À un poëte (Guaita)

Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 147-148).
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À un Poëte


Que si nulle âme-sœur ne répond à votre âme,
Poëte épris d’un Idéal cher à vous seul,
Drapez-vous, sans rancune et sans phrase de drame,
Dans votre solitude, ainsi qu’en un linceul :

Qu’importe ? — Vous n’aurez qu’à lancer dans le Vide
Dont les gouffres obscurs soudain resplendiront,
Et dont s’empourprera la profondeur livide,
Tout ce qui germe, emprisonné, sous votre front !


Et l’Infini, peuplé de vos Rêves splendide,
Sera votre patrie — et l’Idéal aimé,
Soleil, rayonnera dans les hauteurs candides,
Comme un roi glorieux de vous seul acclamé.

Vous seul habiterez la terre de vos songes
Où votre esprit pourra, las des réalités,
Se gorger à loisir de savoureux mensonges,
Et dormir dans l’oubli des mondes habités ;

Car le poëte doux, qu’on exile ou qu’on raille,
Pour humble qu’il paraisse, est un magicien :
S’il passe, insoucieux de la foule qui braille,
C’est qu’il poursuit, là haut, son rêve aérien !


Avril 1884.