École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Texte entier



PRÉFACE.





L’énumération des arts et métiers compris dans ces volumes présente une définition détaillée des procédés qu’ils emploient. Ce mérite suffirait pour en faire goûter la lecture ; mais elle a un autre avantage, c’est qu’elle offre aux fabricans des moyens abréviatifs et de perfectionnement employés chez l’étranger ; nous allons en citer quelques exemples.

Le chandelier est encore en France dans l’usage de supporter lui-même ses baguettes pour les plonger dans l’abîme ou la cuve où est le suif, et il éprouve une fatigue dont les Anglais se sont affranchis par le moyen d’un jeu de poulies et le bassin d’une balance, dans lequel ils mettent des contrepoids à fur et mesure que ces chandelles se chargent de suif. Cette idée fort simple mérite d’être généralement accueillie.

Les peignes, instrumens d’un usage journalier et si utiles à la propreté, se taillent isolément en France avec une scie et une lime, qui emploient un temps considérable : chez nos voisins ils s’évident et se terminent par paires, avec le secours d’une machine, dans l’espace de trois minutes.

Ces documens, qui se multiplient dans plusieurs autres états décrits dans cet ouvrage, nous font espérer qu’il n’aura pas moins de succès que la Science en Miniature, dont nous avons donné précédemment la traduction, et que, comme ce dernier livre, il offrira à la jeunesse, pour laquelle il a été entrepris, une nouvelle source d’instruction et d’amusement.

Le Carrossier.


LE CARROSSIER.





Le carrossier fait des voitures de toute espèce. Les carrosses n’ont été connus en Europe qu’au commencement du seizième siècle, où il n’y avait que les femmes du haut parage qui s’en servaient, et où c’était une honte pour un homme de monter en voiture.

Lorsque les électeurs et les princes d’Allemagne voulaient alors ne pas se trouver aux assemblées des états, ils s’en excusaient auprès de l’empereur en lui écrivant que leur santé était trop faible pour leur permettre de monter à cheval.

Les plus anciennes voitures dont se soient servies les femmes en Angleterre ont été connues sous le nom de whirlicotes, et, d’après l’historien Stow, les carrosses ont été introduits de l’Allemagne dans ce pays vers l’an 1580. Ce ne fut que vingt ans après qu’ils commencèrent à être généralement en usage.

Le célèbre duc de Buckingham fut la première personne qui monta dans une voiture à six chevaux : pour tourner en ridicule ce nouveau genre de luxe, le comte de Northumberland en mit huit à son équipage.

Les carrosses consistent en deux parties principales, la caisse et le train. La caisse est la partie dans laquelle montent les personnes qui se font voiturer, et le train est tout le charronnage qui soutient la caisse et auquel sont attachées les roues, qui donnent le mouvement à la voiture.

Le nombre des ouvriers qui concourent à la perfection d’une voiture est assez considérable. Il consiste dans un menuisier pour le bois de la caisse ; un serrurier pour la ferrer et en fabriquer les ressorts ; un peintre ordinaire pour vernir le bois, le train et les roues ; un peintre dessinateur pour le blason et les ornemens ; un sculpteur pour toute la sculpture de la caisse et du train ; un franger pour fournir toutes les tresses, les glands et les houppes qui se placent dans l’intérieur de la caisse ; un sellier-carrossier pour en tapisser d’étoffes l’intérieur, et couvrir en cuir plusieurs parties du dehors ; un bourrelier pour les cuirs de suspension ; un doreur pour toute la dorure sur bois ; un fondeur pour tous les ornemens de fonte ; un ciseleur pour les ornemens de cuivre ciselé ; un charron pour le train et les roues ; un maréchal-grossier pour les essieux, boulons, bandes et roues, sans compter l’ouvrier qui fait le plaqué sur métaux.

En Angleterre la caisse de la voiture est de bois de frêne, mais les panneaux en sont ordinairement faits de bois d’acajou ; l’extérieur en est couvert d’un cuir bien lisse et enduit d’un vernis très-brillant ; l’intérieur est tapissé de drap rembourré avec du crin. Les voitures des gens de la première distinction sont doublées de soie, de velours, et quelquefois de superbe maroquin.

Les carrosses ont ordinairement deux paires de roues avec des essieux et un timon.

Le timon est une pièce du bois du train, qui est longue et droite, et à laquelle on attache les chevaux.

Les carrosses se distinguent aussi suivant l’usage que l’on en fait ; ainsi il y a des carrosses publics ou des diligences, des coches, des vélocifères, etc. Les vélocifères ont été inventés en France ; ils sont très-commodes.

Les voitures de place sont celles que l’on fait circuler dans les rues de Londres à des prix fixés par l’autorité. L’introduction de ces carrosses en Angleterre date de l’année 1625, époque où il n’y en avait que vingt ; en 1715 le nombre en fut limité à huit cents, et aujourd’hui il y en a onze cents qui sont toujours sur les places ou chargés : le dimanche le nombre de ceux occupés est beaucoup moins considérable.

Les cochers des voitures de place, appelées fiacres en France, sont soumis à des règlemens très-sévères.

Les voitures modernes de l’Europe étaient inconnues en Chine jusqu’à l’ambassade du lord Macartney dans ce pays : deux brillans équipages furent envoyés avec cet ambassadeur pour être offerts à l’empereur. Ces voitures causèrent plus d’embarras aux Chinois que tous les autres cadeaux ; on n’avait jamais rien vu de pareil dans la capitale, et les disputes qui s’élevèrent entre les habitans de cette ville pour la partie destinée à être la place de l’empereur furent très-singulières. La housse qui couvrait le siége du cocher avait une très-belle bordure de festons de roses en or ; sa magnifique apparence et la situation élevée du siége la firent passer aux yeux de la majorité pour être la place de l’empereur ; mais il s’éleva entre eux une difficulté sur la manière dont serait occupé l’intérieur du carrosse ; ils se mirent à en examiner les portières, les glaces et les stores, et en conclurent qu’il ne pouvait être destiné qu’aux dames de la cour ; un vieil eunuque alla prendre à cet égard les informations les plus exactes.

Lorsqu’on lui eut dit que le siége était la place destinée à celui qui était chargé de conduire les chevaux, il demanda avec un sourire ironique s’il était permis de supposer que l’empereur pût jamais consentir à voir un homme occuper une place plus élevée que la sienne, et à ce qu’il lui tournât le dos ; il témoigna en même temps le désir que l’on pût ôter ce siége et le placer derrière la voiture.

Le mot carrosse et ses accessoires ont donné naissance à différens proverbes et expressions familières que nous placerons ici avant de terminer cet article.

On dit vulgairement et proverbialement d’un être grossier, brutal ou stupide, c’est un vrai cheval de carrosse ; dans le style familier, en parlant d’un homme qui a déjà pris quelque engagement dans une affaire, qu’il a donné des arrhes au coche ; et de quelqu’un qui se fait valoir, qui vante ses actions, qu’il fait claquer son fouet ; on dit proverbialement enfin, en parlant d’une chose très-inutile, qu’elle sert comme une cinquième roue à un carrosse.

Le Chandelier.


LE CHANDELIER.





Le chandelier, ou fabricant de chandelles, mène un commerce fort étendu dans toutes les contrées du monde civilisé.

Une chandelle consiste dans une mèche de coton couverte de suif et allumée par son extrémité supérieure ; elle sert à éclairer en l’absence du soleil.

Les chandelles doivent être faites de parties égales de graisse de bœuf et de graisse de mouton ; elles sont de deux espèces, l’une moulée, et l’autre plongée ou à la baguette.

Le coton dont on se sert pour les chandelles plongées se tire de Smyrne en balles ; il croît sur les arbres, où il se trouve renfermé dans une gousse ; on le carde et on le file. Le coton pour les chandelles moulées vient de Turquie et des contrées adjacentes ; on lui fait faire la quarantaine avant qu’il arrive en France ou en Angleterre.

Le chandelier se sert de femmes pour dévider le coton en pelottes ; il tire un fil de chacune de ces pelottes, le coupe dans la longueur convenable, qui lui est indiquée par celle des chandelles.

L’ouvrier emploie un escabel et un couteau à mèche : on nomme cet appareil banc à couper les mèches ; il a deux madriers montans retenus par une traverse ; il y a sur ce banc une lame de rasoir et une tige de canne placées dans une situation perpendiculaire à une certaine distance l’une de l’autre, suivant la longueur du coton. Le coton se dirige autour de la broche ou canne vers le couteau, et est aussitôt séparé des pelottes par son tranchant.

L’opération qui suit celle-ci est celle d’effilocher le coton, ce qui se fait en unissant le fil et en enlevant tous les nœuds. On transporte ces mèches sur de longues baguettes appelées broches ; elles ont un peu plus de trois pieds de long.

La profession de chandelier s’exerce à Londres dans un sellier, dont nous avons la représentation par la vignette ci-contre, ainsi que de l’escalier qui y conduit.

Le suif se fond dans une large chaudière ; quand il est bien écumé et raffiné on le transvase dans un vaisseau appelé moule ou abîme, dans lequel on plonge les mèches. L’ouvrier tient entre ses doigts les broches sur lesquelles les mèches sont repliées, et les plonge dans le moule ; elles sont ensuite suspendues sur un châssis, où elles restent jusqu’à ce qu’elles soient refroidies et durcies ; pendant ce temps-là il en plonge d’autres. Lorsqu’elles sont suffisamment refroidies les unes et les autres on les plonge une seconde et une troisième fois, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elles aient la grosseur convenable.

Il faut remuer pendant cette opération le suif de temps à autre, et fournir le moule ou abîme d’une nouvelle quantité de suif que l’on tient à une chaleur convenable par le moyen du feu qu’on met dessous.

Tel était le procédé long et pénible universellement adopté pour faire des chandelles lorsque, il y a environ vingt ans, on inventa à Londres une nouvelle méthode représentée dans la vignette, et que l’on peut décrire ainsi :

Trois poulies sont disposées dans l’intérieur d’une solive ; sur ces poulies roulent des cordes d’une grosseur convenable ; elles sont fixées à un châssis sur lequel sont placées les broches. Il y a dans la balance des poids suffisans pour remonter les broches ; on augmente la valeur des poids à mesure que les chandelles deviennent plus grosses et plus pesantes. L’ouvrier, au moyen de cette invention très-simple et très-bien imaginée, n’a qu’à s’occuper de guider les chandelles, et n’a pas à supporter entre ses doigts la pesanteur des broches.

Au coin à gauche de la vignette sont les moules dans lesquels se fondent les chandelles moulées ; le support en est de bois, et les différens moules qu’il contient sont des cylindres d’étain creux du diamètre et de la longueur dont on a besoin pour les chandelles. À l’extrémité de ces moules est un rétrécissement en cône qui forme en dedans une doucine. Cette partie, qui n’est pas séparée de la tige, se nomme collet ; elle est percée à son sommet d’un trou assez grand pour que la mèche puisse y passer. Le coton est introduit dans le moule par un fil de fer qui le traverse, et doit passer le collet avec un peu de force ; l’autre bout de la mèche est attaché de manière à la tenir dans une situation perpendiculaire et au milieu de la chandelle ; on remplit alors les moules de suif chaud, et on les laisse refroidir avant d’en retirer les chandelles. Indépendamment de ces chandelles, il en est d’autres destinées à brûler pendant la nuit sans qu’on soit obligé de les moucher : la mèche en était faite autrefois de roseau fendu ; mais depuis quelque temps on se sert de petites mèches de coton qui sont moins sujettes à s’éteindre, et qui, à raison de la petitesse du lumignon, n’ont pas besoin d’être mouchées.

La profession de chandelier renferme celle de fondre le suif, ce qui se fait en coupant par petits morceaux le suif à mesure qu’on le retire du bœuf ou de la brebis, et en le faisant bouillir pendant quelque temps dans une grande chaudière. Quand on en a extrait la graisse par le feu, le résidu est soumis à l’action d’une forte presse en fer, et le marc qui reste quand le suif est exprimé se nomme pain de creton ; on en nourrit les chiens, et la plus grande partie des canards que l’on élève dans la vallée d’Aylesbury et qui fournissent les marchés de Londres est engraissée avec du pain de creton : on en donne aussi quelquefois aux bœufs et aux cochons ; mais il s’en faut de beaucoup que cette nourriture donne un bon goût à la chair de ces animaux.

Il s’importe tous les ans, en temps de paix, de grandes quantités de suif de la Russie en Angleterre. Ce suif est renfermé dans des barils semblables à celui que l’on voit dans le coin de la vignette ; on en fait du savon et des chandelles d’une qualité inférieure.

Le prix des chandelles était autrefois réglé à Londres par le maître et les gardiens de la communauté des chandeliers, qui se réunissaient à cet effet tous les mois à leur salle d’assemblée, le premier de chaque mois ; mais maintenant le prix de tous les articles qui concernent cette profession est fixé toutes les semaines aux marchés. Les mots chandelier et chandelle ont donné, dans toutes leurs acceptions, lieu à différentes expressions figurées et proverbiales.

On dit, en termes de l’Écriture, qu’il ne faut pas mettre la lumière sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle éclaire toute la maison ; être placé sur le chandelier signifie occuper une place éminente, principalement dans l’église ; on dit vulgairement et proverbialement, par allusion aux ailes d’un papillon qui se brûle à la chandelle, qu’un homme vient se brûler à la chandelle, pour dire qu’il se confie à ceux dont il devrait se défier, qu’il cherche un asile dans le lieu où il y a le plus de danger pour lui ; d’un homme qui se ménage entre deux partis opposés, qu’il donne une chandelle à Dieu et l’autre au diable ; de celui qui est échappé d’un grand péril, qu’il doit une belle chandelle à Dieu ; que la chandelle qui va devant vaut mieux que celle qui va derrière, pour dire que les aumônes qu’on fait durant sa vie valent mieux que les legs pieux que l’on fait après sa mort ; qu’un homme est ménager de bouts de chandelle, pour faire connaître qu’il est ménager en de petites choses, ne l’étant pas dans les plus importantes ; d’une chose qui coûte plus qu’elle ne vaut, que le jeu n’en vaut pas la chandelle ; d’un ménage où le mari et la femme font également de la dépense, qu’on y brûle la chandelle par les deux bouts ; enfin, que la chandelle brûle, pour dire que le temps se passe.

On dit aussi vulgairement découvrir la mèche, vendre la mèche, pour dire découvrir le secret d’un complot.


LE JARDINIER.





Le jardinier s’occupe de la culture des arbres fruitiers, des fleurs, des plantes et des légumes de toute espèce.

Les jardins se distinguent en parterres, jardins à fruits et jardins potagers : les premiers servent pour le plaisir et pour l’ornement ; ils sont placés dans l’endroit le plus apparent, les deux autres sont destinés au service de la maison, et placés dans les endroits les plus retirés. Autrefois ils étaient distincts ; mais aujourd’hui on les réunit en un, parce que tous deux exigent un bon terrain ainsi qu’une bonne exposition, et qu’ils sont placés ordinairement loin de la maison.

Le Jardinier.

Les principales opérations du jardinier consistent à planter, greffer, tailler, semer, etc. La plupart de ces opérations sont si connues que nous ne parlerons que de la greffe, qui est l’art d’insérer une branche d’arbre dans la branche ou le tronc d’un autre, pour en corriger ou améliorer le fruit.

Les outils nécessaires pour ce travail sont un couteau à greffer, une quantité de liens de jonc ou de laine pour nouer les deux branches ou les deux troncs, et de l’argile bien détrempée pour en enduire la ligature et la préserver de l’air et de la pluie. Quand les greffes ou les boutures, qui doivent avoir une année de croissance, sont prêtes, vous choisissez une partie unie du tronc ; vous en ôtez l’écorce avec un peu du bois de la longueur d’un pouce, de manière qu’elle ait la forme d’un coin. Ces branches doivent être garnies de quatre à cinq yeux. On dispose ensuite l’une d’elles de manière qu’elle remplisse le vide de l’autre à l’endroit où elle a été fendue, et que leurs écorces puissent se joindre de tous les côtés. Après avoir ainsi fixé la greffe vous la nouez immédiatement à plusieurs tours avec un lien de jonc, en ayant soin de maintenir la greffe dans sa position. Ce bandage étant bien attaché, vous couvrez la place d’argile, pour que ni le vent, ni le soleil, ni la pluie n’y puissent pénétrer. Cette greffe se nomme greffe en fente.

Deux genres de greffer sont merveilleusement bien définis par ces vers de l’abbé Delille :

Cet art a deux secrets dont l’effet est pareil ;
Tantôt, dans l’endroit même où le bouton vermeil
Déjà laisse échapper sa feuille prisonnière,
On fait avec l’acier une fente légère ;
Là d’un arbre fertile on insère un bouton,
De l’arbre qui l’adopte utile nourrisson ;
Tantôt des coins aigus entr’ouvrent avec force
Un tronc dont aucun nœud ne hérisse l’écorce.
À ces branches succède un rameau plus heureux ;
Bientôt ce tronc s’élève en arbre vigoureux,
Et, se couvrant de fruits d’une race étrangère,
Admire ses enfans dont il n’est pas le père.

                                        Géorgiques.

Le jardinier représenté par la vignette est dans un parterre ; il est occupé à bêcher. Il y a devant lui un rateau, un arrosoir et une bêche ; à gauche est une planche de tulipes, et derrière elles, sur un amphithéâtre, différens pots.

À sa droite est l’aloës, qui ne fleurit qu’une fois dans un siècle.

La culture des fleurs est une occupation très-agréable ; avec une attention convenable il en est auxquelles on parvient à donner une très-belle apparence, quoiqu’elles en eussent une très-simple et très-ordinaire. Il existe plusieurs espèces de jardiniers ; les uns gagnent leur vie à cultiver les jardins des autres ; et ils reçoivent par an une somme proportionnée à l’étendue de ce jardin qu’ils cultivent ; d’autres vivent dans les maisons des riches particuliers, et reçoivent, comme les autres domestiques, des gages suivant leurs talens. Il est des jardiniers qui travaillent à la journée au dehors.

Indépendamment de ces jardiniers il est des maraîchers, c’est à dire des personnes qui élèvent des plantes et des légumes, et les font vendre dans les marchés et autres lieux. Les jardins pour la culture des légumes destinés à être vendus ont été exploités pour la première fois aux environs de Sandwich, dans le comté de Kent.

Cet exemple fut bientôt suivi près de la capitale, et il est peu de spectacles plus intéressans que la vue du marché de Covent-Garden, les matins des samedis, au commencement de l’été.

À quelques milles de la métropole il y a environ cinq mille acres de terre constamment cultivés pour l’approvisionnement du marché de Londres en légumes, sans compter dix-huit cents acres plantés d’arbres à fruit de toute espèce, et environ dix-sept cents acres de pommes de terre. Les paroisses Saint-Paul, Deptford, Chiswich, Battersea et Mortlahe sont célèbres par leurs asperges ; Deptford est aussi renommé pour la culture des oignons, dont il ne se vend que la graine ; il y en a environ vingt acres de semés tous les ans.

La profession de jardinier, ses instrumens de jardinage, les jardins et tout ce qui concerne son état, ont fait naître différens proverbes et expressions figurées ; voici les principales : on dit vulgairement et proverbialement jeter des pierres dans le jardin de quelqu’un, pour dire mêler dans un discours des paroles qui attaquent quelqu’un indirectement ; ne voyez-vous pas qu’en disant telle chose il jetait des pierres dans votre jardin ; ce mot est une pierre jetée dans mon jardin. En parlant d’une chose qu’on regarde comme très-difficile on dit j’aimerais mieux bêcher la terre que de faire ce que vous me dites. On dit vulgairement et familièrement de laquais, d’écoliers et d’autres gens malins, que c’est une mauvaise graine ; que mauvais grain est tôt venu.


LE PERRUQUIER.





Le perruquier peigne et taille les cheveux des hommes et des femmes ; il fait des perruques, et dans beaucoup de cas sa profession comprend en Angleterre celle de raser. Le perruquier représenté dans la vignette a besoin de ciseaux, de peignes, de poudre et de pommade, choses trop connues pour que nous en fassions ici la description.

Cet état était dans une plus grande vogue il y a dix ans qu’aujourd’hui. En 1795 le gouvernement anglais imposa une taxe d’une guinée sur toutes les personnes qui porteraient de la poudre : cet impôt fit beaucoup de tort à la profession de perruquier. Il régna l’année suivante et dans l’année 1799 une disette extrême de blé, dont se tire la poudre ; cette circonstance détermina beaucoup de personnes à ne plus se faire coiffer.

Le Perruquier.

Les principales qualités exigées dans un perruquier sont une main légère, une habitude à saisir les modes en faveur, et le talent de les perfectionner.

Les hommes et les femmes se coiffent de perruques blondes ou brunes dans tous les pays civilisés ; mais la fureur d’en porter a fait distinguer le commencement du dix-neuvième siècle. C’est en vain qu’il parut différens ouvrages pour empêcher le sexe de faire le sacrifice de ses cheveux et d’en porter de faux ; cette mode devint générale ; on ne voyait aux femmes brunes que des perruques blondes, aux blondes que des perruques brunes ; souvent la même femme en portait deux de différentes couleurs en un jour, et, comme dit Young, elle devenait sa propre rivale dans vos bras[1].

Aujourd’hui la mode de porter perruque est reléguée chez celles de nos douairières qui ne veulent pas absolument vieillir. Certains hommes tirant sur le grison croient se donner un air de jeunesse en portant perruque au mépris de ces vers de l’École des Maris :

Cela sent son vieillard qui, pour s’en faire accroire,
Cache ses cheveux blancs d’une perruque noire.

Aussi n’y a-t-il pas de métier plus lucratif que celui de faire des perruques, après celui de couper les cheveux à la Titus ? Les adeptes dans cet art jouissent d’une telle renommée que le plus célèbre d’entr’eux se contente de mettre au-dessus de sa porte son nom sans autre indication, et que si un mandarin était tenté de lui écrire, comme autrefois à Boerhaave, il lui suffirait de mettre sur l’adresse à l’illustre Armand, en Europe, et que la lettre parviendrait à son adresse.

La mode de porter perruque et de faux cheveux n’est pas particulière aux temps modernes ; elle était en vogue chez les Grecs et chez les Romains. La perruque de l’empereur Commode était poudrée avec de la poudre d’or que l’on y faisait tenir au moyen de parfums d’une nature visqueuse.

L’usage des perruques a été introduit en 1629 à Paris, d’où il s’est répandu par degrés dans toutes les autres parties de l’Europe.

Les cheveux forment une branche de commerce très-considérable. Leur mérite consiste à être très-bien nourris, et à n’être ni trop gros ni trop minces ; la grosseur les empêche de se prêter à la frisure, et la finesse de les garder longtemps frisés. Il n’y a pas de prix fixe pour les cheveux ; mais ils se vendent en Angleterre depuis 5 schelings jusqu’à 5 liv. sterling l’once, suivant leur qualité et leur couleur.

Autrefois le perruquier tressait et frisait indistinctement les faux cheveux par les deux bouts ; mais il est reconnu aujourd’hui que ceux destinés aux perruques doivent être tressés par le bout qui croît près de la tête, et que l’autre extrémité seule doit être frisée.

Les perruques fatiguées sont susceptibles d’être mises à neuf avec le secours d’un fer chaud et des papillotes ; mais il ne faut pas ensuite les exposer à la pluie : cela me rappelle une anecdote assez singulière.

Un jour un médecin de Lancasshire dit au jeune apprentif de son barbier : — Jack, il faut que tu prennes cette vieille perruque et que tu la passes au fer ; je te paierai grassement ; n’en dis rien à ton maître au moins. — Le garçon accepta cette proposition ; mais comme il n’aimait pas celui qui voulait l’employer, il fit part à son maître et aux autres apprentifs des offres du docteur, et se mit ensuite à l’ouvrage, mais avec des fers si chauds qu’il grilla tous les cheveux de la perruque, sans cependant la brûler tout à fait, et de manière qu’elle paraissait encore avoir l’air d’être frisée. — C’est très-bien, Jack, dit le docteur ; voici un scheling. — Un ou deux jours après le docteur sortit à cheval avec sa perruque ainsi mise à neuf ; mais ayant malheureusement été assailli d’une averse, les boucles s’en détachèrent les unes après les autres, et il ne resta plus de la perruque que la coiffe. Le docteur entra dans une colère qui ne peut pas se rendre ; mais il n’osa pas se plaindre, parce qu’il avait engagé l’apprentif à faire une chose contraire aux intérêts de celui qui nourrissait ce jeune homme et qui lui apprenait son état.

L’opération du barbier, qui est une autre partie de la profession de perruquier, n’a pas besoin de description ; le grand art de celui-ci consiste dans une main légère et un bon rasoir.

La profession de perruquier et de barbier, et leurs iustrumens, ont donné lieu aux proverbes suivans :

On dit figurément et proverbialement qu’un barbier rase l’autre pour dire que les gens d’une même profession se soutiennent ou se louent l’un l’autre ; on dit proverbialement et figurément d’un jeune homme, quand il veut faire des choses qui demandent plus de maturité, plus de poids que n’en ont ordinairement les jeunes gens de son âge, qu’il a la barbe trop jeune ; on dit encore proverbialement qu’un homme rit dans sa barbe pour dire qu’il est bien aise de quelque chose, mais qu’il n’en veut pas faire semblant.


LE
FABRICANT DE PEIGNES.





L’usage des peignes est trop connu pour qu’il soit besoin d’en donner ici la description. Ils se font en général de corne de bœuf ou de dents d’éléphant et de rhinocéros ; on en fait aussi d’écailles, de buis et de houx. Voici la manière de préparer la corne pour en fabriquer les peignes.
Le Fabricant de Peignes.

On en scie le bout, puis on l’expose à l’action d’un feu de bois, ce qui s’appelle griller, et elle devient aussi souple que du cuir ; dans cet état on l’entr’ouvre d’un côté, et on la presse entre deux plaques de fer ; on la plonge ensuite dans une auge remplie d’eau, dont elle sort dure et plate.

Le fabricant de peignes la scie alors dans une longueur proportionnée à celle des peignes dont il a besoin. Pour former les dents de ces peignes on fixe chaque feuille de corne dans un outil appelé âne, représenté debout dans la vignette, derrière l’ouvrier. Le fabricant de peignes se met à cheval pour travailler, sur un banc triangulaire ou établi en forme de prie-dieu, et sous lui est placé l’âne. À la mâchoire supérieure de cet âne est une corde qui descend jusqu’à la hauteur des pieds de l’ouvrier ; il lâche ou serre cette corde avec son pied, selon qu’il en est besoin.

Les dents des peignes se taillent avec une scie et se finissent à la lime ; une plus grosse lime, appelée râpe et semblable à celles suspendues sous la fenêtre représentée dans la vignette, sert à réduire la corne à son épaisseur nécessaire ; lorsque les peignes ont reçu la forme qu’il leur convient on les polit avec du charbon et de l’eau ; ils reçoivent ensuite leur dernier fini de la poudre de pierre pourrie.

Les procédés employés pour faire des peignes d’ivoire doivent être à peu près les mêmes que ceux que nous venons de décrire, si ce n’est qu’il faut commencer par les séparer en feuilles très-minces. Le meilleur ivoire vient des îles de Ceylan et d’Archand, dans les Indes orientales, attendu qu’il a la propriété de ne jamais jaunir ; l’ivoire qui provient de ce pays est en conséquence beaucoup plus cher que celui des autres parties du globe.

Après avoir décrit la manière ordinaire de faire les peignes nous croyons devoir informer le lecteur qu’il y a environ huit ans M. Bundy, de la ville de Cambden, a obtenu une patente pour tailler les peignes avec une machine.

On doit regarder comme une circonstance particulière qu’avant cette époque on n’avait pratiqué dans ce pays, pour tailler les dents de peignes, aucune autre méthode que l’emploi d’une scie grossièrement fixée à un manche de bois, et dirigée par la main de l’homme. C’est avec ce moyen cependant que se taillent les peignes d’ivoire superfins, qui ont cinquante à soixante dents par pouce. La machine à tailler les peignes de M. Bundy est très-expéditive ; les dents de deux peignes sont sciées dans l’espace de trois minutes ; on termine ensuite la pointe de ces peignes en les appliquant à un arbre ou axe de roue pourvu d’un découpoir armé de dents taillées en biseau.

On se sert beaucoup de peignes d’écailles, et il est des méthodes de teindre la corne de manière à lui faire imiter l’écaille ; en voici une des plus usitées. Il faut d’abord aplatir la corne que l’on veut teindre, et la couvrir d’une pâte faite de deux parties de chaux vive et d’une de litharge, à laquelle on donne la consistance nécessaire avec de l’eau de savon ; il faut étendre cette pâte sur toutes les parties de la corne, excepté sur celles que l’on veut laisser transparentes, pour lui donner de la ressemblance avec l’écaille. On laisse la corne dans cet état jusqu’à ce qu’elle soit entièrement sèche, et alors on en ôte la pâte avec une brosse. Il faut du goût et du jugement pour disposer la pâte de manière à former une variété de parties transparentes de différentes grandeurs et de différentes formes qui imitent la nature ; on a besoin aussi de demi-transparences ; elles se font en mêlant du blanc d’Espagne avec une partie de la pâte pour en affaiblir l’effet dans certaines places ; il se fera alors des taches d’un brun rougeâtre qui augmenteront la beauté de l’ouvrage. La corne ainsi nuancée sert à fabriquer des peignes et il en est de cette sorte que l’on vend souvent pour de l’écaille.

Les peignes servent non seulement à peigner les cheveux et à les mettre en ordre, mais encore à orner la tête ; on les enrichit quelquefois de pierres de couleur, de perles, et même de diamans ; ces peignes affectent différentes formes et servent à tenir les cheveux relevés quand les dames se coiffent sans bonnet. On peut donc faire des peignes de tous les prix, depuis celui de quelques pences (2 sols) jusqu’à celui de la somme la plus considérable.

L’ouvrier représenté dans la vignette est occupé à tailler les dents d’un peigne ; à sa gauche est un banc avec des peignes entièrement finis ; on voit par terre des cornes avec lesquelles il les a fabriqués, et à gauche, dans un coin, est un tas de copeaux et de rognures de cornes.

La corne dont on fait les peignes est transparente lorsqu’elle est mince, et on l’a souvent employée en place de verre pour des carreaux de vitre. Quand elle a été chauffée au feu on lui fait prendre toutes les formes que l’on veut, et on en fait des colifichets de toutes les espèces. L’analise a démontré que l’écaille de tortue consiste en membranes très-minces appliquées les unes sur les autres ; et qu’elle ressemble beaucoup par sa nature aux ongles des pieds et des doigts de l’homme.

Du temps de Bacon les vieillards se peignaient les cheveux avec des peignes de plomb pour les rendre d’un noir plus foncé. On a vu des femmes à chevelure rousse employer le même moyen pour changer la nuance de leurs cheveux ; mais tous ces expédiens manquent leur but, parce que le plomb perd promptement sa couleur à l’air en s’oxidant. Le meilleur moyen de colorer les cheveux en noir est d’employer du nitrate d’argent ou de la dissolution d’argent dans de l’acide nitrique (eau-forte) ; cette substance liquide désorganise promptement les matières animales. Si l’on en met sur les cheveux ou sur les favoris elle les teint promptement en un noir qui ne s’efface jamais ; mais il faut se servir avec beaucoup de précaution de cette dissolution, qui cautérise la peau. Pour éviter tout accident il faut étendre le nitrate d’argent dans une quantité convenable d’eau distillée.

La profession de fabricant de peignes, les objets qu’il fabrique et les instrumens qu’il emploie, ont donné lieu au proverbe suivant : on dit proverbialement d’un homme prompt et violent qu’il tuerait un mercier pour un peigne, pour dire que quand il est en colère il s’emporte avec excès pour peu de chose.

La Marchande de Modes.


LA
MARCHANDE DE MODES.





Le travail de la marchande de modes et les articles qu’elle fabrique sont très-bien développés dans la vignette. Des chapeaux, des bonnets et des toques sont étalés aux fenêtres de sa boutique, avec une mante, une palatine et un manchon ; la marchande elle-même est occupée dans son comptoir à faire un chapeau. Les cartons que l’on voit à terre sont destinés à contenir l’ouvrage qu’elle porte en ville quand il est fini, ou à renfermer quelques objets de son commerce, comme des plumes, des fleurs artificielles, de la mousseline, de la gaze, du crêpe, etc.

Les tiroirs de la table ou du comptoir sont faits pour serrer des rubans de différentes largeurs, nuances et prix, du fil, de la dentelle, de la soie, etc.

Une marchande de modes doit avoir du goût, de l’imagination et un discernement prompt à distinguer, imiter et perfectionner les différentes modes, qui changent perpétuellement dans les classes les plus distinguées de la société.

La mousseline, qui constitue un des principaux articles de la profession de marchande de modes, est une étoffe très-fine, faite entièrement de coton ; elle tire son nom d’un duvet très-fin que l’on voit à sa surface et qui ressemble à de la mousse. Il est différentes mousselines importées en Angleterre des Indes orientales ; les meilleures sont celles qui viennent du Bengale ; elles sont sujettes à des impôts considérables, qu’on restitue aux marchands s’ils parviennent à les exporter chez l’étranger.

La gaze est une étoffe de soie et quelquefois de fil très-légère, très-fine et très-transparente. Le métier de fabricant de gaze ne diffère pas beaucoup de celui de tisserand ; mais le premier a quelques accessoires qui lui sont particuliers. Il existe beaucoup d’espèces de gazes ; les unes ont des fleurs sur un fond de soie, d’autres sont brochées en or et en argent. Il se fait de la gaze en Angleterre ; mais la plus grande partie en est importée de la Chine.

Le crêpe est une étoffe très-légère, très-transparente, et qui a sous quelques rapports de la ressemblance avec la gaze ; il se forme de soie écrue gommée, tordue sur un rouet et tissée sans que les fils se croisent : on s’en sert pour les habillemens de deuil, et c’est aujourd’hui une étoffe fort à la mode pour les parures de cour.

Le crêpe employé pour le deuil est crépu ou lisse ; le premier est double et annonce un très-grand deuil ; le crêpe simple ou lisse indique le plus petit deuil. Le crêpe reçoit différentes couleurs ; mais la soie s’en teint toujours en écru. La principale fabrique de cette étoffe est à Lyon, en France ; mais il s’en fait beaucoup dans différentes parties de ce royaume.

Le crêpe qui s’emploie à des ajustemens de cour est orné de différentes manières ; quand on en fait des bonnets ou des turbans on le brode en paillettes et en fleurs artificielles, ou on l’enrichit de diamans.

Les paillettes sont de petites lames rondes et minces de métal, percées au milieu, que l’on coud sur des vêtemens. On les fait de la manière suivante : on tourne autour d’une broche de fer du fil de laiton, auquel on fait prendre la forme d’une vis ; on le coupe ensuite en courbes spirales pareilles à celles dont se servent les épingliers, et ces cercles, étant placés sur un tas fort uni, sont aplatis et étendus par un vigoureux coup de marteau, de manière qu’il reste un petit trou dans le milieu ; les extrémités du fil de laiton, qui sont placées l’une sur l’autre, sont alors unies de très-près. Les paillettes en or et en argent ont été fabriquées pour la première fois dans les manufactures de France, où elles ont été fort longtemps un secret ; elles furent néanmoins employées avec beaucoup de succès par la suite en Allemagne et dans d’autres contrées.

Les fleurs artificielles se font quelquefois avec du beau papier de couleur, quelquefois avec des cocons de vers à soie, mais principalement avec de la batiste, espèce de toile de lin fabriquée pour la première fois à Cambrai, en France, et dont il y eut de grandes quantités d’importées dans ce pays. Maintenant toutes les personnes convaincues en Angleterre de porter, de vendre ou de louer de la batiste, du cambric ou du linon de France, sont sujettes à une amende de cinq livres sterling ; les cambrics d’Angleterre se fabriquent en Irlande et en Écosse.

Les rubans employés par les marchandes de modes sont tissés ; il y en a de différentes espèces, qui portent différens noms, comme ceux-ci : rubans chinés, rubans de satin, rubans de taffetas, etc. Les marchandes de modes vendent aussi des manchons et des palatines ; mais ces objets se fabriquent par les marchands de pelleterie.

Les marchandes de modes emploient beaucoup de velours, étoffe fort à la mode.

Le velours est une étoffe de soie à poil court et serré. Il y a du velours à deux poils, à trois poils, à quatre poils, selon la quantité de soie qui entre dans sa fabrication. On appelle velours ras une espèce de velours qui est dépourvu de poil.

La profession de marchande de modes, les étoffes qu’elle emploie et les instrumens dont elle se sert ont donné lieu aux expressions proverbiales suivantes : on dit proverbialement les fous inventent les modes et les sages les adoptent ; proverbialement et figurément on dit, de deux ou trois personnes liées d’amitié et d’intérêt, et toujours d’un même sentiment, ce sont deux ou trois têtes dans un bonnet ; on dit proverbialement et figurément de fil en aiguille pour dire de propos en propos, d’une chose à une autre ; il nous a raconté toute l’histoire de fil en aiguille ; on dit aussi d’une chose qu’on cherche, mais qui est très-difficile à trouver à cause de sa petitesse, c’est chercher une aiguille dans une botte de foin ; enfin on dit proverbialement et figurément donner du fil à retordre pour dire causer de l’embarras.

L’Ouvrière en Dentelles.


L’OUVRIÈRE
EN DENTELLE.





L’ouvrière en dentelle est représentée dans la vignette travaillant en plein air, ce qui dans ce pays offre un spectacle assez curieux pendant les mois d’été. La dentelle ne se tisse pas, et elle n’exige ni le secours de la navette ni celui de la trame ; elle se fait avec de la soie ou du fil, que l’on roule sur de petites bobines ou fuseaux de bois, d’os, d’ivoire et de buis, de la grosseur du petit doigt.

Le patron d’après lequel la dentelle se fait est dessiné sur un morceau de papier fort ou de parchemin, percé de trous d’épingles et appliqué sur un coussin que l’ouvrière tient sur ses genoux. Toutes les extrémités du fil sont attachées ensemble, et la faiseuse de dentelle les entrelace de différentes manières les unes sur les autres, autour d’épingles qui sont piquées dans les trous du modèle ; elle déplace ces épingles pour les enfoncer dans d’autres trous du patron, à mesure que l’ouvrage s’avance, et produit par ce moyen cette multiplicité d’yeux ou de petites ouvertures qui donnent à la dentelle le dessin indiqué.

Cette opération exige beaucoup d’art et d’intelligence ; c’est néanmoins un travail fort ennuyeux. Quand le fil est très-fin et que le travail est compliqué il exige un degré de patience que l’on espérerait en vain des personnes douées de quelque aisance. La fabrication des dentelles est en conséquence abandonnée à des femmes ou des filles indigentes, qui, par leur talent et leur dextérité, élèvent la valeur des matières premières d’un prix modique à des sommes considérables ; mais le temps employé à ce genre de fabrication est toujours en proportion du mérite de l’ouvrage, de sorte que, tout bien considéré, ce travail rapporte fort peu de bénéfice.

L’origine de la fabrication des dentelles n’est pas exactement connue ; quelques écrivains la croient la même chose que ce que les auteurs latins appelaient l’art phrygien ; mais cet art consistait plutôt dans un travail à l’aiguille que dans l’espèce de tricot dont se compose la dentelle.

Les bordures cousues sur le drap et sur la tapisserie dont parlent les anciens étaient une espèce de dentelle faite à l’aiguille ; celle-ci est nécessairement d’une étoffe beaucoup plus ancienne que celle faite au fuseau. Il existe une infinité d’échantillons de la première dans des meubles d’église ; elle était, suivant toutes les apparences, l’ouvrage des nones et des femmes opulentes, qui consacraient leurs momens à manier l’aiguille par des motifs religieux ; mais si la dentelle eût été un objet mieux fabriqué en grand et répandu dans le commerce, il en eût été indubitablement question dans les écrits des auteurs contemporains.

Une fabrique de dentelles s’établit à Paris sous les auspices du célèbre Colbert, dans l’année 1666 ; mais cette dentelle se faisait à l’aiguille, et ressemblait à ce que nous appellons point. Les Allemands néanmoins réclament l’honneur d’avoir inventé les premiers l’art de faire de la dentelle avec un coussin et des fuseaux ; ils attribuent cette découverte à Barbara, femme d’Adrien Uttman, qui mourut vers l’an 1575. À cette époque les mines de l’Allemagne étaient beaucoup moins productives qu’elles ne le sont depuis plusieurs siècles ; les femmes et les filles des mineurs se mirent à faire de la dentelle. La modicité du prix de la main-d’œuvre mit à même de la vendre à si bon compte qu’elle devint à la mode, et qu’elle fit même tomber celle de porter le point d’Italie fait à l’aiguille.

La dentelle la plus estimée est celle qui se fait à Bruxelles, Gand, Anvers et Valenciennes. Ce genre d’industrie fait beaucoup de bien aux pays environnans, et porte les fermiers à cultiver du lin dans les terres les moins fertiles de cette contrée : il se faisait encore beaucoup de dentelles autrefois en France dans les couvens.

En Angleterre la fabrique des dentelles est portée à une très-grande perfection ; dans le comté de Buckingham particulièrement, dans la ville et le voisinage de Newportpagnel, qui est une espèce de marché pour cette branche de commerce, et qui en tire le plus grand parti.

Un très-petit nombre de proverbes est sorti de cette profession ou des instrumens qu’elle emploie ; cependant on dit proverbialement avoir des jambes de fuseau, des bras de fuseau, pour dire avoir les jambes extrêmement menues.


LE PLUMASSIER.





Cette profession est encore l’une de celles qui en Angleterre sont exercées par les femmes. La personne représentée dans la vignette est occupée à arranger un panache militaire ; mais les plumes qui sont exposées à la fenêtre sont celles que les dames portent pour parure. Depuis quelques années le commerce des plumes, surtout de celles qui servent aux aigrettes guerrières, est beaucoup augmenté.

Le Plumassier.

Avant que les plumes ne parviennent à la personne qui les vend elles subissent différentes manipulations. On les frise en les soumettant aux mêmes procédés que les cheveux ; on les teint aussi de différentes couleurs quand il en est besoin.

Les plumes dont on se sert ordinairement sont celles d’autruche, de héron, de coq, de cygne, de paon, d’oie et de corbeau ; quelques-unes de ces sortes de plumes sont employées aux panaches qui décorent les voitures et les chevaux de deuil aux funérailles des grands. Nous devons encore à plusieurs de ces plumes le duvet sur lequel nous reposons, et l’instrument qui sert à écrire.

Les oies se plument dans quelques parties de la Grande-Bretagne cinq fois par an, savoir, la première fois à la Notre-Dame d’août, et les quatre autres entre cette époque et la Saint-Michel. La première de ces époques fournit les plumes à écrire, et les quatre autres, c’est à dire celles entre cette époque et la Saint-Michel, fournissent les plumes de lit. Cette coutume barbare fait périr beaucoup d’oies dans les saisons rigoureuses. Les marais du comté de Lincoln sont peuplés d’un grand nombre d’oies, et le produit des plumes est si considérable qu’il rend par an trois cents sacs, pesant chacun cent livres et demie.

Les plumes destinées aux aigrettes militaires se tirent principalement de celles qui viennent au cou du coq ; ces plumes sont très-recherchées. Le coq a sur le cou et sur le dos de longues plumes mêlées d’oranger, de noir et de jaune ; sa queue se compose de plumes droites, bordées sur le côté de deux grandes plumes qui s’élèvent sur les autres sous la forme d’une faucille.

Le plumage du coq d’Inde est fort beau ; il a cinq couleurs différentes, savoir, le noir, le blanc, le vert, le rouge et le bleu ; sa queue se compose de douze belles plumes. Les naturels du pays prennent ces longues plumes pour faire des parasols et des éventails. Les plumes d’autruche néanmoins sont les plus estimées ; elles ressemblent à celles qui sont représentées sur la vignette dans leur état naturel ; elles sont pour la plupart noires et blanches. Les plumes les plus grandes de l’autruche sont à l’extrémité des ailes et de la queue.

Les plumes de cet oiseau ont besoin d’être teintes et de subir un apprêt avant de servir à la parure des femmes. Les dépouilles de l’autruche sont si précieuses que l’on ne doit pas s’étonner que les peuples dans le voisinage desquels elle se trouve soient ses ennemis jurés, et qu’ils soient attachés à sa poursuite. La valeur de l’autruche est si connue des Arabes, qu’ils dressent leurs meilleurs coursiers à la chasse de cet oiseau.

Les chasseurs viennent au rendez-vous dans les plaines, montés sur d’excellens chevaux barbes, et amènent des lévriers. L’autruche lancée court avec la plus grande rapidité ; poursuivie de plus près, elle prend un pas lent, comme si elle ne se défiait pas du danger dont elle est menacée, ou qu’elle fût sûre d’échapper ; elle fait ensuite des détours si brusques qu’il faut être un excellent cavalier pour la suivre dans tous ses mouvemens. En courant elle tient ses ailes comme des bras, dans une agitation continuelle qui correspond exactement avec les mouvemens de ses jambes ; enfin, lorsqu’elle est épuisée de fatigue, elle se décide à se cacher ; elle se couvre en conséquence la tête de sable ou l’enfonce dans le premier buisson qu’elle rencontre, et là elle attend patiemment que ses ennemis la prennent. Les chasseurs évitent toujours de tuer leur proie, parce que les plumes que l’on arrache à l’autruche pendant qu’elle est en vie sont celles qui ont le plus de prix ; celles qu’on en retire après sa mort sont sèches, légères et sujettes à être piquées par les vers. Il est beaucoup de tribus d’Arabes qui la chassent et la prennent pour l’apprivoiser et en obtenir les plumes, ce qui donne très-peu de peine.

Le panache ou l’aigrette que la femme arrange dans la vignette se compose d’un nombre considérable de petites plumes ; quand elles proviennent du cou du coq elles sont proprement montées sur du fil d’archal très-fin ; mais si ce sont de petites plumes d’autruche on les lie autour d’une branche de gros fil de fer très-fort. Les plumes d’autruche qui s’emploient seules sont terminées à leur extrémité inférieure par un fil de laiton pour les fixer à une toque, à un chapeau ou à un turban.

L’aigrette, oiseau que Willhugby croit être le même que celui que Gessner et Aldrovande ont décrit sous le nom d’Alba-Minor ou de Garzetta, a les plumes très-longues et d’un grand prix ; cet oiseau a donné son nom aux panaches militaires. Ces deux derniers auteurs prétendent que les plumes dont se parent les grands, et qui se vendent si cher, ne sont pas celles de la tête de cet oiseau, mais celles qui viennent sur le dos, à côté des ailes. Willhugby avait acheté à Venise l’aigrette qu’il a découverte ; elle n’avait pas de plumes, et il soupçonne qu’on les avait arrachées de l’oiseau avant de le lui vendre.

La contexture de la barbe des plumes en général est composée de filets si artistement entrelacés que la vue ne peut qu’exciter notre admiration, surtout lorsqu’on les regarde au microscope.

Le choix des plumes à écrire n’est pas indifférent ; celles d’une moyenne grosseur et vieilles valent mieux que les grosses et les neuves ; celles des corbeaux sont excellentes pour les écritures fines, et surtout pour la sténographie.

On dit figurément et proverbialement d’un homme à qui il en a coûté de l’argent pour se tirer d’une affaire, qu’il y a laissé des plumes ; en parlant du jeu on dit qu’on a eu des plumes de quelqu’un pour dire qu’on lui a gagné de l’argent.


LE BATTEUR D’OR.





La feuille d’or est de l’or battu avec un marteau, en lames excessivement minces. L’état de finesse à laquelle une masse d’or peut être réduite est presque incroyable : M. Boyle a trouvé que cinquante pouces carrés d’or ne pesaient qu’un grain, et comme un pouce cube d’or contient quatre mille neuf cent deux grains, l’épaisseur de cette feuille d’or faisait moins que la deux cent quarante millième partie de l’épaisseur d’un pouce.

Le Batteur d’Or.

L’or destiné à faire des feuilles se fond d’abord dans un creuset avec du borax ; on le verse ensuite dans un moule de fer appelé lingotière, dont on le retire pour le faire chauffer et le forger en barres longues que l’on passe au laminoir jusqu’à ce qu’elles n’aient pas plus d’épaisseur qu’une feuille de papier ; on les coupe alors en morceaux d’égale longueur appelés quartiers, que l’on forge et que l’on chauffe de nouveau, ou que l’on fait recuire pour corriger la rudesse que le métal a contractée sous le marteau et au laminoir.

Pour aplatir ces quartiers en feuilles très-fines il est nécessaire d’interposer entre elles et le marteau un corps lisse qui amortit le coup et les préserve de la violence de son action ; comme aussi de placer entre chaque quartier quelque corps intermédiaire qui les empêche de se joindre ou de se réunir les uns aux autres, et leur permet de s’étendre. Les batteurs d’or emploient pour cet usage trois espèces de membranes ; l’une, qui couvre l’extérieur de ces quartiers, est de parchemin ordinaire ; on se sert après cela de feuilles de vélin pour mettre entre les feuilles d’or ; on emploie ensuite des membranes plus fines, appelées peau de baudruche ; c’est une pellicule que les bouchers ou les boyaudiers enlèvent de dessus les boyaux de bœuf, et que le batteur d’or ouvre en deux. La préparation de ces membranes forme une profession à part, et qui s’exerce par un très-petit nombre de personnes dans ce royaume.

La batte d’or se fait sur un bloc de marbre très-uni, de deux à six cents livres, placé au milieu d’une table de bois ou caisse, de manière que la surface du marbre et celle de la caisse se trouvent de niveau. Trois des côtés de cette caisse sont garnis d’un bord très-élevé, et le devant, qui est ouvert, est muni d’un tablier de cuir que le batteur attache après lui pour y recevoir les parcelles d’or qui s’échappent de dessous le marteau.

Cette profession emploie trois marteaux, lesquels ont deux faces convexes, quoique l’ouvrier ne se serve que de l’un de ces côtés. Le premier de ces marteaux, qui pèse de quinze à seize livres, s’appelle marteau plat à dégrossir ; le second se nomme marteau à chasser ; il pèse douze livres ; le troisième marteau à achever ; il pèse environ dix livres.

Cent cinquante feuilles d’or sont entremêlées avec des feuilles de vélin de trois à quatre pouces en carré. Une feuille de vélin se trouvant placée entre deux carrés d’or, le tout est enveloppé d’un fourreau ou enveloppe de plusieurs feuilles de parchemin appliquées les unes sur les autres, et collées par un des bouts, de manière qu’elles forment une espèce de sac ouvert ou d’étui. Sous les deux côtés de cet étui se trouvent vingt feuilles de vélin qui ne sont pas garnies de feuilles d’or, et qu’on place au commencement et à la fin du livret pour garantir la matière de la trop grande force des coups ; de cette manière l’assemblage des feuilles d’or et de vélin se trouve serré et fermé de tous côtés. Le tout est battu avec le marteau à dégrossir, et retourné sens dessus dessous, jusqu’à ce que la dimension des feuilles d’or ait atteint celle du vélin. Les pièces du quartier, que l’on retire d’entre les feuilles de vélin, sont coupées en quatre avec un couteau à lame d’acier, et les six cents divisions sont ensuite entremêlées de la même manière avec des feuilles de baudruche de cinq pouces en carré.

On répète alors la batte de l’or jusqu’à ce que les carrés aient atteint l’étendue des peaux, et alors on les partage une seconde fois. L’instrument employé pour cette opération est un morceau de roseau taillé en biseau ; les feuilles deviennent si minces que l’humidité de l’air ou de l’haleine, qui se condense sur une lame de couteau métallique, les collerait les unes sur les autres. Après une troisième batte, faite de la même manière, on enlève les feuilles avec le bout de l’instrument de roseau, et après les avoir aplaties en les soufflant sur un coussin de cuir on les coupe les unes après les autres, et on leur donne la dimension qu’elles doivent avoir avec une espèce de châssis carré de roseau ayant un tranchant convenable ; elles sont ensuite arrangées dans des livrets de vingt-cinq feuilles chacun, dont le papier est très-lisse et frotté avec du bole rouge pour empêcher qu’elles ne s’y attachent.

Le procédé de battre l’or est très-influencé par le temps ; l’humidité et la gelée sont contraires à cette opération. L’or qu’on emploie dans cet art doit être au plus haut titre ; il serait même difficile d’en employer qui ne fût pas très-pur, attendu qu’un alliage, en trop petite quantité pour affecter la couleur de la feuille, la disposerait à perdre une partie de sa beauté à l’air ; d’ailleurs l’ouvrier qui voudrait l’altérer s’exposerait à perdre plus par l’infidélité de son travail qu’il ne gagnerait par le bas aloi de la matière.

On dit proverbialement tout ce qui reluit n’est pas or pour dire que tout ce qui a l’apparence d’être bon ne l’est pas.

Le Paveur.


LE PAVEUR.





La profession de paveur est connue de tout homme qui a passé quelque temps dans une grande ville. Les outils employés pour ce travail sont en très-petit nombre ; ils consistent dans une pioche pour creuser la terre à une profondeur susceptible de recevoir le pavé ; une grosse massue de bois appelée demoiselle, ferrée à son extrémité inférieure, et semblable à celle que l’homme représenté dans la vignette tient dans sa main ; un balai de bouleau avec lequel il fait entrer le sable dans les joints qui existent entre les pierres.

L’utilité de cette profession sera facile à sentir si l’on considère qu’avant l’usage de paver Holborn, qui était une des rues principales de Londres, était tellement sale et remplie de boue qu’on était exposé à toutes sortes de dangers et de hasards, et que les voitures du roi y couraient autant de risques que celles de ses propres sujets. Les autres rues passent aussi pour avoir été fort malpropres, pleines d’ornières et de trous, et aussi incommodes pour les gens de pied que pour les gens à cheval. C’est à raison de ces inconvéniens que Henri V consacra deux navires du port de vingt tonneaux chacun à apporter des pierres pour paver les rues. Il paraît que c’est depuis cette époque que Londres a été pavé, par degrés et à mesure que ses différens quartiers devinrent plus peuplés. Smithfield n’a été pavé qu’en 1614.

Paris a été pavé à une époque bien antérieure. Philippe-Auguste, étant un jour à l’une des croisées de son palais, observa que la boue dont les passans étaient éclaboussés par les voitures jetait une odeur fétide ; il résolut en conséquence de remédier à ce désagrément en faisant paver les rues de la capitale ; il en donna l’ordre dans l’année 1184, et à cette occasion la ville, qui à raison de sa malpropreté portait le nom de Lutetia, de Lutum, mot latin qui signifie boue, bourbe, fange, limon, prit celui de Paris. Les pierres dont on se sert pour paver les chaussées des rues de Londres viennent principalement d’Écosse ou des îles de Jersey et de Guernesey : la première de ces îles fournit du grès d’une couleur rougeâtre ; les pierres que l’on tire de la seconde sont prises sur les côtes de la mer, et sont peut-être l’espèce la plus dure qui existe.

À Venise le pavé est de briques ; en France de grès ; à Amsterdam la chaussée est de silex, et les trottoirs de briques.

Si l’on en croit Isidore, les Carthaginois ont été les premiers qui aient pavé leurs villes ; ensuite, à leur imitation, Appius Claudius Cæcus fit paver la ville de Rome cent quatre-vingt-huit ans après l’exclusion des Tarquins ; c’est ce qu’on nommait la voie Appienne.

Les Romains avaient deux manières différentes de paver ; ils avaient des chemins pavés de pierres ; d’autres étaient cimentés de sable et de terre-glaise. Ces pavés formaient trois rangs ; celui du milieu servait aux gens de pied ; il formait le dos d’âne et était un peu plus élevé que les deux autres ; les pavés en étaient taillés à pans incertains : les autres rangs étaient couverts de sable mêlé avec de la terre, sur lesquels les chevaux marchaient. Les Romains avaient des chemins bordés par intervalles de grosses bornes dressées à une hauteur commode pour monter à cheval, parce que les anciens n’avaient pas d’étriers, ce que l’on aurait peine à croire si tous leurs ouvrages n’en offraient la preuve.

Il existe en Irlande une espèce de merveille appelée le pavé des géans ; c’est un assemblage de colonnes prismatiques ; il forme un triangle équilatéral.

Les outils nécessaires aux paveurs de grand échantillon sont une pelle, une pince, plusieurs marteaux, entre autres un marteau à refendre, un autre à fouiller la terre, un niveau, et la demoiselle dont nous avons parlé ; ce dernier instrument, au lieu d’avoir deux anses ou deux bras comme en France, a une espèce de bras de levier au tiers de sa hauteur, à compter du haut, et une espèce de poignée à son sommet : nous laissons à la mécanique à juger si cette construction est la plus favorable aux efforts du paveur ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle l’oblige moins à plier le corps.

La profession, les outils et les matériaux du paveur ont donné lieu aux expressions proverbiales suivantes : on dit figurément et proverbialement d’un homme qui mange extrêmement chaud qu’il a le gosier pavé ; on dit encore qu’un homme est sur le pavé pour faire entendre qu’il ne sait pas où se loger ; on dit figurément tenir le haut du pavé pour dire tenir le premier rang, être le plus considéré en quelque endroit ; il tient le haut du pavé en ce pays-là. Tâter le pavé, au figuré, signifie agir avec circonspection ; proverbialement et figurément, pour dire qu’il y a une grande abondance d’une certaine sorte de choses dans une grande ville, ou une grande multitude d’une certaine sorte de gens, on dit que les rues en sont pavées.

Le Tourneur.


LE TOURNEUR.





L’art de tourner est fort ingénieux, et ses travaux sont très-bien démontrés dans la vignette. Le principal instrument dont se sert le tourneur dans sa profession est le tour, qui lui est très-utile pour travailler le bois, l’ivoire et différentes autres substances, telles que le cuivre et l’argent, auxquels il donne une forme ronde ou ovale à son gré ; il est même des tourneurs qui attrapent la ressemblance sur le tour en l’air.

La profession de tourneur était fort connue des anciens, et elle fut portée par eux à un degré de perfection considérable. Elle est d’une grande importance à différens états ; l’architecte y a recours pour les ornemens du dedans et du dehors des maisons construites avec élégance ; le mécanicien et le physicien l’emploient non seulement pour embellir leurs instrumens, mais encore pour les appliquer à leurs différens usages.

Il y a plusieurs espèces de tours. Celui représenté dans la vignette est fort utile pour les petits ouvrages ; il en est qui exigent l’effort de deux hommes pour faire tourner la roue ; dans celui-ci elle est mise en mouvement avec le secours d’une pédalle ou marche, par l’ouvrier qui est occupé à tourner le bois.

L’objet à tourner se place sur l’axe alongé de la plus petite roue, et l’on appuie sur le support ou sur la barre le ciseau et tout autre instrument dont on se sert. Aussitôt qu’on l’approche du bois, pendant qu’il tourne avec rapidité, il en enlève très-proprement des copeaux.

La pièce avant d’être mise sur le tour doit être arrondie, soit avec une hache, comme celle qui est derrière l’ouvrier, ou avec une plane, espèce de couteau à deux manches, dont la lame est un peu ceintrée dans sa longueur, et on la rend d’une égale grosseur autant qu’il se peut, en la tenant un peu plus épaisse que le dessin que l’on veut exécuter.

L’apprentif tourneur doit chercher à bien se servir de la gouge et du ciseau, qui sont les instrumens dont il se sert le plus, et les plus nécessaires dans son état : c’est avec eux qu’il tourne tous les bois tendres. Quant aux corps durs, comme l’ébène, le buis, l’ivoire, etc., on les tourne en ratissant ou en raclant. Dans ce cas on se sert de bec-d’ânes ou de mouchettes à face droite et à face ronde. Ces derniers instrumens doivent être tenus horizontalement pendant qu’on les applique au bois ; mais la gouge et le ciseau doivent s’appliquer obliquement.

Quand l’ouvrage est complétement tourné il faut le polir. Les bois tendres, comme l’érable, le peuplier, le bouleau, etc., peuvent se polir avec de la peau de chien ou avec la presle. La peau de chien est beaucoup meilleure lorsqu’elle est usée, parce que dans son état naturel elle est trop dure pour amener l’ouvrage à un degré convenable de poli ; les presles les plus vieilles sont les meilleures, mais il faut les mouiller d’eau avant de s’en servir. Lorsque l’ouvrage est achevé de cette manière il faut le frotter avec un peu de cire ou avec des chiffons trempés dans de l’huile d’olive. L’ivoire, la corne, l’argent et le cuivre se polissent avec de la pierre-ponce bien pulvérisée et étendue sur du cuir.

Suivant le docteur Paley, sur un million d’hommes il n’y en a pas un qui sache comment se tourne un ovale. On peut s’y prendre de cette manière : fixez deux ovales de métal de l’étendue de celui dont vous avez besoin sur l’arbre du tour, de manière qu’ils tournent avec lui ; assujettissez entre eux le bois à tourner, de manière qu’il tourne autour de cet arbre, et ensuite il sera facile d’en faire un ovale avec le ciseau ou un autre instrument quelconque, attendu que le tour décrira exactement par son mouvement de rotation la figure extérieure des ovales externes.

En posant un tour il faut avoir le plus grand soin qu’il soit placé au jour, près de la fenêtre, de manière qu’il ne soit pas assez bas pour obliger l’ouvrier de se baisser pour voir son travail, ni assez haut pour que les copeaux puissent lui sauter aux yeux.

Les tours destinés à des ouvrages délicats sont très-chers. Le fonds d’un maître tourneur a par conséquent beaucoup de valeur, et l’on ne doit destiner à cet état que des apprentifs qui aient le génie de la mécanique, car il se fait sur le tour une foule prodigieuse de petits ouvrages et de curiosités qui se vendent journellement dans les boutiques des marchands ébénistes. Le tourneur qui travaille sur l’ivoire doit préférer celui dont la coupe est transversale, parce qu’on y voit mieux les grains de cette substance qui la distinguent facilement de l’os, à l’œil des moins connaisseurs.

Les ouvrages en ivoire jaunissent à l’air ; on leur rend leur blancheur en les exposant à la rosée, ou en les humectant d’eau de savon ; mais il ne faut pas les laisser exposés au soleil, de peur qu’ils ne se fendent.

La profession de tourneur, ses outils et les matières qu’il emploie ont donné lieu aux proverbes suivans : on dit qu’une femme a le bras, la main, la gorge faits au tour, pour dire qu’elle les a parfaitement bien faits ; on dit encore dans le même sens qu’un homme, qu’une femme sont faits au tour ; on dit figurément d’un bel homme ou d’une belle femme qui ont de belles dents qu’ils ont des dents d’ivoire ; d’un homme ou d’une femme qui ont un menton qui avance qu’ils ont un menton de buis ; on dit proverbialement les ciseaux de la parque.


LE BROSSIER.





Le travail de cette profession est très-bien développé dans la vignette. L’ouvrier fait des brosses de toutes espèces, des balais de crin, des balais caniches, et même des balais de bouleau ; c’est encore le brossier qui se charge de faire des mesures en bois pour le grain et le charbon de terre.
Le Brossier.

Le dos ou le bois des brosses est ordinairement de chêne ; le brossier lui donne les dimensions convenables avec l’instrument dont on voit qu’il se sert dans la vignette. Cet instrument est un grand couteau attaché à l’une de ses extrémités par un crochet à un billot de bois, et de manière qu’il puisse se mouvoir de haut en bas ; à l’autre extrémité est un manche de bois. L’ouvrier tient le bois à couper de la main gauche, tandis qu’il fait agir le couteau de la main droite. Il faut toujours que cet instrument soit bien tranchant ; sa forme et la manière de s’en servir parviennent promptement à réduire le bois aux dimensions désirées. Quand le bois est taillé on le perce d’autant de trous qu’il est nécessaire, et c’est dans ces trous que l’on insère le crin.

Le brossier emploie des soies de sanglier pour faire des vergettes : une grande quantité de ces soies est importée tous les ans, en temps de paix, de l’Allemagne ; mais elles paient des droits considérables à leur entrée. Il y a des brosses de différentes espèces et de différentes formes ; elles portent les noms suivans : brosses à l’apprêt ; ce sont des brosses courtes : brosses de carrosses ; elles sont à queue large : brosses à cheval ; ce sont celles avec lesquelles on étrille les chevaux : brosses à chirurgien ; celles avec lesquelles on fait des frictions aux malades attaqués de rhumatismes : brosses à dents ; le poil en est très-court et attaché au dos sur un fût d’ivoire : brosses à trois faces ; elles s’emploient par les tapissiers, et sont faites de soies de sanglier : brosses d’imprimerie ; ce sont celles avec lesquelles les imprimeurs lavent leurs formes : brosses à ligne ; les peintres s’en servent à tracer des moulures sur leurs tableaux : brosses à plancher ; ce sont celles dont se servent les frotteurs d’appartement : brosses à tuyau ; les doreurs sur bois les emploient pour coucher d’assiette dans les filets.

Il se fait des brosses et vergettes de différentes autres formes ; les matières qu’on y emploie sont de trois sortes, de poil ou crin, de bruyère et de chiendent. Il est encore des brosses appelées décrotoires ; d’autres nommées polissoires ; il y en a qui servent de peignes pour les enfans et pour les personnes qui se font couper les cheveux à la Titus ; enfin il se fait des balais de crin ou de soies de sanglier qui ne sont, à proprement parler, que des brosses. Quelques brosses sont garnies d’une manicle, comme celles à l’usage des cochers ; d’autres d’une courroie de pied ; ces dernières sont à l’usage des frotteurs.

La vergette est un ustensile de ménage qui sert à nettoyer les habits. La structure de toutes les brosses est à peu près la même. Lorsqu’on a trié et assorti les crins ou soies on les noue dans le milieu avec du fil de laiton, et dans cet état on les enfonce dans le bois, où on les y fixe avec de la colle-forte ; on en coupe ensuite les crins, de manière que la surface en soit horizontale et très-unie. Le crin des balais se double en deux ; chaque mèche se fixe dans les trous avec de la poix mêlée de résine. Dans quelques brosses, comme celles suspendues à une traverse à droite derrière l’ouvrier, le fil de laiton est visible sur le dos ; à d’autres le dos est lisse, parce que des lamelles de bois très-minces sont collées sur le fil de laiton. Les brosses de frotteur, que l’on voit suspendues au-dessus de la tête de l’homme, sont recouvertes d’une plaque de plomb, pour que leur pesanteur facilite le travail de celui qui frotte les appartemens. Les balais appelés balais caniches se font avec des haillons de laine que de vieilles pauvres femmes ramassent dans les rues.

Les vaisseaux propres à mesurer le charbon ou à le porter au foyer sont ordinairement en chêne, avec des anses en fer ou en bois ; ils ne sont pas si propres que ceux de cuivre ou de tôle vernie, mais aussi ils coûtent bien moins cher et durent beaucoup plus longtemps que ceux en métal.

La fabrication des mesures que l’on voit derrière l’ouvrier dans la vignette exige la plus grande précision ; elles doivent contenir avec exactitude une quantité de grain ou de charbon de terre déterminée.

La division des travaux de ce genre se fait de telle manière dans la Grande-Bretagne que ce ne sont pas les mêmes personnes qui font les balais et les manches ; il y a dans le Kent-Street et dans plusieurs autres quartiers à Londres des manufactures de manches à balai.

Les balais de bouleau forment un commerce distinct et très-lucratif.

Le bouleau est un arbre qui croît sur un sol où rien autre chose ne peut venir. Des terrains couverts de mousse produisent des bouleaux en telle abondance que l’on en retire dix livres sterling par acre, et que ces produits augmentent considérablement d’année en année.

Les marchands de balais ne sont pas les seuls qui achètent le bouleau ; ceux qui lient des cercles de tonneau en font le plus grand usage ; ces derniers achètent les arbres qui sont parvenus à toute leur grosseur, et ce bois leur sert à faire des jougs et autres instrumens d’agriculture. Dans les contrées septentrionales de l’Europe le bois de bouleau sert à faire des roues de voiture. On dit familièrement et figurément se prendre aux crins en parlant de deux hommes qui se prennent aux cheveux.

Le Tailleur.


LE TAILLEUR.





Le tailleur fait des vêtemens pour les hommes ainsi que pour les enfans, et des redingottes pour les femmes. Il y a toujours deux sortes d’ouvriers chez un tailleur qui est très-occupé, savoir, un premier garçon, qui prend les mesures des habits des personnes pour lesquelles il travaille, coupe le drap, et porte chez les pratiques les vêtemens quand ils sont faits ; les autres sont des garçons ordinaires qui sont assis les jambes croisées sur un établi, comme l’homme représenté dans la vignette près de la fenêtre. Il en est très-peu de ces derniers qui sachent couper les habits qu’ils sont chargés de coudre. Les outils qu’exige le métier de tailleur sont en très-petit nombre, et fort peu dispendieux ; ils consistent en une paire de gros ciseaux pour celui qui coupe, et pour les autres dans une paire de ciseaux ordinaires, un dé et des aiguilles de différentes grandeurs ; leur dé a cela de particulier qu’il est ouvert des deux bouts. Indépendamment de ces outils, le tailleur a besoin de longues bandes de papier ou de parchemin, qui lui servent de mesure, et d’un fer à repasser, appelé carreau en France, et oie en Angleterre ; c’est avec ce fer, quand il est chaud, qu’il rabat les coutures pour donner plus de grâce à son ouvrage : le support de ce carreau est ordinairement un fer à cheval très-brillant. Devant le premier garçon ou le maître, car chez les tailleurs qui n’ont pas beaucoup d’ouvrage le maître coupe, prend la mesure de ses pratiques et leur porte lui-même leurs habits, est un grand coffre ouvert ; ce coffre contient du bougrand, du ruban, du fil, du cordonnet, des boutons, etc., dont chaque tailleur doit être bien fourni, et dont il retire de très-grands profits. Sur la tablette est une pièce de drap propre à faire des habits, avec un livre d’échantillons.

Le tailleur achète ces étoffes du marchand de draps, qui tire lui-même toutes ses marchandises de la factorie de Blackwellhall, ou de tous les marchands de draps établis dans la partie occidentale d’Angleterre. Il se vend à la foire de Bristol, qui se tient en septembre, une quantité prodigieuse de draps à grand aunage ; cette foire dure quatorze jours, et des marchands de draps y louent à cet effet des boutiques.

Le tailleur traite aussi avec le marchand de toiles pour des gilets de fantaisie et autres objets d’habillement ; ainsi qu’avec le marchand mercier pour le fil et les objets de détail dont nous avons parlé ; mais lorsqu’il fait des habits pour les militaires il faut qu’il aille chez le galonnier pour y prendre les ornemens dont il a besoin.

Dans les temps d’un deuil général, à la mort d’un membre de la famille du souverain, les garçons tailleurs en Angleterre gagnent le double de leurs gages ; mais aussi le nombre des heures du travail est augmenté.

Un auteur qui a écrit sur l’art du tailleur dit que les ouvriers de ce genre doivent avoir la vue prompte à saisir la coupe d’une manche, la taille d’un pan d’habit ou la forme d’une nouvelle mode quand il a les patrons devant lui, mais qu’un bon tailleur doit la saisir au passage, dans une voiture, ou dans l’espace qui existe entre la porte d’une maison et la portière d’un carrosse ; non seulement il doit savoir attraper la coupe des gens biens faits, mais donner une belle taille à ceux qui ne l’ont pas reçue de la nature ; il doit faire en sorte que les habits aient un air dégagé malgré l’air gauche de celui qui les porte ; sa main et sa tête doivent être d’accord, et il faut que son ouvrage soit élégamment fini.

La laine dont se fait le drap est une branche importante des fabriques de la Grande-Bretagne. Les Anglais sont si jaloux de leur laine, qu’indépendamment des précautions qu’ils prennent pour qu’on en use pas d’autre dans leur pays, ils la veulent vendre eux-mêmes et la transporter dans les pays qui en forment des demandes.

Il y a longtemps qu’on a rien changé à l’essentiel de l’habit complet en France et en Angleterre ; les modes s’exercent seulement sur les accessoires, comme sur les paremens et les boutons. Depuis une loi de Georges Ier les boutons en Angleterre doivent être ouvrés : cette loi a eu pour but de procurer de l’occupation à une foule d’ouvriers qui manquaient d’ouvrage ; et personne ne peut porter des boutons de la même étoffe que les habits sans encourir une forte amende et la saisie des vêtemens.

Les instrumens du tailleur sont la criquette, le carreau et le patira.

Le carreau, dont nous avons déjà parlé, est entièrement de fer, plus grand du double et plus épais qu’un fer à repasser ; il s’emploie toujours chaud. On connaît le degré de chaleur qu’il doit avoir en l’approchant de la joue, ou bien en le passant sur un morceau d’étoffe qu’il ne doit pas roussir. Le carreau sert à unir et à rendre le premier lustre à l’étoffe chiffonnée.

La criquette est aussi de fer carré ou triangulaire ; elle a une rainure sur chacune de ses faces, et l’on y introduit la boutonnière que l’on veut soumettre à l’action du carreau.

Le patira est de laine ; le tailleur peut le fabriquer lui-même, en cousant l’une à l’autre deux lisières de drap, dont il forme une bande carrée de la longueur d’un pied et demi ou environ ; on s’en sert pour unir les galons lorsqu’ils sont cousus ; on place dessus le patira l’étoffe avec le galon en-dessous, et l’on met du papier entre le galon et le patira ; l’on presse ensuite à l’envers avec le carreau.

La profession de tailleur, ses outils et les étoffes qu’il emploie ont donné lieu aux expressions proverbiales suivantes :

On dit figurément et proverbialement qu’un homme peut tailler en plein drap quand il a amplement et abondamment ce qui peut servir à l’exécution d’un dessein, d’un plan, d’un projet.

On dit encore proverbialement au bout de l’aune faut le drap, pour dire qu’il n’y a rien dont on ne trouve la fin, que les choses vont jusqu’où elles peuvent aller.

On dit proverbialement l’habit ne fait pas le moine pour dire que l’on ne doit pas juger sur les apparences, par les dehors.

Le Cordonnier.


LE CORDONNIER.





Il est peu d’états plus utiles que celui de cordonnier, et il n’en est guère qui rapporte plus de profit lorsqu’il a une étendue considérable.

Il est des cordonniers qui exercent leur profession en chambre, d’autres qui ont de grands magasins où ils exposent aux regards du public des souliers de toutes espèces pour les hommes et pour les femmes, ainsi que des brodequins et des guêtres.

Le maître cordonnier, ou, si celui-ci a un très-fort établissement, son premier garçon prend la mesure des souliers de ses pratiques et coupe le cuir pour le donner aux autres ouvriers. Dans certains cas, surtout à la campagne, il coupe le cuir pour tous les petits cordonniers des pays environnans ; il achète alors une peau ou une demi-peau du tanneur, et en fait des semelles ou des empeignes dont il se sert lui-même pour son état, ou qu’il vend à ceux que la faiblesse de leurs moyens ne permet pas de s’approvisionner chez les marchands en gros.

Pour retirer des bénéfices de cette profession il faut posséder des connaissances sur les qualités du cuir, et avoir du discernement pour le couper, de manière qu’il offre le moins de perte possible.

La vignette donne la représentation du maître et de son compagnon : le premier coupe une empeigne de soulier sur un modèle en papier qui la couvre ; un petit poids de plomb est placé sur la peau, à l’un de ses angles, pour l’empêcher de glisser ; à sa gauche est un marteau dont il se sert pour abaisser les parties grossières qui se trouvent dans l’épaisseur du cuir, et à sa droite est une paire de pinces ou tenailles qui sont dentelées, pour qu’elles puissent tenir le cuir quand il s’agit de l’étendre.

Le garçon cordonnier est représenté dans l’action de joindre l’empeigne à la semelle d’un soulier ; sur un banc près de lui sont une alêne, un tranchet et une pierre avec laquelle il aiguise ses outils ; devant lui, à sa droite, on voit un marteau et une pierre creuse pour faire prendre au cuir une forme bombée ; de l’autre côté est un baquet rempli d’eau où il a mis de la poix en boules pour cirer son fil.

Tels sont les principaux instrumens nécessaires à sa profession. Il coud le cuir avec du fil ciré, et en forme une substance solide et durable. Comme il ne se sert pas d’aiguille, il attache à l’extrémité de son fil une soie de cochon ou de sanglier qui guide le fil à travers le trou fait dans le cuir avec son alêne.

Les ouvriers de cette profession se distinguent en cordonniers pour femme et cordonniers ou bottiers. Il en est peu qui puissent suivre ces deux états avec avantage : il faut beaucoup d’adresse pour établir des souliers de femme, parce que plus les étoffes sont propres, plus les coutures doivent être délicatement faites.

Le cordonnier emploie des femmes pour border les souliers de toutes espèces, et pour coudre ensemble les quartiers de ceux qui sont faits en satin et autres étoffes de soie.

Les souliers et les bottes se font sur des formes de bois tendre qui se taille avec l’instrument que nous avons décrit à l’article du brossier ; le même homme qui fait les formes fait aussi les talons de bois pour les souliers de femmes ; les formes pour les souliers se font d’un seul morceau de bois taillé de manière à imiter le pied ; mais celles qui sont faites pour les bottes, et qui se nomment embouchoirs, se séparent en deux parties, entre lesquelles on introduit un coin lorsque l’on veut en élargir la tige.

L’histoire nous apprend que les juifs, longtemps avant l’ère chrétienne, portaient des souliers de cuir ou de bois ; ceux de leurs soldats étaient quelquefois de cuivre ou de fer ; les souliers des Grecs, auxquels on donnait le nom de brodequins, allaient jusqu’au milieu de la jambe ; les Romains se servaient de deux espèces de souliers, le calceus, qui couvrait entièrement le pied et qui avait à peu près la forme de nos souliers, et la solea ou sandale, qui ne couvrait que la plante du pied et était attachée avec des cordons de cuir. Le calceus se portait avec la toge lorsque l’on sortait, et l’on mettait les pantoufles ou les sandales lorsque l’on allait en voyage ou qu’on allait assister à quelque fête. Les citoyens d’un rang ordinaire chaussaient des souliers noirs, et les femmes en portaient de blancs ; les principaux magistrats de Rome se chaussaient en souliers rouges les jours de cérémonies.

En Europe les princes portaient, il y a mille ans, des souliers dont l’empeigne était de cuir et la semelle de bois ; sous le règne de Guillaume le Roux les souliers des grands seigneurs avaient de longs bouts pointus rembourés d’étoupes et tortillés comme des cornes de bélier. Le clergé déclama en chaire contre ces pointes, dont la mode continua à se maintenir jusque sous le règne de Richard II, où elles furent attachées sur les genoux avec des chaînes d’argent ou d’or. Le parlement à la fin intervint par un acte rendu dans l’année 1463, et prohiba l’usage des souliers ou des bottes avec des pointes qui excédaient la longueur de deux pouces, et il fut défendu aux cordonniers, sous les peines les plus graves, d’en faire qui ne fussent pas conformes aux dispositions de l’acte dont on vient de parler.

Les cordonniers emploient beaucoup de maroquin, qui est une peau de chèvre préparée avec de la noix de gale ou du sumac, et auquel on donne la couleur que l’on juge à propos. On se sert aussi de maroquin pour couvrir des malles et des nécessaires, pour relier des livres et pour différens ouvrages qui exigent de la propreté.

On dit figurément et familièrement qu’un homme n’a pas de souliers, pour dire qu’il est fort pauvre ; et pour donner à entendre qu’on ne se soucie pas du tout de quelque chose, on dit proverbialement qu’on ne s’en soucie non plus que de ses vieux souliers ; on dit proverbialement que les cordonniers sont les plus mal chaussés, pour dire que souvent ceux qui sont d’une profession négligent d’en faire usage pour eux-mêmes.

Le Coffretier.


LE COFFRETIER.





Les personnes employées dans cette profession font des malles, des coffres, des caisses, des porte-manteaux, des étuis et des nécessaires pour serrer de la vaisselle plate, des couteaux, etc.

Les malles, dont il est beaucoup d’espèces, sont en général faites de planches couvertes en cuir ou avec des peaux de cheval et d’hippopotame, dont le poil est endessus ; elles sont doublées de toile ou de papier.

Il est des malles, comme celle par exemple à laquelle travaille l’ouvrier représenté dans la vignette, qui ont un certain nombre d’équerres servant à leur donner de la solidité. Celles qui sont d’un fini plus achevé sont ornées de plusieurs rangs de têtes de clous de cuivre doré ; telle est celle que l’on voit dans l’angle gauche de la vignette : celle qui se trouve dans l’angle opposé, et qui est représentée ouverte est divisée en plusieurs compartimens et doublée de drap ; elle est destinée à contenir un service complet de vaisselle plate, qui s’envoie ordinairement chez le banquier par les personnes auxquelles elle appartient, lorsqu’elles vont à la campagne : cette mesure de précaution a pour but la sûreté de l’argenterie.

Les malles que l’on voit sur des planches sont destinées à contenir du linge à la maison ou à le transporter en voyage ; elles s’attachent devant ou derrière la voiture avec des courroies de cuir et des boucles ou avec des chaînes.

Il a été pris il y a quelques années à Londres un brevet d’invention pour une nouvelle méthode d’attacher les malles et les valises derrière les chaises de poste, de manière à défier les manœuvres les plus rusées des voleurs, qui, aux approches de la capitale, épient l’arrivée ou le départ des voitures pour en enlever les malles.

Les porte-manteaux et les valises se font en cuir ; on les place dans les voitures ou sur la croupe des chevaux derrière le cavalier ; elles peuvent contenir une très-grande quantité de linge et sont d’un usage très-commode.

Les seaux qui sont suspendus au plafond sont d’un cuir bouilli très-fort ; ils servent à éteindre le feu lorsqu’il a pris à quelque édifice.

La plupart des maisons considérables à la campagne, en Angleterre, ont cinquante ou soixante de ces seaux, ainsi que des pompes à feu en cas d’accident ; mais il arrive ordinairement, par la négligence des domestiques, que, si le feu prend, ni les seaux ni les pompes à feu ne sont en état de préserver l’édifice des flammes.

On élève quelquefois l’eau des puits les plus profonds avec un certain nombre de seaux attachés à une chaîne ou à une corde, et qui, au moyen d’une roue, sont descendus dans l’eau et remontés pleins.

Les coffretiers se servent souvent, pour les ouvrages qui exigent de la propreté, de chagrin, espèce de cuir fait ordinairement d’une peau de poisson, que l’on expose à l’air après l’avoir couverte de graines de moutarde que l’on écrase dessus. Le meilleur chagrin vient de Constantinople ; il est extrêmement dur, mais lorsqu’on l’a fait tremper dans l’eau il devient très-souple et convient parfaitement aux personnes qui font des nécessaires.

Il se revêt de toutes les couleurs que l’on veut lui faire prendre, et a été souvent contrefait avec du maroquin, auquel on donne la ressemblance du chagrin ; mais il s’écaille, ce qui n’arrive jamais au chagrin.

On dit proverbialement qu’un homme s’entend à faire quelque chose comme à faire un coffre, pour dire qu’il ne s’y entend pas du tout.

On dit aussi proverbialement il raisonne comme un coffre, pour dire qu’il raisonne mal. Trousser une malle est une expression proverbiale qui signifie enlever par surprise et promptement.

Le Charron.


LE CHARRON.





Le métier de charron consiste à faire des roues de voiture.

La roue se compose de différentes parties, telles que le moyeu, qui en est le centre, et les rayons ou rais qui vont s’enchâsser dans les jantes : ces trois parties constituent une roue. Pour donner de la solidité au tout on emploie du fer.

Le moyeu est un gros morceau de bois taillé en olive et placé au centre de la roue ; il est percé d’un trou par lequel il reçoit l’essieu : on en voit un représenté au coin gauche de la vignette. Il y a un certain nombre de trous destinés à recevoir les extrémités des rais ; lorsque les rais sont entrés dans le moyeu on les ajuste dedans les jantes. Chaque jante doit être d’une longueur suffisante pour recevoir deux rais, de sorte que s’il y a douze rais dans une roue elle doit avoir six jantes.

Le moyeu a ses extrémités extérieure et intérieure entourées de cercles de fer appelés cordons et frettes ; ils servent à empêcher qu’il ne se fende ou qu’il ne s’use par le frottement. Les bandes sont fixées sur les jantes avec des clous à têtes très-fortes. On fait chauffer les différentes parties des bandes avant de les placer sur les roues, pour qu’elles en brûlent la superficie ou au moins toutes les inégalités qui pourraient les empêcher de poser à plat sur le bois ; il est plus aisé, d’ailleurs, quand elles sont dans cet état, de les faire ployer et prendre la courbure de la roue. Un autre avantage qui résulte de l’usage de faire rougir les bandes, c’est que le fer prend de l’expansion quand il est chaud, et qu’en refroidissant il se contracte ou se raccourcit, et que les bandes, en se rétrécissant, font joindre ensemble les différentes parties des jantes. Pour que l’ouvrier puisse se trouver au-dessus de son ouvrage, il place la roue dans une espèce de fosse pratiquée dans son atelier ou sa boutique ; le moyeu repose sur les côtés de cette fosse, de sorte qu’il n’y a que la moitié de la roue qui soit au-dessus de sa surface. Le charron représenté dans la vignette est occupé à fixer la bande sur la roue, dont le bois s’enflamme et donne beaucoup de fumée. Les grandes tenailles qui sont à ses pieds lui servent à tirer le fer tout chaud de la forge, et à le placer sur les jantes.

La hache que l’on voit debout contre l’autre roue est recourbée comme celle d’une doloire et lui sert à creuser les jantes.

En creusant ou en chantournant ainsi le bois des jantes pour leur faire prendre une forme circulaire, les fibres du bois se trouvent coupées et leur force en est singulièrement affaiblie ; pour remédier à cet inconvénient, on a trouvé le moyen de courber le bois en grume, c’est à dire celui qui n’est ni débité, ni scié, et qui a encore son écorce. La périphérie ou le cercle de la roue ne se compose alors que de deux jantes qui sont fixées par des tenons, des mortaises et par la bande. Au moyen de ce mode de construction cette circonférence est également forte sur tous les points, et plus solide que celle des roues faites à la manière ordinaire, quoiqu’elle n’emploie que la moitié du bois de celles-ci.

Dans les campagnes les charrons font aussi des charrettes, des fourgons et des tombereaux ; le bois dont ils se servent le plus souvent est l’orme ; ils emploient aussi le chêne. Leur profession est très-pénible, et elle exige des personnes qui l’exercent une forte constitution.

L’orme dont se servent les charrons est fort utile pour faire des billots ou hachoirs, en ce qu’il n’est pas sujet à s’émietter. Les sculpteurs s’en servent pour exécuter des feuillages et autres ouvrages de fantaisie.

Les ouvrages du charron ont donné lieu aux proverbes suivans :

On dit figurément et familièrement pousser à la roue, pour dire aider à quelqu’un à réussir dans une affaire.

On dit figurément la roue de la fortune, pour signifier les révolutions et les vicissitudes dans les événemens humains : les uns montent, les autres descendent ; ainsi va la roue de la fortune.

Le Fondeur en fer.


LE FONDEUR EN FER.





Quoique le fer ne soit pas regardé comme le métal le plus précieux, on l’emploie dans trois états différens, qui tous ont des propriétés particulières, d’après lesquelles il peut s’appliquer à des usages variés.

Le premier de ces états est le fer fondu, le second le fer malléable ou travaillé, le troisième l’acier.

Nous allons ici parler de la forge ou fonderie, c’est à dire d’une manufacture de fer fondu dont nous avons la description dans la vignette : l’ouvrier fondeur vient de retirer du fourneau une cuillerée de métal liquide, avec lequel il est peut-être prêt à couler le devant d’un four ou tout autre article qui est moulé dans le sable ; il est aisé de concevoir que cette profession exige beaucoup de force et une constitution capable d’endurer une grande chaleur.

Le fer se tire des entrailles de la terre sous la forme de pierre ; on l’appelle dans cet état minerai. Les mines les plus riches sont celles qui contiennent le métal le plus pur ; le minerai alors est pesant et d’une couleur rouge tirant sur le brun.

Avant qu’on en puisse retirer du fer il faut le faire griller ou calciner ; cette opération se fait par différens procédés. Dans les forges de Staffordshire, aussitôt que le minerai est tiré de la terre on le calcine en plein air avec du charbon de terre en poudre ou du charbon de bois pour le réduire en petites parties ; ce procédé emploie trois jours. Mais à Forest-Dean, dans le comté de Gloucester, le minerai est calciné dans des fourneaux semblables à des fours à chaux ; on les remplit jusqu’au faîte de charbon et de minerai, en ayant soin de mettre alternativement un lit de charbon et un lit de minerai ; le feu se met au lit de charbon d’en bas, et il continue de brûler jusqu’à ce que le charbon soit entièrement consumé. Par ce moyen le minerai se brocarde facilement ; mais le métal n’est point fondu.

On le porte ensuite à la forge pour y opérer sa fusion, c’est à dire pour extraire le métal de la gangue. La forge, telle qu’elle est représentée dans la vignette, est bâtie en briques ; elle a environ vingt-quatre pieds sur toutes ses faces, et près de trente pieds de haut endedans ; le milieu ou la partie la plus large de cette forge n’a pas plus de huit ou dix pieds ; son sommet et sa base étant rétrécis, elle affecte à peu près la forme d’un œuf. Derrière la forge sont fixés deux soufflets que fait mouvoir une roue placée sur un courant d’eau, et ils sont disposés de manière à jouer tour à tour, l’un donnant son souffle lorsque l’autre s’élève. Ces soufflets sont construits d’après le plan de M. Wilkinson, c’est à dire de manière à produire un vent continuel. On a pratiqué dans la forge des trous que l’on ouvre à volonté, et par lesquels on peut enlever les scories et faire couler le métal.

Le fourneau est rempli de minerai et de charbon et quelquefois de pierres à chaux, qu’on y ajoute comme flux. Le minerai s’affaisse par degrés dans la partie la plus échauffée du fourneau où il se fond, et les parties métalliques, comme ayant le plus de pesanteur, tombent au fond, où il y a un passage pour enlever les scories. Aussitôt qu’il y a une quantité suffisante de métal dans un état complet de fusion, on le fait couler par une ouverture dans des sillons creusés dans un lit de sable immense qui se trouve devant l’entrée du fourneau ; la grosse masse qui occupe le plus fort sillon se nomme gueuse ; on donne le nom de gueusillons aux autres. Le métal est ordinairement si chaud en sortant du fourneau qu’il coule à une très-grande distance, et qu’il bout pendant quelque temps dans le sable.

Le fondeur retire le métal du creuset ou du fourneau dans des larges cuillers, d’où il le verse dans des moules de sable très-fins pour en faire des plaques de cheminée, des âtres de four, des poêles, etc. Lorsqu’une fois la forge est allumée on la tient dans cet état pendant plusieurs mois de suite sans souffrir que le feu se relâche de sa vivacité ni le jour ni la nuit, et on continue de l’entretenir de combustible et de minerai jusqu’au faîte pendant plusieurs mois.

La chaleur excessive et longtemps soutenue des fourneaux mine peu à peu les ouvrages en briques ; leurs côtés ou parois deviennent incapables de supporter le poids du métal fondu, et quelquefois on en a vu crever tout à coup et laisser échapper un torrent de flamme liquide ; il est bon par conséquent d’éteindre le feu, quelque somme qu’il en coûte pour le rallumer, et d’examiner et réparer le fourneau.

Trois tonneaux ou six mille livres de fer sont quelquefois mis en fusion dans l’espace de vingt-quatre heures avec le secours des soufflets, tandis que la simple chaleur du charbon allumé, si elle n’était aidée de leur souffle, ne parviendrait pas à en mettre un quintal en fusion dans le même espace de temps.

Quand le fer, après avoir coulé du foyer par l’ouverture qu’on y a faite et après s’être refroidi, est bien homogène et aigu dans ses extrémités et dans ses coins, que le fer même est parsemé de petits points gris, on regarde cela comme un signe indiquant qu’on a saisi la véritable proportion entre la mine et les charbons ; mais s’il est troué et spongieux, c’est une marque qu’on aurait dû employer plus de mine.

On moule aujourd’hui la fonte de manière à en obtenir les ouvrages les plus délicats, et l’on en obtient à Berlin des empreintes de médailles aussi pures que celles en cuivre.

Le mot fonte est quelquefois employé au figuré, comme le prouve ce vers :
« Remettez, s’il vous plaît, ces deux vers à la fonte. »

On dit qu’un tableau est d’une belle fonte, pour dire que les passages des teintes sont suffisamment liés.


L’IMPRIMEUR
EN TAILLE-DOUCE.





Les principaux objets nécessaires à cette profession consistent dans un gril, de l’encre et une presse qui diffère de celle employée par l’imprimeur en caractères en ce qu’elle est pourvue de cylindres. L’art de l’imprimerie en taille-douce doit son origine à un hasard. En 1460 un orfévre de Florence versa un jour du soufre fondu sur une planche gravée, et trouva l’impression exacte de la gravure sur le soufre quand il fut refroidi ; il essaya d’en faire autant sur des plaques d’argent avec du papier mouillé, en le passant au rouleau, et ce procédé eut tout le succès qu’il désirait ; de là le principe des presses à cylindre. Cet art ne fut pratiqué en Angleterre que sur la fin du règne de Jacques Ier.

L’Imprimeur en taille-douce.

La presse à cylindre peut se distinguer en deux parties : le corps et le train. Le corps consiste en deux jumelles ou deux piliers joints à leurs extrémités par des traverses, et placées perpendiculairement sur un soc en bois qui soutient toute la presse. De ce pied ou soc s’élèvent quatre autres pièces perpendiculaires jointes encore par des traverses ; ce train sert à soutenir un plateau de bois uni, sur lequel on place la planche gravée.

Les jumelles supportent deux cylindres dont les extrémités, qui sont beaucoup plus petites que le corps, se nomment tenons, et tournent dans les jumelles entre deux pièces de bois taillées en demi-lunes, et doublées de fer poli, pour qu’elles ne s’usent pas par le frottement.

Les espaces laissés par les tenons sont remplis avec des cartons que l’on peut lever et baisser à volonté pour ne laisser que la place nécessaire au passage de la table chargée de la planche, du papier et des étoffes, qui consistent en une peau de cygne et un morceau de drap très-large.

À l’un des tenons du cylindre supérieur est attachée une croisée, qui consiste en deux leviers dont les bras donnent le mouvement à ce cylindre ; celui-ci le communique au cylindre inférieur, et par ce moyen la table est tirée en avant et en arrière.

La meilleure encre qui s’emploie par cette profession se tire de Francfort-sur-le-Mein, et on la nomme noir de Francfort ; elle vient en pains. L’imprimeur en taille-douce la broie avec une molette sur un marbre ; il se sert aussi dans cette partie de son état d’un couteau à palette.

La presse et l’encre étant préparées, l’imprimeur prend une petite quantité de cette encre sur un tampon fait de chiffons, avec lequel il encre toute la surface de sa planche, pendant qu’elle est sur un gril chauffé par du poussier de charbon[2].

Lorsque la planche est suffisamment encrée, l’imprimeur l’essuie d’abord avec un chiffon, puis avec la paume de la main, qu’il a frottée auparavant avec du blanc d’Espagne.

Le grand art de l’imprimeur en taille-douce consiste à bien essuyer la planche sans ôter l’encre de la gravure. Lorsque la planche a reçu ces préparations, on la place sur la table de la presse ; on étend sur la planche la feuille de papier que l’on a eu soin d’humecter auparavant ; on appuie sur les bras des leviers, et par ce moyen la planche et tout ce qu’elle supporte passe entre les cylindres ; elle est, comme nous l’avons dit, couverte d’une peau de cygne et d’un morceau de drap très-large. Les leviers, en pressant également et avec beaucoup de force, contraignent le papier d’entrer dans les traits du burin dont ils enlèvent l’encre.

Il est des planches auxquelles on est obligé d’appliquer deux tours de presse ; un seul tour suffit à d’autres lorsqu’elles ne sont pas gravées profondément, ou lorsque la gravure n’a besoin que d’une teinte légère.

Dès que le tirage des gravures dont on a besoin est terminé, on humecte d’huile les cuivres afin qu’ils ne s’oxident pas, et on les range de côté pour de nouvelles impressions.

Une gravure profondément gravée peut tirer trois à quatre mille estampes, et on fait ensuite retoucher la planche pour de nouvelles éditions.

Le comte Stanhope a, dit-on, introduit un tel perfectionnement dans l’art de la gravure, qu’un imprimeur en taille-douce peut obtenir sans retouche dix mille exemplaires d’une gravure.

De cette manière les tableaux et les dessins des grands maîtres se multiplient à un nombre infini, et les amis des arts sont à même, dans toutes les parties du globe, de jouir des avantages dont leur situation paraissait les avoir privés.

Les impressions faites par l’imprimeur en taille-douce se nomment estampes, images, et l’on dit familièrement et figurément d’une belle personne, mais qui n’a guère d’action, qui n’est guère animée, que c’est une image, une belle image. On dit encore proverbialement d’un enfant fort retenu et fort posé, qu’il est sage comme une image. Enfin on dit par plaisanterie à quelqu’un : Vous avez bien fait, vous aurez une image.


LE PEINTRE.





Cet artiste peint des portraits, des tableaux historiques, des paysages, des marines, etc. Il est des peintres qui ont un talent décidé pour un genre, d’autres qui se distinguent dans un autre ; mais il est rare qu’un peintre excelle dans tous, ou même dans plus d’un ou de deux.
Le Peintre.

Un peintre en portraits de grandeur naturelle peut quelquefois peindre l’histoire ; mais un artiste qui peint en miniature ne connaît souvent aucun autre genre de sa profession ; d’autres peintres, qui excellent dans presque tous les genres, n’ont aucune idée des marines, qui exigent beaucoup de connaissances nautiques.

Les instrumens nécessaires dans cet art sont un marbre et une molette pour broyer les couleurs, opération qui se fait quelquefois avec de l’huile et quelquefois avec de l’eau ; de là la distinction de peinture à l’huile et de peinture en pastel. Le peintre a aussi besoin d’une palette et d’un couteau ; celui-ci sert à enlever la couleur du marbre, et la palette, qui est formée d’acajou ou de coudrier, est cette tablette sur laquelle l’artiste met ses couleurs pour s’en servir. Les pinceaux se font avec du poil de chameau, de putois ou de blaireau.

La baguette que le peintre tient dans sa main a environ une verge de long ; à son extrémité est du coton, enveloppé d’un morceau de peau très-douce, de peur qu’elle n’écorche le tableau ; le peintre appuie sa main droite sur cette baguette pour la soutenir. Le canevas ou la toile sur laquelle se peint le tableau se place sur un châssis de bois appelé chevalet, et qui au moyen de trous et de chevilles, se lève et se baisse à la hauteur désirée.

Les bénéfices d’un peintre ne peuvent être limités ; il est payé suivant son talent et la célébrité qu’il a acquise. Il est des artistes de cette profession qui demandent cent guinées d’un morceau de leur composition, dont un autre peintre d’un mérite inférieur ou moins connu du public se trouverait fort heureux d’obtenir la vingtième partie.

On dit proverbialement d’un homme qui est fort mal dans ses affaires, quil est gueux comme un peintre. On dit encore familièrement et proverbialement d’un homme qui après avoir bu recommence à boire, quil s’achève de peindre.

Le Graveur en taille-douce.


LE GRAVEUR
EN TAILLE-DOUCE.





L’art de graver sur cuivre sert à représenter différens sujets, tels que des tableaux d’histoire, des portraits, des paysages, etc., soit d’après des peintures, soit d’après des dessins. Il y a trois manières de graver ; la première est au burin, la seconde à la pointe sèche, et la troisième à l’eau-forte.

Les instrumens nécessaires pour graver sont le burin, le grattoir, le brunissoir, la pierre à l’huile et le coussin.

Les burins sont des outils d’acier trempé, montés sur un manche de bois ; ils sont ou carrés ou taillés en losange ; les premiers servent à former des tailles très-larges, les autres à en faire de plus faibles et de plus délicates.

Le grattoir est un instrument à trois angles ou trois tranchans, que le graveur emploie pour enlever l’ébarbure laissée par le burin.

Le brunissoir sert à diminuer la trop grande profondeur des traits, ou à enlever les raies et les défauts du cuivre.

Le graveur repasse sur la pierre à l’huile ses burins ; il se sert encore de charbon pour polir son cuivre.

Il place sa planche sur son coussin pour avoir la faculté de la tourner en tous sens ; mais ce coussin ne sert guère qu’aux graveurs en lettres et en médailles.

Lorsque le graveur en taille-douce s’est pourvu de tous ses instrumens, la première chose qu’il doit faire c’est d’étendre son dessin sur la planche. Pour cet effet il la couvre d’une couche ou pellicule de cire vierge ; il calque alors le tableau ou le dessin sur du papier avec du crayon noir ; il étend ensuite ce papier sur la planche, en ayant soin de mettre le côté crayonné sur la cire ; il le presse de manière que, lorsqu’il retire le papier, l’empreinte du dessin reste sur la cire. Alors il prend une pointe très-aiguë, et trace à travers la cire le dessin sur le cuivre ; cette opération faite, il fait chauffer la planche, en enlève la cire, et finit la gravure au burin.

La pointe sèche, ainsi appelée parce que le graveur ne s’en sert que lorsque le fond du tableau est achevé, ne s’emploie que pour des ciels, des draperies et des parties extrêmement légères.

La gravure à l’eau-forte est celle dont les tailles, au lieu d’être faites au burin, sont corrodées par l’eau-forte ou l’acide nitreux, et voici la manière dont on s’y prend. On fait chauffer la planche à un degré de chaleur modéré, puis on la couvre d’une couche de vernis, que l’on noircit ensuite à la fumée d’une bougie.

Lorsque la planche est ainsi disposée et qu’on l’a laissée refroidir, l’opération dont on doit s’occuper est de transporter le dessin sur le cuivre. Pour cet effet on le calque sur du papier huilé avec une plume et de l’encre dans laquelle on a mis du fiel de bœuf ; on frotte ensuite une autre feuille de papier avec du blanc d’Espagne ou de céruse, et on l’étend sur le cuivre vernis, en ayant soin que le côté blanc se trouve sur la planche. C’est sur cette feuille que doit être placé le papier huilé qui a le calque, et que l’on fixe avec de la cire sur le cuivre.

Quand cette opération est terminée, on passe sur toutes les lignes du calque avec la pointe émoussée d’une aiguille, et par ce moyen les traits en sont transportés sur le côté de la planche qui a été verni.

La planche se trouve alors disposée pour qu’on puisse la graver dans les traits dont elle est marquée. Pour cet effet on se sert de pointes à graver ou d’aiguilles, en appuyant peu ou beaucoup, suivant le degré de force exigé dans les traits.

On fait ensuite autour de la planche une bordure avec de la cire pour contenir l’eau-forte que l’on verse dessus, et on y laisse cet acide nitreux jusqu’à ce que l’opération soit achevée. L’effet de l’eau-forte est la partie la plus incertaine du procédé, et l’expérience seule peut mettre une personne à même de savoir quand l’acide nitreux a suffisamment mordu sur la planche. Lorsque l’eau-forte a séjourné assez longtemps sur le cuivre pour former les traits qui doivent être les plus faibles, on décante ce liquide, on lave la planche, on la fait sécher, et l’on couvre ces traits de vernis fait de térébenthine et de noir de fumée que l’on étend dessus avec un pinceau. Lorsque ce vernis est sec, on peut verser de nouveau sur la planche l’eau-forte, pour qu’elle morde dans les autres traits qui sont destinés à avoir plus de profondeur.

Lorsque l’eau-forte a suffisamment mordu la planche, on en retire la bordure en cire et le vernis ; on nettoie le cuivre, et on en fait tirer une empreinte par l’imprimeur ; cette impression se nomme épreuve.

Dans presque toutes les gravures en cuivre faites au trait, on se sert de l’eau-forte et du burin ; l’acide nitreux la commence, et le burin la finit. Le paysage, l’architecture et les machines tirent un grand secours de la gravure à l’eau-forte ; elle ne peut pas s’appliquer de même aux portraits et aux sujets d’histoire.

Le châssis qui est suspendu devant la fenêtre du graveur est destiné à tempérer l’éclat de la lumière, qui, si elle était trop vive, nuirait beaucoup à son travail ; ce châssis consiste en quatre lattes ou tringles réunies à leurs extrémités et couvertes des deux côtés de papier huilé.

Les gravures les plus estimées en Angleterre sont celles de Woolett, de Nyland, d’Ogbome, de Smith, de Bartolozzi et de Strange ; mais celles de France leur disputent la supérioté. Il n’y a rien qui efface le mérite des Edlink, des Balechoux, des Drevet, des Audran, des Roger, des Desnoyers, des Dien et des Grateloup. Le procédé de ce dernier artiste est encore ignoré.

On dit figurément graver quelque chose dans sa mémoire, dans son cœur, pour dire imprimer fortement dans sa mémoire, dans son esprit, dans son cœur. On dit encore que d’ordinaire les bienfaits sont marqués dans le sable, et les injures sur l’airain.

Le Statuaire.


LE STATUAIRE.





Cet artiste sculpte des figures en pierre, en marbre, etc. La sculpture est un art dans lequel les anciens ont excellé sur les modernes. Phidias a été le plus grand statuaire parmi les premiers, et Michel-Ange parmi les derniers.

Le sculpteur forme avec le ciseau des statues de différentes substances, telles que la pierre, le stuc, et quelquefois elles se fondent en métal, particulièrement en or, en argent, en cuivre et en plomb.

Lorsqu’une statue doit être sculptée en marbre ou en pierre, il faut tracer un dessin sur le sujet que l’on se propose d’exécuter ; on fait ensuite un modèle, en étendant une masse de terre glaise sur une planche, et en lui donnant la forme désirée avec des couteaux et des spatules ; quelquefois le modèle se fait sans dessin, et quelquefois la pierre se sculpte sans l’emploi d’un modèle.

Le marbre ou la pierre se sculptent avec un ciseau d’acier et un maillet, ainsi que le représente la vignette. Quelquefois la statue n’est pas faite d’un seul morceau, mais de plusieurs, qui lorsqu’ils sont finis se fixent ensemble avec un ciment fait de poudre d’albâtre calciné. On le mêle avec de l’eau jusqu’à ce qu’il ait atteint la consistance du beurre ; il est en très peu de temps aussi dur que le marbre et aussi solide. Les bénéfices d’un sculpteur varient comme ceux du peintre.

Le marbre de Paros est celui qui a le plus de renommée, et comme il est très blanc, la plupart des statues de la Grèce en sont faites. On le nomme aussi marbre statuaire, et l’on présume en général qu’il tire son nom de l’île de Paros, l’une des Cyclades de la mer Ægée, où il a été trouvé. Quelques écrivains cependant prétendent qu’il tire son nom d’Agoraticus Parius, fameux statuaire, qui lui donna de la célébrité en formant de ce marbre une statue de Vénus.

Parmi le grand nombre de statues faites avec cette substance, est celle de Laocoon et de ses deux fils, dont Pline fait mention, et qui, après avoir échappé aux injures du temps, se trouve aujourd’hui, après l’Apollon du Belvédère, le plus beau morceau qu’on admire au musée de Paris.

Presque tous les marbres blancs prennent aujourd’hui le nom de marbre de Paros, et les ouvriers leur donnent celui d’albâtre, quoiqu’ils viennent d’Italie, d’Espagne, de France, etc. ; il se trouve aussi du marbre dans ces pays, mais en petites quantités.

Dédale a été regardé comme l’inventeur des statues ; mais il est certain qu’il a existé des statuaires avant lui. Il fut néanmoins le premier qui trouva le moyen de les faire paraître animées. Avant lui on faisait des statues dont les pieds étaient joints ensemble ; il les détacha, et leur donna l’attitude de personnes qui marchent et qui agissent.

Les statues se distinguent ordinairement en quatre espèces. Les premières sont celles qui ne représentent que la moitié du corps ; on les appelle bustes. Telles sont pour la plupart les statues des grands hommes, des rois et des dieux eux-mêmes. Les secondes sont celles de grandeur naturelle ; c’est avec celles de cette espèce que les anciens cherchaient encore à immortaliser des hommes d’un savoir et d’un mérite éminens, ou à représenter les divinités de la fable. Les plus estimées en ce genre sont l’Apollon du Belvéder et la Vénus de Médicis, qui excellent tous les ouvrages modernes, à l’exception peut-être des deux Terpsichores du célèbre Canova, que l’on voit au Musée de Paris. Les troisièmes sont celles qui excèdent la grandeur naturelle ; ces dernières étaient beaucoup plus fortes ; on les nommait colosses ou statues colossales. La plus étonnante d’entr’elles était le colosse de Rhodes, l’une des merveilles du monde, statue d’Apollon en airain, et si haute que les vaisseaux passaient à pleines voiles entre ses jambes ; c’était l’ouvrage de Charès, qui avait passé douze ans à la faire.

La profession du sculpteur, ses ouvrages, les instrumens dont il se sert, et les matériaux qu’il emploie ont donné lieu aux expressions proverbiales et figurées suivantes : on dit figurément d’une personne sans action et sans mouvement que c’est une statue. On dit d’un habile sculpteur quil a le ciseau admirable ; d’un homme inhumain, qu’il a le cœur dur comme le marbre.


LE BRASSEUR.





La profession du brasseur est de la plus haute antiquité ; mais elle a été portée à un très-haut degré de perfection dans notre pays. Différentes contrées se sont rendues célèbres par leur bière, et le porter de Londres (bière forte) est très-renommé. Quelque disparité qu’il y ait entre ces différentes espèces de liqueurs, elles sont composées des mêmes ingrédiens, qui ont souffert des préparations différentes.

Le Brasseur.

La bière se compose en général d’eau, de houblon, de drêche et d’un peu de levure de bière. Le talent principal du brasseur consiste à trouver les proportions de chaque ingrédient, et de connaître à quel degré de chaleur l’eau doit être élevée avant qu’on la verse sur la drêche.

Il existe deux espèces différentes de drêche ou d’orge germé ; elles se distinguent par la couleur ; on les nomme drêche brune et drêche pâle. Cette couleur dépend du degré de chaleur employé pour la faire sécher à la touraille, espèce de four. La drêche que l’on fait sécher à un feu doux ne diffère que très-peu par sa couleur de celle de l’orge ; mais si on l’expose à une température plus élevée, elle acquiert une couleur plus foncée, c’est-à-dire celle d’un rouge brunâtre.

Lorsque la drêche a passé à la touraille, il faut la moudre grossièrement dans un moulin, ou, ce qui paraît encore meilleur, la broyer entre deux cylindres ; dans cet état elle passe entre les mains du brasseur.

La première partie de cette opération se nomme mettre dans la cuve-matière, espèce de cuve semblable à celle représentée dans la partie supérieure de la vignette.

Elle est pourvue d’un faux fond, percé de petits trous à la distance de sept à huit pouces du véritable fond ; il y a deux ouvertures latérales dans l’espace qui sépare ces deux fonds ; par l’une l’eau est introduite dans la cuve-matière, et elle en est extraite par l’autre.

Après que l’on a mis la drêche sur le faux fond de cette cuve, l’eau que l’on a dû élever à un degré de chaleur convenable y est introduite ou transvasée par le moyen d’un tuyau latéral, de la chaudière contenue dans le massif en pierres où l’eau commence par remplir l’espace qui se trouve entre le fond plein et le faux fond ; puis s’ouvrant un passage dans le faux fond, elle pénètre dans la drêche, et lorsque toute l’eau est écoulée le procédé de la trempe commence. Le but de cette partie de l’opération est d’effectuer un mélange parfait de la drêche avec l’eau, de manière que la partie sucrée du grain puisse être extraite de l’orge par le fluide. Pour cet effet la masse est continuellement mise en mouvement, et remuée avec des instrumens pareils à celui que tient l’ouvrier représenté dans la vignette. Ces instrumens se nomment fourquets ; ce sont des espèces de pelles de fer ou de cuivre, percées dans leur milieu de deux grands yeux longitudinaux. L’autre ouvrier est occupé à arranger le feu sous la chaudière.

Dans les grandes brasseries, telles que celles de Cheswell-Street, le procédé de la trempe ne peut pas se faire par des hommes ; on l’effectue en conséquence avec une machine que l’on fait mouvoir avec le secours d’une pompe à feu ; aussitôt que la trempe est finie on couvre la cuve pour empêcher que la chaleur ne s’échappe, et on la laisse dans cet état jusqu’à ce que toute la partie sucrée de la drêche en soit extraite.

On ôte alors la tape ou bonde placée au côté de la cuve, et l’on donne avoi ; c’est-à-dire que l’on fait couler dans la chaudière les métiers, ou la liqueur sans houblon.

La chaleur de l’eau employée pour opérer la trempe doit être de cent quatre-vingts degrés du thermomètre de Farenheit. Avant que la partie sucrée de la drêche n’en soit entièrement extraite, on est dans l’usage de verser dessus trois eaux ; mais le brassin que l’on retire de la première est le meilleur ; la proportion de la drêche à l’eau dépend de la force de la liqueur dont on a besoin : on peut faire de la petite bière très-bonne avec trente gallons d’eau (cent-vingt pintes) par boisseau de drêche, et l’on obtient une excellente aile d’un boisseau de drêche sur cinq ou six gallons d’eau.

Lorsqu’on a donné avoi aux métiers, il faut faire bouillir la liqueur avec une certaine quantité de houblon ; plus on y met de houblon, plus la liqueur est forte ; on laisse bouillir le tout jusqu’à ce que, en prenant un peu de bière, on trouve qu’elle est remplie de petits flocons semblables à du savon caillé.

La chaudière d’ébullition reste découverte dans les petites brasseries ; mais dans celles d’une grande importance on y ajuste un couvercle qui reste à demeure et qui la ferme hermétiquement ; ce couvercle est percé à son centre d’un trou que traverse un tuyau cylindrique, et qui va par plusieurs embranchemens communiquer avec la cuve-matière. La vapeur produite par l’ébullition, au lieu d’être perdue, s’introduit dans l’eau froide de cette cuve, la pénètre et l’échauffe à un degré suffisant pour opérer la trempe sans aucune dépense additionnelle de combustible ; la vapeur emporte aussi avec elle le parfum du houblon, qui, lorsqu’on suit un autre procédé, se dissipe dans l’air.

Lorsque la liqueur a suffisamment bouilli on la tire dans différentes cuves peu profondes, dans lesquelles on la laisse assez refroidir pour qu’on puisse la soumettre à la fermentation. La liqueur ou la bière qui se fait avec de la drêche pâle ou légèrement grillée, et dont on peut faire usage sur-le-champ, n’a besoin d’être portée qu’au 75e ou 80e degré de froid au thermomètre de Farenheit ; on peut par conséquent la fabriquer dans tous les mois de l’été ; mais celle qui est destinée à être gardée long-temps ne doit pas excéder la chaleur du 65e ou 70e degré de Farenheit (35 ou 40 de Réaumur) quand on veut en opérer la fermentation ou mettre la bière en levain.

Lorsque la bière est prête à être mise en levain on en fait couler dans la cuve, qu’on appelle cuve guilloire ; on en fait couler, dis-je, une certaine quantité, dans laquelle on jette de la levure de bière, plus ou moins, selon la quantité de bière qu’on veut mettre en levain ; la proportion ordinaire de cette levure est un gallon (quatre pintes) sur quatre barils de bière. Cette partie du procédé prend de dix-huit à quarante-huit heures, suivant l’état de l’atmosphère.

La dernière partie de l’opération est celle d’entonner la liqueur de la cuve guilloire dans des barils. Lorsque la fermentation est achevée il sort en abondance, pendant quelques jours, de la levure par le trou de la bonde, et pendant cet espace de temps il faut avoir soin de remplir les barils d’une nouvelle liqueur. Lorsque les tonneaux ont cessé de jeter de la mousse ou de la levure, on les bondonne, et au bout de quelques semaines de repos la bière est potable.

La partie inférieure de la vignette représente une brasserie avec des barils prêts à être emmenés par le charretier.

Il n’y a rien de plus curieux que les immenses travaux de la brasserie de Cheswell-Street, la structure de la pompe à feu, et les opérations qu’elle exécute. C’est avec le secours de son mécanisme que s’effectue le procédé de jeter, tremper, de porter la drêche au grenier, et de remplir de bière les barils.

La drêche s’emploie aussi pour la distillation des liqueurs spiritueuses ; on la fait fermenter dans l’eau lorsqu’elle a passé au moulin, et on la met dans un alambic rempli aux trois quarts. Dans cet état le mélange prend le nom de matière ; on fait un feu vif sous la chaudière ou l’alambic, jusqu’à ce que la matière soit prête à bouillir ; on fixe alors le chapiteau à l’alambic, et on le lute au serpentin dans le réfrigérant ; on diminue l’action du feu, et l’esprit commence à couler. Le premier produit se nomme petites eaux, que l’on distille une seconde fois, et dont on fait de l’eau-de-vie de grain pur.

Les distillateurs mêlent avec l’eau-de-vie de grain du genièvre, de l’anis, et distillent de nouveau ce mélange, dont ils font de l’anisette et autres liqueurs, qui, quoique reconnues utiles dans certains cas en médecine, ne manquent jamais d’affaiblir le tempérament lorsqu’on en fait sa boisson journalière.

Les distillateurs obtiennent une grande quantité d’esprit du sucre et de la mélasse par le même procédé qu’ils emploient pour en extraire de la drêche ; ils sont obligés de recourir à ces substances dans les années où les plantes céréales sont rares. Les revenus de l’état tirent un grand bénéfice des distilleries ; mais l’usage des liqueurs spiritueuses est contraire aux mœurs et à la santé du peuple.

Le rhum s’obtient par la distillation du sucre et de la canne dans les Indes occidentales. Celui qui se vend en Europe est très-adultéré avant de parvenir au consommateur.

L’eau-de-vie s’extrait du vin par la distillation ; celle de France est réputée la meilleure de l’Europe, à raison de la qualité supérieure des vins de ce pays. Les eaux-de-vie de Bordeaux, de la Rochelle, d’Orléans et de Cognac passent pour les meilleures. L’eau-de-vie distillée une seconde fois se nomme esprit-de-vin, et cette liqueur, après une autre distillation, prend le nom d’alcohol pur, ou d’esprit rectifié.

L’eau-de-vie, dans son état de grande pureté, est sans couleur, et elle tire sa teinte jaune de la matière colorante des nouvelles futailles. Quand elle n’acquiert pas cette nuance de cette manière, les marchands de liqueurs la colorent artificiellement, pour faire croire qu’elle est vieille.

La profession de brasseur a donné naissance aux expressions figurées suivantes : brasser signifie figurément pratiquer, tramer, négocier secrètement. On dit proverbialement d’un portrait, d’un tableau mal fait et mal peint, qu’il n’est bon qu’à faire une enseigne à bière.

Le Coutelier.


LE COUTELIER.





Le coutelier fait des couteaux, des fourchettes, des rasoirs, des ciseaux, et toutes sortes d’instrumens tranchans. Le principal talent de cette profession est de donner à l’acier le degré qui lui convient, et pour lequel on ne peut fixer de règles certaines, attendu qu’il ne peut s’acquérir que par la pratique.

Les principaux endroits de ce pays où il se fabrique de la coutellerie sont Birmingham et Sheffield, et il se fait dans ces deux villes des ouvrages à meilleur compte que dans tous les autres pays de l’Angleterre. À Londres la coutellerie se vend beaucoup plus cher que celle faite en province, quoiqu’elle ne soit peut-être pas meilleure, mais parce qu’elle est mieux finie. On prétend néanmoins que les couteliers de la capitale impriment souvent leurs noms et leurs marques sur des ouvrages fabriqués à Birmingham ou à Sheffield, et que par ce moyen ils les vendent comme des marchandises de Londres.

Les lames des couteaux et autres instrumens tranchans se forgent au feu, et quand elles ont reçu la forme qui leur convient on les trempe, on les repasse, on les polit et on y met des manches.

L’homme représenté dans le fond de la vignette est supposé forger quelque instrument, tandis que l’autre, qui est sur le devant, est occupé à repasser un couteau sur la meule, que fait tourner l’ouvrier qui est à la roue.

On voit à terre deux fers de patins et deux lames d’épée. La fabrication des patins fait une partie considérable de l’occupation du coutelier dans des hivers rigoureux, et dans quelques fortes boutiques de cette profession on fait des montures d’épée ; mais ce travail n’est pas ordinairement du ressort du coutelier. Les lames d’épée viennent presque toutes de l’étranger ; on les forge au marteau et avec le secours de moulins à eau. C’est de cette manière que se font les célèbres épées de Vienne. En Angleterre le coutelier ne s’occupe que de les monter et de faire les fourreaux ; la dépense à laquelle s’élève ce travail est quelquefois très-considérable ; il est des poignées d’épée qui coûtent de 150 à 300 livres sterling. Plusieurs de ces dernières ont été depuis quelques années offertes par la Société des fonds patriotiques, qui s’est formée dans le dessein de récompenser les militaires distingués.

La fabrication des rasoirs est une autre partie du travail du coutelier. Comme l’opération de se raser est très-pénible pour certaines gens, les couteliers, dans différens pays, ont employé tout leur savoir pour triompher de cette difficulté, mais sans un succès bien décidé. On a cependant imaginé à cet effet des rasoirs à rabot ; ces rasoirs ont un fût de bois.

Les lames des rasoirs à rabot doivent être plus minces du dos que celles des rasoirs ordinaires. Le biseau du dos est large et tiré bien régulièrement sur la meule, afin qu’il puisse couler avec égalité dans la case de la chape ou du fût. On donne un trait de scie dans le milieu de la chape pour loger le dos de la lame ; cela fait, on lime le bois pour le réduire à une hauteur convenable.

On se sert alors d’une petite gouge pour pratiquer une gouttière tout le long de la chape, à l’effet de donner à la barbe et au savon la facilité de sortir. L’ébène est le bois que l’on doit employer de préférence pour faire ces châsses.

La bonté des lames de rasoir ne dépend pas toujours de leur prix, et on en a vu qui ne coûtaient qu’un scheling couper aussi bien que celles que l’on achète dix fois plus cher.

Les manches des rasoirs se font de corne, d’écaille et d’ivoire.

Les couteliers fabriquent des couteaux et des ciseaux de luxe, c’est-à-dire à lames, à branches et garniture en or.

Les manches de couteau, qui en général sont d’ébène, de bois rose, de palixandre, de corne marbrée, d’écaille et d’ivoire, se polissent avec le charbon de bois blanc, le blanc d’Espagne, le tripoli, la pierre ponce, l’émeri, le rouge d’Angleterre et la potée d’étain.

La forme des lames de couteau varie suivant les pays ; il en est dont l’extrémité se termine en pointe, d’autres qui l’ont arrondie. Cette dernière forme est généralement adoptée en Angleterre, parce que la lame d’un couteau arrondie tient lieu de cuiller, et qu’elle expose les enfans et même les grandes personnes à beaucoup moins d’accidens que celle qui se termine en pointe

L’ouvrier qui fait des instrumens de chirurgie est une autre espèce de coutelier ; il se sert du meilleur acier, met plus de soin à finir ses instrumens, et leur donne un plus beau poli que le coutelier ordinaire. Il est bon d’observer ici que l’on doit humecter d’huile tous les instrumens de chirurgie avant de s’en servir, à l’exception de la lancette à opérer l’inoculation.

La profession du coutelier est très-lucrative. Dans les boutiques bien achalandées un ouvrier est occupé un des jours de la semaine à repasser les couteaux, canifs, grattoirs et ciseaux, et le produit de ce travail défraie la maison de ses dépenses.

La profession du coutelier, les ouvrages qu’il fait et les matières qu’il emploie, ont donné lieu aux expressions proverbiales suivantes :

On appelle proverbialement et populairement une femme fine et rusée une bonne lame, une fine lame.

On dit figurément mettre couteau sur table, pour dire donner à manger ; on dit familièrement que des gens sont aux épées et aux couteaux quand ils sont en grande querelle, en grande inimitié ou en grand procès.

On dit proverbialement et figurément de celui qui dit du bien ou du mal de la même personne, c’est un couteau de tripière, un couteau à deux tranchans, un couteau qui tranche des deux côtés.

Le Négociant.


LE NÉGOCIANT.





Le négociant est un homme qui tient un commerce en gros ou qui importe ou exporte des marchandises.

Il faut pour exercer la profession de négociant jouir d’un grand crédit, posséder un grand fonds de connaissances et des capitaux considérables.

Le négociant doit savoir parfaitement écrire, connaître les règles de l’arithmétique et la tenue des livres.

Il doit posséder la manière de rédiger des mémoires, de faire des factures, savoir la forme des connaissemens, et être familier avec le code des douanes de tous les pays.

Il faut qu’il soit instruit de la différence et des rapports qui existent entre les monnaies, les poids et les mesures des contrées avec lesquelles il commerce, ainsi que de ceux des différens districts de son pays ; il doit avoir une connaissance exacte des fabriques où se confectionnent les articles qu’il vend, ou du moins les endroits où ils se fabriquent, et les matières dont ils se composent.

Il est essentiel qu’il soit instruit du moment favorable pour mettre en vente ses marchandises, et qu’il soit informé de la nature du change suivant le cours des différentes places, ainsi que des causes de sa diminution ou de son augmentation, et il ne doit pas ignorer quels sont les objets prohibés ou permis à la sortie des royaumes où elles sont fabriquées. Il est nécessaire qu’il connaisse les droits auxquels sont soumises l’importation et l’exportation des marchandises d’après les usages des places où il commerce ; il faut qu’il soit au fait de la meilleure méthode d’emballer les articles sur lesquels il spécule, soit pour les conserver dans des magasins ou pour les mettre en état de soutenir sans avaries des voyages de long cours. Il est bon qu’il connaisse le prix et les conditions du fret, ainsi que de l’assurance des navires et des marchandises dont ils sont chargés. Si les navires ou une partie de ces bâtimens lui appartiennent, il est indispensable qu’il en sache la valeur, ainsi que les dépenses de leur construction et de leurs réparations, les appointemens donnés tant aux officiers qu’aux marins qui les font manœuvrer, et la meilleure manière de les engager à son service ; il faut qu’il soit en état d’écrire des lettres avec facilité et avec élégance, et d’entendre plusieurs langues ; les suivantes sont celles qu’il lui est le plus important de savoir : l’espagnol, qui se parle non-seulement en Espagne, mais encore sur la côte d’Afrique, depuis les Canaries jusqu’au Cap de Bonne-Espérance ; l’italien, qui est en usage non-seulement sur les côtes de la Méditerranée, mais encore dans plusieurs contrées du Levant ; l’allemand, avec lequel tous les pays du nord sont familiers ; et le français, que l’on parle dans presque toutes les contrées de l’Europe. Enfin un négociant doit connaître les lois, les coutumes et les règlemens des pays avec lesquels il commerce ou peut un jour commercer.

Telles sont les connaissances nécessaires à celui qui veut étendre ses relations commerciales à des pays éloignés. Un jeune homme qui se destine à la profession de négociant doit d’abord fonder la base de ses succès sur une bonne éducation ; il doit ensuite, pendant qu’il est commis, se préparer à faire le commerce pour son compte, ou à être l’associé d’une maison solidement établie.

Le commerce qui se fait dans ce pays par des marchands et négocians peut se diviser en intérieur et en extérieur. Les principaux articles importés dans Londres des autres parties de cette île sont le blé, le charbon de terre, le houblon, la laine, le coton et la toile. Le blé et le houblon sont vendus par des courtiers de commerce ; les étoffes de laine y sont apportées par des fabricans de draps. Cette capitale tire la toile d’Irlande et d’Écosse, et les calicots de Manchester.

Les commissionnaires sont des espèces de négocians qui se chargent de vendre moyennant une certaine rétribution, les marchandises que d’autres personnes leur donnent en consignation. Ainsi, un fermier, ayant sa résidence à la campagne, a mille setiers de blé qu’il veut vendre au marché de Londres ; il n’a pas la commodité de se rendre dans cette ville ; il envoie en conséquence son grain à un commissionnaire, qui le vend pour lui, en reçoit l’argent, et le remet au fermier, après avoir déduit son droit de commission pour ses peines et ses dépenses.

Les marchands qui font le commerce avec les îles des Indes occidentales exportent en temps de paix, d’Angleterre pour ces contrées, des étoffes, des meubles, des tapis, de la coutellerie, de la quincaillerie, de l’horlogerie, de la bijouterie, et quelques marchandises qu’ils ont été chercher dans les Indes orientales, ainsi que des vins de France, de la toile, etc. Les retours de l’Amérique consistent dans du rhum, du sucre, de l’indigo, de l’acajou et du bois de campêche.

Nos marchands tirent des États-Unis du tabac, du riz, de l’indigo, du bois de charpente, du fer, de la poix et du goudron ; ils y portent en retour les mêmes articles qu’aux îles des Indes occidentales.

Ils importent des Indes orientales et de la Chine en Angleterre du thé, du riz, des drogues, des couleurs, de la soie, du coton, du salpêtre, des schals et autres étoffes ; mais les exportations pour ce pays consistent principalement en argent monnayé.

Dans la vignette on voit le marchand occupé à recevoir des tonneaux de sucre et de rhum, ainsi que des balles de coton qui viennent d’être déchargées d’un vaisseau des Indes occidentales. Le commis prend note des choses qu’on lui remet ; on voit derrière lui un ballot de toiles prêt pour l’exportation. Comme le dessin de la vignette a été pris d’un des magasins situés sur les bords de la Tamise, on a dans le fond du tableau une perspective éloignée d’une foule d’embarcations.

Les marchands ont beaucoup d’affaires à traiter avec la douane ; nous allons en donner ici un aperçu : le rhum, le sucre, et presque tous les autres articles importés paient certains droits à l’entrée avant qu’on puisse les en retirer. Beaucoup d’articles fabriqués dans ce pays, tels que le verre, le cuir, l’acier, etc., sont grevés de taxes considérables ; mais pour encourager le commerce, le Gouvernement restitue le montant ou du moins une partie de ces taxes lorsque ces articles sont exportés à l’étranger ; ces restitutions se nomment primes. Les marchands ou leurs commis vont donc à la douane déclarer, sous la foi du serment, la quantité et la qualité des marchandises qu’ils ont exportées pour en obtenir la prime accordée par l’administration des douanes.

La qualité de négociant a des honneurs et des prérogatives extraordinaires en Perse ; aussi ce nom ne se donne-t-il pas aux gens qui trafiquent de menues denrées, mais seulement à ceux qui entretiennent des commis et des facteurs dans les pays éloignés. Ces personnes sont souvent élevées aux plus hautes charges, et c’est parmi elles que le roi de Perse choisit des ambassadeurs.

Les banquiers, quoiqu’ils ne soient pas à proprement parler des marchands, ont tant de relations avec le commerce, qu’ils réclament ici notre attention : un banquier est un homme qui jouit de la confiance du public, et sa maison est un dépôt d’argent. Voici comment on peut définir la profession et les bénéfices d’un banquier : un marchand ou un particulier qui a chez lui une somme considérable, la place pour sa propre sûreté sous la garde d’un banquier, sur lequel il tire suivant ses besoins et quand il lui plaît. Le banquier, qui a ou doit avoir une fortune considérable, sait que les différentes personnes qui ont placé de l’argent chez lui ne le retireront pas tous à la fois ; il prête en conséquence, sur de bonnes sûretés, les sommes dont il croit pouvoir se passer pour satisfaire à ses demandes journalières, et c’est de ces sommes prêtées, pour lesquelles il reçoit cinq pour cent, que proviennent ses bénéfices.

Le banquier spécule aussi sur le change, c’est à dire en tirant d’une place sur une autre. Si, par exemple, je dois à un homme en Hollande mille florins, que j’ai promis de lui payer à une certaine époque, il faut que je m’adresse à un banquier, auquel je paie les florins ou leur équivalent en livres sterling, et il me donne sur son correspondant en Hollande une traite que je remets à la personne envers laquelle je suis débiteur.

Les assureurs sont des espèces de marchands qui assurent des marchandises d’un port à un autre pour une certaine prime. Si j’ai un vaisseau fretté pour les Indes orientales je cours le risque de le perdre en mer, et, si c’est en temps de guerre, de le voir pris par l’ennemi. Je vais donc trouver un assureur, et, moyennant une certaine somme que je lui compte, il s’engage à me rendre la valeur du vaisseau et de ce qu’il contient dans le cas où il ferait naufrage ou serait capturé par l’ennemi.

Pour en revenir au négociant, nous ne pouvons trop faire observer ici qu’il doit posséder une infinité de connaissances, et chercher à s’instruire des choses qui ont le plus de vogue dans les pays avec lesquels il est en relation d’affaires ; il ne peut par conséquent pas ignorer que les articles qu’il doit le plus rechercher en France sont les vins, la soierie, la porcelaine, les tableaux, la librairie et les bronzes. Cette dernière partie doit d’autant plus fixer son choix que la France, par le grand nombre des personnes qui excellent dans l’art de dessiner, de modeler et de ciseler, peut donner des objets en ce genre, faits avec beaucoup de goût, à bien meilleur marché qu’en Angleterre ; nous en citerons un exemple pris entre mille :

La lampe docimastique, qui a été inventée en France, et que l’on a imitée en Angleterre, se vend à Londres de neuf à dix guinées lorsqu’elle est à serre et à cou d’aigle, tandis qu’en France elle est d’un prix infiniment plus modéré. Nous allons joindre ici l’instruction sur la manière de se servir de cet instrument dans les termes mêmes du brevet d’invention accordé à son inventeur.

LAMPES DOCIMASTIQUES




INSTRUCTION.



La lampe docimastique consiste dans une application aussi simple que neuve de l’éolipyle, dont l’ajutage replié sous lui-même, ou introduit dans la capacité du digesteur, projette la vapeur de l’esprit-de-vin qu’il contient contre la flamme d’une lampe au-dessus de laquelle l’éolipyle est tenu suspendu. La flamme de la lampe, ainsi mêlée avec la vapeur de l’éolipyle, forme un dard très vif et si pénétrant, que, s’il est dirigé avec le tube horizontal contre un vase de la contenance d’un demi-litre (chopine), il met l’eau qu’il renferme en ébullition dans l’espace de deux minutes. Si l’on rend ce tube oblique, d’horizontal qu’il était, ce qui se fait en changeant l’extrémité de l’ajutage, on peut imprimer à la flamme une direction ascendante, ou la faire plonger dans un creuset, et alors le charbon qu’elle allume rend avec usure à l’éolipyle toute la chaleur qu’il en reçoit ; il naît de cette restitution mutuelle un souffle si violent qu’on ne peut s’en faire une véritable idée sans avoir vu l’expérience. L’usage le plus habituel des ajutages à courbure horizontale et ondulée est d’opérer la prompte ébullition des liquides ; mais on peut aussi les employer à la manipulation du verre et des émaux. Si, quand le premier fait la fonction de chalumeau, on éteint la lampe, et qu’on présente devant son orifice une chandelle ou une bougie allumée, ou, ce qui revient au même, si l’on réduit la mèche de la lampe au plus petit filet possible en fermant presque entièrement la coulisse, on voit aboutir à l’extrémité inférieure de l’ajutage une goutte d’esprit-de-vin, produit de la vapeur qui s’est refroidie dans le trajet du tube ; cette goutte est suivie d’une infinité d’autres qui s’allument successivement, et forment par leur série continuelle une lance bleue, laquelle dure cinq à six heures, en supprimant même le petit filet de mèche qui avait servi à les allumer. Cette lance bleue est très-propre à l’entretien de l’ébullition de l’eau, à la soudure des ouvrages délicats, comme le jaseron et la chaînette, et à la fabrication des perles fausses. Elle réunit à ces différens avantages celui d’être singulièrement commode, en ce qu’il suffit de la détourner du vase contre lequel la lance est dirigée, pour la faire servir de veilleuse ; et que, si l’on veut avoir quelque liquide bouillant, il n’est besoin ensuite que de ramener cette lance contre le vaisseau qu’on veut échauffer.

En employant le tube à courbure ondulée on obtient une flamme obliquement ascendante, et qui sert à chauffer les vaisseaux en-dessous.

La lampe docimastique se prête aux formes les plus élégantes ; celle que l’éditeur de cet ouvrage a adoptée est la plus simple et la plus commode ; elle est modelée sur la lampe antique de Psyché, dominée par un serpent ou par un cou d’aigle dont le bec tient un foudre : une portion de ce foudre sert de bouton de pression pour mettre l’éolipyle qui le traverse à la hauteur que l’on désire.

Il est bon d’observer, relativement à l’usage de cette lampe,

1o. Qu’il ne faut emplir l’éolipyle qu’aux trois quarts, de peur que l’esprit-de-vin mis en ébullition ne passe sous la forme liquide par l’ajutage ;

2o. Qu’on peut alimenter la lampe d’esprit-de-vin ou d’huile. Le premier de ces liquides a sur l’autre l’avantage de ne pas noircir les vaisseaux.

3o. Qu’il faudrait avec cet instrument employer de préférence des vaisseaux d’une forme aplatie, parce que le dard, en s’écrasant contre un plan, y imprime une espèce de soleil, dont le disque prend beaucoup plus d’étendue que sur les vaisseaux cylindriques ; il est bon aussi que ces vaisseaux soient couverts.

4o. Que si l’on désire souder quelques pièces métalliques peu volumineuses, telles qu’une clef de nécessaire ou de portefeuille, une pointe de compas, une plume d’argent, une épingle de cheveux, il faut aviver avec une lime les deux extrémités de la brisure, puis les réunir avec un fil de fer recuit, et les soumettre à l’action de la lance de feu, après les avoir saupoudrées de borax mouillé, et y avoir appliqué un feuillet de soudure d’argent, ou quelques grains de soudure de zinc. Lorsque la soudure coule, ce qui n’exige que l’espace d’une demi-minute, il faut retirer la pièce, et l’opération est finie.

5o. Qu’il est essentiel de tenir le guéridon, dont la lampe à griffe doit toujours être accompagnée, à une hauteur telle que le dard puisse donner précisément contre le centre du vaisseau qu’il supporte et qu’on veut échauffer.

6o. Que, lorsque l’orifice inférieur de l’ajutage se trouve obstrué, ce qui n’arrive qu’autant qu’on emploierait de l’esprit-de-vin d’une mauvaise qualité, il faut souffler la lampe, et ne point laisser jouer inutilement la soupape de sûreté pratiquée au dôme de l’éolipyle, laquelle ne doit agir que dans les opérations docimastiques, qui exigent une chaleur considérable. Pour déboucher l’ajutage il suffit d’employer un fil d’archal qui soit assez tenu pour ne pas en agrandir l’orifice, qu’on diminue à volonté en frappant dessus avec une clef ou le dos d’un couteau.

7o. Que, lorsqu’une fois le dard de la flamme a pris de l’activité, on peut modérer ou augmenter sa chaleur en reculant ou en ramenant la coulisse de la lampe.

8o. Que, plus la mèche dépasse le bec de la lampe, plus le dard acquiert d’énergie.

9o. Que quand la lance de feu ascendante se trouve tranchée, c’est une preuve que l’éolipyle éprouve trop de chaleur, et que la vapeur qui s’en échappe trop rapidement n’a pas le temps de s’allumer à sa naissance. Il est bon dans ce cas de modérer le feu de la lampe en ramenant la coulisse sur les trois quarts de la mèche.

Nous ajouterons ici, pour fixer l’attention sur l’utilité de la lampe docimastique, qu’elle offre aux gens peu aisés une économie essentielle dans beaucoup de cas, en ce qu’avec une dépense d’un centime et demi ils peuvent, sans cheminée, faire bouillir une cafetière de deux tasses en une minute, effet que l’on n’obtiendrait pas à ce prix et aussi promptement avec du charbon ou de la braise. Cette lampe est indispensable pour les voyageurs aisés, qui peuvent la placer dans leur nécessaire, et s’en servir même en voiture pour faire leur thé ou leur café, en se munissant d’un briquet ou d’une pâte phosphorique : que dans l’été surtout, où il est désagréable d’allumer du feu, cet instrument devient de la plus grande commodité, en ce qu’il remplace les réchauds ou les fourneaux les plus actifs ; que, donnant toujours une flamme égale, il dispense les personnes qui s’en servent de toute espèce de soins, et même de leur présence pendant deux heures, si elles tiennent la mèche de la lampe allumée, et pendant cinq si elles l’éteignent, c’est à dire si elles n’ont besoin que de l’entretien de l’ébullition des liquides par la lance bleue dont nous avons parlé.

Pour ne taire enfin aucun des avantages de cette lampe, nous observerons qu’elle peut faire meuble de cheminée ou de console, en ce qu’elle prête par l’élégance de sa forme à toutes les richesses du luxe, qu’elle parfume l’appartement où on l’allume, et, ce qui est bien précieux, que principalement avec de l’esprit-de-vin elle ne présente aucun danger pour le feu, même quand elle est abandonnée à elle-même. La vérité de cette assertion sera facile à sentir si l’on considère que l’emploi de l’esprit-de-vin dans la lampe empêche que la mèche ne charbonne, et que, vînt-elle par conséquent à être soufflée, il ne subsisterait aucune trace de feu ni de la part de l’éolipyle, ni de celle de la lampe, et par conséquent point de flammèches, point d’étincelles à redouter.


Observations générales.


Plus la lampe est près du vase contre lequel la lance de feu est dirigée, plus le liquide est prompt à entrer en ébullition ; mais il est à remarquer que le plus petit dard peut entretenir cette ébullition, et même de fort loin.

Le dard, en frappant contre le vase, échauffe très-promptement le liquide, mais les couches supérieures en sont bouillantes, tandis que le fond du vaisseau est encore froid, de sorte qu’un vase qui aurait deux robinets pourrait fournir simultanément de l’eau chaude et de l’eau froide. Ce phénomène, qui provient de ce que les parties du métal, se trouvant exposées à un choc trop subit et trop isolé, n’ont pas le temps de contracter toutes le même degré de chaleur et de se mettre à l’unisson, procure un avantage assez précieux ; c’est de permettre de tenir un vase d’argent par le pied, pendant qu’il bout, sans qu’on se brûle.

La lance de feu enfin, quand on emploie de l’esprit-de-vin, n’imprime qu’une légère trace sur les vaisseaux d’argent, mais elle n’en laisse absolument aucune sur les vaisseaux d’étain ou de fer blanc, pourvu toutefois qu’on ait la précaution de les tenir pleins.


LAMPE MÉCANIQUE.





Les lampes à courant d’air, dont l’invention appartient à M. Argant, ayant produit dans l’art de s’éclairer une révolution que le temps ne peut qu’affermir, surtout depuis la découverte de la cheminée de verre par M. Lange, nous allons parler de la lampe mécanique de feu M. Carcel, qui nous paraît y avoir ajouté un grand degré de perfection.

Le mérite de cette lampe consiste dans le moyen que feu M. Carcel a imaginé de faire monter l’huile au moyen d’une pompe mise en mouvement par un ressort. Cette invention présente des avantages très-réels en ce que la mèche, continuellement abreuvée, n’est jamais dans le cas de se charbonner faute de cet aliment, et que la flamme, toujours éloignée des bords du cylindre qui renferme la mèche, ne peut ni le calciner ni y déposer cette croûte d’huile durcie qui altère si souvent l’effet des lampes ordinaires.

Cette lampe peut facilement servir de réchaud économique pour les usages domestiques et pour la plupart des opérations de chimie, même par la voie sèche.

L’exécution du procédé employé par feu M. Carcel n’était pas sans difficulté ; la plus grande était sans doute de communiquer le mouvement des rouages dans le réservoir de l’huile où devaient jouer les pistons, sans qu’il pût donner lieu à la moindre filtration de ce fluide si pénétrant, qui n’aurait pas tardé à se répandre dans la cage des rouages, et de là sur tout ce qui se serait trouvé à portée d’être souillé par cet écoulement.

La classe des Sciences physiques et mathématiques de l’Institut, dont le rapport nous fournit une grande partie de cette description, a examiné avec soin tout le mécanisme de la lampe de feu M. Carcel, et il lui a paru que, soit par le choix des matières, soit par la disposition des pièces et la combinaison des forces et des résistances, l’inventeur était parvenu à surmonter toutes les difficultés pour en rendre l’usage aussi sûr que l’effet en est riche en lumière.

Son éclat est tel que l’on est souvent obligé de le tempérer, surtout dans les appartemens resserrés et pour les vues délicates ; mais ce serait se plaindre du degré de perfection atteint que d’en faire un reproche à ceux qui en ont imaginé les moyens. Ici, comme dans tous les arts qui consomment pour produire, on éprouve toujours bien plus le défaut de puissance que le défaut de régulateurs pour en modérer l’action. Il est facile de se défendre de la vivacité de cet éclat en entourant la lumière d’une gaze blanche, ou encore mieux d’une teinte bleuâtre qui dérobe à l’œil l’aspect de la flamme, ou enfin en masquant sa flamme par un verre dépoli.

La lampe de feu M. Carcel ayant, comme on le voit dans la vignette, la forme d’une colonne à base équilatérale, il est aisé de voir qu’elle est susceptible de beaucoup d’ornemens tant au pied qu’au fût, et que par conséquent elle joint l’agrément à l’utilité.



FIN.
  1. Satires d’Young, ou l’Amour de la Renommée. (Version du traducteur.)
  2. Le gril, le tampon, etc., sont représentés au côté gauche de la vignette qui accompagne cette description.