À une branche d’amandier

Odes et PoèmesMichel Lévy frères (p. 291-293).


III

À une branche d’amandier

 
Déjà mille boutons rougissants et gonflés,
          Et mille fleurs d’ivoire,
Forment de longs rubans et des nœuds étoilés
          Sur votre écorce noire,

Jeune branche ! et pourtant sous son linceul neigeux,
          Dans la brume incolore,
Entre l’azur du ciel et nos sillons fangeux
          Février flotte encore.


Une heure de soleil, le bleu de l’horizon,
          La tiède matinée,
Vous ont fait croire, hélas ! que la belle saison
          Nous était ramenée.

Parfois l’hiver stérile a des soleils trompeurs,
          Et sa face est dorée ;
Mais il ne peut mûrir une seule des fleurs
          Dont vous êtes parée.

Après ce doux rayon qui brille avec amour,
          La nuit sera mortelle ;
Pour fixer le printemps il faut plus d’un beau jour
          Et plus d’une hirondelle.

Ne laissez pas jaillir tous vos boutons vermeils
          Que le froid ne s’achève ;
Pour la saison féconde et pour les vrais soleils
          Gardez bien votre sève.

L’hiver va de vos fleurs ternir la pureté,
          Et leur règne s’abrège ;
Leurs calices fondront, comme ferait, l’été,
          Une coupe de neige.

Puis, quand le jour luira, qui doit tout ranimer,
          Les plantes et les âmes,
Il usera sur vous, sans rien faire germer,
          Sa rosée et ses flammes.

Alors tout sous le ciel, tout sera réveillé ;
          Toutes les autres branches
Lèveront au grand air leur ébène émaillé
          Et leurs couronnes blanches ;

Et le soleil viendra peindre leur front charmant,
          Leurs lèvres nuancées,

Et le vent les fera pencher languissamment
          Comme des fiancées.

Les coteaux rougiront, les sillons bigarrés
          De fleurs et de verdure,
Tous les arbres des bois, tous les gazons des prés
          Seront dans leur parure.

Partout des bruits joyeux, du miel dans chaque fleur,
          De l’or sur chaque nue ;
Mais vous, dans ce concert, sans voix et sans couleur,
          Serez honteuse et nue.

Jamais d’oiseau chanteur sur vous n’aura guetté
          L’insecte qui bourdonne ;
Vous ne donnerez pas de verdure à l’été
          Ni de fruits à l’automne.

Un jour vous a tout pris : ses rayons déjà morts
          Brillaient pour vous séduire ;
Et vous avez perdu tous vos jeunes trésors
          Joués sur un sourire.