Calmann Lévy, éditeur (p. 59-61).

XII

LE VER LUISANT.


FABLE


Un soir un ver luisant, en quête d’aventure,
Sur le bord d’un sentier brillait dans la verdure.

Près de ces lieux voici venir

Un enfant — on l’a dit, cette race est barbare. —

« Un ver luisant ! c’est chose rare !
S’écria-t-il, et m’en saisir
Serait un fait très-méritoire

Presque une gloire,

Et, dans tous les cas, un plaisir ! »

Ainsi dit, ainsi fait. La vivante étincelle
Est prise par l’enfant qui l’emporte, joyeux,

Comme un trésor précieux
À la maison paternelle.


Là, sous un verre épais l’insecte est enfermé :

Le conquérant pousse des cris de joie

En contemplant sa proie

Et le rayonnement de son corps enflammé :

« Ah ! se dit-il, quelle lumière !
C’est plus beau qu’un diamant !
Je n’ai jamais vu, vraiment,
Rien d’aussi brillant sur terre :
C’est un éclat sans pareil !
Un morceau du grand soleil ! »

Et l’enfant s’endormit, rempli de la pensée
Qu’il avait découvert un astre… pour le moins.


Le lendemain, la nuit enfin passée,

Dès qu’il fit jour, ses premiers soins
Furent de se lever bien vite
Et d’aller rendre une visite
À son astre d’hier au soir…
Mais, ô douleur ! il ne put voir
Qu’un affreux ver, rampant et noir,
Une horrible petite bête

Qui se tordait dans sa prison
Sans éclat, sans feux, sans rayon…
Il en pensa perdre la tête
Et l’écrasa sous son talon.


Telle est chez les humains du mensonge l’image :

Le poltron vantant son courage,
L’hypocrite sa loyauté,

Le traître son honneur, l’avare sa bonté,
Vers luisants ! Vers luisants ! On s’y fiera peut-être :

Mais que le jour vienne à paraître

Le faux éclat s’éteint, et l’on peut voir à fond

Ce qu’ils sont.

Furieuse d’avoir pu croire
À leur parole dérisoire

La foule écrase avec férocité

Leur âme qui se tord, hideuse et toute noire,

Au soleil de la Vérité !