À travers les États-Unis, notes et impressions/01

À travers les États-Unis, notes et impressions
Revue des Deux Mondes3e période, tome 49 (p. 799-832).
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A TRAVERS LES ÉTATS-UNIS

NOTES ET IMPRESSIONS

I.
NEW-YORK, WEST-POINT ET LE NIAGARA.

Ce n’est pas sans hésitation que je me suis décidé à mettre en ordre ces notes recueillies pendant un court séjour de sept semaines aux États-Unis. Mais ayant eu l’avantage de faire partie du petit groupe de Français qui ont assisté aux fêtes données par le gouvernement américain pour célébrer le centenaire de la capitulation d’York-Town, j’ai pensé qu’il y avait peut-être lieu à raconter l’accueil que nous ont valu les souvenirs d’un passé cependant bien ancien. Notre pauvre pays n’est pas, ce me semble, tellement accoutumé à la reconnaissance que les témoignages d’une gratitude tirant de si loin son origine lui doivent être indifférens. Et puis, s’il faut tout dire, j’espère que dans un temps où l’opinion des gens de bonne foi est des plus incertaines sur l’état intérieur de ce curieux pays, il y a place encore entre l’enthousiasme des uns et le dénigrement des autres, pour quelques impressions, à coup sûr, très superficielles, mais qui ont du moins la mérite de s’être formées sur les lieux mêmes, au jour le jour, et sans parti-pris.


À BORD DU CANADA.

24 septembre-5 octobre,

La mémoire a ses caprices comme l’imagination, et Ce qu’elle retient n’est pas toujours ce qui mérite le plus d’y demeurer gravé. Je me suis toujours obstinément souvenu d’une vieille romance dont la rime n’est pas riche, dont le style n’est pas vieux, mais à laquelle mon enfance trouvait je ne sais quel charme mystérieux :

Nos rêves s’envolent
Comme des oiseaux,
Des rêves nouveaux
Bientôt nous consolent.


Je ne puis dire, à la vérité, que le cours de la vie ait pour moi répondu aux promesses de ce refrain plein d’espérance. J’ai eu, comme tous les enfans des hommes, beaucoup de rêves qui se sont envolés « comme des oiseaux, » mais j’en suis encore à attendre les rêves nouveaux qui devaient me consoler des anciens. Cependant, de tous ces rêves d’enfance, le plus chéri avait toujours été celui d’un voyage en Amérique, rêve nourri chez moi par la lecture assidue des romans de Cooper. A douze ans, je partageais les colères de Bas-de-Cuir contre cette civilisation prosaïque qui défriche les forêts, qui défend aux hommes de vivre du produit de leur chasse, et j’étais résolu, comme le Trappeur, à chercher un refuge contre ses envahissemens dans les prairies du Far-West, où, ma carabine sur l’épaule, je pourrais du moins suivre l’Indien à la piste et renouveler les exploits d’Œil-de-Faucon. À ce beau dessein avait succédé avec les années un projet plus modeste et d’une exécution plus facile, celui de faire un séjour prolongé aux États-Unis et de traverser, au moins dans sa largeur, ce continent encore sauvage où le chemin de fer précède la civilisation. Puis, à l’une comme à l’autre entreprise, les années, les devoirs et ces doux liens qui enchaînent l’homme sans lui faire regretter sa liberté, m’avaient amené à renoncer, lorsque la nation américaine s’est avisée, par l’organe de ses représentans et de ses plus illustres citoyens, d’inviter au centenaire de la capitulation de York-Town les descendans des anciens officiers de l’armée commandée par le marquis de Rochambeau. Un mien grand-père ayant servi dans cette armée, je me suis trouvé, tout à fait inopinément, compris dans cette invitation. Cette fois, c’était bien un rêve nouveau qui venait se poser devant moi. Je n’ai pas voulu le laisser s’envoler comme un oiseau, car il ne serait probablement pas revenu, et c’est ainsi que, le 24 septembre de l’année dernière, je me suis embarqué au Havre sur le paquebot de la compagnie Transatlantique, le Canada, où se trouvaient réunis tous ceux qui se rendaient comme moi, à des titres divers, aux fêtes d’York-Town.

Bien qu’il n’y ait pas aujourd’hui moins de six grandes compagnies dont les bateaux font chaque semaine, dans les deux sens, la traversée de l’Atlantique, et bien que cette traversée ne présente plus guère d’autres risques que ceux inséparables de toute expédition humaine, c’est toujours cependant un moment assez solennel que celui où un de ces grands et frêles esquifs, auquel sont confiées pour quelques jours tant de destinées, s’apprête à quitter le port. Personne n’a mieux rendu la majesté triste d’un de ces départs que le grand romancier Dickens, dans cette page où il raconte le départ du grand vaisseau des émigrans, qui emporte sans retour vers l’Australie le vieux pêcheur Peggotty et la fragile Emilie, la compagne d’enfance de David Copperfield. Il y a aussi grand nombre d’émigrans à bord du navire qui nous entraîne, d’une allure de plus en plus rapide, dans l’étroit chenal du port. Parmi ceux qui agitent leurs mouchoirs et répondent aux signaux d’adieux qu’on leur adresse de la jetée, beaucoup ne reverront jamais la terre qu’ils abandonnent. Aussi, lorsqu’un coup de canon annonce tout à coup que le bateau vient de dépasser la pointe du phare, et lorsqu’en moins de deux ou trois minutes on voit les figures chéries qu’on distinguait encore sur la jetée disparaître et s’abîmer en quelque sorte dans le néant, plus d’un à bord sent faillir son cœur et lui monter aux yeux les larmes, ne pouvant dire comme Childe Harold :

My greatest grief is that leave
Nothing that claims a tear.


Les premières heures de notre traversée sont employées par nous à entrer en relations les uns avec les autres. Nous sommes plus de trente Français nous rendant aux fêtes d’York-Town, qui connaissons à peine nos figures et nos noms. Notre petite bande se compose en effet d’élémens assez différens : officiers de l’armée de terre et de l’armée de mer, arrière-petits-fils du général Lafayette, descendans des anciens officiers de l’armée de Rochambeau ; les uns désignés par le gouvernement pour représenter leurs corps respectifs, les autres, au contraire, personnellement invités par le gouvernement des États-Unis en souvenir du passé. Le général Boulanger, dont le nom est bien connu de tous ceux qui ont été enfermés dans les murs de Paris pendant le siège; l’amiral Halligon, commandant la station navale des Antilles, que nous devons trouver à New-York, le marquis et la marquise de Rochambeau, sont les seuls dont je donnerai ici les noms. Les autres ne croiront pas cependant que je les aie oubliés. Peut-être ces pages passeront-elles sous les yeux de quelques-uns d’entre eux. Ils y trouveront des impressions qui nous ont été communes à tous, d’autres qui me sont tout à fait personnelles. Mais je suis certain de traduire une de ces impressions communes en disant qu’étrangers la veille les uns aux autres, arrivant des coins les plus différens de l’horizon politique, enclins peut-être, s’il faut tout dire, à certaines préventions les uns contre les autres, l’esprit de bonne camaraderie l’a tout de suite emporté sur ces préventions, et que, le jour où nous nous sommes trouvés sur une terre étrangère, à douze cents lieues de notre pays, nous ne nous sommes plus souvenus que d’une chose : c’est que nous étions tous Français.

Parmi mes compagnons, quelques-uns redoutent la perspective d’une longue traversée de onze jours. Pour moi, au contraire, cette perspective est l’un des attraits du voyage. J’ai quelque peu navigué (il y a de cela malheureusement plusieurs années) sur la Méditerranée, et je suis curieux de comparer ce lac intérieur dont la place est si petite sur la carte, si grande dans l’histoire, et qui est peuplé de si poétiques souvenirs, avec ce désert d’eau, cette grande solitude qui sépare l’ancien du nouveau monde. Vais-je retrouver ces teintes bleues si profondes et si douces, et ces belles clartés nocturnes de l’archipel, qui, suivant l’exacte définition de Chateaubriand, semblent seulement l’absence du jour? J’ai gardé, entre autres souvenirs, celui d’une nuit passée à bord d’un paquebot russe, entre Alexandrie et Jaffa. La lune, dans son plein, blanchissait de ses rayons une mer immobile. Nous n’étions que peu de monde à bord, et le silence n’était interrompu que par le bruit sourd et régulier de la machine, semblable à un souffle puissant. Dans le salon, un des passagers se mit au piano et joua avec beaucoup d’expression cette mélodie mélancolique où la légende a voulu voir la dernière pensée musicale de Weber mourant. Accoudé sur le bastingage, j’écoutais les accords qui arrivaient jusqu’à moi à travers les hublots ouverts; et je ne sais si c’est l’influence de cette belle nuit, de cet air que j’ai toujours aimé ou l’émotion qu’excitait en moi l’approche d’une terre sacrée par ses grands souvenirs, mais d’un long voyage en Orient aucune impression n’est demeurée dans ma mémoire aussi présente et aussi vive. Eh bien, je le dirai avec franchise, l’Océan a trompé mon attente. Même par le plus beau soleil, je l’ai trouvé d’un bleu terne, qui au moindre nuage se change bien vite en un gris sale, et les nuits m’ont paru sans charme. Cependant la surface de l’eau miroite encore sous les rayons de la lune, et les accords du piano, fort agréablement tenu, arrivent de nouveau à mon oreille. Ce sont mes impressions d’autrefois que je ne retrouve plus. Mais ne serait-ce pas que j’avais vingt ans alors, tandis que j’en ai près du double aujourd’hui, et la jeunesse n’a-t-elle pas en elle des trésors de poésie qu’elle prête à la nature et que la nature ingrate ne lui rend pas toujours?

Cependant au bout de quelques jours l’Océan s’est relevé dans mon estime, mais d’une façon qui n’a pas été du goût de tout le monde. J’ai rencontré autrefois d’assez gros temps en naviguant sur la Méditerranée : j’ai même eu l’honneur de faire un quasi-naufrage sur les côtes de Grèce et de chercher un refuge contre la tempête dans le port même d’où le sage Nestor est parti pour la guerre de Troie. A tant faire on ne pouvait mieux choisir. Ce spectacle de la mer en courroux, pour parler comme le vieil Homère, m’avait causé une impression assez vive et je désirais fort le voir se renouveler sur l’Océan. L’expression imprudente de ce vœu avait été des plus mal prises par quelques-uns de mes compagnons de voyage et m’a été bien des fois reprochée comme d’un mauvais augure. Vers le quatrième ou cinquième jour, nous tombons en effet non point du tout dans une tempête, mais dans un coup de vent, qu’une assez forte houle faisait déjà pressentir depuis vingt-quatre heures et qui change singulièrement les conditions de notre voyage. « Le Canada tient bien la mer pourvu qu’on ne le brutalise pas, » nous dit notre excellent capitaine, et, pour ne pas le brutaliser, il le met à la vitesse de quatre nœuds. Le nœud n’étant que de 1,820 mètres, l’allure de deux lieues à l’heure nous paraît un peu lente lorsqu’il nous en reste plus de huit cents à faire. Impossible de se promener sur le pont et même de s’y tenir, la pluie qui tombe par rafales et les lames qu’on embarque fréquemment en rendent le séjour intolérable. Le second jour cependant, las de cette captivité, je monte sur le toit du petit rouffle qui protège l’entrée des cabines, et là, en dépit du vent qui me force à me cramponner à un cordage, et de l’eau de mer qui me fouette à la figure, je reste près d’une demi-heure fasciné par la grandeur du spectacle. Le soleil, à ce moment, perce péniblement l’épaisseur des nuages et ses rayons entrecoupés se jouent sur la surface inégale et agitée de la mer. L’eau est d’une teinte noire comme si elle était mélangée d’encre, mais une frange d’écume d’un blanc vif couronne le sommet des vagues, et le contraste entre cette noirceur de l’eau, cette blancheur de l’écume me montre la fidélité des effets les plus heurtés et en apparence les plus invraisemblables que les grands peintres de marine, Joseph Vernet ou Salvator Rosa, ont reproduits dans leurs tableaux. Je comprends celui (c’était, je crois, Salvator Rosa) qui, par le plus fort de la tempête, se faisait attacher au grand-mât et qui, tout entier à la beauté du spectacle, perdait jusqu’au sentiment du danger. Tantôt notre bateau, dont la mer se joue comme d’une plume, est enlevé sur le sommet de quelque vague, et j’embrasse d’un coup d’œil cette immense étendue d’eau labourée et déchirée en tous sens ; tantôt, au contraire, il se précipite tête baissée pour ainsi dire dans un creux profond, et une épaisse muraille d’eau me barre la vue de l’horizon. Mais à peine arrivé au fond du creux, le bateau rebondit, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, s’élève sur le sommet de l’immense vague qui paraissait au moment de s’affaisser sur lui. Cependant le vent n’est pas bien violent, et nous n’avons affaire qu’à un gros temps des plus ordinaires. C’est par là que l’Océan l’emporte en grandeur sur la Méditerranée. Même par un temps calme, ses vagues longues et ondulées ont une bien autre allure ; on dirait un animal géant dont la respiration même révèle la sourde puissance et dont aucune force humaine ne pourrait contenir les mouvemens désordonnés.

Au bout de deux jours, le vent étant tombé et ayant changé de direction, nous rattrapons le temps perdu par une marche rapide. Nous approchons du banc de Terre-Neuve et nous cheminons à travers un brouillard épais en faisant retentir ce sifflet strident d’une sonorité toute particulière que les marins appellent la sirène. Si telle était la voix des nymphes traîtresses qui charmèrent les compagnons d’Ulysse, il faut avouer que ceux-ci avaient en musique des goûts bien étranges. On dirait le beuglement d’une vache qu’on égorge. Ce bruit s’entend à plus d’un kilomètre en mer et sert à empêcher les collisions qui sont, avec les bancs de glace pendant l’été, le seul danger sérieux de la traversée. Un vent froid qui vient du Groënland ajoute encore aux ennuis de cette obscurité. Puis, à mesure que nous approchons des côtes d’Amérique, la température qui s’adoucit, le soleil qui apparaît, viennent nous réconforter, et, sauf un peu de houle, notre route se continue très agréablement.

J’en profite pour descendre dans les profondeurs du bâtiment et pour visiter certaines parties qui m’intéressent. Je suis en particulier curieux de la chambre de chauffe. Tous ceux qui ont lu Jack (et qui n’a pas lu Jack?) se rappellent la description de cette terrible chambre où le pauvre garçon mène pendant quelques mois une si dure vie. Cette description m’était restée dans l’imagination comme quelque chose de particulièrement douloureux, et, voulant en avoir le cœur net, je suis descendu jusque dans l’étroit couloir ménagé en face des chaudières qui porte en effet ce nom caractéristique. A vrai dire, la description de Jack m’a paru un peu exagérée, et j’ai pu supporter l’atmosphère incandescente de ce couloir sans être obligé de me précipiter vers la manche à vent pour respirer de l’air frais. Mais il n’en est pas moins vrai que la chaleur y est poussée jusqu’au dernier degré que le corps humain puisse supporter et que le passage incessant sous ces manches à vent d’où tombe avec force un air qui paraît glacé doit entraîner souvent des accidens funestes à la santé. Telle est la vie à laquelle sont condamnés pendant quatre heures de travail, suivies de quatre heures de repos, une partie des hommes de notre équipage. Le soleil, le vent, la pluie, la tempête n’importent pas pour eux. Ils sont comme le mineur enfoui dans les entrailles de la terre et qui ne s’inquiète pas du temps qu’il fait au dehors. Au moins, sur les vieux bâtimens à voile, il n’était si humble matelot qui ne pût avoir quelques jours de bon, et lorsque, par un ciel pur et une bonne brise, le navire filait vent arrière, depuis le capitaine jusqu’au dernier mousse, chacun pouvait jouir également de ces deux éternels bienfaits de Dieu : l’air et le soleil. Tels sont les progrès de la civilisation, et je me demande une fois de plus si les avantages qu’elle procure à ses privilégiés valent le prix qu’elle les fait payer à ses victimes.

Il est à notre bord une autre population dont la condition m’intéresse également : ce sont les émigrans. Nous en transportons plus de cinq cents, dont cent quarante enfans. Ils sont tous entassés dans le second pont, au-dessous des premières et des secondes. C’est dans cet espace étroit qu’ils couchent, qu’ils mangent et qu’ils se tiennent lorsque le mauvais temps ne leur permet pas de monter sur le pont. Pendant trois jours, il a été impossible de les laisser sortir ni de leur donner de l’air. Lorsque j’y descends, les hommes de l’équipage sont en train de balayer les immondices de toute sorte qui salissent le plancher, et une odeur aigre et nauséabonde, dont je n’ai pas besoin de dire la cause, commence à peine à se dissiper. Cependant leur condition s’est singulièrement améliorée, car ils peuvent monter sur le pont, où ils s’assoient et s’entassent pêle-mêle, au risque d’être trempés par les lames qui de temps à autre inondent encore l’avant. Je remarque parmi eux un homme jeune encore, manifestement atteint par la phtisie, et que je vois toujours la tête appuyée sur l’épaule de sa femme. Je ne saurais dire la compassion que m’inspirent ces braves gens, presque tous originaires de l’Alsace ou de la Suisse allemande. Je me demande à quelles épreuves ils ont été réduits dans leur pays pour qu’ils aient pris le parti de quitter ainsi ce qui est si cher au cœur de chacun de nous, le toit sous lequel ils sont nés, l’église où ils ont été mariés, le cimetière où reposent les os de leurs pères, et de tenter cette vie d’aventure où l’émigrant peut rencontrer aussi bien la misère que la fortune. On m’assure que je me trompe, que cette sensibilité tombe à faux et que, parmi ces émigrans, il y en a plus d’un qui porte sur lui une ceinture d’argent bien garnie. J’ai peine à le croire, et le peu de relations que je parviens à nouer avec eux me confirment dans mon impression. Je fais causer un Alsacien qui tient sur ses genoux deux enfans, tandis que sa femme, grosse, est étalée sur le pont au dernier degré de la prostration : « Pourquoi avez-vous quitté votre pays? lui dis-je. — Che peux pas vivre. Che ne gagne pas assez. — Où allez-vous? — A Rochester. — Où est-ce? — Che ne sais pas. — Qu’est-ce qui vous attire là? — C’est mon frère. Y paraît qu’y gagne. » Je ne puis en tirer autre chose. Vers le soir, tout ce pauvre monde s’efforce de s’égayer un peu. Ils montent un orchestre avec les instrumens les plus divers, une flûte, un tambour, une bouteille, et ils valsent à trois temps, l’homme passant ses deux bras autour de la taille de la femme, la femme reposant ses deux mains sur les épaules de l’homme, suivant la mode allemande ; ou bien ils chantent en partie des airs lents et tristes, comme tous les chants populaires, dont, à la tombée de la nuit, l’effet est mélancolique et saisissant. Tout en les écoutant avec sympathie, je les admire et les sens supérieurs à moi. Si j’étais courbé comme eux sous la dure loi de la misère, je ne sais si j’aurais l’énergie d’engager ainsi la lutte avec la mauvaise fortune. Plutôt que de rompre courageusement un jour avec les souvenirs et les affections qui aident l’homme à supporter la vie, j’aimerais mieux, il me semble, continuer de souffrir où j’aurais vécu et mourir où je serais né.

Le retour du beau temps fait émerger des profondeurs du bateau beaucoup de figures nouvelles et, nous commençons à faire connaissance avec nos autres compagnons de voyage. La société que transporte le Canada est des plus mélangées. On y trouve un docteur californien, marié à une cantatrice belge, qui, de son propre aveu, se croit obligé par patriotisme de soutenir sur tous les points la supériorité des Américains ; un dentiste italien, marié à une Française, qui chante des romances en roulant les yeux ; deux commis voyageurs gascons qui vont débiter des articles-Paris aux États-Unis et commencent leur commerce sur le bateau en vendant leurs propres lorgnettes ; un pharmacien de la Nouvelle-Orléans, qui se drape avec fierté dans une capote de conducteur d’omnibus, dont il a fait l’emplette à Paris et dont il paraît fort satisfait ; plus un certain nombre de ménages américains qui ne me paraissent pas appartenir aux rangs les plus élevés de la société. Une chose me frappe comme trait de mœurs : c’est le peu de surveillance dont les enfans américains sont l’objet et leur allure délurée. Je m’imagine les angoisses d’une mère française retenue à fond de cale par la maladie et sachant que ses enfans courent sur le pont par un gros temps. Tel est le cas de nos enfans américains, qui vont, viennent, courent et jouent pendant plusieurs jours, garçons et filles, sans que nous puissions démêler à qui ils appartiennent. Ce sont déjà de petits hommes indépendans. Un d’eux surtout me frappe ; c’est un gamin de quatre ans qui marche posément, tombe, se relève, sans jamais se plaindre, et répond avec fierté quand on lui demande quel est son pays : « Je suis de Chicago. » Aussi lui avons-nous donné ce surnom. Sa mère, qui apparaît dans les derniers jours de la traversée, était venue s’établir en France, comptant y rester plusieurs années. Mais, au bout de quelques mois, elle s’est sentie home-sick, et elle retourne à Chicago, qu’elle nous engage fort à visiter, n’imaginant pas, dit-elle, « qu’il puisse y avoir une plus belle ville au monde. Il y a onze chemins de fer qui y aboutissent. » Je serais bien étonné cependant si ce petit bonhomme à la mine hardie y finissait obscurément ses jours. Peut-être sera-t-il lui-même un fondateur de ville. Tel est du moins l’horoscope que je tire au fils et dont la mère paraît fort satisfaite.

Dans ce milieu, à tout prendre assez commun, je distingue cependant un ménage qu’au premier abord j’avais reconnu de la meilleure compagnie à ce certain air indéfinissable qui est de tous les pays. Le mari, originaire des états du Sud, est établi à Boston, où il occupe dans l’église épiscopale un rang élevé. J’obtiens de lui des renseignemens qui m’intéressent sur la guerre de la sécession et sur ses causes. Bien qu’originaire du Sud, c’est au Nord qu’il donne raison. Il croit que la réconciliation entre les états autrefois ennemis sera complète d’ici à quelques années. La femme est originaire de la Californie, et ses grands yeux noirs teintés de bleu révèlent que quelques gouttes de sang espagnol coulent dans ses veines. Elle parle français avec une pureté remarquable, ayant passé une partie de sa première jeunesse en France ; elle connaît la Suisse, Genève, Coppet, et nous nous découvrons même quelques relations communes. Certaines particularités de la société qui nous environne finissent par amener la conversation sur un sujet délicat : la façon d’être et les manières des Américains, ce qui est de sa part l’occasion de quelques réflexions dont j’ai reconnu plus tard la justesse : « On rencontre, en effet, me dit-elle, beaucoup d’Américains plus ou moins bien élevés qui voyagent en Europe; c’est d’après eux qu’on nous juge, et nous autres Américains et Américaines de la bonne société, nous ne trouvons pas cela très juste. On rencontre quelquefois aussi en voyage, ajouta-t-elle avec malice, des Français mal élevés. Mais vous vous apercevrez bien vite que ces différences de classes sont plus sensibles en Amérique qu’ailleurs. Vous serez très bien reçu partout et par tout le monde, car notre nation est très hospitalière, peut-être plus hospitalière que la vôtre. Mais les comités qui vous recevront seront composés de toute sorte de gens. Il y aura dans chaque ville des personnages officiels et des hommes de la société. Ce n’est pas du tout le même monde, et je serais étonné si vous n’en faisiez pas la différence. »

Pendant que nous devisons ainsi très agréablement, l’approche de la terre nous est signalée par l’accostage d’un bateau pilote. Tandis que les pilotes du Havre ou de Liverpool ne s’avancent jamais en dehors de la Manche ou du canal de Saint-George, les pilotes américains s’aventurent jusqu’à deux jours en mer dans de petits bateaux voiliers, d’une forme singulièrement élégante, pour guetter l’arrivée des nombreux paquebots qui arrivent d’Europe. Ballottés parfois pendant une semaine entre le ciel et l’eau dans leurs frêles embarcations, ils ont peut-être risqué leur vie, mais ils ont gagné quinze cents francs. Le nôtre apporte avec lui des journaux sur lesquels nous nous jetons avec avidité. Nous y trouvons quelques renseignemens sur la réception qui va nous être faite, renseignemens qui nous intéressent d’autant plus que nous allons les yeux fermés, certains d’un excellent accueil, mais ignorant ce qu’on compte faire de nous. Nous y apprenons que nous devons tous loger à l’hôtel de Fifth-Avenue, et que le 7e régiment de la milice de New-York sera sous les armes pour nous recevoir à notre arrivée. Aussitôt nos militaires de tirer du fond de leurs malles, qu’il ne leur est pas toujours facile de se procurer, tout leur équipement, uniformes, casques, sabres, et c’est grande rumeur le lendemain sur le bateau, quand ils apparaissent dans tout l’éclat de leur tenue. On nous annonce que nous arriverons vers dix heures. effectivement nous ne tardons pas à apercevoir la pointe basse et sablonneuse de Sandy-Hook, et au-delà les collines verdoyantes de Staten-Island. Le temps est clair, le vent froid et assez fort, mais il nous pousse rapidement. Nous franchissons l’étroit passage justement appelé les Narrows, qui ferme l’entrée de la baie. Un coup de canon du vieux fort Lafayette, qui n’offrirait pas à l’occasion une résistance bien sérieuse, salue notre passage, et nous sommes dans la rade de New-York.

Quelques-uns des Américains qui sont à notre bord, justement fiers de cette entrée célèbre, ont eu le tort de nous parler à ce propos de la baie de Naples. C’est un souvenir qu’il faut tout d’abord chasser de sa pensée. On ne retrouve ni la couleur des eaux, ni la courbe du rivage, ni l’arête vive et découpée de la côte, ni rien en un mot de cet aspect de grâce suprême qui feront toujours de cette vieille baie un des coins bénis de la terre. Mais, toute comparaison écartée, le spectacle de la rade de New-York est très saisissant. La lumière est particulièrement claire et les moindres objets, troncs d’arbres isolés, maisons aux couleurs un peu criardes, se dessinent avec netteté sur un ciel pur et pâle. Les collines qui contournent la baie sont très verdoyantes et, sur la droite, les arbres des villas de Long-Island viennent presque baigner leurs branches dans la mer. Dominant une forêt de mâts, les monumens de New-York élèvent dans l’air leurs sommets pointus, dont l’éloignement ne permet pas de discerner les détails et qui donnent à la ville un faux aspect de Constantinople. Mais ces grands ports de l’Orient ont tous un certain air de mort. Ici, au contraire, c’est la vie qui triomphe; la quantité des vaisseaux à l’ancre, le va-et-vient des navires à vapeur de toute dimension, depuis les plus petites chaloupes jusqu’aux plus grands paquebots, tout atteste que ce port est un des grands centres commerciaux du monde, et l’intérêt qu’excite toujours l’activité humaine s’ajoutant à la réelle beauté de la nature produit sur le nouvel arrivant une impression qu’il n’oublie pas. Pendant que nous sommes tout yeux à ce spectacle, nous avons à peine remarqué que le paquebot a stoppé quelques instans. Aussi sommes-nous surpris de voir grimper sur le toit du rouffle où nous nous tenons réunis, un grand escogriffe, orné d’une barbe dont la longueur est égale à la hauteur de son chapeau, qui, un crayon et un morceau de papier à la main, se met tranquillement à nous demander nos noms. C’est un reporter, le premier échantillon d’une race avec laquelle nous allons faire ample connaissance. Il est arrivé bon premier sur ses confrères grâce à l’idée qu’il a eue de s’embarquer sur le bateau de la santé qui est venu nous accoster. Mais avant qu’il ait fini son interrogatoire, nous voyons se diriger vers nous un canot à vapeur couvert d’un toit arrondi que, de loin, on pourrait prendre pour un gros berceau roulant sur les flots. Ce canot porte un officier envoyé par l’amiral américain dont la frégate est à l’ancre dans la rade. Cet officier est chargé de nous annoncer que l’amiral ne peut, comme cela était convenu, nous prendre à son bord pour nous faire faire un débarquement solennel, mais que les honneurs maritimes vont nous être rendus. En effet, à un signal, nous voyons les matelots de la frégate grimper rapidement dans les vergues et s’échelonner sur les haubans, où ils se tiennent ensuite immobiles, pendant que le pavillon français est hissé au mât de misaine et que les canons envoient des salves. Les frégates françaises qui sont également à l’ancre dans la rade répondent par d’autres détonations. Un grand nombre de bâtimens de commerce hissent à leur tour notre drapeau. Les passagers des bateaux à vapeur qui se croisent en tous sens dans la baie nous saluent en agitant leurs mouchoirs. Enfin notre réception prend quelque chose de tout à fait solennel. Il s’agit cependant de nous faire débarquer. Un petit vapeur qui appartient à la Compagnie transatlantique vient nous chercher. Sur ce bateau se trouvent des reporters, naturellement, et, ce qui nous est plus agréable, quelques-uns des membres du comité nommé par le gouverneur de New-York pour nous recevoir. Nous faisons rapidement connaissance, nous remercions l’excellent capitaine du Canada qui nous a si heureusement conduits à bon port, je m’attarde un moment pour mon compte à serrer la main à l’aimable ménage dont j’avais fait la connaissance, et je rejoins mes compagnons sur le petit vapeur qui, en quelques tours de roues, nous amène non point au lieu ordinaire où accostent les transatlantiques, mais dans une sorte de grande remise couverte où stationnent des voitures. Là, deux dames qui attendent depuis le matin, en dépit du vent et du froid, reçoivent Mme de Rochambeau, et nous apprenons que, pour être sûr de ne pas manquer notre arrivée, plusieurs membres du comité ont passé la nuit sur des matelas dans un bureau voisin. Nous montons en voiture, ravis de nous sentir enfin sur terre ferme. Au moment où nous débouchons dans Broadway, nous entendons un commandement militaire. Les soldats du 7e régiment de la milice font la haie sur notre passage et nous présentent les armes. L’un des deux bataillons qui composent le régiment prend ensuite la tête du cortège; le second ferme au contraire la marche, et nous remontons ainsi, au pas, musique en tête, cette longue artère de Broadway, où toute circulation a été interdite en notre honneur, à l’heure du plus grand mouvement des affaires. Les plus ambitieux d’entre nous n’auraient jamais assurément rêvé de faire à New-York cette entrée de souverains.

La foule assez nombreuse qui stationne sur les trottoirs nous salue souvent de ses applaudissemens. Un grand nombre de femmes agitent leurs mouchoirs aux fenêtres. J’entends aussi par momens des sifflets, et j’en suis d’abord un peu surpris. Mais on m’explique que trois bordées de sifflets aigus sont au contraire une sorte de hurrah populaire et que nous aurions tort de prendre cette manifestation en mauvaise part. Fort occupé à rendre les saluts qu’on nous adresse (je n’ai pas l’habitude de ce métier royal), c’est à peine si j’ai le temps d’avoir une première impression des yeux sur cette célèbre ville que je traverse si singulièrement. Je suis toujours frappé de la pureté de la lumière et aussi des couleurs un peu criardes des maisons rouges, blanches, grises, brunes. Je vois beaucoup d’églises, de très beaux magasins, des maisons d’une hauteur prodigieuse et de grands bâtimens d’une architecture gothique, d’un goût un peu hardi, qui servent de bureaux à des sociétés financières ou à des journaux; mais, à tout prendre, rien qui ait ce caractère étrange et excentrique que les Français s’attendent toujours, assez sottement, à trouver en Amérique. Une chose donne cependant à toutes ces maisons un aspect très particulier, c’est qu’elles sont à la fois tendues de crêpes et pavoisées de drapeaux tricolores. A la mort du président Garfield, toute la ville s’est mise en deuil, et c’est en notre honneur seulement qu’elle commence à le quitter. Quelques-uns des membres du comité prennent même la peine de nous expliquer que, si, d’une part, ce tragique événement n’avait jeté New-York dans la tristesse, et si, de l’autre, le jour et l’heure de notre débarquement n’étaient demeurés nécessairement incertains, il y aurait eu sur notre passage bien autre foule et bien autre enthousiasme. Mais quelques-uns d’entre nous (et je suis du nombre), qui ne sont guère accoutumés à être acclamés par les masses dans leur pays, trouvent cette réception fort satisfaisante et ne songent à se plaindre de rien lorsqu’au terme d’une procession qui n’a pas duré moins d’une heure ils sont débarqués dans le magnifique hôtel de Fifth-A venue. Là, deux salons ont été préparés pour nous recevoir, l’un très vaste pour toute la bande, l’autre plus petit, orné avec goût de fleurs et de nœuds tricolores, pour Mme de Rochambeau. Les membres du comité, comprenant que nous avons besoin de quelque repos, prennent alors congé de nous pour le reste de la journée. Deux ou trois d’entre eux restent cependant à l’hôtel pour s’assurer que rien ne nous manque, et il nous est impossible de faire un pas dans un couloir sans rencontrer quelqu’un qui nous demande si par hasard nous n’aurions pas besoin de quelque chose.


NEW-YORK.

5-7 octobre.

Madison-square, où est situé notre hôtel, est un des points les plus gais et les plus brillans de New-York. La longue artère de Broadway y est coupée à angle aigu par la large voie de Fifth-Avenue, qui est, au contraire, bordée dans toute sa longueur d’habitations aristocratiques. D’autres rues et d’autres avenues, les unes toutes commerçantes comme la vingt-troisième rue, les autres élégamment habitées comme Madison-Avenue, y aboutissent également. Aussi l’animation y est-elle extrême, et des fenêtres de l’hôtel on a sous les yeux le spectacle du perpétuel entrecroisement des tramways, des omnibus, des lourdes charrettes et des voitures de luxe. Le jardin public, qui est en face de l’hôtel, est assez bien tenu, et le square éclairé le soir à la lumière électrique au moyen d’un faisceau de quatre becs de lumière réunis au sommet d’un mât très élevé. Le jour, ce mât, qui ressemble à un grand mât de cocagne, est d’un aspect assez disgracieux, mais le soir, grâce à l’élévation du foyer lumineux, la place est brillamment illuminée sans qu’on soit exposé à être aveuglé dès qu’on lève un peu les yeux.

L’intérieur de l’hôtel n’est pas, dans un autre genre, moins animé que la place. L’enfilade de salons richement meublés qui occupe toute la façade du premier, et les couloirs mêmes, garnis de canapés et d’épais tapis, se remplissent, vers l’heure du dîner, de la foule des habitans de l’hôtel qui y passent leur soirée, en toilette assez soignée. Mais cette animation n’est rien auprès de celle que présente le grand hall situé au rez-de-chaussée, de plain-pied avec la rue. L’hôtel de Fifth-Avenue étant un endroit très central, beaucoup de gens viennent, leurs affaires terminées, passer quelques instans dans ce hall pour y rencontrer du monde, lire les journaux, prendre un cock-tail au bar et fumer un cigare. Aussi est-ce une perpétuelle cohue d’entrans et de sortans, par laquelle on est incessamment bousculé. Cette foule qui fume un acre tabac et qui crache partout, n’a, comme toutes les foules, rien de distingué, et beaucoup de touristes qui parlent de la société américaine n’ont pas poussé plus loin leurs observations. Mais il n’en est pas moins vrai que son invasion quotidienne gâte un peu le séjour des hôtels et compense pour l’étranger l’avantage de trouver sous la main tout ce dont il peut avoir besoin : télégraphe, journaux, revues, billets de spectacles, billets de chemins de fer, menus objets de fantaisie, sans parler des boutiques de coiffeurs, de chapeliers, de tailleurs, de fabricans de malles qui, tout en ouvrant sur la rue, ont presque toujours une porte de communication intérieure avec l’hôtel. Il y a là pour le voyageur nouvellement débarqué, qui ne connaît pas la ville, une concentration très commode, et je m’étonne que nos hôtels parisiens, qui sont en train de s’américaniser sous tant de rapports, ne donnent pas les mêmes facilités à leurs hôtes.

Le soir venu, les plus dispos d’entre nous font une assez courte promenade dans Broadway. Nous remarquons bon nombre de magasins éclairés à l’aide de lampes électriques, dont la lumière paraît beaucoup plus douce et plus égale que celle dont on nous gratifie en France. Mais l’animation cesse de bonne heure dans Broadway, et nous nous hâtons de rentrer pour ne pas perdre un spectacle qui nous a été annoncé comme très curieux : celui d’une exhibition du service d’incendie et des pompes à vapeur de la ville de New-York. Vers neuf heures et demie, on vient nous apprendre que cette exhibition ne saurait avoir lieu, un véritable incendie, qui a nécessité l’appel de plusieurs pompes, venant d’éclater dans un quartier voisin, et l’on nous propose d’aller voir fonctionner ces pompes pour de bon. Je me demande un instant si l’un des aimables membres du comité qui nous a reçus le matin n’a pas poussé la galanterie jusqu’à mettre le feu à sa maison pour nous donner le plaisir de le voir éteindre. Mais cette supposition, à la réflexion, me paraît peu probable. Nous partons en voiture pour le lieu de l’incendie. Malheureusement ou heureusement, suivant le point de vue auquel on veut se placer, lorsque nous arrivons le feu est éteint, et après avoir admiré pendant quelques instans une des gigantesques pompes qui ont contribué à ce résultat, nous n’avons qu’à regagner nos lits.

Le lendemain nous nous mettons, trois ou quatre, en campagne d’assez bonne heure pour courir la ville et profiter des quelques heures qui nous sont laissées avant les cérémonies officielles. Nous débutons par une visite qui n’est pas dans le programme tracé par l’Appleton-Guide, le Murray des États-Unis. Parmi nos compagnons de bord se trouvait un tout jeune jésuite, parent de l’un d’entre nous, et dont le nom, connu de tous, joint à l’illustration de la noblesse celle de la science. Il a renoncé à tout, famille, fortune, position sociale, pour entrer dans les ordres, et il a été désigné pour aller prêcher l’évangile aux Indiens des montagnes Rocheuses. Il est parti joyeux, et, ayant fait connaissance avec nous pendant la traversée, il nous a demandé de venir le voir à New-York, dans la maison de son ordre, où il doit séjourner pendant quelques jours. Je ne prévoyais guère que ma première visite dans la grande cité Américaine serait pour l’Institut des jésuites. Cet Institut est situé dans une maison d’apparence encore plus modeste que celle naguère occupée par eux dans la rue de Sèvres. Des corridors très étroits, des escaliers tortueux, un parloir des plus pauvrement meublés, où nous reçoit un père français qui est depuis trente ans aux États-Unis, et qui a presque oublié l’usage de sa langue maternelle. Rien ne trahit la richesse et la puissance de l’ordre. Mais lorsque de cette maison si simple on passe par des dégagemens intérieurs dans la nouvelle église que les jésuites sont en train de faire construire et dont la façade donne sur la rue voisine, on mesure en un coup d’œil les ressources dont ils disposent. Cette église sera une des plus spacieuses de New-York, je ne dis pas une des plus belles, car le style en est surchargé d’ornementations qui pourront plaire aux Irlandais, futurs habitués de cette nouvelle paroisse, mais qui paraissent du plus mauvais goût à nos yeux français. Elle est construite en pierres magnifiques de granit gris et rouge, au-dessus d’une crypte d’égale dimension et destinée à remplacer une chapelle devenue insuffisante.

Le contraste entre cette pauvre maison et cette magnifique église, en apparence indépendantes, est bien dans les traditions de l’ordre, partout semblable à lui-même, toujours plus fort qu’il ne paraît, à la fois constant et souple. Il est impossible de ne pas admirer cette vitalité prodigieuse qui survit à toutes les épreuves et qui lui fait regagner ici le terrain perdu ailleurs. Il est vrai que la législation de l’état de New-York favorise singulièrement son développement. Que sept individus, dont il suffit que deux se disent citoyens américains, annoncent l’intention de se former en société en déposant entre les mains du secrétaire de l’état un extrait de leurs statuts; que ces statuts n’indiquent pas un but contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs : voilà la société légalement constituée à l’état de personne civile ayant droit de posséder et de recevoir. Il y a loin de cette législation à la nôtre (sans parier même des événemens récens), et cette différence nous fournit les élémens d’une comparaison entre le libéralisme des deux républiques qui n’est pas tout à fait à l’avantage de notre pays. Cette conversation nous conduit jusqu’à la station de l’elevated railroad, qui est situé dans la quatorzième rue. Comme cet elevated railroad est, à mon avis, une des curiosités de New-York, et comme au moment où il est fort question d’établir à Paris un chemin de fer métropolitain, il y aurait peut-être là quelque chose à imiter, on me permettra une digression qui, vu les circonstances, ne paraîtra peut-être pas tout à fait dépourvue d’intérêt.

La ville de New-York, étant comprise tout entière dans une presqu’île resserrée entre l’Hudson et un bras de mer, qu’on appelle l’East-River, a plus de 16 milles en longueur (le mille est de 1,609 mètres), tandis que dans sa plus grande largeur elle n’en compte que 4 et le plus généralement 3, le problème était donc de transporter rapidement les voyageurs dans le sens de la longueur, les nombreux tramways qui croisent la ville assurant pleinement les communications dans le sens de la largeur. Les Américains ont résolu ce problème de la manière la plus simple, au lieu d’enfouir leur chemin de fer sous terre, ils le font passer en l’air, sur des piliers en fer qui se terminent en fourche et qui sont reliés les uns aux autres par des poutrelles de même métal. Le chemin de fer suit ainsi les rues ou plutôt les avenues qui sont toujours dans le sens de la longueur. Lorsque l’avenue est étroite, les deux voies sont juxtaposées et se solidifient l’une par l’autre. Au contraire, lorsqu’elle est large, chaque voie suit à peu près le trottoir reposant sur un seul pilier et passant environ à la hauteur du premier étage des maisons. Les wagons articulés tournent presque à angle droit lorsque le chemin de fer emprunte une rue pour passer d’une avenue dans une autre. Il y a environ trois stations par mille; le prix du trajet est uniformément fixé à 10 cents (cinquante centimes), ce qui facilite singulièrement la distribution des billets et permet à chacun suivant ses convenances de modifier son itinéraire en route. Les trains vont à l’allure d’environ 12 milles à l’heure ; comme ils ne sont jamais composés que d’un petit nombre de wagons et qu’il n’est pas possible d’en rajouter, le public s’entasse au besoin dans les grandes voitures dont les sièges sont disposés dans le sens de la longueur et se tient debout dans le couloir. Personne ne songe à se plaindre. Tel qui est debout aujourd’hui sait qu’il sera assis demain. Il est impossible de trouver une solution plus simple, plus économique au problème des chemins de fer métropolitains, et depuis trois ans que ce système fonctionne à New-York, il n’a donné lieu à aucun accident.

Pourquoi aujourd’hui qu’on parle d’établir un chemin de fer métropolitain à Paris n’adopterait-on pas ce système? Quel service De rendrait pas à la population un chemin aérien de cette nature qui, partant de la gare du Nord par le boulevard Magenta, descendrait les boulevards de Strasbourg et de Sébastopol jusqu’aux halles, traverserait la Seine au Pont-Neuf, rejoindrait la Croix-Rouge par les quais et la rue de Rennes, passerait derrière les Invalides après avoir suivi la rue de Sèvres, descendrait l’avenue Bosquet, passerait la Seine au pont de l’Alma, et après avoir contourné l’Arc-de-Triomphe en remontant l’avenue Marceau, rejoindrait la gare Saint-Lazare par le boulevard Haussmann ? Pourquoi ne pas préférer un chemin de fer aérien qui coûterait environ 400,000 francs Le kilomètre à un chemin de fer souterrain qui en coûtera 3 millions? Pourquoi? Parce que nous sommes un peuple artistique qui a horreur du laid et parce que la vue de ce chemin de fer gâterait l’aspect de quelques-unes de nos plus belles voies de communication. Je dois dire, à la vérité, que les Américains, beaucoup plus aristocrates qu’on ne le croit en matière d’édilité publique, n’ont eu garde de faire passer le chemin de fer dans Fifth-Avenue, où l’on ne souffre même pas de tramways. A plus forte raison, n’établirons-nous pas à Paris un chemin qui suivrait le boulevard Haussmann. Mais combien de temps les lois de la concurrence entre les nations nous permettront-elles de sacrifier ainsi l’utilité à l’élégance? C’est une question que l’avenir décidera,.. et puis, au fond, je ne tiens pas beaucoup moi-même à mon tracé.

Nous prenons donc ce chemin sans itinéraire bien déterminé et fort intéressés par cette manière d’aller tout à fait nouvelle pour nous. Nous pénétrons par des rues très étroites au cœur de La vieille ville, nous passons à l’endroit d’où nous avons débarqué la veille, et nous admirons de nouveau l’éclat de la baie par un beau soleil. Enfin, nous arrivons en vue de deux formidables piles de granit que nous avions déjà remarquées la veille et qui sont destinées à supporter un immense pont jeté au-dessus de l’East-River. Ce pont doit rejoindre Long-Island au continent et la ville de Brooklyn à celle de New-York. La fantaisie nous prend d’examiner de plus près cet immense travail. Nous quittons le chemin de fer, et pour franchir l’East-River, nous nous embarquons sur un de ces immenses ferry-boats qui peuvent transporter à la fois quinze ou vingt voitures et des centaines de passagers. Même pour une traversée qui dure dix minutes, il y a une cabine réservée pour les dames. Tout en traversant, nous remarquons que, si le tablier du pont n’est pas achevé, il y a déjà une passerelle qui est jetée du sommet d’un des piliers à l’autre et qui sert probablement au passage des ouvriers. Nous nous promettons, si faire se peut, de revenir par ce chemin, et après avoir débarqué dans Brooklyn, qui, pour être une ville de cinq cent mille habitans, n’en est pas moins, à l’aspect, aussi différente de New-York que le faubourg Saint-Antoine l’est du boulevard des Italiens, nous nous mettons en quête du bureau de l’ingénieur, sans une permission duquel nous ne pourrons, nous dit-on, revenir par la passerelle.

Nous finissons par trouver ce bureau, non sans peine. Je frappe, j’entre et je me trouve en présence d’un personnage aux cheveux ébouriffés, étendu dans un fauteuil, les pieds sur son bureau. C’est l’ingénieur chargé des travaux du pont. Je lui explique notre cas. Un ingénieur français se serait levé, m’aurait fait asseoir et après avoir écouté ma requête, m’aurait refusé avec force politesses, après quoi il m’aurait accompagné jusqu’à la porte en m’exprimant tous ses regrets. L’ingénieur américain n’ôte même pas ses pieds de son bureau et se borne à me demander : « Êtes-vous tous majeurs ? » Sur ma réponse affirmative à cette question dont je ne comprends pas bien la portée, il me tend un petit papier sur lequel il vient de griffonner quelque chose et me laisse partir. Comme j’ai rencontré depuis des ingénieurs américains fort polis, je ne prétends nullement conclure du particulier au général. Munis de cette permission, nous gravissons un escalier en bois de trois cents marches qui nous mène au sommet du premier pilier. De là nous embrassons du regard la rade, la ville, la campagne environnante, et quoique je n’apprécie pas beaucoup ces vues panoramiques, dont l’immense étendue ne vous laisse pas jouir des détails, cependant je dois convenir que le spectacle en est très saisissant. Nous nous engageons ensuite sur la passerelle qui joint l’un des piliers à l’autre. À peine y avons-nous fait quelques pas, que je comprends la question à moi posée par l’ingénieur : « Êtes-vous tous majeurs ? » Cette passerelle qui n’a pas tout à fait un mètre de large, se compose, en effet, de petites planchettes séparées par un intervalle de quelques centimètres, à travers lequel on aperçoit la rivière coulant à deux cent cinquante pieds au-dessous. Point de parapet, mais deux simples cordons de fil de fer tressé qui courent à la hauteur de la main. Celui qui aurait un instant de vertige ou qui ferait un simple faux pas serait précipité en une seconde de cette hauteur effrayante sans avoir rien pour le retenir. Bien qu’ayant la tête assez solide, je suis obligé de faire un effort de volonté pour résister à la tentation dangereuse de regarder à mes pieds et pour promener mes regards au loin. Le moindre souffle d’air fait osciller la passerelle, et l’on sent que, par un grand vent, ce doit être une véritable balançoire. À 50 mètres environ du dernier pilier, les cordons de fil de fer s’affaissent je ne sais pourquoi, et cessent d’être à la hauteur d’appui. Il faut se courber en deux pour les tenir ou les lâcher. C’est ce dernier parti que je prends, me méfiant toujours de la subite attraction du vide. Aussi n’est-ce pas sans un certain soulagement que je nous vois tous arrivés au sommet du dernier pilier, car si l’un de nous avait eu une défaillance, je ne sais pas ce que les autres auraient pu faire pour lui venir en aide. La traversée de l’East-River sur ce pont fragile ne nous a pas pris moins de vingt minutes. Pendant longtemps encore ce sera le seul moyen de communication d’une rive à l’autre, car le tablier inférieur n’est pas près d’être achevé. Ce pont a déjà coûté 50 millions, ce qui est un assez joli denier, mais il est notoire à New-York que, sur cette somme, bon nombre de dollars sont restés dans des mains qui n’auraient pas dû les garder, et c’est l’explication qu’on donne couramment de la lenteur des travaux. Nous descendons du dernier pilier par un nouvel escalier en bois; nous reprenons ce merveilleux chemin de fer aérien, puis un car (c’est ainsi qu’on appelle les tramways à New-York) et nous rentrons à l’hôtel assez amusés de notre expédition. A la porte, nous sommes appréhendés par un reporter qui nous demande comment nous avons employé notre matinée. Nous le lui disons brièvement, et le soir même nous trouvons raconté dans le journal avec force détails le récit de notre expédition sur ce que nous avons appelé, dit-il, la passarelle.

Le reste de la journée est consacré aux cérémonies officielles. A deux heures, le gouverneur de l’état de New-York doit venir nous rendre visite, et nous devons ensuite passer en revue les milices de la ville. A deux heures, le gouverneur arrive, en effet, à l’hôtel de Fifth-Avenue. Il est en habit civil, mais entouré d’un nombreux état-major d’officiers en uniforme assez élégant: beaucoup de galons et surtout de plumets. Ces officiers appartiennent tous à la milice. L’honneur d’être choisi par le gouverneur d’un état comme officiers d’ordonnance leur vaut le titre de colonel, qu’on leur conserve souvent par courtoisie lors même que leurs fonctions ont cessé. De là cette fabuleuse quantité de colonels qu’on rencontre en Amérique. Le gouverneur de New-York est un homme de fort belle prestance qui nous reçoit avec dignité. Mais la présentation est un peu froide, comme toutes les présentations. Nous montons ensuite en voiture ayant comme la veille un commissaire par carrosse, et nous commençons à passer devant le front des régimens de milice rangés sur deux rangs dans Fifth-Avenue, depuis Madison-Square jusqu’à Central-Park. Il me semble que nous autres civils nous n’avons guère à faire dans cette cérémonie, et que pareil honneur devrait être exclusivement réservé à la délégation militaire et maritime. Mais nos commissaires ne l’entendent point ainsi et sont résolus à ne faire entre nous aucune distinction. Je suis moins attentif cependant à la tenue des troupes, dont je ne suis pas très bon juge, qu’à l’aspect extérieur de tout ce qui nous environne. Cette longue et large voie de Fifth-Avenue est bordée de droite et de gauche de maisons où demeure toute la société de New-York. Ces maisons sont construites dans le genre des maisons anglaises, sans porte cochère avec une façade assez étroite et toutes en profondeur; mais ce qui les rend plus élégantes que les maisons de Londres, c’est qu’au rez-de-chaussée de chacune d’elles on n’accède que par un perron de huit à dix marches, et ce perron leur donne à la fois plus d’apparence et de légèreté. Elles sont généralement construites sur un modèle uniforme en matériaux un peu tristes, du granit gris ou rouge foncé. Cependant on nous en montre, chemin faisant, quelques-unes assez différentes d’aspect, entre autres ce qu’on appelle le palais Stewart, grande villa en marbre blanc, qui serait peut-être mieux à sa place sous le ciel de Gènes. D’autres plus récentes sont construites dans un style qui est fort en honneur à New-York à présent, le style château, et que pour mon compte je ne goûte pas beaucoup, les châteaux étant faits suivant moi pour être environnés d’arbres et de pelouses. Mais si le détail n’échappe pas à la critique, cette longue file d’habitations, dont on devine le luxe intérieur, a quelque chose à la fois d’élégant et grandiose. Ce qui par cette claire lumière et ce beau soleil rend leur aspect particulièrement gai, c’est que les fenêtres de toutes celles dont les propriétaires sont déjà rentrés en ville sont garnies de femmes et d’enfans qui agitent leurs mouchoirs à notre passage. Les trottoirs sont encombrés d’une foule bienveillante qui, pour mieux nous voir, escalade le perron des maisons; les nègres y sont en assez grand nombre et leur large figure noire, au milieu de laquelle brille une rangée de dents blanches, exprime la plus vive satisfaction. Nous répondons de notre mieux par nos saluts à ses manifestations sympathiques, et déjà ce métier nous paraît moins singulier que la veille. On s’accoutume vite aux honneurs, et je m’explique mieux comment en temps de république certaines gens sont si prompts à prendre allures de princes.

La revue terminée, on nous conduit dans une tribune construite à peu près en face de l’hôtel, et les régimens de la milice que nous venons de passer en revue commencent à défiler devant nous. Les drapeaux, qui, depuis la mort du président Garfield, demeurent entourés d’un crêpe, s’inclinent devant nous au passage, et chaque fois nous levons gravement nos chapeaux pour répondre au salut. Je prête un peu plus d’attention aux uniformes, m’attendant à les trouver, sinon gracieux, du moins bien entendus au point de vue de l’usage quotidien. Je suis surpris, au contraire, de remarquer qu’évidemment ils sont tous (chaque régiment a son uniforme) d’un modèle assez ancien et en partie calqué sur les uniformes qui étaient de mode en Europe il y a cinquante ans. Ce n’est pas la dernière fois que j’aurai occasion de signaler la ténacité avec laquelle on conserve en Amérique les souvenirs du passé et la lenteur qu’on apporte à effectuer certains changemens. C’est ainsi qu’ils ont gardé toutes ces vieilles traditions que, sous couleur de progrès, on a supprimées récemment dans notre armée, le tambour-major faisant voltiger sa grosse canne à l’ancienne mode et les bonnets à poil. Il est vrai que les soldats affublés de cette coiffure incommode portent aussi un képi suspendu un peu plus bas que la giberne, qui, ballottant à chaque pas, produit un assez singulier effet. D’autres uniformes sont assez élégans, entre autres celui du régiment de milice qui nous a reçus la veille, gris avec des buffleteries blanches. La cantinière est toujours remplacée par un nègre qui porte gravement un bidon. Bien que ces régimens ne défilent pas avec la solidité de troupes régulières, l’ensemble de leur tenue est cependant, de l’avis de nos officiers, infiniment supérieur à celle de notre ancienne garde nationale. On sent qu’il y aurait là, le cas échéant, une force sérieuse, et au point de vue du maintien de l’ordre intérieur, on en a bien eu la preuve, il y a quelques années, à New-York, lorsqu’un jour d’émeute un de ces régimens appelé au secours de la police, tira sans hésitation sur la foule et coucha par terre bon nombre d’individus. C’est avec les mêmes élémens dont se compose aujourd’hui cette milice que le Nord a formé il y a quelques années ces vigoureuses armées qui, après quelques défaillances, ont fini par triompher de la chevalerie du Sud. On sent qu’il ne faudrait pas grand effort pour faire de ces miliciens des fantassins sérieux. Je n’en dirai pas autant des régimens d’artillerie, dont les chevaux paraissent fort étonnés d’avoir à traîner des canons. Pour ces armes spéciales il faut une préparation plus longue, et leur défilé dépare un peu la fin de la revue.

Le soir, exhibition des pompes à feu. C’est la première exhibition de ce genre à laquelle nous assistons en Amérique, ce n’est pas la dernière. Les municipalités américaines sont en effet justement fières de l’organisation qu’elles ont adoptée pour combattre les incendies, et je dois dire en effet qu’il n’y a pas aux États-Unis une ville de quatrième ordre dont l’organisation ne soit infiniment supérieure à celle de la ville de Paris. On nous conduit d’abord dans un des nombreux postes de pompiers qui sont disséminés dans la ville au nombre de quarante, si j’ai bonne mémoire. Nous admirons d’abord au rez-de-chaussée une magnifique pompe à vapeur, dont les cuivres sont polis comme un miroir et qui est toujours maintenue en pression. A droite et à gauche de la pompe, sont deux stalles où deux vigoureux chevaux sont attachés chacun par un licol à fermeture métallique. Dans un coin, l’appareil électrique dont la sonnerie avertit le commandant du poste qu’un incendie vient d’éclater et qu’il ait à faire partir sa pompe. Au premier est le dortoir des pompiers. Ceux qui sont de service sont couchés à demi habillés dans d’excellens petits lits. Leurs bottes et leur pantalon sont méthodiquement disposés auprès de chaque couchette. On fait retentir le timbre électrique. En un clin d’œil, six hommes se lèvent, chaussent leurs bottes, enfilent leur pantalon en descendant l’escalier et se précipitent au rez-de-chaussée. Les chevaux, dont le courant électrique a détaché le licol, sont venus d’eux-mêmes se ranger au limon, dressés qu’ils sont à cette manœuvre. Les harnais, suspendus en l’air par une ficelle, s’abattent sur leur dos ; et en beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour le raconter, les chevaux sont attelés et la voiture prête à partir. L’expérience, deux fois répétée sous nos yeux, ne prend pas plus d’une minute, montre en main.

Nous revenons ensuite à Madison-Square. Là se trouve un des nombreux poteaux qui sont dressés dans tous les quartiers de la ville et auxquels sont adaptés des boutons électriques correspondant aux différens postes d’incendie. On appuie sur le bouton. Trois ou quatre minutes après nous entendons le roulement d’une voiture et le son d’une cloche. C’est une pompe qu’amènent deux chevaux lancés à plein galop ; un pompier, assis à côté du cocher, sonne à toute volée une cloche qui avertit piétons et voitures de laisser le passage libre. Un instant après arrive une seconde pompe, puis une troisième ; moins de dix minutes après le signal donné, cinq pompes sont déjà en batterie, les tuyaux ajustés, les échelles dressées ; il ne manque qu’une maison en feu. La foule qui s’est rassemblée éclate en applaudissemens. Nous nous y joignons de bon cœur, et nous ne saurions moins faire pour féliciter ces braves gens, fort bien payés du reste, car leur traitement annuel ne s’élève pas à moins de 8 à 900 dollars (de 4,000 à 4,500 francs). Nous rentrons à l’hôtel tout émerveillés, nous rappelant avec un peu de confusion la déplorable insuffisance de notre organisation parisienne, que les épisodes de l’incendie des Magasins du Printemps ont révélée d’une façon si douloureuse et bien convaincus qu’à New-York éteindre un pareil incendie ne serait qu’un jeu. Quelle n’est pas notre surprise, quelques jours après avoir quitté New-York, de lire dans le journal que, le surlendemain de notre départ, le feu a pris précisément dans les écuries d’un des membres du comité qui assistait avec nous à cette exhibition, et que, non-seulement ces écuries et les chevaux qu’elles contenaient ont été consumés par les flammes, mais que l’incendie, après avoir dévoré le pâté de maisons, a gagné un magasin de nouveautés situé de l’autre côté de la rue et en a détruit une partie ! Est-ce à dire que l’organisation du corps des sapeurs-pompiers de New-York ne soit pas excellente et de tous points très supérieure à la nôtre ? Assurément non. Cela prouve seulement que le feu est un élément redoutable contre lequel les précautions les mieux entendues sont souvent insuffisantes. D’ailleurs, s’il n’y avait pas de terribles incendies à New-York, il n’y aurait pas non plus de si belles pompes à montrer aux étrangers, et ce serait bien dommage.

WEST-POINT ET LE NIAGARA

7-9 octobre.

Dans le comité qui a été nommé, dit son acte d’investiture, « pour étendre aux visiteurs français les courtoisies de l’état de New-York, » se trouvent beaucoup de gens du monde. Ils ont eu peu de part à la réception tout officielle qui nous a été faite hier. Ils ont voulu avoir leur tour, et ils ont arrangé pour les deux jours suivans une excursion charmante. Nous devons remonter l’Hudson jusqu’à West-Point; puis, après y avoir passé la nuit, nous rendre le lendemain au Niagara et, de là, à Baltimore. Seulement, au lieu de nous rendre à West-Point sur un de ces grands bateaux qui font ordinairement le service de la rivière, nous devons être transportés sur deux vaisseaux de guerre américains, le Vandalia et le Keersage, dont l’un, le Keersage, est célèbre pour avoir coulé en vue de Cherbourg le corsaire sudiste l’Alabama. On nous a donné rendez-vous pour dix heures à l’embarcadère, et nous nous y rendons, tambours en tête, escortés par le bataillon des gardes de Lafayette. A peine embarqués sur le petit vapeur qui doit nous conduire à bord des deux frégates, nous nous apercevons qu’on nous a laissés ignorer la moitié du plaisir qui nous attendait. Nous sommes en effet fort étonnés de trouver, en plus de quelques-uns des membres du comité que nous connaissons déjà, toute une société de jeunes femmes et de jeunes filles mises avec cette simplicité élégante dont je croyais naïvement le secret réservé aux Parisiennes de bonne compagnie. Ce sont les femmes, sœurs, filles ou nièces de membres du comité qui veulent bien nous faire société pendant ces quelques jours. Nous ne nous attendions pas à tant de bonne grâce; aussi, ceux d’entre nous qui n’ont pas l’honneur d’être en uniforme regrettent-ils avoir remis pour la circonstance des vêtemens de voyage qui n’ont pas impunément traversé l’Océan et de faire peu d’honneur au bon renom de l’élégance française par le contraste de leur tenue avec celle des hommes et des femmes qui nous environnent. Mais nous faisons contre bonne fortune bon cœur, et nous nous efforçons (pour ne point mentir sous tous les rapports à la réputation française) de payer en monnaie d’amabilité les attentions dont nous sommes comblés. Nous ne pouvons mieux prouver notre reconnaissance à nos hôtes qu’en admirant le paysage qui se déroule sous nos yeux, et nous n’avons pour cela aucune violence à faire à notre sincérité. Cette navigation de l’Hudson est vraiment l’une des belles choses qu’on puisse voir et rappelle, me dit-on (je n’en suis pas juge), la navigation du Rhin. A peine a-t-on dépassé New-York que, sur la rive droite du fleuve, s’élève un escarpement qui porte le nom français de Palissades. C’est bien une palissade en effet, mais de quatre cents pieds de haut, et en rochers d’une belle teinte rougeâtre que surmonte une végétation vigoureuse. A gauche, au contraire, l’aspect de la rive est des plus rians, et de belles villas baignent jusque dans les eaux du fleuve leurs pelouses et leurs arbres verts. Au bout de quelques milles, le fleuve s’élargit et forme une sorte de lac qui n’a pas moins de 4 milles de large ; c’est ce qu’on appelle Tappan-See. Puis il se resserre de nouveau et coule entre des montagnes rocailleuses, aux flancs abrupts, couvertes d’une végétation rabougrie qui rappelle celle de l’Esterel. Il fait un temps superbe.; le soleil est chaud, et pour que l’illusion du midi soit complète, il ne manque que deux choses, un ciel moins pâle et des eaux moins jaunes. Comme presque tous les grands fleuves américains, l’Hudson roule malheureusement des flots bourbeux et troubles; s’il avait la couleur du Rhône à sa sortie du lac de Genève, l’Appleton Guide aurait peut-être raison de dire, suivant une formule que nous entendrons souvent répéter, que c’est le plus beau fleuve du monde: finest in the world.

Nos hôtes ne souffrent pas cependant que notre attention soit uniquement absorbée par les beautés du paysage. Ce pays est plein de souvenirs de la guerre de l’indépendance, et il est naturel qu’on ne nous le laisse point oublier. Ici, à Locust-Hill, a campé en 1781 l’armée américaine; là, à Tappan, l’infortuné major André[1] fut arrêté et paya de sa vie l’imprudence qu’il avait commise en quittant son uniforme de soldat pour mieux surprendre les plans de Washington; là, à Beverly-House, Benedict Arnold, le grand traître de la révolution, était en train de déjeuner lorsqu’il apprit l’arrestation de son complice André et prit la fuite pour se réfugier à bord du vaisseau anglais qui était à l’ancre dans le fleuve. Ces récits historiques sont encore relevés par la vivacité avec laquelle ils sont racontés. Les souvenirs de la guerre qui a donné naissance aux États-Unis sont encore vivans dans les cœurs américains. On dirait que ces luttes sont d’hier, tant les moindres détails en sont présens à toutes les mémoires. Je devrais, comme Français, trouver un intérêt particulier à ces souvenirs. Cependant, je dois l’avouer, ma curiosité est davantage éveillée lorsqu’on me montre, à travers un épais rideau d’ifs et de chênes plantés par lui, le modeste cottage où Washington Irving a passé les dernières années de sa vie. J’ai toujours eu, je ne sais trop pourquoi, une sympathie particulière pour l’auteur du Sketch-Book; et puis, les souvenirs d’un homme ne sont-ils pas toujours plus vivans que ceux d’un événement, et l’aspect d’une modeste maisonnette où un de nos semblables a respiré n’émeut-il pas davantage l’imagination que celui d’un champ de blé où s’est décidé par les armes le sort d’une nation ? Aussi me fais-je montrer la petite église dont, à sa mort, Washington Irving était l’un des gardiens, et le cimetière où par une de ces belles journées d’automne, claires et calmes, qu’il aimait à décrire, les solennelles paroles du service anglican ont été prononcées sur sa tombe : « La terre à la terre, la poussière à la poussière, et l’esprit à Dieu qui l’a fait. » Je me réjouis même d’apprendre que le dernier vœu de son testament a été exaucé et que cette petite maison, embellie par lui avec tant d’amour, est encore, suivant l’expression de son testament, an Irving homestead.

Enfin, après quatre heures environ de navigation sur ce beau fleuve que les vaisseaux de guerre peuvent remonter plus loin encore sans danger, nous arrivons au terme de notre navigation. West-Point est l’école des officiers, le Saint-Cyr des États-Unis. La visite de cette école offre donc pour notre délégation militaire et même pour nous, profanes, un grand intérêt. Une assez bonne route nous conduit au sommet du promontoire où est située l’école. L’emplacement est admirablement choisi. L’Hudson fait ici un double coude et s’élargit jusqu’aux proportions d’un petit lac. Du sommet du promontoire, le regard peut suivre, dans les deux sens, le cours du fleuve et, sur l’autre rive, s’enfonce dans une gorge escarpée. Le promontoire s’aplatit au sommet en une vaste prairie qui sert de champ de manœuvre à l’école. C’est là que les cadets nous attendent. Ils sont rangés sur deux files et nous font à notre arrivée le salut militaire. L’aspect de ces deux lignes de petits soldats (ils sont tous très jeunes), bien campés dans leurs uniformes gris à buffleteries blanches, par ce ciel bleu, sur cette pelouse verte, est des plus vifs et des plus pittoresques à l’œil. J’ai la vision d’un tableau de Détaille. Les cadets manœuvrent d’abord devant nous avec une précision qui égale (c’est du moins ce que j’entends dire autour de moi) celle des saint-cyriens, bien que peut-être avec une nuance d’apparat. Nous leur faisons subir ensuite une revue détaillée. Nous passons d’abord sur le front, puis entre les deux lignes, puis derrière la seconde, tout comme si nous étions des généraux inspecteurs, et j’ai le sentiment que nous autres, civils, avec nos ulsters de voyage, nous devons être parfaitement ridicules dans cette besogne. Mais il paraît que je me trompe, ou, du moins, on a la bonté de nous en assurer.

La revue passée, nous visitons les bâtimens de l’école. Le général commandant, les officiers supérieurs, sont logés à part ; le général dans un charmant cottage, assez spacieux pour qu’un lunch puisse nous être offert dans la salle à manger, les autres officiers dans les habitations plus modestes, mais très confortables encore, ayant chacune son jardin rempli de fleurs. Ils vivent là avec femmes et enfans et peuvent associer ainsi la vie de famille avec l’accomplissement de leurs devoirs professionnels. Les officiers d’un rang inférieur demeurent tous ensemble dans un bâtiment isolé. Ils vivent en mess, comme les officiers de quelques-uns de nos régimens à Paris, mais leur salle à manger, leur fumoir, ont l’air d’appartenir à une maison particulière élégante, sinon luxueuse. En un mot, ils sont traités par l’état en gentlemen. Quelques-uns des officiers qui font partie de notre délégation militaire ont été instructeurs à Saint-Cyr, et ils font un retour sur les conditions d’existence qui leur étaient faites, sur les petites chambres qu’on leur allouait dans l’intérieur de l’école, sur les médiocres appartemens qu’il leur fallait louer au dehors à un prix exorbitant. La comparaison n’a rien de flatteur pour notre patriotisme, et nous échangeons nos réflexions à demi-voix.

Quant aux élèves, ils sont logés deux par deux dans des chambrettes d’une propreté minutieuse. Tous les locaux qu’on nous fait visiter, salle à manger, salles de cours, sont dignes de l’aspect extérieur du bâtiment, qui est fort grandiose. Nous nous informons du temps que les cadets passent à l’école, de leur genre de vie, des conditions d’admission. On pourrait croire que dans ce pays d’égalité démocratique un concours sévère en ouvre seul l’accès. C’est juste le contraire, et l’entrée n’en est due qu’à la faveur et au patronage. Dix élèves sont nommés directement par le président de la république; de plus, chacun des districts électoraux qui envoie un représentant à la chambre des députés a droit à un élève qui est désigné tous les quatre ans par le député du district. Le cours d’études étant de quatre ans, chaque district est toujours représenté par un élève. L’examen d’admission, presque nul, ne sert qu’à écarter les incapables. Quant aux règlemens intérieurs de l’école, aux statuts, à la discipline, dans ce pays qui est réputé celui de la mobilité perpétuelle, rien n’y a été changé depuis la création de West-Point, c’est-à-dire depuis quatre-vingts ans, non plus qu’à l’uniforme coquet dont j’ai parlé. Les cadets restent d’abord deux ans sans quitter l’école. Ils vont alors en congé dans leurs familles pendant deux mois, puis ils passent de nouveau deux ans sans un jour de congé. Mais pendant l’intervalle des cours et des études, ils peuvent se promener librement dans le rayon d’un mille et voir qui bon leur semble. Aussi a-t-on établi dans les environs plusieurs hôtels très élégans où les familles des cadets viennent passer l’été. L’heure de notre visite est précisément une de celles dont les élèves ont la libre disposition. Aussi, en voyons-nous beaucoup qui se promènent aux alentours avec des jeunes filles, par bandes et surtout par couples. Pareille organisation est-elle impossible dans notre pays (et je suis assez porté à le croire), ou simplement n’a-t-elle jamais été essayée? Sans soulever ici cette question qui touche à bien des choses, je me bornerai à résumer l’impression que nous avons remportée de cette visite. En France, si à cet âge de l’inquiétude et des vagues désirs où il faut faire le choix définitif d’une carrière, un jeune homme hésite à suivre celle des armes, son père fera prudemment de ne pas lui laisser voir Saint-Cyr. En Amérique, au contraire, il n’aura qu’à le conduire à West-Point.

De l’école, une route ombragée et par exception bien entretenue (en général, les chemins sont détestables aux Etats-Unis), nous conduit jusqu’à l’hôtel où nous devons passer la nuit. Nous y arrivons vers les six heures et nous le trouvons pavoisé en notre honneur. Les quelques heures que nous avons passées à l’école n’ont pas été perdues. La cage de l’escalier, les rideaux du salon, les ornemens des lustres, tout est habillé aux trois couleurs, jusqu’à de petits enfans qu’on nous présente et que nous embrassons, naturellement. Je pense à cette caricature, tout à fait inoffensive du reste, qu’un de mes excellens collègues de l’assemblée nationale a faite pour le Musée des souverains et qui représente le voyage triomphal d’un des membres de la famille Arago à travers un département du midi avec cette légende : Emmanuel baptisans trans Gurumnam pueros septembrigenos. Mais nous n’allons point jusque-là. Après un dîner, dont l’imagination fantaisiste du cuisinier a rajeuni le menu en donnant à des plats fort connus le nom de quelques-uns d’entre nous, nous passons dans le salon, où nous trouvons installée la musique militaire de l’école. Je ne crois pas qu’Américaine puisse entendre les accords d’un orchestre sans aussitôt se mettre à danser, et j’en ai déjà eu la preuve sur le bateau, où nos compagnes de voyage n’ont pas pu résister à la tentation d’un tour de valse au son de la musique du bord. Un petit bal s’organise en effet, et j’admire la grâce avec laquelle les Américaines ont légèrement modifié le mouvement de la valse à trois temps en y ajoutant une sorte de balancement onduleux; cela s’appelle le Boston. Peu expert au reste en cette matière, je quitte la salle de bal avec deux ou trois de mes compagnons et je descends jusqu’à un petit pavillon qui est presque à pic sur l’Hudson. Là nous restons longtemps fascinés par le spectacle que nous avons sous les yeux. Le large fleuve s’argente comme un miroir sous les rayons de la lune; des bateaux, qui vont et viennent, glissent silencieusement sur ses eaux tranquilles, et leurs fanaux verts ou rouges trahissent seuls leurs mouvemens. Nous entendons de loin les accords de l’orchestre qui nous arrivent par bouffées inégales et en levant la tête nous pouvons apercevoir sur le balcon qui entoure la salle de bal des couples qui se promènent, tantôt apparaissant dans la lumière des fenêtres, tantôt disparaissant dans l’ombre de la muraille. Bien qu’il soit assez avant dans la nuit, la température est d’une douceur trompeuse qui fait penser à l’Italie, au lac de Côme, à tout ce que la nature méridionale a de plus attrayant. Je m’attarde dans ce pavillon un peu plus longtemps que les autres et je goûte là une impression complète de charme et de poésie dont le souvenir est demeuré d’autant plus vif dans ma mémoire que cette impression a été unique pendant toute la durée de mon séjour aux États-Unis.

Le lendemain matin, nous partons de très bonne heure pour le Niagara. Un train spécial nous attend sur l’autre rive de l’Hudson, à la station du New-York Central, car nous avons avec nous le fils du principal propriétaire de cette importante ligne, dont le nom n’est pas moins connu en Europe pour la protection qu’il accorde aux arts que pour sa colossale fortune. Ce train se compose de trois wagons, un salon, un fumoir, une salle à manger communiquant les uns avec les autres. L’installation intérieure en est fort confortable et fort luxueuse, ce qui n’en est pas moins cause pour moi de quelques désagrémens. J’ai l’honneur, en effet (honneur qui, souvent, n’est pas sans épines), d’être administrateur d’une grande compagnie de chemin de fer. Aussi, mes compagnons, qui le savent, cherchent-ils à m’humilier par la comparaison de ces magnifiques wagons avec nos wagons français. Vainement je leur dis qu’il ne faut pas comparer les voitures d’un train ordinaire avec celles d’un train de luxe organisé par le propriétaire d’une compagnie ; vainement aussi je leur fais observer que, s’il est charmant de voyager tous ensemble, quand on se connaît, dans un salon qui peut contenir trente personnes, cela pourrait être fort ennuyeux si l’on ne se connaissait pas, et je fais valoir que, pour aller de Paris à Marseille, la solitude d’un coupé-lit a du bon. La première impression est la plus forte et je suis obligé de plier devant l’orage, comptant sur une expérience plus prolongée pour amener mes compagnons à cette conclusion, que, si les immenses wagons américains sont ce qui convient le mieux aux grands parcours de l’Amérique, nos wagons et nos coupés sont ce qui convient le mieux aux parcours français. Pour me dérober à la discussion, je profite d’une halte à Albany et je demande la permission de faire une partie du trajet sur la machine. On me présente au mécanicien ; nous nous serrons la main ; c’est affaire conclue. Ma nouvelle connaissance est un gros homme roux, trapu, épais, très différent comme type de nos mécaniciens français, qui sont généralement fins et nerveux. Celui-ci, au contraire, est évidemment un flegmatique. C’est, dit-on, les flegmatiques qui mènent le monde ; je ne sais si cela est vrai, mais quand faire se peut, mieux vaut assurément que ce soient eux qui mènent les trains. Nous partons, et à peine ai-je fait un quart d’heure de route que j’apprécie toute la supériorité des locomotives américaines sur les nôtres au point de vue si important de l’installation des mécaniciens. Nos mécaniciens français ne sont protégés contre le vent et la poussière que par une sorte d’auvent métallique dans lequel sont pratiquées deux lunettes en verre. Les mécaniciens américains sont abrités dans l’intérieur d’une sorte de loge dont le toit est soutenu sur des montans de bois et dont les parois sont en fenêtres à coulisses, ce qui, tout en les abritant de la pluie et de la neige, leur permet d’avoir l’œil aux signaux aussi bien de côté qu’en avant et de se pencher à leur gré. Dans l’intérieur de cette loge sont deux coffres recouverts d’un coussin de cuir : sur l’un, s’assoit le mécanicien; sur l’autre, le chauffeur, et dans l’intérieur ils peuvent mettre tel surtout dont ils auraient besoin en route. Un peu en arrière est une fontaine d’eau glacée (la boisson nationale), dont je n’ai pas été fâché, chemin faisant, de boire un verre. Ainsi installé, un mécanicien peut faire huit heures de service dans une même journée, coupées par quatre heures de repos, et j’ai compris moi-même, par la comparaison avec pareille expérience faite en France, comment la fatigue devait être beaucoup moins grande pour eux. Il y aurait là, j’en suis convaincu, un perfectionnement à apporter à nos machines françaises, et, lorsqu’on y sera venu, on s’étonnera d’avoir tardé si longtemps.

Je quitte cependant ma machine pour venir prendre ma part d’un lunch de cinquante couverts qui nous est servi, chemin faisant. N’étaient les secousses et le bruit assourdissant, on pourrait se croire dans une salle à manger d’hôtel, un peu étroite, à la vérité. C’est à peine si nous entendons nos propres paroles, ce qui n’empêche pas les toasts et les discours d’aller leur train.. Une fois entré dans cette voie, on peut aller loin. Un lecteur consciencieux que la Revue compte en Amérique (lui-même homme de lettres fort distingué) finit par proposer de boire à ma santé comme à celle of a distinguished representative of French literature. Je prends la balle au bond et, après avoir décliné cette qualité dont on veut m’honorer, j’en profite pour dire en quelques paroles que, si nous sommes tous également reconnaissans de la sympathie témoignée à la France du présent, il ne faut cependant pas oublier la France du passé, ni cette vieille monarchie française qui a tant fait pour la cause de la liberté américaine : je termine ces paroles d’autant plus applaudies qu’elles ont été moins entendues en proposant de boire aux souvenirs de ce passé dont aucun Français ne saurait être tenté de répudier l’héritage, parce qu’il est le patrimoine commun de notre gloire nationale et que tous les Français sont ses enfans. La pensée qui m’inspire est parfaitement comprise de tout mon auditoire, et celui-là même qui avait tout à l’heure porté ma santé se lève de nouveau et propose avec gravité de boire à la mémoire de Louis XVI.

Ces divers plaisirs m’empêchent de prêter grande attention au pays que nous traversons et qui, du reste, depuis que nous avons quitté les rives de l’Hudson, n’a rien de très remarquable. La contrée est absolument plate ; elle était autrefois couverte de forêts ; tous les arbres ont été coupés, et l’on roule en plein champ. Cependant, par endroits, on traverse un bois dont le défrichement aurait sans doute été rendu peu avantageux par l’humidité du sol. Ce bois est l’image exacte de l’ancienne forêt. Les arbres y meurent de vieillesse par la tête; des troncs d’arbres pourris sont étendus à terre ; la liane étouffe les jeunes pousses, et une eau noirâtre y croupit par flaques. C’est à se demander si ces forêts étaient aussi poétiques que l’imagination aime à se les figurer. Mais il faut avouer que la civilisation l’est moins encore, et que ces vastes plaines cultivées, ces petites villes baptisées de noms anciens, Rome, Syracuse, Utique, que nous traversons d’une allure à peine ralentie, le chemin de fer suivant les rues et longeant les trottoirs, n’ont absolument rien qui parle à la curiosité. Depuis combien de temps la civilisation a-t-elle envahi ce pays? Je croirais qu’il y a déjà plusieurs siècles, si l’on ne m’avertissait à un certain moment que nous longeons les bords du lac Onéida. Le lac Onéida ! ceux qui connaissent bien les œuvres de Tocqueville peuvent se rappeler quelques pages charmantes où il raconte une course qu’il a faite à ce même lac pour y chercher la trace de deux Français morts au commencement du siècle, la peine qu’il a eue à trouver son chemin au milieu des bois, l’impression de tristesse et de solitude qu’il en a rapportée. Il n’y a que cinquante ans du voyage de Tocqueville, et sur les bords de ce même lac nous passons en chemin de fer, dans un train de luxe, attablés autour d’un lunch servi à la française. Ce petit fait montre mieux que tous les commentaires à quels pas de géant le progrès matériel a marché dans ce merveilleux pays.

Cependant nous arrivons au Niagara à la nuit close. Nous voudrions bien voir les chutes le soir, mais l’industrialisme, qui a mis ce lieu en coupe réglée, n’a garde de nous permettre de nous en approcher sans lui payer redevance. Une solide grille ferme l’accès du chemin qui conduit à la cataracte. Force nous est donc d’aller prosaïquement nous coucher. Le lendemain est un dimanche, et nos hôtes ont eu soin d’arranger le programme de la matinée de façon que chacun ait le temps d’aller à son église. Beaucoup d’entre nous se rendent à la très modeste chapelle catholique, dont les frais de culte sont exclusivement payés par des fidèles assez pauvres. Cette situation qui en France nous paraîtrait difficile ne semble rien enlever à l’indépendance et à l’autorité du prêtre qui la dessert, un Irlandais aux traits un peu accentués. En chaire, il annonce qu’un certain nombre d’enfans n’étant pas envoyés par leurs parens à l’école du dimanche, il publiera la semaine suivante leurs noms à la grand’ messe. Une vente a lieu en ce moment pour les besoins de la chapelle. Toutes les familles de la paroisse y sont venues, mais représentées souvent par un seul de leurs membres. Ce n’est pas assez, et il compte que chaque membre de chaque famille y viendra acheter quelque chose dans la limite de ses moyens. Tout en l’écoutant, je me demande si un curé français, indépendant cependant de ses paroissiens, oserait jamais leur parler sur ce ton d’autorité. Est-ce un bien? est-ce un mal? C’est là une grosse question que je n’ai pas même le temps de discuter dans mon esprit, car nous nous précipitons en voiture pour aller voir les chutes. Je dirai très sincèrement les impressions que j’ai ressenties.

Nous suivons d’abord pendant un quart d’heure un chemin détestable à travers un pays absolument plat et trivial. Ce pays était autrefois couvert de bois. Il est complètement nu aujourd’hui et aussi prosaïque qu’une plaine de Champagne. Nous allons d’abord visiter, à un quart de lieue environ, au-dessous de la chute, ce qu’on appelle les Whirlpool rapids. C’est un endroit où la rivière, profondément encaissée entre deux berges à pic, se brise avec impétuosité sur des rochers par-dessus lesquels elle rebondit. « Pour admirer, dit une annonce distribuée à profusion, ce magnifique spectacle qui donne à l’homme une si haute idée de la puissance de l’Éternel, il faut se rendre à l’ascenseur de MM. Buttery fils. » C’est, en effet, à l’ascenseur de MM. Buttery fils que nous nous rendons, et nous descendons du haut de la berge, dans une sorte de boîte carrée mue par un rouage hydraulique, non sans quelques cris d’émotion de nos compagnes de voyage, qui, en vraies Parisiennes, allais-je dire, viennent, pour la première fois, au Niagara. Le spectacle de cette lutte entre la force d’une masse d’eau lancée avec impétuosité et les obstacles jetés sur son passage est plutôt curieux que grandiose, mais ce qui en fait surtout la beauté, c’est la hauteur des berges escarpées entre lesquelles la rivière est encaissée. Le cours du Rhône après Bellegarde, aux environs de ce qu’on appelle improprement la perte, peut en donner une idée, mais à la condition que par l’imagination on double ou triple la largeur du fleuve. Les Whirpools rapids (toujours d’après l’annonce) ont leur héros ; c’est un intrépide navigateur du nom de Robinson qui les aurait franchis sur un petit bateau à vapeur, dont il tenait lui-même la barre. Mais ce que l’annonce ne dit pas, c’est que ce héros était tout simplement un mauvais payeur qui voulait dérober à une saisie le bateau, gage de ses créanciers. Il a réussi, el une légende s’est formée autour de son nom. Que ses dettes lui soient légères ! Les héros de bien des légendes ne valent pas mieux que lui.

L’ascenseur nous ramène au sommet de la berge, et nous remontons en voiture. Cette fois, c’est bien réellement la cataracte que nous allons voir. Nous passons sur la rive canadienne, et je suis fâché d’avoir à dire qu’ici l’aspect du pays change singulièrement. Les vieux sapins, restes de l’ancienne forêt, ont été religieusement conservés; point de champs, mais des pelouses; point d’usines comme sur la rive américaine, mais des cottages, trop de cottages même. On voudrait pouvoir écarter tout ce qui rappelle l’homme et se trouver en présence de la seule nature. Enfin nous arrivons en un point d’où l’on aperçoit à la fois la double chute, celle qu’on appelle, à cause de sa forme, le Fer-à-cheval (the Horse-Shoe fall), dont l’écume nous arrive presque à la figure, et celle qui est au long de la rive américaine, séparées par l’île de la Chèvre (Goat-Island). On ne me demandera pas de décrire ces chutes ; il y a des scènes de la nature qu’on ne décrit pas. Je dirai cependant une chose qui m’a frappé. A quelque distance de la cataracte et dès que l’écume blanche qui bouillonne à gros flocons a disparu de la surface, l’eau du fleuve reprend sa tranquillité ; elle dort calme et transparente comme si elle se reposait un moment de cette effroyable chute avant de reprendre la course folle qui doit la mener se briser sur les rapides. Ce repos n’est du reste qu’une vaine apparence, car un courant violent règne dans les profondeurs du bassin. Mais il y a un grand charme dans la contemplation de ce miroir tranquille après cette effroyable chute, dans ce calme après l’orage, et lorsque par un beau soleil un arc-en-ciel se joue, comme nous l’avons vu, sur le nuage d’écume soulevé par la cataracte, le contraste est des plus saisissans. Pourquoi faut-il que ce spectacle soit gâté par la vue de la rive américaine avec ses hôtels, son moulin, son chemin de fer et tous les déshonneurs de la civilisation ? Au-dessus de la chute, en plein lit du fleuve, un gigantesque écriteau est suspendu à un poteau : Take the Erie railroad, et cette malencontreuse affiche attire l’œil de tous côtés. Il est grand temps qu’on adopte un projet mis en avant depuis peu, celui d’exproprier tous les terrains qui couronnent la chute sur les deux rives, de détruire tout ce qui y a été élevé et d’en faire un grand parc national ou plutôt international qui serait la propriété commune des États-Unis et du Canada. Mais il est déjà bien tard pour réf)arer le mal qui a été fait, et les arbres de la vieille forêt, qui nous les rendra?

Pendant que nous sommes tous à regarder la chute, je m’abstrais un moment par la pensée de mes compagnons et, suivant le fil de ma rêverie, je me prends à me demander quelle impression a dû ressentir en présence de ce spectacle celui qui l’a pour la première fois contemplé. Combien de siècles y a-t-il qu’un de ces primitifs habitans de l’Amérique, dont l’origine demeure enveloppée de tant de mystères, s’est arrêté pour la première fois en ce même lieu où nous sommes aujourd’hui rassemblés ? Était-ce un chasseur égaré à la poursuite de quelque gibier blessé ? était-ce une horde de sauvages suivant le sentier de la guerre ? Le chasseur s’est-il contenté d’apaiser sa soif dans le fleuve, les guerriers d’y laver leurs mains ensanglantées, et ont-ils continué leur route indifférente ? ou bien, au contraire, se sont-ils arrêtés stupéfaits devant ce même spectacle qui nous attire aujourd’hui, et, pleins de terreur, se sont-ils jetés la face contre terre pour adorer leur Dieu ? S’il est vrai que dans la langue indienne Niagara veuille dire : Tonnerre des eaux, ce nom expressif, montrerait que l’impression de ces peuplades barbares n’a pas été moins vive que la nôtre. Je me demande cependant si un certain degré de civilisation et de culture n’est pas nécessaire à l’intelligence de la nature et si, par exemple, le paysan savoyard, élevé dans la vallée de Chamounix, admire autant les glaciers du Mont-Blanc que le voyageur étranger. Je ne suis pas très enthousiaste de la civilisation, mais je le suis encore moins de la barbarie, et j’ai peine à croire, en y songeant bien, que les impressions des sauvages en présence du Niagara fussent très différentes de celles de nos chevaux, qui pour le moment sont pacifiquement occupés à brouter l’herbe.

Nous remontons en voiture pour la troisième fois et, après avoir repassé sur la rive américaine, nous traversons de nouveau le fleuve sur un pont de bois situé au-dessus de la chute pour nous rendre à Goat-Island. Là du moins la nature a été respectée ; les arbres sont encore debout. De la pointe de l’île opposée aux chutes on peut, mieux que de nulle part ailleurs, comprendre ce qui fait de la cataracte du Niagara un spectacle unique dans le monde. Le Niagara, comme on sait, est moins un fleuve que la décharge du lac Ontario dans le lac Erié ; aussi, avant qu’il se divise en deux bras, sa largeur est-elle égale à celle du lac Léman à l’entrée du port de Genève. Cette immense masse d’eau roule avec rapidité, déjà agitée et frémissante comme si elle pressentait les terribles accidens qu’elle va rencontrer. Les petits rochers sur lesquels elle bondit font par endroits bouillonner à sa surface une écume dont la blancheur contraste avec sa couleur bleue. À l’heure où nous parvenons à la pointe de l’ile, le soleil vient de se coucher dans un ciel clair et froid. La rive canadienne s’aperçoit encore couverte de bois, tandis que la rive américaine, plate et dénudée, se perd déjà dans une demi-obscurité. Ce qui rappelle l’homme disparaît ; on ne voit plus que la nature, la nature sauvage, l’eau, le ciel, les arbres, et pour la première fois je voudrais être seul quelques instans.

Le lendemain est notre premier mauvais jour. Nous partons pour Baltimore et nous devons quitter à mi-chemin nos amis (déjà nous leur donnons ce nom) du comité de New-York. Nous prenons l’Erié railroad, celui-là même qui a si fièrement planté une annonce au milieu du lit du Niagara. Ce malheureux chemin de fer qui pourrait être une des meilleures lignes des États-Unis est tombé, il y a quelques années, entre les mains de spéculateurs qui l’ont mené à mal et mis en faillite ou à peu près. Il est encore aujourd’hui sous séquestre. On n’en a pas moins mis à notre disposition un train spécial et fait imprimer l’itinéraire de l’excursion complémentaire qui nous est offerte. Nous longeons d’abord, mais sans le voir, tant la rive en est plate, les bords du lac Ontario. Le lac Ontario ! quel souvenir pour un lecteur de Cooper ! Mais j’ai pris le parti de cacher mon admiration pour l’auteur du Dernier des Mohicans, car il m’a paru que les Américains la tenaient pour un peu enfantine, et comme je n’ai pas relu ses romans depuis longtemps, il se pourrait bien qu’ils eussent raison. L’Itinéraire porte que nous devons nous arrêter à Portage pour admirer un pont en fer de 234 pieds de long et de 800 pieds de haut, jeté sur la rivière Genessee. Nous admirons, en effet, conformément au programme, cet ouvrage d’art singulièrement élégant et hardi. Il y a six ans qu’il subit l’épreuve d’un trafic incessant ; mais les officiers du génie qui nous accompagnent déclarent qu’en France l’administration des ponts et chaussées ne recevrait jamais un pareil travail. Cette administration tutélaire préférerait imposer à une compagnie de chemin de fer un pont dont l’établissement serait beaucoup plus long et plus coûteux sans présenter de plus grandes garanties de solidité. Nous suivons ensuite une gorge des Alleghanies, dont l’aspect rappelle celui de nos plus jolies vallées des Vosges et s’embellit encore des teintes rouges particulières au feuillage de certains arbres, déjà touchés par l’automne, et malheureusement nous arrivons à Elmira. Là, en effet, le comité de New-York doit nous quitter après nous avoir remis aux mains du comité de Baltimore, venu à notre rencontre. Nous échangeons force poignées de main et promesses d’au revoir lorsque nous repasserons par New-York. Enfin notre train s’ébranle, et pendant la première heure nous ne pouvons parler que de ceux et de celles auxquels nous avons dû ces agréables jours.


OTHENIN D’HAUSSONVILLE.

  1. Le major André, qui servait dans l’armée anglaise, avait noué des relations avec le général américain Benedict Arnold, auquel Washington avait imprudemment confié la défense de West-Point. Il eut le tort de pénétrer déguisé dans les lignes américaines, fut découvert et pendu comme espion. Sa mort fut violemment reprochée à Washington, qui ne fit cependant qu’appliquer avec rigueur les lois de la guerre.