux élèves. Qu’en des jours d’orage la pépinière ait disparu, ce n’est pas un motif pour désespérer ; les germes en restent, cela suffit. La liberté a deux manières de faire sentir son prix, par les bienfaits qu’elle répand ou par les vides qu’elle laisse. De ces influences, la seconde n’est ni la moins active, ni la moins sûre. Il peut paraître commode, salutaire si l’on veut, dans un moment donné de la vie des peuples, de supprimer la liberté ou d’en restreindre l’exercice au point de la rendre illusoire. Elle n’a rien à redouter de ces épreuves. Le temps la venge, agit pour elle, et la conscience de ce qu’elle vaut se réveille avec d’autant plus de vivacité qu’elle a été plus longtemps et plus manifestement absente.


Louis Reybaud, de l’Institut.

  1. Correspondance avec M. Beaufer de, Toulouse, dont l’affection dévouée ne se démentit pas.
  2. La Colonie des Savoyards, 1834 ; — De la Propriété en France, 1836 ; — De la Presse en Angleterre, 1836 ; — Organisation financière de la Grande-Bretagne, 1837 ; — De la Souscription dans les entreprises des travaux publics, 1838 ; — Question d’Orient, 1841 ; — Union du Midi, 1837 et 1842.
  3. Lettres à M. Beaufer.
  4. De l’Organisation du travail, livraisons du 1er et du 15 avril 1848.
  5. Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1849.
  6. Livraison du 15 novembre 1854.