À travers l’Europe/Volume 1/Belfast et Armagh

P.-G. Delisle (1p. 39-41).

III


BELFAST ET ARMAGH.



L E lendemain nous étions à Belfast, C’est une ville moderne, située à l’embouchure de la petite rivière Lagan, et sur les bords d’un bras de mer — Belfast Lough. Une baie spacieuse entourée de hautes et belles collines, lui fait un des plus jolis ports du Royaume-Uni. Belfast s’est considérablement accrue depuis vingt ans, grâce à son commerce et à ses manufactures. Elle est bien bâtie et son aspect m’a rappelé Montréal.

Il n’y faut pas chercher les œuvres de l’art. Ce qu’elle possède de plus artistique peut-être, ce sont ses immenses filatures où des milliers de métiers rangés dans de vastes salles et dirigés par cinq à six cents jeunes filles, sont mis en mouvement par cette puissance qu’on nomme la vapeur, et se transmettent de l’un à l’autre, pour le transformer, ce coton qu’ils prennent à l’état brut et qu’ils rendent tissé !

Dans le voisinage de Belfast, est le château de Clandeboye, résidence de notre estimé gouverneur, Lord Dufferin. J’y suis allé pour rendre visite à Son Excellence, mais il y avait huit jours qu’elle avait laissé Clandeboye en route pour l’Écosse.

J’ai hâte d’arriver à Dublin, mais il faut bien aller voir Armagh, en passant.

La plus ancienne ville d’Irlande, et la première évangélisée par Saint-Patrice, qui en fut le premier évêque en 432, diminue au lieu de grandir. Bâtie sur une colline, au milieu d’une grande vallée, elle s’élève de tous les côtés comme les gradins d’un amphithéâtre. La colline a deux sommets qui sont couronnés par deux cathédrales, l’une catholique et l’autre protestante, qui semblent se regarder par dessus la ville, et qui lui donnent un aspect très-pittoresque.

Le temple protestant était jadis catholique, et il a conservé quelque chose de la vie qui anime les œuvres catholiques. C’est avec vénération que nous retrouvons dans la crypte quelques pans de vieux murs qu’on assure être les fondations de la première église bâtie par Saint Patrice sur le sol irlandais.

On y conserve aussi une énorme croix de pierre brute que le saint y avait plantée.

Armagh, avec ses souvenirs antiques, et ses deux grandes cathédrales qui la dominent et qui symbolisent si bien le dualisme religieux et l’éternel antagonisme des catholiques et des protestants dans ce pays, présente au touriste une image fidèle de toute l’Irlande et un résumé de son histoire.

Une grande figure de son passé, outre Saint Patrice, est Saint Malachie, qui fut l’ami de Saint Bernard, et qui alla mourir à Clairvaux. C’est à lui qu’on attribue cette étonnante prophétie sur la succession des Papes jusqu’à la fin du monde, qui depuis plusieurs siècles s’accomplit à la lettre.

Dans le parc de l’évêque protestant, primat d’Irlande, sont encore visibles les murs délabrés d’une vieille abbaye qui remonte aux premiers temps du Christianisme, et qui a fourni bien des apôtres à l’Irlande. Saint Malachie lui-même y reçut sa première éducation.

Ce qui afflige profondément les cœurs catholiques en visitant ce pays, c’est de voir aux mains des protestants tout ce qui fut jadis catholique. Sous les monuments fastueux du protestantisme, dans l’enceinte de ses palais et dans la crypte de ses temples, subsistent encore les murs des monastères et des églises dont le catholicisme avait couvert le sol de l’Irlande.

Pauvre Irlande ? C’est en vain que toute cette poudre de ton passé a fait explosion bien des fois ! Les ruines sont accumulées autour de toi, et c’est à peine si après avoir lutté bien des siècles et versé des flots de sang tu as pu conquérir quelques lambeaux de liberté !