COTE DE COROMANDEL, 1er MARS.


Vue de Bezwada

Au sortir de la ville de Bezwada, limite des possessions du Nizam, les jours que nous passons sur les routes de briques pilées qui longent la côte de Coromandel paraissent interminables.

Les environs sont d’une perpétuelle et monotone fertilité, des murailles de palmiers croissent le long des chemins, leurs fruits jaunes pendent en grappes à la naissance des feuilles comme une difformité, les houpettes blanches du coton ondulent et voltigent au moindre vent, les cocotiers joignent en voûte de verdure leurs souples palmes au-dessus de nos têtes.

Nous ne nous faisons plus du tout comprendre ; les populations sont grossières, la chaleur intolérable. Parfois, une ondée drue et mouillante tombe dans l’après-midi, nous forçant à interrompre l’étape quelques heures, ce qui nous retarde sensiblement et nous oblige à coucher dans les salles d’attente du chemin de fer.

Le pays est plat, très habité ; aux portes de Nellore nous rencontrons un couple d’indigènes qui viennent de Madras à pied. Ils nous renseignent sur la route, et vaguement nous comprenons qu’il faut traverser trois rivières sans ponts. Ces simples gens sont très pittoresques. L’homme guide un buffle gris, dont le dos efflanqué porte tout l’avoir de ce ménage, un « machan », quelques pots de terre, une natte d’aloès, il tient un singe en laisse, et un enfant à califourchon sur la hanche. La femme jeune, mais tout flétrie par la vie dure dans l’atmosphère brûlante, balance doucement sur la tête une corbeille d’où sort le vagissement d’un nouveau-né. Ils nous regardent craintivement et descendent dans le fossé en s’effaçant devant nous. Ils ne nous ont pas trompés, le soir nous sommes au bord d’une plaine sableuse, qui l’hiver devient une rivière. Des vipères se tordent dans les chauds replis du sable et quelques-unes ponctuent de virgules noires l’étendue jaune, d’autres, roulées en boules, apparaissent comme des galets plats ; il y en a des centaines. L’appréhension de leur mortelle piqûre, jointe à la difficulté du passage, nous décident à prendre le train jusqu’à Madras.