Âprement (Verhaeren)
ÂPREMENT
Ils se croisaient dans leur étable et dans leur cour,
Leurs durs regards obstinément fixés à terre ;
Et tous les deux, ils s’acharnaient à soigner mieux,
Elle ses porcs, et lui ses bœufs,
Avec l’espoir secret de se surprendre en faute.
Mais elle était toujours de corps ferme et dispos
Et lui travaillait dur et tenait la main haute
Faits de sourde rancune et d’âpre violence :
Aux trois repas, ils attablaient, farouchement,
Leur pain compact
Réglant leurs coups de dents sur le tic-tac exact
L’un disait, à voix haute, pesante et lente,
Ce que l’autre devait savoir
Pour les achats et pour les ventes,
Et l’accord se faisait, sur la somme, sans plus.
— Oh ! qu’ils étaient ardents et résolus
À tordre d’un gain minime
Dos à dos, ils s’étendaient dans leur vieux lit,
Chacun guettant l’aurore
Pour être seul à travailler
Dans le fournil ou le grenier,
Leur bien grandit,
Grâce à leur âcre et morne souci
D’être, toujours, sans défaillance et sans merci,
Et de vivre, durant des mois et des années,