À l’heure des mains jointes (1906)/Mes Victoires

Pour les autres éditions de ce texte, voir Mes victoires.

À l’Heure des Mains jointesAlphonse Lemerre (p. 53-55).


MES VICTOIRES


I



Tel un arc triomphal, plein d’ocres et d’azurs,
Les horizons du soir s’ouvrent larges et purs.

Quand passerai-je, avec mes Victoires dans l’âme,
Sous l’arc édifié pour celui qu’on acclame ?

L’arc mémorable et vaste enferme le couchant
En sa courbe pareille au rythme fier d’un chant.


Quand passerai-je, ayant sur moi comme un bruit d’ailes
Que font, dans l’air sacré, mes Victoires fidèles ?

Certes, l’heure n’est point aux poètes, et moi
Je n’ai que ma jeunesse et ma force et ma foi.

L’arc triomphal est là, clair parmi les nuits noires.
Quand passerai-je, sous l’aile de mes victoires ?


II


Je le sais, — aujourd’hui cela fait moins de mal, —
Je ne passerai point sous un arc triomphal.

Et je n’entendrai point la voix ivre des femmes
Qui sanglotent : « Voici l’offrande de nos âmes… »

Je passerai, sans fleurs, sans lauriers, sans espoir.
Nulle ne m’attendra, dans la pourpre du soir.


Résignée, et songeant aux Défaites passées,
J’aurai sur moi le bruit de leurs ailes lassées…

Comme un arc triomphal plein d’ocres et d’azurs,
Les horizons du soir s’ouvrent, larges et purs…