Éclaircissement sur ce qu’on a dit de la musique des Italiens


Éclaircissement sur ce qu’on a dit de la musique des Italiens


ÉCLAIRCISSEMENT SUR CE QU’ON A DIT
DE LA MUSIQUE DES ITALIENS.
(1685.)

On m’a rendu de si méchants offices, à l’égard des Italiens, que je me sens obligé de me justifier, auprès des personnes dont je désirerois l’approbation, et appréhenderais la censure. Je déclare donc qu’après avoir écouté Syphace, Ballarini et Buzzolini avec attention ; qu’après avoir examiné leur chant, avec le peu d’esprit et de connoissance que je puis avoir, j’ai trouvé qu’ils chantoient divinement bien ; et si je savois des termes qui fussent au-dessus de cette expression, je m’en servirais pour faire valoir leur capacité davantage1.

Je ne saurois faire un jugement assuré des François. Ils remuent trop les passions : ils mettent un si grand désordre en nos mouvements, que nous en perdons la liberté du discernement, que les autres nous ont laissée pour trouver la sûreté de leur mérite dans la justesse de nos approbations.

La première institution de la musique a été faite pour tenir notre âme dans un doux repos ; ou la remettre dans son assiette, si elle en étoit sortie. Ceux-là sont louables, qui par une connoissance égale des cœurs et du chant, suivent des ordres si utilement établis. Les François n’ont aucun égard à ces principes ; ils inspirent la crainte, la pitié, la douleur ; ils inquiètent, ils agitent, ils troublent, quand il leur plaît ; ils excitent les passions que les autres appaisent ; ils gagnent le cœur, par un charme qu’on pourroit nommer une espèce de séduction. Avez-vous l’âme tendre et sensible ? Aimez-vous à être touché ? Écoutez la Rochouas2, Baumaviel, Duménil ; ces maîtres secrets de l’intérieur, qui cherchent encore la grâce et la beauté de l’action, pour mettre nos yeux dans leurs intérêts. Mais voulez-vous admirer la capacité, la science, la profondeur dans les choses difficiles ? la facilité de chanter tout sans étude, l’art d’ajuster la composition à sa voix, au lieu d’accommoder sa voix à l’intention du compositeur ? voulez-vous admirer une longueur d’haleine incroyable pour les tenues, une facilité de gosier surprenante pour les passages ? Entendez Syphace, Ballarini et Buzzolini, qui dédaignant les faux mouvements du cœur, s’attachent à la plus noble partie de vous-même, et assujettissent les lumières les plus certaines de votre esprit.


NOTES DE L’ÉDITEUR

1. Ces habiles musiciens étoient venus en Angleterre, où ils obtinrent un grand succès. Saint-Évremond, cédant à l’obsession de ses amis, qui lui demandoient de rétracter ce qu’il avoit dit à l’avantage des François, dans ses réflexions Sur les Opéras, écrivit cet Éclaircissement, où règne une ironie, sur laquelle il ne faut pas se méprendre. Voy. notre Introduction.

2. Var. la Rochechouart.