Calmann Lévy, éditeur (p. 154-158).

XIV

RÉPONSE.


Pour te dire ce que je sens
Près de toi, mon unique amie,
Trop faibles seraient mes accents
Et ma voix trop mal affermie.

Pour te dire quels sont mes maux
Loin de toi, quel souci m’oppresse,
Insuffisants seraient les mots
Cherchant à peindre la tristesse…

Ah ! sache-le ! sache-le bien !
Il est des tendresses humaines

Que rien ne peut exprimer, rien
Que tout le sang pur de nos veines !

Pour te répondre j’aime mieux
Prendre ta main effarouchée,
Plonger droit mes yeux dans tes yeux,
Et, la tête sur toi penchée,

Doucement, longuement, poser
Sur ta bouche aux lèvres de flamme
Un baiser, un loyal baiser
Qui t’ouvrira toute mon âme.

Alors tu pourras à ton gré
Y lire qu’elle est toute tienne,
Et que dans mon être enivré
Il n’est rien qui ne t’appartienne ;

Tu pourras y voir à quel point
Ta vie en ma vie est passée ;

Qu’en dehors de toi je n’ai point
De souvenir ni de pensée ;

Que mon passé s’est consumé
À ton approche, de lui-même,
Et que je n’ai jamais aimé
Que depuis le jour où je t’aime !

Jour adorable où ta beauté
M’apparut, forme exquise et douce,
Sous laquelle vit ta bonté
Ainsi que la fleur sous la mousse !

Tu verras aussi qu’il nous faut,
Puisque même est notre tendresse,
Nous aimer gaîment, le cœur haut,
Sans soupçon comme sans faiblesse ;

Que narguant le doute moqueur,
Croyant aux choses éternelles,

Il nous faut goûter le bonheur
Des confiances mutuelles,

Et dans ce monde seuls tous deux
Quand l'un près de l’autre nous sommes,
Oublier, les yeux dans les yeux,
Le temps, les choses et les hommes !

Voilà ce que ton cœur lira
Dans ce cœur que je t’abandonne ;
Voilà tout ce que te dira
Ce bon baiser que je te donne :

Pour me répondre, rends-le-moi,
Et, dans une extase infinie,
Tu sentiras vibrer en toi
À ton âme mon âme unie !