Œuvres poétiques de Victor de LapradeAlphonse Lemerre, éditeur (p. 207-210).

Pour faire retentir comme un clairon sonore
Le nom de Jéhovah.

Toi dont la voix annonce aussi haut que la nôtre
Le Dieu que nous chantons,
Lègue ton sang d’athlète et ton verbe d’apôtre
A de fiers rejetons.

Sois donc béni par nous, et qu’elle soit bénie
Cette fleur de l’été
Qui vient sur les hauteurs de ton mâle génie
Fleurir en sa beauté.

Oui ! ce sol est joyeux du bonheur de ses maîtres :
Le clocher de granit,
La source et les buissons, les blés verts et les hêtres,
Tout aime et vous bénit !


VII

À LA PROVENCE


 
Puisque assis au foyer de tes chaudes collines,
J’en ai bu les parfums dans l’or de ton soleil,
Puisque tes pins, touchés par les brises marines,
Bercent si doucement mon rêve ou mon sommeil ;


Puisqu’on me réchauffant, comme eût fait une mère,
A ton hôte engourdi tu rends force et gaîté,
Je dois, en mes adieux, selon le vieil Homère,
Payer d’une chanson ton hospitalité.

N’es-tu pas, à l’égal de la blonde Ionie,
Riche de l’olivier, de la vigne et du miel ;
N’offres-tu pas, comme elle, aux pinceaux du génie
L’azur au bord des mers, la pourpre au fond du ciel ?

A l’abri de tes caps ruisselants de lumière,
Heureux de contempler des horizons connus,
Les fils des Phocéens, debout sur leur galère,
Dans le golfe natal se croyaient revenus.

Tes coteaux verdoyants sous le myrte et l’acanthe,
Pareils aux coteaux grecs en ont reçu les noms ;
Et tes rochers de marbre à la cime éclatante
Semblent faits pour porter aussi des Parthénons.

Sous ton ciel, qui des mers enflamme l’étendue,
D’Athène à Sunium on croit errer encor ;
La Muse ionienne est chez toi descendue ;
Elle vient m’y parler devant les Iles d’Or.

Elle habite à jamais ton rivage, ô Provence !
Elle y donne à tes fils, comme aux Grecs leurs aïeux,
Le fleuve du parler et la vive éloquence,
Et l’âme qui s’épanche à flots mélodieux.

Comme l’huile et le vin coulent de tes amphores,
Tes chantres, à ton ciel empruntant ses couleurs,

Sèment, à pleines mains, les riches métaphores :
Leurs faciles chansons naissent comme tes fleurs.

Ton azur plus profond fait leurs ailes plus grandes.
Chez toi, sous ton soleil, le long des chênes verts,
Dans l’air tout embaumé de sauges, de lavandes,
J’ai senti de mon cœur voler mes premiers vers.

J’avais couvé longtemps, sous mon ciel incolore,
Mes pensers endormis par la morne saison ;
Dans ma terre natale ils germaient sans éclore :
Ta lumière a percé leur humide prison.

Depuis qu’à tes rayons j’ai vu s’ouvrir mon âme,
La neige et le brouillard n’ont pu la refermer ;
Quand mon corps s’alanguit et quand s’éteint ma flamme,
A ton foyer connu je viens tout rallumer.

Car tu m’as conservé des amitiés sacrées,
De chastes oasis habités à vingt ans,
Des souvenirs, pareils à tes cimes dorées,
Qui brillent, comme toi, d’un éternel printemps.

Sans y trouver de cœur ou de saison contraire,
Dans tes heureux jardins je fais d’amples moissons,
De poëte en poète accueilli comme un frère,
J’échange avec tes fils mon cœur et mes chansons.

Tu fis naître pour moi, sur tes plages sereines,
Ce frère harmonieux, aux splendides couleurs,

Qui sait rendre à tes flots la voix de leurs sirènes,
Et l’accent de Virgile à tes bruns laboureurs.

Mêlant tous deux notre âme et nos raves sans nombre
Dans ces chants alternés à la Muse si chers,
L’élégant Phocéen parle au druide sombre :
Moi je dis les grands bois, et lui les blondes mers.

Vers ton soleil, ainsi, lorsque je m’oriente,
Quand le morne brouillard étend chez moi son deuil,
La poésie en fleurs, l’amitié souriante,
Sous ton ciel sans hivers viennent me faire accueil.

En tes fleurs, ô Provence ! en tes fils que j’embrasse,
En tes mille vaisseaux voguant vers l’avenir,
En tes flots, en tes monts dentelés avec grâce,
A l’heure des adieux, laisse-moi te bénir.

Chez toi, sur ces sommets qui surplombent la grève,
Où le myrte jaillit du rocher qui se fond,
Je veux dresser ma tente… au moins j’en fais le rêve,
Car j’y devins poëte, et presque ton enfant.