À toi, Alfred (Max Waller)

Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 273-274).


À toi, Alfred !


Du temps où je rodais partout,
J’entrevis un homme posthume
Qui, tout en singeant mon costume,
Ne me ressemblait pas du tout.

Il n’était pas trop mal, en somme,
Droit comme un canon de fusil ;
Pour camarade il me choisit,
Puis je n’ai plus revu cet homme.

Un soir — je jouais pique — atout !
Il revint comme partenaire,
Mais son visage débonnaire
Ne me ressemblait pas du tout.

Il m’ennuyait, dois-je le dire ?
Mais enfin, il était poli,
Si bien que, me glissant au lit,
Gravement je me mis à rire.


Je devins vieux et mon matou
Seul consolait ma solitude ;
Lui parut — mais, par habitude,
Ne me ressemblait pas du tout.

Cette fois, je pris la parole,
Tandis qu’il se tournait les doigts ;
Il frémit au son de ma voix :
« Sais-tu bien que tu n’es pas drôle !

« Tu m’as poursuivi Dieu sait où,
Plus rasant que le rasoir même,
Mais ton masque, visiteur blême,
Ne me ressemble pas du tout. »

Alors son verbe aux accents tristes,
Traînant sur le mode mineur,
Me dit : « Toi qui fis mon bonheur,
Je suis le dernier des fumistes. »