Calmann Lévy, éditeur (p. 108-114).

IV

LES VIOLETTES.


À ALPHONSE DAUDET


Jamais imitateur n’égala son modèle…


Quoi ! c’est vous qui me demandez
Pourquoi j’aime les violettes
Plus que roses et pâquerettes ?
Quoi ! c’est vous qui le demandez !
Qu’à l’oubli vite vous cédez,
Et l’inconstante que vous faites !
Quoi ! c’est vous qui me demandez
Pourquoi j’aime les violettes


Six mois ! est-ce donc si longtemps
Pour qu’un moment heureux s’oublie
Et ne marque plus dans la vie ?
Six mois ! est-ce donc si longtemps ?
Les douces larmes du printemps,
Faut-il que l’hiver les essuie ?
Six mois ! est-ce donc si longtemps
Pour qu’un moment heureux s’oublie ?

Puisqu’il faut vous le rappeler,
C’était au bord de la rivière :
L’eau coulait, murmurante et claire,
Puisqu’il faut vous le rappeler.
L’hirondelle y venait voler
Et mouiller son aile légère…
Puisqu’il faut vous le rappeler
C’était au bord de la rivière.

Le jour allait tantôt finir
Quand du château nous approchâmes…

Quand tous deux nous nous arrêtâmes
Le jour allait bientôt finir.
Comment pourrai-je définir
L’émoi qui gagnait nos deux âmes ?…
Le jour allait bientôt finir
Quand du château nous approchâmes.

J’aperçus alors à vos pieds
De votre bouquet détachées,
Quelques violettes séchées ;
Je les vis alors à vos pieds.
Puis, sans que vous m’aperceviez,
Dans mon sein je les ai cachées…
Dès que je les vis à vos pieds,
De votre bouquet détachées.

Ma bouche ne vous disait rien,
Mais mon cœur chantait : J’aime ! J’aime !
Dans mon émotion extrême
Ma bouche ne vous disait rien.

Et cependant, je le crois bien,
Vous me comprîtes tout de même…
Ma bouche ne vous disait rien,
Mais mon cœur chantait : J’aime ! J’aime !

À cette chanson de mon cœur
Je vous vis doucement sourire,
Comme si vous veniez de lire
La tendre chanson de mon cœur.
Minute exquise d’un bonheur
Plus grand que je ne puis le dire…
À cette chanson de mon cœur
Je vous vis doucement sourire.

Puis tout à coup, sévèrement :
« Eh bien, monsieur ! ces violettes ?
Rendez les larcins que vous faites !
Me dîtes-vous, sévèrement.
— Moi ? — Je vous ai vu ! — Moi ?… vraiment ?… »
Et je rougis jusqu’aux pommettes

Quand vous dîtes, sévèrement :
« Eh bien, monsieur ! ces violettes ? »

Il fallait rendre mon trésor :
Vous me parliez en souveraine ;
Vous preniez vos grands airs de reine…
Il fallait rendre mon trésor.
L’embrassant une fois encor
Je vous le tendis avec peine…
Il fallait rendre mon trésor :
Vous me parliez en souveraine.

Vos doigts s’approchèrent des miens…
Votre main effleura la mienne…
— Autant du moins qu’il m’en souvienne ! —
Vos doigts s’approchèrent des miens.
Soudain — adorables liens ! —
D’eux-mêmes, sans que je les tienne,
Vos doigts s’entrelacent aux miens…
Votre main reste dans la mienne !


Sans un seul mot, sans un aveu,
Dans ces expansions bénies
Nos deux âmes s’étaient unies,
Sans un seul mot, sans un aveu.
Au couchant, le soleil en feu
Avait des splendeurs infinies…
Sans un seul mot, sans un aveu,
Nos deux âmes s’étaient unies.

Non ! vous n’avez point oublié
Ce moment si doux et si tendre !
Vous avez beau vous en défendre…
Vous ne l’avez point oublié !
De ce jour, mon cœur s’est lié
À ne plus pouvoir se reprendre…
Non ! vous n’avez point oublié
Ce moment si doux et si tendre !

Et quand vous demandez pourquoi,
Pourquoi j’aime la violette,

Ce sont des façons de coquette,
Car vous le savez bien, pourquoi !
Vous vouliez entendre de moi
Notre amoureuse historiette…
C’est fait !… Et vous savez pourquoi
Pourquoi j’aime la violette !