École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Perruquier


Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. 38-49).


LE PERRUQUIER.





Le perruquier peigne et taille les cheveux des hommes et des femmes ; il fait des perruques, et dans beaucoup de cas sa profession comprend en Angleterre celle de raser. Le perruquier représenté dans la vignette a besoin de ciseaux, de peignes, de poudre et de pommade, choses trop connues pour que nous en fassions ici la description.

Cet état était dans une plus grande vogue il y a dix ans qu’aujourd’hui. En 1795 le gouvernement anglais imposa une taxe d’une guinée sur toutes les personnes qui porteraient de la poudre : cet impôt fit beaucoup de tort à la profession de perruquier. Il régna l’année suivante et dans l’année 1799 une disette extrême de blé, dont se tire la poudre ; cette circonstance détermina beaucoup de personnes à ne plus se faire coiffer.

Le Perruquier.

Les principales qualités exigées dans un perruquier sont une main légère, une habitude à saisir les modes en faveur, et le talent de les perfectionner.

Les hommes et les femmes se coiffent de perruques blondes ou brunes dans tous les pays civilisés ; mais la fureur d’en porter a fait distinguer le commencement du dix-neuvième siècle. C’est en vain qu’il parut différens ouvrages pour empêcher le sexe de faire le sacrifice de ses cheveux et d’en porter de faux ; cette mode devint générale ; on ne voyait aux femmes brunes que des perruques blondes, aux blondes que des perruques brunes ; souvent la même femme en portait deux de différentes couleurs en un jour, et, comme dit Young, elle devenait sa propre rivale dans vos bras[1].

Aujourd’hui la mode de porter perruque est reléguée chez celles de nos douairières qui ne veulent pas absolument vieillir. Certains hommes tirant sur le grison croient se donner un air de jeunesse en portant perruque au mépris de ces vers de l’École des Maris :

Cela sent son vieillard qui, pour s’en faire accroire,
Cache ses cheveux blancs d’une perruque noire.

Aussi n’y a-t-il pas de métier plus lucratif que celui de faire des perruques, après celui de couper les cheveux à la Titus ? Les adeptes dans cet art jouissent d’une telle renommée que le plus célèbre d’entr’eux se contente de mettre au-dessus de sa porte son nom sans autre indication, et que si un mandarin était tenté de lui écrire, comme autrefois à Boerhaave, il lui suffirait de mettre sur l’adresse à l’illustre Armand, en Europe, et que la lettre parviendrait à son adresse.

La mode de porter perruque et de faux cheveux n’est pas particulière aux temps modernes ; elle était en vogue chez les Grecs et chez les Romains. La perruque de l’empereur Commode était poudrée avec de la poudre d’or que l’on y faisait tenir au moyen de parfums d’une nature visqueuse.

L’usage des perruques a été introduit en 1629 à Paris, d’où il s’est répandu par degrés dans toutes les autres parties de l’Europe.

Les cheveux forment une branche de commerce très-considérable. Leur mérite consiste à être très-bien nourris, et à n’être ni trop gros ni trop minces ; la grosseur les empêche de se prêter à la frisure, et la finesse de les garder longtemps frisés. Il n’y a pas de prix fixe pour les cheveux ; mais ils se vendent en Angleterre depuis 5 schelings jusqu’à 5 liv. sterling l’once, suivant leur qualité et leur couleur.

Autrefois le perruquier tressait et frisait indistinctement les faux cheveux par les deux bouts ; mais il est reconnu aujourd’hui que ceux destinés aux perruques doivent être tressés par le bout qui croît près de la tête, et que l’autre extrémité seule doit être frisée.

Les perruques fatiguées sont susceptibles d’être mises à neuf avec le secours d’un fer chaud et des papillotes ; mais il ne faut pas ensuite les exposer à la pluie : cela me rappelle une anecdote assez singulière.

Un jour un médecin de Lancasshire dit au jeune apprentif de son barbier : — Jack, il faut que tu prennes cette vieille perruque et que tu la passes au fer ; je te paierai grassement ; n’en dis rien à ton maître au moins. — Le garçon accepta cette proposition ; mais comme il n’aimait pas celui qui voulait l’employer, il fit part à son maître et aux autres apprentifs des offres du docteur, et se mit ensuite à l’ouvrage, mais avec des fers si chauds qu’il grilla tous les cheveux de la perruque, sans cependant la brûler tout à fait, et de manière qu’elle paraissait encore avoir l’air d’être frisée. — C’est très-bien, Jack, dit le docteur ; voici un scheling. — Un ou deux jours après le docteur sortit à cheval avec sa perruque ainsi mise à neuf ; mais ayant malheureusement été assailli d’une averse, les boucles s’en détachèrent les unes après les autres, et il ne resta plus de la perruque que la coiffe. Le docteur entra dans une colère qui ne peut pas se rendre ; mais il n’osa pas se plaindre, parce qu’il avait engagé l’apprentif à faire une chose contraire aux intérêts de celui qui nourrissait ce jeune homme et qui lui apprenait son état.

L’opération du barbier, qui est une autre partie de la profession de perruquier, n’a pas besoin de description ; le grand art de celui-ci consiste dans une main légère et un bon rasoir.

La profession de perruquier et de barbier, et leurs iustrumens, ont donné lieu aux proverbes suivans :

On dit figurément et proverbialement qu’un barbier rase l’autre pour dire que les gens d’une même profession se soutiennent ou se louent l’un l’autre ; on dit proverbialement et figurément d’un jeune homme, quand il veut faire des choses qui demandent plus de maturité, plus de poids que n’en ont ordinairement les jeunes gens de son âge, qu’il a la barbe trop jeune ; on dit encore proverbialement qu’un homme rit dans sa barbe pour dire qu’il est bien aise de quelque chose, mais qu’il n’en veut pas faire semblant.

  1. Satires d’Young, ou l’Amour de la Renommée. (Version du traducteur.)